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10/01/2019 | FRANCE | N°18NT01428

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 10 janvier 2019, 18NT01428


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C...a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 14 septembre 2017 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a ordonné sa remise aux autorités belges.

Par un jugement n° 1704394 du 11 octobre 2017, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 9 avril 2018, M. B... C..., représenté par Me D...A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce

jugement du tribunal administratif de Rennes du 11 octobre 2017 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 14 septembr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... C...a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 14 septembre 2017 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a ordonné sa remise aux autorités belges.

Par un jugement n° 1704394 du 11 octobre 2017, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 9 avril 2018, M. B... C..., représenté par Me D...A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 11 octobre 2017 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 14 septembre 2017 ;

3°) d'enjoindre au préfet d'Ille-et-Vilaine de l'autoriser à solliciter l'asile en France et de lui délivrer un titre de séjour provisoire sur ce fondement dans le délai de trois jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa situation et de le munir d'une autorisation provisoire de séjour dans cette attente ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'arrêté est insuffisamment motivé et révèle un défaut d'examen approfondi de sa situation personnelle ;

- les informations communiquées au moyen des brochures dites A et B issues de l'annexe X du règlement (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ne reprennent pas l'intégralité des informations prévues à l'article 4 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 et les critères énoncés aux articles 11, 13, 14 et 15 de ce règlement n'ont pas été portés à sa connaissance ; il n'a pas été informé des procédures à suivre pour exercer son droit d'accès et de rectification des données le concernant ;

- l'arrêté méconnaît les dispositions de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.

Vu les pièces desquelles il résulte que la requête a été communiquée au préfet d'Ille-et-Vilaine qui n'a pas produit de mémoire en défense.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 février 2018.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne C-670/16 du 26 juillet 2017 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Francfort, président assesseur, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M.C..., ressortissant burkinabé né le 13 mars 1988, a déclaré être entré en France le 27 décembre 2016. Le 21 mars 2017, il a sollicité son admission provisoire au séjour au titre de l'asile auprès de la préfecture d'Ille-et-Vilaine. La comparaison de ses empreintes dans le système Visabio a révélé qu'il était titulaire d'un passeport, et revêtu d'un visa de court séjour délivré par les autorités belges, valable du 22 décembre 2016 au 20 janvier 2017. Les autorités belges, saisies d'une demande de prise en charge du 16 juin 2017 sur le fondement des dispositions du 4 de l'article 12 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, ont donné leur accord le 20 juin 2017. Par un arrêté du 14 septembre 2017, le préfet d'Ille-et-Vilaine a prononcé son transfert aux autorités belges, responsables de l'examen de sa demande d'asile. M. C... relève appel du jugement du 11 octobre 2017 par lequel le magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa requête tendant à l'annulation de l'arrêté du 14 septembre 2017.

Sur les conclusions à fins d'annulation, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête :

2. Aux termes de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " Présentation d'une requête aux fins de prise en charge- 1. L'Etat membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre Etat membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout Etat de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date de l'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre Etat membre aux fins de prise en charge du demandeur. / (...) / Si la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur n'est pas formulée dans les délais fixés par le premier et le deuxième alinéa, la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale incombe à l'Etat membre auprès duquel la demande a été introduite (...) ".

3. Il résulte de ces dispositions, ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne par son arrêt C-670/16 du 26 juillet 2017, qu'une décision de transfert vers un Etat membre autre que celui auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite ne saurait être valablement adoptée une fois expiré le délai de trois mois prévu par le 1 précité de l'article 21. La Cour a précisé que ces dispositions contribuent de manière déterminante à la réalisation de l'objectif de célérité dans le traitement des demandes de protection internationale, mentionné au considérant 5 du règlement dit Dublin III, en garantissant, en cas de retard dans la conduite de la prise en charge, que l'examen de la demande de protection internationale soit effectué dans l'Etat membre où cette demande a été introduite afin de ne pas différer davantage cet examen par l'adoption et l'exécution d'une décision de transfert.

4. Aux termes de l'article 20 du règlement (UE) n° 604-2013 du 26 juin 2013 : " Début de la procédure - 1. Le processus de détermination de l'Etat membre responsable commence dès qu'une demande de protection internationale est introduite pour la première fois auprès d'un Etat membre. / 2. Une demande de protection internationale est réputée introduite à partir du moment où un formulaire présenté par le demandeur ou un procès-verbal dressé par les autorités est parvenu aux autorités compétentes de l'Etat membre concerné. Dans le cas d'une demande non écrite, le délai entre la déclaration d'intention et l'établissement d'un procès-verbal doit être aussi court que possible. (...) ".

5. La Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit, par son arrêt C-670/16 déjà mentionné, que le paragraphe 2 de l'article 20 du règlement communautaire ici en cause devait être interprété en ce sens qu'une demande de protection internationale est réputée introduite lorsqu'un document écrit, établi par une autorité publique et attestant qu'un ressortissant de pays tiers a sollicité la protection internationale, est parvenu à l'autorité chargée de l'exécution des obligations découlant de ce règlement et, le cas échéant, lorsque seules les principales informations figurant dans un tel document, mais non celui-ci ou sa copie, sont parvenues à cette autorité. La Cour a également précisé, dans cet arrêt, que, pour pouvoir engager efficacement le processus de détermination de l'Etat responsable, l'autorité compétente a besoin d'être informée, de manière certaine, du fait qu'un ressortissant de pays tiers a sollicité une protection internationale, sans qu'il soit nécessaire que le document écrit dressé à cette fin revête une forme précisément déterminée ou qu'il comporte des éléments supplémentaires pertinents pour l'application des critères fixés par le règlement Dublin III ou, a fortiori, pour l'examen au fond de la demande, et sans qu'il soit nécessaire à ce stade de la procédure qu'un entretien individuel ait déjà été organisé.

6. Aux termes de l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente, qui enregistre sa demande et procède à la détermination de l'Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ou en application d'engagements identiques à ceux prévus par le même règlement, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. / L'enregistrement a lieu au plus tard trois jours ouvrés après la présentation de la demande à l'autorité administrative compétente, sans condition préalable de domiciliation. Toutefois, ce délai peut être porté à dix jours ouvrés lorsqu'un nombre élevé d'étrangers demandent l'asile simultanément (...) ". Selon l'article R. 741-2 du même code : " Pour l'application du deuxième alinéa de l'article L. 741-1, l'autorité administrative compétente peut prévoir que la demande est présentée auprès de la personne morale prévue au deuxième alinéa de l'article L. 744-1. ". Le deuxième alinéa de l'article L. 744-1 auquel il est ainsi renvoyé permet à l'Office français de l'immigration et de l'intégration de déléguer à des personnes morales, par convention, la possibilité d'assurer certaines prestations d'accueil, d'information et d'accompagnement social et administratif des demandeurs d'asile pendant la période d'instruction de leur demande.

7. Compte tenu de ce qui a été dit précédemment, lorsque l'autorité compétente pour assurer au nom de l'Etat français l'exécution des obligations découlant du règlement Dublin III a, ainsi que le permet l'article R. 741-2 précité, prévu que les demandes de protection internationale doivent être présentées auprès de l'une des personnes morales qui ont passé avec l'Office français de l'immigration et de l'intégration la convention prévue à l'article L. 744-1 du même code, la date à laquelle cette personne morale, auprès de laquelle le demandeur doit se présenter en personne, transmet aux services de l'Etat le document écrit matérialisant l'intention de ce dernier de solliciter la protection internationale doit être regardée comme celle à laquelle est introduite cette demande de protection internationale au sens du paragraphe 2 de l'article 20 de ce règlement et fait donc partir le délai de trois mois qu'il prévoit à son article 21, paragraphe 1. L'objectif de célérité dans le processus de détermination de l'Etat responsable, rappelé par l'arrêt déjà mentionné de la Cour de justice de l'Union européenne, serait en effet compromis si le point de départ de ce délai devait être fixé à la date à laquelle ce ressortissant se présente au " guichet unique des demandeurs d'asile " de la préfecture ou celle à laquelle sa demande est enregistrée par la préfecture.

8. Il ressort des pièces du dossier que M. C...s'est présenté le 13 janvier 2017, à la plateforme d'accueil des demandeurs d'asile de Rennes, gérée par l'association Coallia, et a manifesté l'intention de demander l'asile. Cependant il n'est pas établi que le formulaire de demande d'asile ait été transmis à la même date à la préfecture d'Ille-et-Vilaine.

9. Toutefois le requérant verse au dossier la lettre datée du 2 mars 2017 par laquelle le préfet d'Ille-et-Vilaine l'a convoqué au guichet asile de la préfecture " afin de faire le point sur [sa] demande d'asile ". Il se déduit de ce courrier qu'au plus tard à cette date du 2 mars 2017, les services préfectoraux étaient en possession des principales informations, transmises par l'association, relatives à la demande d'asile de M.C....

10. Cette date formant par suite, au cas particulier, le point de départ du délai de trois mois fixé par l'article 21 paragraphe 1 du 1er alinéa du règlement précité du 26 juin 2013, ce délai avait expiré lorsque, le 16 juin 2017, le préfet a saisi les autorités belges de sa requête aux fins de prise en charge de l'intéressé. Dès lors, en application du paragraphe 3 du même article, la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale présentée par M. C..., à la date de la décision attaquée, incombait à la France. Par suite, le préfet ne pouvait plus légalement décider de transférer le requérant aux autorités belges.

11. Il résulte de ce qui précède que M. C...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fins d'injonction :

12. Le présent arrêt implique nécessairement, compte-tenu du motif de l'annulation qu'il prononce, qu'il soit enjoint au préfet d'Ille-et-Vilaine d'admettre la demande d'asile de M. C... en France et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour.

Sur les frais liés au litige :

13. M. C...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros à Me A...dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes du 11 octobre 2017 et l'arrêté du préfet d'Ille-et-Vilaine du 14 septembre 2017 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet d'Ille-et-Vilaine d'admettre la demande d'asile de M. C... en France et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour.

Article 3 : Le versement de la somme de 1 000 euros à MeA... est mis à la charge de l'Etat dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C...et au ministre de l'intérieur. Copie en sera transmise à la préfète d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 13 décembre 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Francfort, président,

- Mme Gélard, premier conseiller

- M. Pons, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 10 janvier 2019.

Le président-rapporteur,

J. FRANCFORTL'assesseur le plus ancien,

V. GELARD

La greffière,

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18NT01428


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT01428
Date de la décision : 10/01/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. FRANCFORT
Rapporteur ?: M. Jérôme FRANCFORT
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : LE BOURHIS

Origine de la décision
Date de l'import : 22/01/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2019-01-10;18nt01428 ?
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