La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/01/2019 | FRANCE | N°18NT02765

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 18 janvier 2019, 18NT02765


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G...E...a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 11 janvier 2016 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours contre la décision de l'autorité consulaire française à Bamako refusant de lui délivrer un visa de long séjour en qualité d'enfant de Français et d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité, au besoin sous astreinte.

Par un jugement n° 1601974 du 5 juin 201

8, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recou...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. G...E...a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 11 janvier 2016 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours contre la décision de l'autorité consulaire française à Bamako refusant de lui délivrer un visa de long séjour en qualité d'enfant de Français et d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité, au besoin sous astreinte.

Par un jugement n° 1601974 du 5 juin 2018, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a enjoint au ministre de l'intérieur, sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, de délivrer un visa de long séjour à M. G...E...dans le délai de deux mois suivant la notification de ce jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 20 juillet 2018, le ministre de l'intérieur demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 5 juin 2018 ;

2°) de rejeter la requête de M. G...E...devant le tribunal administratif de Nantes

Le ministre soutient que s'il est exact que la décision contestée souffre d'une insuffisance de motivation, il est demandé à la cour, par substitution de motifs, de reconnaître le caractère apocryphe des actes d'état civil présentés par M. E...à l'appui de sa demande de visa, l'absence de reconnaissance de paternité au regard de la législation malienne ainsi que l'absence de possession d'état.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2018, M. G...E..., représenté par MeF..., conclut au rejet de la requête du ministre.

Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par le ministre de l'intérieur n'est fondé.

Vu le jugement attaqué.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu

­ l'accord franco-malien de coopération en matière de justice du 1er mars 1962 ;

­ le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

­ le code civil ;

­ le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. A...'hirondel a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. G...E..., né le 17 janvier 1997 et de nationalité malienne, a sollicité, le 29 janvier 2015, une demande de visa de long séjour auprès de l'autorité consulaire française à Bamako en qualité de descendant de Français en se présentant comme le fils naturel de M. B... E..., ressortissant malien né le 6 mai 1982 et naturalisé français par décret du 15 avril 2011. Par une décision du 30 septembre 2015, cette autorité a refusé de délivrer le visa sollicité. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté, par une décision du 11 janvier 2016, le recours formé par M. G...E...contre la décision des autorités consulaires. Par un jugement du 5 juin 2018, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a enjoint au ministre, sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait, de délivrer le visa de long séjour sollicité. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.

Sur la légalité de la décision contestée :

2. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil " ; que l'article 47 du code civil dispose que " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".

3. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.

4. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, pour estimer que les actes d'état civil présentés par M. G... E...afin d'établir son lien de filiation envers M. B...E...étaient insuffisants, sur les documents d'état civil présentés par son frère M. I...E...dans le cadre de la demande de visa formée par ce dernier ainsi que sur le jugement supplétif d'acte de naissance de la mère alléguée du demandeur. Le ministre reconnaît dans ses écritures que la motivation retenue par la commission, qui est incomplète, n'est pas de nature à établir le caractère apocryphe des actes d'état civil présentés par M. G... E...dans le cadre de sa demande de visa et, par suite, le bien-fondé du jugement attaqué.

5. Le ministre demande, toutefois, à la cour de procéder à une substitution de motifs tirée du caractère apocryphe des actes d'état-civil et de l'absence de reconnaissance de paternité.

6. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

7. Aux termes de l'article 311-14 du code civil : " La filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant ; si la mère n'est pas connue, par la loi personnelle de l'enfant ". Selon l'article 311-17 de ce code : " la reconnaissance volontaire de paternité ou de maternité est valable si elle a été faite en conformité, soit de la loi personnelle de son auteur, soit de la loi personnelle de l'enfant ".

8. Aux termes de l'article 35 du code de la parenté malien : " La filiation de l'enfant né hors mariage est établie de plein droit à l'égard de sa mère du seul fait de la naissance. ". Aux termes de l'article 36 de ce même code : " A l' égard du père, la preuve de la filiation de l'enfant né hors mariage résulte d'une reconnaissance ou d'un jugement. / Lorsque la reconnaissance ne résulte pas de l'acte de naissance elle est faite par acte authentique dressé par l'officier d'état civil ou le notaire " ; que selon l'article 38 de ce code : " La reconnaissance de paternité, pour être valable, doit être confirmée par la mère de l'enfant ".

9. Il résulte des dispositions précitées de l'article 36 du code de la parenté malien que le lien de filiation d'un enfant naturel à l'égard du père peut être établi selon deux modalités alternatives : soit par une reconnaissance, soit par un jugement. M. G... E...allègue être le fils naturel de M. B...E...et de Mme C...E.... Pour justifier le lien de filiation avec M. B...E..., il produit, d'une part, un jugement supplétif d'acte de naissance n°1835 établi le 1er juillet 2013 par le tribunal civil de Yelimane ainsi que la copie intégrale, certifiée conforme, de l'acte de reconnaissance effectué en sa faveur par M. B...E..., établi par l'officier de l'état-civil de la commune de Courcouronnes (Essonne).

En ce qui concerne le jugement supplétif d'acte de naissance :

10. Le ministre n'établit, ni même n'allègue que le jugement supplétif d'acte de naissance n°1835 établi le 1er juillet 2013 n'aurait pas été délivré selon la procédure prévue par la loi malienne. La circonstance que ce jugement supplétif, qui constate la naissance et les liens de parenté de M. G...E..., ait été rendu tardivement et à l'occasion de la demande de visa formée par l'intéressé ne permet pas, à elle seule, d'établir le caractère non probant de ce document. De même, le fait qu'un jugement supplétif d'acte de naissance concernant Mme C... E...ait été rendu le même jour par le tribunal civil de Yelimane pour constater un fait datant de 33 ans n'est pas de nature à établir que cette dernière ne serait pas la mère de l'intimé, ni que l'enquête diligentée par le tribunal civil dans le cadre de la demande d'acte de naissance formée en faveur de M. G...E...ne serait pas sérieuse. Le caractère frauduleux des mentions apposées sur ce jugement concernant l'état civil de l'intimé ne saurait résulter de l'erreur matérielle intervenue sur les numéros d'extraits d'actes de naissance délivrés respectivement à Mme C...E... et à M. G...E..., alors que l'extrait d'acte de naissance délivré à ce dernier par le maire de Kirané, officier de l'état civil, et qui comporte sa signature et son sceau, a été établi, ainsi qu'il ressort de ce document, au vu du jugement supplétif d'acte de naissance n°1835 du 1er juillet 2013. Enfin, si l'extrait d'acte de naissance délivré le 14 août 2014 par l'officier de l'état civil du centre secondaire de Djelibougou a été pris par une autorité incompétente et présenterait ainsi un caractère apocryphe, cette circonstance n'est pas de nature à remettre en cause la sincérité des mentions contenues dans le jugement supplétif transcrit sur le registre d'état civil de Kirané.

En ce qui concerne la reconnaissance de paternité :

11. Selon l'article 24 de l'accord franco-malien de coopération en matière de justice du 1er mars 1962, seront notamment admises, sans légalisation, sur les territoires respectifs de la République française et de la République du Mali, " les expéditions des actes de l'état civil " établies par " les autorités administratives " de chacun des deux Etats, revêtues de " la signature et du sceau officiel de l'autorité ayant qualité pour les délivrer " et certifiées " conformes à l'original par ladite autorité ".

12. Il ressort des pièces du dossier que M. B...E...a reconnu le 10 décembre 2013 M. G...E...devant l'officier de l'état-civil de Courcouronnes (Essonne). Il a produit à cet effet une copie intégrale conforme de cet acte de reconnaissance délivrée par l'officier de l'état civil, revêtue de sa signature et de son sceau. Cet acte de reconnaissance produit ainsi ses pleins effets au Mali conformément à l'article 24 de l'accord franco-malien précité. Par ailleurs, pour l'application de l'article 38 du code de la parenté malien, et ainsi qu'il résulte de l'acte établi par MaîtreD..., notaire à Kayes, Mme C... E...a notamment reconnu M. B...E...comme père de M. G...E.... Cet acte de reconnaissance de paternité doit être également regardé comme établissant, selon la loi malienne, le lien de parenté de l'intimé avec M. B...E.... Le ministre ne saurait utilement invoquer la circonstance que cette reconnaissance de paternité, qui présente au demeurant un caractère superfétatoire compte tenu du jugement supplétif rendu le 1er juillet 2013 qui atteste de la filiation, n'aurait fait l'objet d'aucune transcription sur l'acte de naissance dès lors cet acte présenté par l'intéressé est antérieur à cette reconnaissance.

13. Il suit de là qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la substitution de motif sollicitée par le ministre. Par ailleurs, et dès lors que la filiation est établie dans les conditions qui viennent d'être dites, la circonstance qu'elle n'est pas démontrée au moyen de la possession d'état est sans incidence sur la solution du litige.

14. Il résulte de tout ce qui précède, que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 11 janvier 2016 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.

D É C I D E :

Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. G... E....

Délibéré après l'audience du 2 janvier 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Pérez, président,

- Mme Brisson, président-assesseur,

- M.A...'hirondel, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 18 janvier 2019.

Le rapporteur,

M. H...Le président,

A. PEREZ

Le greffier,

A. BRISSET

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18NT02765


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT02765
Date de la décision : 18/01/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: M. Michel LHIRONDEL
Rapporteur public ?: M. DERLANGE
Avocat(s) : MENGELLE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/01/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-01-18;18nt02765 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award