Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B...C..., épouseA..., a demandé au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision du 2 février 2018 du préfet du Cher rejetant la demande de regroupement familial présentée à son profit par son époux.
Par un jugement n° 1801074 du 10 juillet 2018, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 24 juillet, 3 août et 16 août 2018, MmeC..., représentée par MeD..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 10 juillet 2018 ;
2°) d'annuler la décision du 2 février 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Finistère de lui délivrer une carte de séjour temporaire mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- le préfet n'était pas en situation de compétence liée pour lui refuser le regroupement familial sur place ;
- en se fondant sur le nombre de pièces du logement, le préfet a commis une erreur de droit ;
- le motif de la menace à l'ordre public n'est pas fondé ;
- la décision contestée portant refus de regroupement familial a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- cette décision a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense enregistré le 6 août 2018 le préfet du Cher conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens invoqués par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Coiffet a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. MmeC..., ressortissante marocaine, relève appel du jugement du 10 juillet 2018 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 2 février 2018 du préfet du Cher rejetant la demande de regroupement familial présentée à son profit par son époux.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le ressortissant étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial, par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans, et les enfants du couple mineurs de dix-huit ans. ". Aux termes de l'article L. 411-6 du même code : " Peut être exclu du regroupement familial : (...) / 3° Un membre de la famille résidant en France. ".
3. D'autre part, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
4. Il résulte des dispositions et stipulations précitées que, lorsqu'il se prononce sur une demande de regroupement familial, le préfet est en droit de rejeter la demande dans le cas où l'intéressé ne justifierait pas remplir l'une ou l'autre des conditions légalement requises notamment, comme en l'espèce, en cas de présence anticipée sur le territoire français du membre de la famille bénéficiaire de la demande. Il dispose toutefois d'un pouvoir d'appréciation et n'est pas tenu par les dispositions précitées, notamment dans le cas où il est porté une atteinte excessive au droit de mener une vie familiale normale tel qu'il est protégé par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., compatriote et époux depuis 2009 de MmeC..., réside en France sous couvert d'une carte de résident valable jusqu'en 2025. Mme C...y a effectué un premier séjour entre 2009 et 2011, au cours duquel elle a donné naissance à deux filles en 2010 et 2011, avant d'être éloignée à destination du Maroc avec ses enfants. M. A... a ramené ses enfants en France en 2015 pour les scolariser, avant de se voir opposer un refus de regroupement familial. Mme C...est entrée à nouveau sur le territoire français, le 24 février 2016, sous couvert d'un visa Schengen de court séjour délivré par les autorités espagnoles et a donné naissance à un troisième enfant en mars 2017. Par ailleurs, il n'est pas contesté que la vie conjugale n'a pas cessé et qu'à la date de la décision contestée M. A... était titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminé à temps plein. Enfin la circonstance que Mme C...pourrait bénéficier, après être retournée dans son pays d'origine, d'une mesure de regroupement familial à la demande de son conjoint ne saurait intervenir dans l'appréciation portée par l'administration sur la gravité de l'atteinte à sa situation familiale. Dans ces conditions particulières, et notamment en raison de la présence en France des trois jeunes enfants du couple, dont l'un de moins d'un an, le préfet du Cher doit être regardé comme ayant, par la décision contestée, porté au droit de Mme C...au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, en prenant cette décision, il a méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
6. Il résulte de ce qui précède que Mme C...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Eu égard aux motifs énoncés au point 5, le présent arrêt implique nécessairement que, sous réserve d'un changement dans les circonstances de droit ou de fait affectant la situation de MmeC..., le préfet du Cher autorise le regroupement familial au profit de l'intéressée et lui délivre, en application du 1° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ", dans un délai qu'il convient de fixer à deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais de l'instance :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par Mme C...et non compris dans les dépens.
D E C I D E
Article 1er : Le jugement n° 1801074 du 10 juillet 2018 du tribunal administratif d'Orléans et la décision du 2 février 2018, du préfet du Cher sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Cher de délivrer à Mme C...une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme C...la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...C..., épouse A...et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Cher.
Délibéré après l'audience du 20 décembre 2018, à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- Mme Le Bris, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 11 janvier 2019.
Le rapporteur
O. Coiffet
Le président
I. Perrot
Le greffier
M. E...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 18NT028222