Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C...B...a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 11 décembre 2015 par laquelle la ministre chargée du travail a autorisé la société nationale d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes (SEITA) à procéder à son licenciement.
Par un jugement nos 1510277, 1601057 du 27 juin 2017, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 18 août 2017 et les 2 mars et 8 novembre 2018, MmeB..., représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 27 juin 2017 ;
2°) d'annuler la décision du 11 décembre 2015 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 50 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision est insuffisamment motivée, les dispositions pertinentes du code du travail n'étant pas visées ;
- elle est entachée d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation quant au motif économique du groupe Imperial Tobacco auquel appartient l'entreprise SEITA, motif qui est en réalité absent ; l'augmentation du chiffre d'affaires et du bénéfice du secteur d'activité du groupe auquel appartient l'entreprise est à la fois constante et significative ;
- il n'apparaît pas que la ministre ait défini le périmètre pertinent du reclassement ; elle n'a pas davantage vérifié les modalités selon lesquelles a été recueilli le refus du salarié de se porter candidat à des postes à l'étranger ; or la procédure de l'article L. 1233-4-1 du code du travail a été méconnue : le courrier adressé à la requérante en ce sens était de nature à l'induire en erreur car le questionnaire qui y était annexé ne lui a pas été adressé nominativement et l'employeur n'a pas communiqué la liste des implantations concernées par un éventuel reclassement à l'étranger, seul le pays étant cité.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 31 janvier et 7 novembre 2018, la SEITA, représentée par MeE..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de Mme B...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient
- que la requête d'appel, quasi-identique aux mémoires de première instance, est irrecevable en application de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, à défaut de comporter des moyens d'appel ;
- qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Un mémoire, présenté pour Mme B...et enregistré le 26 novembre 2018, n'a pas été communiqué à défaut d'éléments nouveaux au sens de l'article R. 611-1 du code de justice administrative
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Francfort, président-assesseur,
- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., représentant MmeB..., et de MeD..., représentant la SEITA.
Une note en délibéré, enregistrée le 10 décembre 2018, a été présentée pour la SEITA.
Considérant ce qui suit
Les faits, la procédure :
1. Mme B...était depuis le 28 novembre 2005 salariée de la SEITA, filiale française du groupe Imperial Tobacco, au sein de l'établissement de Carquefou, où elle occupait en dernier lieu le poste d'opératrice de production. Elle était représentante syndicale au comité d'établissement de Carquefou, déléguée du personnel titulaire, et membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de Carquefou. La SEITA a sollicité l'autorisation de la licencier pour motif économique. Par décision du 22 avril 2015, l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser ce licenciement. La ministre chargée du travail qui avait, dans un premier temps, implicitement rejeté le recours hiérarchique de la SEITA, a, par décision du 15 décembre 2015, retiré ce rejet implicite, annulé le refus de l'inspecteur du travail et autorisé le licenciement de MmeB.... Mme B...relève appel du jugement du 27 juin 2017 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette autorisation de licenciement du 11 décembre 2015.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés investis de fonctions représentatives, qui bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle, est subordonné à une autorisation de l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande d'autorisation de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière ; qu'en outre, pour refuser l'autorisation sollicitée, l'autorité administrative a la faculté de retenir des motifs d'intérêt général relevant de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité, sous réserve qu'une atteinte excessive ne soit pas portée à l'un ou l'autre des intérêts en présence.
En ce qui concerne la réalité du motif économique, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête :
4. Aux termes de l'article L. 1233 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la présente espèce : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques ".
5. La nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise est au nombre des causes sérieuses de licenciement économique. Lorsque la demande est fondée sur ce motif, l'autorité administrative doit vérifier que l'employeur fait état d'éléments caractérisant l'existence d'une menace réelle pesant sur sa compétitivité et rendant nécessaire une réorganisation pour y faire face.
S'agissant du périmètre d'appréciation :
6. Lorsque l'entreprise appartient à un groupe, le motif économique doit s'apprécier au niveau du secteur d'activité du groupe auquel appartient l'entreprise concernée, et non au niveau de l'entreprise elle-même.
7. Il ressort des pièces du dossier que la SEITA, filiale française du groupe Imperial Tobacco, n'a pas d'autre activité que la production et la vente de tabac. Elle relève donc exclusivement du secteur d'activité tabac du groupe, lequel est distinct de son secteur logistique, qui vise à la distribution, dans les lieux de vente habituels de tabac aux particuliers, de divers produits, dont certains non liés au tabac. C'est par conséquent au niveau du secteur d'activité tabac du groupe Imperial Tobacco, dans l'ensemble des pays où il est présent, que doit être apprécié le bien-fondé du motif économique invoqué par la société.
S'agissant des menaces sur la compétitivité :
8. La société SEITA fait valoir que le secteur tabac du groupe a connu en 2014 une baisse de plus de 7% de son chiffre d'affaires et de 4,8 % de son résultat au niveau mondial, et que cette détérioration s'inscrit dans un contexte de forte diminution de la demande de cigarettes depuis de nombreuses années, notamment en Europe où le groupe réalise plus de 70 % de son chiffre d'affaires net et où la production et la consommation ont chuté de plus de 30 % entre 2002 et 2013.
9. Toutefois Mme B...conteste cette baisse du chiffre d'affaires et du résultat en se fondant sur les données figurant au rapport annuel 2014 du groupe. Elle conteste également l'ampleur des conséquences attachées à ces évolutions sur la compétitivité du groupe Imperial Tobacco, en se fondant sur les résultats du groupe relatifs à l'exercice clos le 30 août 2015, comme elle est recevable à le faire dès lors que l'autorisation en litige est postérieure à cette date.
10. D'une part la SEITA n'est pas fondée à demander que le chiffre d'affaires procuré par les filiales acquises durant le même exercice aux Etats-Unis soit déduit du montant des " Recettes nettes du tabac " (" Tobacco Net Revenue ") qui figurent à ce rapport, dès lors qu'elle ne conteste pas que ce chiffre d'affaires se rapporte au secteur tabac du groupe au niveau mondial, lequel constitue le périmètre pertinent d'examen, ainsi qu'il a été dit au point 7. Le montant de ces recettes nettes n'a pas non plus à être corrigé pour tenir compte de l'incidence des variations de change intervenues durant l'exercice ou de l'impact d'une opération exceptionnelle de réduction des stocks détenus par les distributeurs, dès lors que ces éléments, non récurrents ou sans impact sur la position du groupe sur le marché pertinent, sont sans rapport avec une éventuelle menace sur sa compétitivité.
11. D'autre part si le " résultat opérationnel ajusté " (" Adjusted Operating Profit "), tel qu'il figure à ce rapport annuel 2015, résulte d'un retraitement du résultat comptable non conforme aux normes internationales d'information financière, cette présentation a précisément pour but, selon les auteurs de ce rapport, de " fournir une comparaison utile de la performance d'une période à une autre ".
12. Il résulte de ce qui précède que Mme B...est fondée à se prévaloir, pour voir apprécier la compétitivité du groupe Imperial Tobacco, des données relatives à l'évolution des recettes nettes de tabac et du résultat opérationnel ajusté, telles que ces données figurent au rapport annuel 2015 du groupe.
13. Or il résulte du rapport annuel 2015 du groupe Imperial Tobacco que les recettes nettes du tabac du groupe (" Tobacco Net Revenue ") ont augmenté de 3% durant l'exercice correspondant, cependant que le " résultat opérationnel ajusté " (" Adjusted Operating Profit ") du groupe a augmenté de 7%.
14. Il résulte au surplus d'une communication de la directrice générale du groupe Imperial Tobacco, commentant l'acquisition d'une nouvelle filiale américaine en 2015, que la part de marché du groupe devrait de ce fait progresser de 3 à 10 % sur le marché américain, permettant à Imperial Tobacco d'y passer de la 5ème à la 3ème place.
15. Compte-tenu de ces éléments actualisés, qui portent sur le marché pertinent d'examen et montrent la bonne situation du groupe ainsi que de réelles perspectives de croissance à la date à laquelle la ministre a statué, la SEITA ne peut se borner, pour caractériser une menace sur la compétitivité du groupe Imperial Tobacco, à se référer à la baisse de ses ventes observée sur les marchés français ou européen entre 2002 et 2012. Elle ne démontre pas davantage un risque de perte de compétitivité du groupe en se prévalant d'une baisse de part de marché limitée à 1,5 point sur la période 2009/2013. Par ailleurs la seule volonté de diminuer la masse salariale en considération d'une sous utilisation des capacités de production de l'usine de Carquefou ne peut être regardée comme une tentative de répondre à une telle menace.
16. Il résulte de ce qui précède que la ministre chargée du travail ne pouvait, sans erreur d'appréciation, estimer que la SEITA démontrait une menace sérieuse sur la compétitivité de l'activité tabac du groupe Imperial Tobacco, et par suite justifiait de la réalité du motif économique allégué.
17. Il résulte de ce qui précède que MmeB..., dont la requête est suffisamment motivée, est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de MmeB..., qui n'a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, la somme que demande la SEITA au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme B...de la somme de 50 euros qu'elle demande au même titre.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 27 juin 2017 et l'autorisation de licenciement du 11 décembre 2015 sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 50 euros à Mme B...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...B..., à la société nationale d'exploitation industrielle des tabacs et allumettes et à la ministre du travail.
Délibéré après l'audience du 30 novembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Lenoir, président de chambre,
- M. Francfort, président-assesseur,
- M. Pons, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 26 décembre 2018.
Le rapporteur,
J. FRANCFORTLe président,
H. LENOIR
La greffière,
E. HAUBOIS
La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17NT02561