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22/10/2018 | FRANCE | N°18NT02591

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 22 octobre 2018, 18NT02591


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F...E...et Mme C...B...épouse E...ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 24 mars 2016 par laquelle la Commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté les demandes de visa de long séjour présentées pour Mme B...et les enfants G... H... E...et G... I...E....

Par jugement n° 1604117 du 5 juin 2018, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision, enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas de long

séjour sollicités, dans un délai de deux mois à compter de la notification du pré...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F...E...et Mme C...B...épouse E...ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 24 mars 2016 par laquelle la Commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté les demandes de visa de long séjour présentées pour Mme B...et les enfants G... H... E...et G... I...E....

Par jugement n° 1604117 du 5 juin 2018, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision, enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas de long séjour sollicités, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 6 juillet et 22 août 2018, sous le n° 18NT02591, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur demande à la cour d'annuler ce jugement et de rejeter la demande présentée par M. F... E...devant le tribunal administratif de Nantes.

Le ministre soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que les actes d'état-civil produits par les demandeurs à l'appui de leurs demandes de visa avaient un caractère probant ;

- l'acte de mariage produit par les requérants est également dépourvu de toute force probante ;

- il n'appartient pas au juge administratif d'ordonner des tests génétiques ;

- la possession d'état alléguée n'est pas établie.

- la décision de la Commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France ne méconnait ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 août 2018, M. E...représentés par MeA..., conclut au rejet de la requête comme irrecevable et non fondée. Il demande en outre à la cour d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans le délai de 15 jours suivant la notification de l'arrêt sous astreinte de 100 € par jour de retard et de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 € à son conseil en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, et dans l'hypothèse où il ne serait pas admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle de condamner l'Etat à lui verser cette somme.

Il soutient que :

- les moyens du ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.

- Il entend reprendre l'ensemble de ses écritures présentées en première instance.

M. E...s'est vu accorder l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 3 septembre 2018.

Vu le jugement attaqué.

Vu les autres pièces du dossier.

II. Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés les 6 juillet et 22 août 2018, sous le n° 18NT02592, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur demande à la cour d'ordonner le sursis à exécution de ce jugement en application des dispositions de l'article R.811-15 du code de justice administrative.

Le ministre soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que les actes d'état-civil produits par les demandeurs à l'appui de leurs demandes de visa avaient un caractère probant ;

- l'acte de mariage produit par les requérants est également dépourvu de toute force probante ;

- il n'appartient pas au juge administratif d'ordonner des tests génétiques ;

- la possession d'état alléguée n'est pas établie.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 août 2018, M. E...conclut au rejet de la requête comme irrecevable et non fondée. Il demande en outre à la cour de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 € à son conseil en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, et dans l'hypothèse où il ne serait pas admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle de condamner l'Etat à lui verser cette somme.

Il soutient que :

- les moyens du ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.

- Il entend reprendre l'ensemble de ses écritures présentées en première instance.

M. E...s'est vu accorder l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 3 septembre 2018.

Vu le jugement attaqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Dussuet, président-rapporteur, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. F...E..., ressortissant bangladais né le 24 avril 1975, est entré irrégulièrement en France le 17 mars 2009 et a obtenu la régularisation de sa situation administrative en 2013 après avoir vu sa demande d'asile rejetée par l'OFPRA. Par décision du 24 juin 2015, le préfet de la Haute-Garonne a fait droit à sa demande de regroupement familial présentée en faveur de Mme C...B...et leurs deux enfants, H... et I..., nés respectivement 11 juillet 2009 et le 7 novembre 2014. Par une décision du 1er décembre 2015, les autorités consulaires françaises à Dacca ont toutefois rejeté les demandes de visa de long séjour déposées par Mme B...et les deux enfants. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, saisie le 28 janvier 2016 d'un recours préalable contre cette décision, a refusé le 24 mars 2016 de délivrer les visas sollicités. Par une première requête, enregistrée sous le n° 18NT02591, le ministre de l'intérieur relève appel du jugement n° 1604117 du 5 juin 2018 par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. et MmeE..., la décision du 24 mars 2016 et a enjoint au ministre de délivrer les visas de long séjour sollicités, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Par une seconde requête, enregistrée sous le n° 18NT02592, le ministre de l'intérieur demande le sursis à exécution de ce même jugement.

2. Ces deux recours présentés par le ministre de l'intérieur sont dirigés contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur les conclusions à fin d'annulation du jugement :

3. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Cet article pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère. Il incombe à l'administration de renverser cette présomption en apportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question.

4. Lorsque la venue d'une personne en France a été autorisée au titre du regroupement familial, l'autorité consulaire n'est en droit de rejeter la demande de visa dont elle est saisie à cette fin que pour un motif d'ordre public ; figure au nombre de ces motifs l'absence de caractère authentique des actes de mariage ou de filiation produits.

5. Pour refuser de délivrer des visas d'entrée et de long séjour en France à Mme B...et ses enfants, la commission de recours a estimé, d'une part, que l'identité de Mme B...et son lien allégué, ainsi que celui de ses enfants, à l'égard de M. E...n'étaient nullement établis et, d'autre part, que les époux allégués ne justifiaient pas avoir maintenu une communauté de vie depuis leur mariage, ni être en contact régulièrement, M. E...ne justifiant pas non plus contribuer à l'entretien et à l'éducation des enfants. Il ressort des pièces du dossier que pour écarter le caractère probant des actes d'état civil produits, la commission s'est essentiellement fondée sur un rapport établi le 31 octobre 2015 par un avocat bangladais mandaté par l'autorité consulaire française à Dacca.

6. Il ressort des pièces du dossier que l'avocat missionné par les autorités consulaires a reconnu l'authenticité des certificats de naissance des époux E...et de leurs enfants. Par ailleurs, les actes d'état-civil produits par le requérant sont corroborés tant par les mentions figurant sur les passeports des intéressés que par les déclarations, toujours concordantes faites par M. E...dans le cadre de l'examen de sa demande d'asile et auprès de l'administration notamment fiscale. Enfin, s'il est constant que l'enregistrement des naissances est obligatoire au Bangladesh depuis l'entrée en vigueur le 3 juillet 2006 du Birth and Death Registration Act du 8 décembre 2004, la section 13 paragraphe 1 de cette loi prévoit un enregistrement tardif dans les deux ans suivant l'entrée en vigueur de ladite loi ou, passé ce délai, en s'acquittant d'une taxe. Il ressort, en outre, d'un rapport de mission effectuée en novembre 2010 au Bangladesh par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile, dont se prévalent les requérants, qu'il est d'usage au Bangladesh d'enregistrer, comme en l'espèce, les naissances et les décès lorsque la nécessité l'impose. Ce même rapport fait valoir que la plupart des autorités ne requièrent pas de certificat de naissance pour, notamment, enregistrer un mariage. Enfin, il résulte de l'enquête précitée que la véracité des certificats de naissance de MmeB..., de G... H...E..., délivré en 2013 quatre ans après sa naissance, et de G... I...E..., établi dix jours après sa naissance, le 17 novembre 2014, a été reconnue par les autorités locales consultées, et que seule l'imprécision des adresses mentionnées n'a pas permis dans le cadre d'une enquête de voisinage de corroborer toutes les informations contenues dans les documents. Dans ces conditions, les premiers juges ont pu retenir sans erreur d'appréciation que les imperfections des actes produits et la déclaration de naissance tardive de Mme B...n'étaient pas de nature à révéler leur caractère apocryphe. Ces actes sont au surplus corroborés par les éléments de possession d'état produits par le requérant établissant, notamment par des photographies, par des mandats de transferts d'argent et la justification de voyages à trois reprises au Bangladesh, le maintien de liens familiaux.

7. Le ministre fait, par ailleurs, valoir que l'enquête a également révélé que l'acte de mariage musulman, appelé Nikah nama, était frauduleux dès lors qu'il avait été constaté que l'acte rédigé en anglais daté du 16 janvier 2015 tel que présenté au bureau chargé d'enregistrer le mariage ne comportait pas le sceau et la signature de la personne chargée de la tenue du registre des mariages et qu'il contenait des différences avec ce registre. Or les anomalies et les incohérences auxquelles il se réfère ne sont pas précisées par le rapport d'enquête. Par ailleurs, le ministre ne conteste pas sérieusement l'acte de mariage dont le sceau et la signature ont cette fois été authentifiés par l'Ambassade du Bangladesh à Paris en 2016, ni davantage le certificat de mariage signé le 23 janvier 2016, alors qu'au surplus, ces documents sont conformes aux déclarations faites par M. E...dès sa demande d'asile, réitérées par la suite dans sa demande de titre de séjour, et que les indications sont corroborées par les passeports des intéressés. Dans ces conditions, en estimant que l'identité de Mme B...et en conséquence son lien marital ainsi que le celui de ses enfants avec M. E... n'étaient pas établis, la commission de recours a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité du recours, que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 24 juin 2016 et lui a enjoint de délivrer les visas sollicités. Le ministre n'est par suite pas fondé à demander l'annulation du jugement du n° 1604117 du 5 juin 2018.

Sur les conclusions à fin de sursis à exécution du jugement :

9. La cour, statuant par le présent arrêt sur les conclusions du recours du ministre de l'intérieur tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de son recours n° 18NT02592 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont devenues sans objet. Par suite, il n'y a pas lieu d'y statuer.

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

10. M. E...demande à ce qu'il soit enjoint au ministre de délivrer les visas de long séjour sollicités dans un délai de quinze jours sous astreinte de 100 euros par jour de retard, subsidiairement de procéder au réexamen de la situation des intéressés. Le présent arrêt n'implique pas le prononcé d'une injonction autre que celle déjà prononcée par les premiers juges, dès lors qu'il appartient au ministre de prendre les mesures nécessaires pour que les visas de long séjour soient délivrés à Mme C...B...et aux enfants G... H... E...et G... I...E.... Par suite, les conclusions de M. E... à fin d'injonction sous astreinte ne peuvent qu'être rejetées sans préjudice de l'action que M. et Mme E...peuvent intenter sur le fondement des dispositions de l'article L. 911-4 du code de justice administrative, s'ils s'y croient fondés, pour obtenir l'exécution de l'injonction prononcée par le tribunal.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Dès lors que M. E...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L.761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, partie perdante, le versement au profit de Me Brelde la somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

DECIDE :

Article 1er : Le recours n° 18NT02591 du ministre de l'intérieur est rejeté.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 18NT02592 tendant au sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Nantes du 5 juin 2018.

Article 3 : Le versement de la somme de 1 500 euros à Me Brelest mis à la charge de l'Etat dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Article 4 : Le surplus des conclusions de M. E...est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à M. F... E....

Délibéré après l'audience du 5 octobre 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Dussuet, président de chambre,

- M. Degommier, président assesseur,

- M. Mony, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 22 octobre 2018.

L'assesseur,

S. DEGOMMIERLe président-rapporteur,

J-P. DUSSUET

Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 18NT02591 et 18NT02592


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 18NT02591
Date de la décision : 22/10/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DUSSUET
Rapporteur ?: M. Jean-Pierre DUSSUET
Rapporteur public ?: M. SACHER
Avocat(s) : CABINET DIALEKTIK AVOCATS AARPI

Origine de la décision
Date de l'import : 30/10/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2018-10-22;18nt02591 ?
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