Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D...A...B...a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre la décision du 22 avril 2015 des autorités consulaires françaises en poste à Kinshasa (République Démocratique du Congo) rejetant les demandes de visa de long séjour présentées pour ses enfants allégués dénommés Benoît Mabi Mabi, Marie Ngalula Mabi, Henri Tshibamba Mabi, Christiana Mputu Mabi, Benjamin Tshiyembe Mabi, Junior Kabuya Mabi et Rachete Kayembe Mabi.
Par jugement n° 1507468 du 14 décembre 2017, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours et enjoint au ministre de délivrer les visas sollicités aux cinq enfants encore mineurs à la date de sa décision et de réexaminer la situation des deux enfants devenus majeurs.
Procédure devant la cour :
Par un recours et des mémoires, enregistrés le 3 janvier 2018, le 22 août 2018 et le 17 septembre 2018, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 14 décembre 2017 ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme A...B...devant le tribunal administratif de Nantes.
Le ministre soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a annulé la décision de la de la commission de recours alors que les actes d'état civil produits et le jugement de délégation d'autorité parentale comportent de nombreuses anomalies et incohérences de nature à justifier les refus de visas ;
- le jugement supplétif d'acte de naissance commun aux enfants n'a pas été rendu par un tribunal compétent, ses mentions sont trop imprécises pour servir de fondement à un acte d'état-civil ;
- aucun élément de possession d'état ne permet d'établir les liens de filiation entre Mme A... B...et les demandeurs de visa ;
- la décision contestée ne méconnaît ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, ni celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 juin 2018, Mme A...B..., représentée par MeC..., conclut au rejet du recours, subsidiairement à ce que soit ordonnée une expertise sanguine comparée pour confirmer le lien de filiation qui l'unit à ses enfants, dont les frais seront mis à la charge de l'Etat ou plus subsidiairement à sa charge, et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.
Vu :
- l'arrêt n° 18NT00079 du 3 avril 2018 par lequel la Cour a ordonné le sursis à exécution du jugement attaqué ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n°79-587 du 11 juillet 1979 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Degommier, président-assesseur ;
- et les observations de MeC..., représentant Mme A...B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A...B..., ressortissante de la République démocratique du Congo, est entrée en France en 2012 et a obtenu le statut de réfugié le 31 mai 2013. Le 5 mai 2014, Benoît Mabi Mabi, Marie Ngalula Mabi, Henri Tshibamba Mabi, Christiana Mputu Mabi, Benjamin Tshiyembe Mabi et Junior Kabuya Mabi ont sollicité, en qualité de membres de la famille d'un réfugié, la délivrance de visas de long séjour. Le 22 janvier 2015, Rachete Kayembe Mabi a également déposé une telle demande en qualité d'enfant de réfugié. Ces demandes ont été rejetées par les autorités consulaires françaises à Kinshasa par une décision du 22 avril 2015. Le recours formé contre cette décision a été implicitement rejeté par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 14 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de Mme A...B..., la décision de la commission de recours et a enjoint au ministre de délivrer les visas de long séjour sollicités pour les enfants Henri, Christiana, Benjamin, Junior et Rachete Mabi, et de procéder au réexamen des demandes de visas de long séjour de Benoit et Marie Mabi, dans un délai d'un mois, à compter de la notification du jugement.
Sur la légalité de la décision :
2. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Cet article pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère. Il incombe à l'administration de renverser cette présomption en apportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question. La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet la réunification familiale des enfants d'une personne admise à la qualité de réfugié ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure notamment au nombre de ces motifs l'absence de caractère probant des documents destinés à établir le lien de filiation entre le demandeur de visa et le membre de la famille qu'il projette de rejoindre sur le territoire français ainsi que le caractère frauduleux des actes d'état civil produits.
3. Il ressort des pièces du dossier qu'à l'appui des demandes de visa présentées pour les enfants allégués de Mme A...B..., a été produit un jugement supplétif rendu par le tribunal de grande instance de Kinshasa-Kalamu, le 28 octobre 2013, commun aux sept enfants qui sont nés dans des lieux différents, à savoir Benoît Mabi Mabi, né le 3 mars 1996 à Kananga, Marie Ngalula Mabi, née le 5 décembre 1998 à Bukavu, Henri Tshibamba Mabi, né 11 mai 2000 à Bukavu, Christiana Mputu Mabi, née le 20 juin 2002 à Bukavu, Benjamin Tshiyembe Mabi, né le 18 février 2004 à Bukavu, Junior Kabuya Mabi, né le 1er janvier 2008 à Kinshasa, Rachete Kayembe Mabi, né le 15 septembre 2010 à Kinshasa. Le ministre soutient que ce jugement, qui aurait été rendu sur simple requête présentée par la grand-mère des enfants, est particulièrement succinct notamment quant aux vérifications qui auraient été effectuées et qu'il est contraire aux dispositions du code de la famille congolais, en particulier son article 106, aux termes duquel " le défaut d'acte de l'état civil peut être suppléé par jugement rendu par le tribunal de grande instance sur simple requête présentée au tribunal du lieu où l'acte aurait dû être dressé ". En vertu de l'ordonnance d'organisation judiciaire 82-044 du 31 mars 1982 portant fixation du ressort territorial des tribunaux de grande instance de la ville de Kinshasa, que le ministre produit en appel, aucun des lieux de naissance des enfants ne relève de la compétence territoriale du tribunal de grande instance de Kinshasa-Kalamu, qui pourtant s'est reconnu compétent au regard l'article 106 précité en retenant la commune de Kalamu, le lieu de résidence supposé des intéressés, et a enjoint à l'officier d'état civil de cette même commune de transcrire le jugement dans les registres de la commune. Les actes de naissance ainsi établis le 6 janvier 2014 dans les registres de l'état civil de la commune de Kalamu comportent en outre des mentions concernant les parents qui ne figuraient pas dans le jugement supplétif qu'ils sont censés retranscrire. De plus, le jugement du tribunal de paix de Kinshasa-Assossa du 12 octobre 2013 concernant l'exercice de l'autorité parentale au profit de Mme A...B...est antérieur à l'établissement des actes de naissance des enfants. Il aurait été rendu à la demande du père, qui n'est pas présenté comme l'époux de Mme A...B..., le jugement faisant mention d'une " union libre ", et alors que cette dernière soutient dans ses écritures ne plus avoir de contact avec son époux en raison des menaces pesant sur lui dans son pays. Enfin, le formulaire rempli le 26 mai 2014 par Mme A...B...afin de faire venir sa famille en France comporte des imprécisions quant aux noms des enfants, des incohérences sur leurs lieux de naissance et certaines dates de naissance, en particulier celle de l'aîné qui serait né le 3 juillet 1996 selon ce formulaire et les écritures de Mme A...B...tant en première instance et en appel, et le 3 mars 1996 selon le jugement supplétif et l'acte de naissance produits, et l'omission d'un des enfants, Junior né en 2008. Dans ces conditions, au vu de ces nombreuses contradictions et incohérences, les différents éléments produits ne permettent pas de tenir pour établi le lien de filiation allégué. Par suite, c'est à tort que les premiers juges ont annulé la décision de la commission de recours au motif qu'elle serait entachée d'une erreur d'appréciation.
4. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A...B....
5. En premier lieu, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision consulaire du 22 avril 2015 est inopérant, la décision implicite de rejet de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'étant substituée à la décision du 22 avril 2015.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 5 de la loi du 11 juillet 1979, dans sa version alors en vigueur : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande (...) ". Il ne ressort pas des pièces du dossier ni n'est même allégué que Mme A... B...aurait sollicité la communication des motifs de la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de cette décision doit, dès lors, être écarté.
7. En troisième lieu, Mme A...B...n'est pas fondée à invoquer la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de celles du I de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, faute d'établir les liens de filiation l'unissant aux demandeurs de visa.
8. En dernier lieu, aux termes de l'article 16-11 du code civil : " L'identification d'une personne par ses empreintes génétiques ne peut être recherchée que : 1° Dans le cadre de mesures d'enquête ou d'instruction diligentées lors d'une procédure judiciaire ; (...) / En matière civile, cette identification ne peut être recherchée qu'en exécution d'une mesure d'instruction ordonnée par le juge saisi d'une action tendant soit à l'établissement ou la contestation d'un lien de filiation, soit à l'obtention ou la suppression de subsides. Le consentement de l'intéressé doit être préalablement et expressément recueilli (...) ". Il n'appartient pas au juge administratif d'ordonner des mesures d'expertise ou d'instruction propres à établir, le cas échéant, un lien de filiation, telles que celles prévues notamment à l'article 16-11 du code civil. Mme A...B...ne justifie pas avoir elle-même engagé une telle action sur le fondement de ces dispositions ou, le cas échéant, dans les conditions prévues par une loi étrangère présentant des garanties équivalentes. Les conclusions tendant à ce que soit ordonnée une mesure de cette nature ne sauraient, par suite, être accueillies.
9. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et lui a enjoint de délivrer les visas sollicités aux enfants Henri, Christiana, Benjamin, Junior et Rachete Mabi, et de réexaminer les demandes de visa de Benoît et Marie Mabi.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme à ce titre.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 14 décembre 2017 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme A...B...devant le tribunal administratif de Nantes et les conclusions qu'elle présente devant la cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D...A...B...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 5 octobre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Dussuet, président de chambre,
- M. Degommier, président-assesseur,
- M. Mony, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 22 octobre 2018.
Le rapporteur,
S. DEGOMMIERLe président,
J-P. DUSSUET
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18NT00010