Vu la procédure suivante :
Procédure devant la cour :
Par un arrêt avant-dire droit du 28 décembre 2016, la cour administrative d'appel de Nantes a ordonné une expertise afin de déterminer les causes qui ont pu concourir à une variation des bénéfices constatés dans l'exploitation du centre commercial " Intermarché " et les activités annexes de pressing et de restauration que la SA Sopodis exploitait entre le 17 novembre 2007 et le 15 août 2010 sur le territoire de la commune de Saint-Hilaire-de-Loulay du fait de l'illégalité fautive de la décision de la commission d'équipement commercial de Vendée du 15 novembre 2007 autorisant la société Codim à exploiter un hypermarché à l'enseigne " Super U " et une galerie marchande sur la commune de Boufféré et de préciser le montant des préjudices commerciaux qui en a résulté pour chacune de ces causes.
L'expert a remis son rapport le 7 février 2018.
Par un mémoire enregistré le 26 avril 2018, la société Sopodis, représentée par son président, par la SELARL Parme avocats, demande à la cour :
- à titre principal, d'ordonner à l'expert de reprendre son rapport en tenant compte des taux de progression du chiffre d'affaires, du taux de marge sur coût variable, du montant des amortissements des matériels du pressing et du bistrot non amortis en fin de période d'analyse et des honoraires payés au cabinet FP3 Baker Tilly ;
- à titre subsidiaire, de condamner l'Etat à lui payer la somme de 1 941 695 euros avec intérêts et capitalisations de ces intérêts ;
- de mettre à la charge de l'Etat une somme de 18 240 euros au titre des dépens ;
- de mettre à la charge de l'Etat une somme de 34 812 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- l'expert a sous évalué son préjudice commercial dès lors que les trois premiers exemples cités dans son rapport ne sont pas topiques, que son évaluation est contredite par les résultats obtenus au cours de la période de référence par l'hypermarché " Super U ", que les charges de personnel et les impôts et taxes sur salaires ne pouvaient être retenus comme coût variable et que certaines factures concernant les honoraires de procédure ont été écartées à tort ;
- la somme de 18 240 euros, correspondant aux frais de l'expertise, devra être mise à la charge de l'Etat ;
- en tout état de cause, sur la base du rapport de l'expert, le montant de son préjudice s'établit à la somme de 1 941 695 euros, correspondant à l'hypothèse haute proposée par l'expert (1 772 087 euros), aux honoraires de procédure devant la commission d'équipement commercial (42 523 euros), aux frais de publicité (40 515 euros) et aux cotisations (86 570 euros).
Par une ordonnance du 22 mars 2018, la présidente de la cour administrative d'appel de Nantes a mis à la charge de la société Sopodis les frais et honoraires d'expertise.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de commerce ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...'hirondel,
- les conclusions de M. Derlange, rapporteur public,
- et les observations de MeB..., représentant la SA Sopodis.
Une note en délibéré présentée par la société Sopodis a été enregistrée le 26 octobre 2018.
Considérant ce qui suit :
1. Avant de se prononcer sur la demande de la société Sopodis dirigée contre le jugement du 26 juin 2014 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 7 141 086 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis à raison de l'autorisation illégalement délivrée par la commission départementale d'équipement commercial de la Vendée le 15 novembre 2017, la cour, par un arrêt du 28 décembre 2016, a ordonné, après avoir écarté les autres prétentions de cette société, qu'il soit procédé à une expertise. Cette expertise avait pour objet d'apporter tous éléments de fait permettant de déterminer si et dans quelle mesure le préjudice commercial que la société requérante alléguait avoir subi du fait d'une baisse du chiffre d'affaires de l'hypermarché " Intermarché " qu'elle exploitait sur le territoire de la commune de Saint-Hilaire-de-Loulay (85), ainsi que les activités annexes de pressing et de restauration, présentait un lien de causalité direct et certain avec l'illégalité fautive de la décision de la commission d'équipement commercial de Vendée du 15 novembre 2007, autorisant la société Codim à exploiter un hypermarché à l'enseigne " Super U " sur la commune de Boufféré et, dans l'affirmative, d'évaluer ce préjudice entre le 17 novembre 2007 et le 15 août 2010, période au cours de laquelle cette décision a produit ses effets. L'expert a déposé son rapport le 7 février 2018.
Sur le lien de causalité :
2. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'expert, que le magasin à l'enseigne " Intermarché ", exploité par la société Sopodis, a connu à compter de novembre 2007, ce qui correspond à l'ouverture de l'hypermarché " Super U ", une baisse sensible de son chiffre d'affaires, alors que sa situation financière progressait jusqu'alors favorablement. Aucune circonstance, tenant à l'exploitation de ce magasin, alors que des investissements importants avaient été réalisés en 2006, ou extérieure à celui-ci, autre que la concurrence exercée par l'hypermarché " Super U ", n'est de nature à expliquer cette soudaine baisse du chiffre d'affaires. Dans ces conditions, le préjudice commercial subi par la société Sopodis, du fait de l'ouverture de l'hypermarché " Super U ", doit être regardé comme présentant un lien direct et certain avec la décision illégale de la commission d'équipement commercial de Vendée du 15 novembre 2017.
Sur le montant du préjudice :
3. L'expert nommé par la cour a effectué une visite sur place et des sites concurrents et a utilisé, pour apprécier le préjudice subi par la société Sopodis, la méthode de la marge sur coût variable, laquelle n'est pas utilement contestée dans son principe, qui fait intervenir l'évolution du chiffre d'affaires et les coûts variables.
S'agissant de l'évolution attendue du chiffre d'affaires :
4. En premier lieu, il résulte de l'instruction que si le chiffre d'affaires de l'hypermarché " Intermarché " exploité par la société requérante a connu au cours du premier quadrimestre 2007 une progression importante de l'ordre de + 15,42 %, il a cependant fortement chuté au cours du deuxième quadrimestre pour n'être plus que de + 3,49 % alors que l'hypermarché " Super U " n'était pas encore ouvert. La société requérante n'est dès lors pas fondée à soutenir que c'est à tort que l'expert n'a pas retenu, dans son évaluation, le taux de progression constaté lors du premier quadrimestre 2007.
5. En deuxième lieu, les années 2008 et 2009 ont été marquées par une crise économique dans le secteur, de sorte que, selon les statistiques publiées par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, les hypermarchés ont connu en 2008, au niveau national, un léger fléchissement de leur chiffre d'affaires, et ont connu, dans la région, en 2009, hormis un établissement, une baisse du chiffre d'affaires. Cette tendance négative s'est, par ailleurs, poursuivie au cours de l'année 2010.
6. En troisième lieu, pour fixer le taux de progression pouvant être raisonnablement attendu, il y a lieu de prendre en compte, comme l'a fait l'expert, les effets prévisibles des investissements réalisés en 2006 par la société Sopodis tenant en un agrandissement de la surface de vente et en une création d'activités complémentaires qui, selon lui, ont été de nature à créer une dynamique de progression. La société requérante, pour fixer son propre préjudice, ne saurait, en revanche, utilement se prévaloir du chiffre d'affaires qui aurait été réalisé en 2010 par l'hypermarché " Super U ", dont elle n'établit pas, au demeurant, par les pièces versées au dossier, la réalité, dès lors qu'elle se trouve dans une situation différente tant par sa localisation que par les enseignes présentes.
7. Il ne résulte dès lors pas de l'instruction, qu'en fixant, eu égard à la situation propre de l'établissement, la progression du chiffre d'affaires attendu à + 7 % pour le 3ème quadrimestre 2007, entre + 5 et + 8 % pour 2008, entre + 1 et + 3 % pour 2009 et entre + 3 % et 7 % pour 2010, l'expert ait minoré la progression attendue du chiffre d'affaires de la société Sopodis. Il en résulte ainsi une perte de chiffre d'affaires de 890 000 euros pour le 3ème quadrimestre 2007, entre 4 611 454 et 5 119 251 euros pour 2008, entre 6 120 914 et 6 981 402 euros pour 2009, 3 693 961 et 4 730 215 pour 2010 (arrêté au 15 août), soit au total entre 15 298 329 et 17 720 869 euros.
S'agissant des coûts variables :
8. L'expert a retenu à bon droit, comme coûts variables, non seulement les consommables, énergies et les achats de marchandises ainsi que les charges externes indiquées en variables selon les ventilations faites par la société Sopodis mais aussi les charges de personnel à l'exception de la rémunération du dirigeant ainsi que les impôts et taxes sur salaires et sur 1'activité, hormis la taxe professionnelle. Si la société requérante allègue que c'est à tort que les charges de personnel ont été retenues comme charges variables dès lors qu'elles doivent être proportionnées à la taille du magasin, ces charges sont en réalité dépendantes de l'activité de l'entreprise, et par suite de son chiffre d'affaires. La société requérante, après avoir renforcé son effectif en 2007, a, au demeurant, dû réduire son personnel lors des exercices suivants après avoir constaté une baisse de son activité. Par suite, il y a lieu de retenir, parmi les charges variables, les charges de personnel et, par voie de conséquence, les impôts et taxes sur salaires. Dans ces conditions, il y a lieu de retenir un taux de marge sur coûts variables compris entre 8,5 % et 10 %.
S'agissant de la perte du chiffre d'affaires :
9. Il résulte de ce qui précède que la perte du chiffre d'affaires subie entre le 17 novembre 2007 et le 15 août 2010 par la société Sopodis dans l'exploitation de l'enseigne " Intermarché " et des activités annexes de pressing et de restauration, doit être évaluée entre 1 300 350 euros et 1 772 100 euros. Il sera fait une juste évaluation de ce préjudice en le fixant à 1 536 230 euros.
S'agissant des autres préjudices allégués par la société requérante :
10. Par le jugement avant dire droit précité, devenu définitif, la cour a rejeté les prétentions de la société requérante tendant à l'indemnisation de son préjudice tiré des honoraires de procédure. Il ne résulte pas, par ailleurs, de l'instruction que les frais de publicité, même s'ils ont connu une progression entre 2008 et 2009, et les cotisations que la société Sopodis a entendu verser à l'association de défense du petit commerce aient un lien de causalité direct et certain avec la faute retenue à l'encontre de l'Etat. Il y a lieu, dans ces conditions, d'écarter ces chefs de préjudice.
11. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de condamner l'Etat à verser à la société Sopodis la somme de 1 536 230 euros en indemnisation des préjudices subis. Dans ces conditions, la société Sopodis est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
12. La société Sopodis a droit aux intérêts de la somme de 1 536 230 euros à compter du 18 mai 2011, date de réception de sa réclamation préalable par le préfet de Vendée. La capitalisation des intérêts n'a été demandée par la société Sopodis que dans son mémoire ampliatif enregistré au greffe du tribunal administratif de Nantes le 30 octobre 2012. A cette date, il était dû au moins une année d'intérêts. Dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande tant à cette date qu'à chaque échéance annuelle ultérieure à compter de cette date.
Sur les dépens :
13. La société Sopodis demande que les dépens soient mis à la charge de l'Etat. Il y a lieu de mettre à la charge définitive de l'Etat la somme de
18 240 euros, correspondant aux frais et honoraires de l'expertises, liquidés et taxés par l'ordonnance susvisée de la présidente de la cour du 22 mars 2018.
Sur les frais liés au litige :
14. Pour l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de L'Etat, une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société Sopodis et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 26 juin 2014 est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à payer à la société Sopodis la somme de 1 536 230 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 18 mai 2011. Les intérêts échus à la date du 30 octobre 2012 seront capitalisés à cette date puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 3 : Les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 18 240 euros sont mis à la charge définitive de l'Etat.
Article 4 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à la société Sopodis au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SA Sopodis et au ministre de l'économie et des finances.
Délibéré après l'audience du 23 octobre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président,
- Mme Brisson, président-assesseur,
- M. A...'hirondel, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 9 novembre 2018.
Le rapporteur,
M. C...Le président,
A. PEREZ
Le greffier,
A. BRISSET
La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 14NT02365