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19/03/2019 | FRANCE | N°17NT01903

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 19 mars 2019, 17NT01903


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le 23 juillet 2015, Mme A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler les décisions, notamment celle du 2 mars 2015, par lesquelles le ministre de la défense a refusé de lui accorder la protection fonctionnelle ou l'a conditionnée à l'introduction d'une action judiciaire.

Le 17 mars 2016, l'intéressée a saisi le tribunal administratif de Rennes d'une nouvelle demande tendant à l'annulation du rejet de sa réclamation préalable indemnitaire du 23 juillet 2015 et à la condamnation de

l'Etat à lui verser la somme globale de 25 772 euros en réparation de l'ensemble...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le 23 juillet 2015, Mme A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler les décisions, notamment celle du 2 mars 2015, par lesquelles le ministre de la défense a refusé de lui accorder la protection fonctionnelle ou l'a conditionnée à l'introduction d'une action judiciaire.

Le 17 mars 2016, l'intéressée a saisi le tribunal administratif de Rennes d'une nouvelle demande tendant à l'annulation du rejet de sa réclamation préalable indemnitaire du 23 juillet 2015 et à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme globale de 25 772 euros en réparation de l'ensemble de ses préjudices.

Par un jugement nos 1503475, 1601253 du 13 avril 2017, le tribunal administratif de Rennes a rejeté ces deux demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 20 juin 2017, 6 octobre 2017 et 30 juillet 2018, Mme A..., représentée par MeD..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 13 avril 2017 ;

2°) d'annuler la décision du 17 juillet 2017 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa réclamation préalable du 23 juillet 2015 ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 25 994 euros, qu'elle porte dans le dernier état de ses écritures à 27 425 euros ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'attitude de sa hiérarchie, qui a laissé perdurer à son détriment une situation de harcèlement sur son lieu de travail, caractérise un dysfonctionnement de la chaîne de commandement et est constitutive d'une faute de l'administration ;

- à tout le moins, elle est fondée à dénoncer une faute personnelle non dépourvue de tout lien avec le service dans la mesure où le principal auteur des agissements répréhensibles à son égard était son supérieur hiérarchique ;

- les faits de harcèlement moral sont caractérisés par la dégradation de ses relations avec sa hiérarchie, un comportement et des capacités professionnelles systématiquement dénigrées dans des termes souvent humiliants, une attitude passive de sa hiérarchie pourtant informée de sa situation et des conditions de travail extrêmement pathogènes ;

- le refus illégal de protection fonctionnelle engage également la responsabilité de l'Etat, qui ne pouvait subordonner le bénéfice de la protection fonctionnelle à l'exercice de poursuites pénales ;

- elle a droit à la réparation intégrale de ses préjudices, constitués, à hauteur de 20 000 euros, de son préjudice moral ainsi que de la somme de 7 425 euros au titre des frais qu'elle a dû engager à ce jour pour assurer sa défense.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 juillet 2018, la ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par Mme A... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la défense ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Gélard,

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,

- et les observations de Me B...substituant MeD..., représentant MmeA....

Considérant ce qui suit :

1. MmeA..., qui est entrée au service de la marine nationale à compter du 1er octobre 2003, a été affectée en qualité de second-maître au sein de la division région de l'état-major des armées à partir du 2 septembre 2013. Ce service se composait alors du général Reignier (chef de la division), du colonel Duval (son adjoint), de l'adjudant-chef Bolivard (chef de secrétariat) et de trois secrétaires, dont Mme A...faisait partie. Cette dernière avait en charge la gestion du budget du bureau. Mme A...a été placée en congés de maladie ordinaire puis en congés de longue durée, pour une affection non liée au service, par une décision du 24 septembre 2014 dont elle a contesté le bien-fondé. S'estimant en outre victime de faits de harcèlement moral, l'intéressée a présenté une demande de protection fonctionnelle. Après avoir saisi la commission des recours des militaires, l'intéressée a été destinataire d'une décision du ministre de la défense du 2 mars 2015 lui indiquant que " les frais et honoraires d'avocat occasionnés par l'engagement d'une procédure pénale contre l'auteur présumé des faits de harcèlement susmentionnés seront pris en charge par l'administration au titre de la protection fonctionnelle ". Par la suite, le congé de longue durée de Mme A...a été prolongé par décision du 30 avril 2015. Le 23 juillet 2015, l'intéressée a présenté une réclamation préalable auprès du ministre de la défense en vue d'obtenir une indemnisation à raison du préjudice résultant des faits de harcèlement moral qu'elle estime avoir subis. Le 23 octobre 2015, elle a saisi la commission des recours des militaires du rejet de cette demande indemnitaire. Mme A...a alors saisi le tribunal administratif de Rennes, le 23 juillet 2015, d'une demande tendant à l'annulation des décisions par lesquelles le ministre de la défense a refusé de lui accorder la protection fonctionnelle ou l'a conditionnée à l'introduction d'une action judiciaire. Puis, le 17 mars 2016, elle a saisi le tribunal administratif de Rennes d'une nouvelle demande tendant à l'annulation du rejet de sa réclamation préalable indemnitaire et à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme globale de 25 772 euros en réparation de l'ensemble de ses préjudices. Par un premier jugement rendu le 13 avril 2017, le tribunal administratif de Rennes a reconnu l'imputabilité au service de l'affection dont souffre Mme A...et a annulé, en conséquence, les décisions rejetant ses recours dirigés contre les décisions des 24 septembre 2014 et 30 avril 2015. Par un second jugement du même jour, le tribunal administratif de Rennes a rejeté les deux autres demandes de Mme A...se rapportant à sa demande de protection fonctionnelle et à sa réclamation préalable du 23 juillet 2015. L'intéressée relève appel de ce second jugement. Dans le dernier état de ses écritures, Mme A...demande à la cour d'annuler la décision du 17 juillet 2017 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa réclamation préalable du 23 juillet 2015 et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 27 425 euros.

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 4123-10-2 du code de la défense : " Aucun militaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un militaire en prenant en considération : 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral mentionnés au premier alinéa ; 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; 3° Ou le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ou militaire ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. ". Si, pour être qualifiés de harcèlement moral, les agissements mentionnés précédemment doivent excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, leur constatation n'est cependant pas subordonnée à l'introduction d'une action pénale.

3. Dès lors, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

4. Par ailleurs, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.

5. Il convient tout d'abord de souligner que contrairement à ce que soutient MmeA..., la ministre de la défense n'a pas entendu, dans son mémoire en défense du 9 juillet 2018, reconnaître l'existence de faits de harcèlement moral à son égard mais s'est bornée à soutenir au contraire que l'intéressée avait contribué à la dégradation de l'ambiance du service en sollicitant notamment des témoignages de ses collègues à l'encontre de sa hiérarchie. Il incombe en conséquence à la requérante d'apporter des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. A cette fin, Mme A...se fonde sur des propos qui auraient été tenus à son égard, les 25 octobre et 15 novembre 2013, par le colonel Duval ainsi que sur le SMS qu'il lui a adressé l'invitant à rentrez chez elle et à mettre " les dossiers à jour tranquillement " avant son retour de congés sans " mauvaise pression " ajoutant " ce n'est pas difficile ". Ces échanges verbaux et électroniques, s'ils dénotent un caractère affirmé, voire autoritaire, du colonel Duval, ne peuvent toutefois être regardés comme révélant un comportement de harcèlement moral par leur caractère volontairement humiliant De même, les témoignages produits par MmeA..., qui ne sont pas suffisamment précis et circonstanciés et qui d'ailleurs n'émanent pas de la personne avec laquelle elle partageait son bureau, ne permettent pas de mettre en évidence une volonté de ce même officier de lui nuire. Enfin, ni la circonstance que l'appréciation de sa manière de servir pour l'année 2014 fasse référence à " un certain manque de confiance en elle et de résistance au stress ", ni le fait que l'imputabilité au service de la pathologie dont souffre Mme A...a été reconnue par le tribunal administratif de Rennes dans un jugement devenu définitif rendu le 13 avril 2017, ne suffisent à établir une présomption de harcèlement moral à son encontre. Mme A...ne peut en conséquence rechercher la responsabilité de l'Etat à raison du préjudice allégué sur ce fondement.

6. En second lieu, aux termes de l'article L. 4123-10 du code de la défense : " Les militaires sont protégés par le code pénal et les lois spéciales contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils peuvent être l'objet. / L'Etat est tenu de les protéger contre les menaces et attaques dont ils peuvent être l'objet à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. Il est subrogé aux droits de la victime pour obtenir des auteurs des menaces ou attaques la restitution des sommes versées aux victimes. / Il peut exercer, aux mêmes fins, une action directe, au besoin par voie de constitution de partie civile, devant la juridiction pénale. (...) ".

7. D'une part, ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en oeuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce.

8. D'autre part, il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

9. Il résulte de ce qui a été dit au point 5, que les faits dont Mme A...s'estimait victime n'étaient pas de nature à laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral. Dans ces conditions, en subordonnant le bénéfice de la protection fonctionnelle, à l'engagement d'une procédure pénale contre l'auteur présumé des faits de harcèlement, la ministre des armées n'a pas entaché sa décision d'une illégalité fautive de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

10. Il résulte de ce qui précède, que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté ses demandes.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à Mme A... de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A...et à la ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 1er mars 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,

- M. Francfort, président-assesseur,

- Mme Gélard, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 19 mars 2019.

Le rapporteur,

V. GELARDLe président,

H. LENOIR

La greffière,

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne à la ministre des armées en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 17NT01903


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 17NT01903
Date de la décision : 19/03/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : CABINET MDMH

Origine de la décision
Date de l'import : 02/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-03-19;17nt01903 ?
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