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08/10/2018 | FRANCE | N°17NT01231

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 08 octobre 2018, 17NT01231


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E...D...a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 5 mai 2014 par laquelle le ministre du travail, d'une part, a retiré les décisions implicites de rejet des deux recours hiérarchiques, nées le 29 mars 2014, ainsi que les décisions de l'inspecteur du travail refusant d'autoriser son licenciement par la société de transports Gelin, d'autre part, a autorisé son licenciement par cette société.

Par un jugement n° 1403039 du 24 février 2017, le tribunal administratif

de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E...D...a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 5 mai 2014 par laquelle le ministre du travail, d'une part, a retiré les décisions implicites de rejet des deux recours hiérarchiques, nées le 29 mars 2014, ainsi que les décisions de l'inspecteur du travail refusant d'autoriser son licenciement par la société de transports Gelin, d'autre part, a autorisé son licenciement par cette société.

Par un jugement n° 1403039 du 24 février 2017, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 avril 2017, MmeD..., représentée par MeF..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 24 février 2017 ;

2°) d'annuler la décision du 5 mai 2014 du ministre du travail ;

3°) de mettre à la charge de la société Transports Gélin la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le recours hiérarchique formé par l'entreprise était tardif ;

- le tribunal administratif n'a pas répondu à ce moyen ;

- le recours devant le ministre aurait dû être rejeté comme irrecevable dès lors qu'il ne contenait aucun élément de fait nouveau ;

- la demande de licenciement est en lien avec ses mandats ;

- l'obligation de reclassement a été méconnue ;

- l'origine de l'inaptitude est la conséquence de la dégradation des relations de travail au sein de l'entreprise.

Par un mémoire en défense enregistré le 7 juillet 2017, la société Transports Gélin, représentée par MeH..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de Mme D...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par Mme D...ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- la loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 ;

- le décret n° 2001-495 du 6 juin 2001 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Picquet,

- les conclusions de M. Sacher, rapporteur public,

- les observations de Me Baczkiewiczsubstituant Me Berthautreprésentant Mme D...et Me Weissreprésentant la société Transports Gélin.

Considérant ce qui suit :

1. MadameD..., employée en qualité de secrétaire standardiste par la société Transports Gélin, y exerçait les fonctions de déléguée syndicale CFTC et était membre titulaire du comité d'entreprise et déléguée du personnel titulaire. Elle a demandé devant le tribunal administratif de Rennes l'annulation de la décision du 5 mai 2014 par laquelle le ministre du travail a autorisé son licenciement. Elle relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Contrairement à ce que soutient MmeD..., le tribunal administratif a répondu à son moyen tiré de la tardiveté du recours hiérarchique de la société Transports Gélin formé contre la décision implicite du 21 août 2013 de l'inspecteur du travail.

Sur le bien fondé du jugement attaqué :

3. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article 18 de la loi du 12 avril 2000 alors en vigueur : "Sont considérées comme des demandes au sens du présent chapitre les demandes et les réclamations, y compris les recours gracieux ou hiérarchiques, adressées aux autorités administratives". Le dernier alinéa de l'article 1er du décret du 6 juin 2001, pris pour l'application de ces dispositions et alors en vigueur, disposait notamment que " L'accusé de réception indique si la demande est susceptible de donner lieu à une décision implicite de rejet ou à une décision implicite d'acceptation. Dans le premier cas, l'accusé de réception mentionne les délais et les voies de recours à l'encontre de la décision ". En assimilant les "recours gracieux ou hiérarchiques" à des "demandes au sens du présent chapitre", soumises aux dispositions de l'article 19 de la même loi prescrivant aux autorités administratives d'accuser réception de toute demande dans des conditions dont le non-respect entraîne l'inopposabilité des délais de recours, le législateur a entendu viser, conformément à sa volonté de protéger les droits des citoyens dans leurs relations avec les autorités administratives, les recours formés par les personnes contestant une décision prise à leur égard par une autorité administrative. Il n'a, en revanche, pas entendu porter atteinte à la stabilité de la situation s'attachant, pour le bénéficiaire d'une autorisation administrative, à l'expiration du délai de recours normalement applicable à cette autorisation. Il en résulte que l'intervention de ces dispositions législatives demeure sans incidence sur les règles applicables aux recours administratifs, gracieux ou hiérarchiques, formés par des tiers à l'encontre d'autorisations individuelles créant des droits au profit de leurs bénéficiaires.

4. Il ressort des pièces du dossier que, par une demande du 20 juin 2013, notifiée le lendemain, la société Transports Gélin a sollicité auprès de l'inspection du travail de l'unité territoriale d'Ille-et-Vilaine, l'autorisation de procéder au licenciement de MmeD..., demande que l'inspecteur a rejetée, d'abord implicitement, le 21 août 2013 puis par une décision expresse du 30 octobre 2013. L'accusé de réception délivré par l'inspecteur du travail le 5 juillet 2013 ne comportait pas les mentions requises par les dispositions précitées du décret du 6 juin 2001. Ni la société Transports Gélin, bénéficiaire de l'autorisation de licenciement, ni MmeD..., qui y est nommément désignée, ne sont des tiers vis-à-vis de la décision de l'inspecteur du travail. Ainsi, compte tenu de l'absence de délivrance d'un accusé de réception comportant l'ensemble des mentions prescrites par l'article 19 de la loi du 12 avril 2000 précité, les délais de recours n'étaient pas opposables à l'encontre de la décision de l'inspecteur du travail née le 21 août 2013 du silence gardé sur la demande d'autorisation de licenciement. Par ailleurs, si la décision expresse de l'inspecteur du travail, en date du 30 octobre 2013, autorisant le licenciement de MmeD..., mentionnait les voies et délais de recours, le recours hiérarchique exercé par la société Transports Gélin le 27 novembre 2013 a été présenté dans le délai de recours contentieux.

5. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient MmeD..., il ne ressort d'aucune règle ni d'aucun principe qu'un recours administratif hiérarchique, pour être recevable, doive contenir des éléments nouveaux. Ainsi, le ministre du travail pouvait se prononcer sur le recours exercé par la société Transports Gélin alors même que les éléments de droit et de fait invoqués par cette société étaient les mêmes que devant l'inspecteur du travail.

6. En troisième lieu, en vertu du code du travail, les salariés protégés bénéficient, dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle. Lorsque le licenciement de l'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par l'inaptitude du salarié, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge, si cette inaptitude est telle qu'elle justifie le licenciement envisagé, compte tenu des caractéristiques de l'emploi exercé à la date à laquelle elle est constatée, de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi et de la possibilité d'assurer son reclassement dans l'entreprise. En revanche, dans l'exercice de ce contrôle, il n'appartient pas à l'administration de rechercher la cause de cette inaptitude. Toutefois, il appartient en toutes circonstances à l'autorité administrative de faire obstacle à un licenciement en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par un salarié ou avec son appartenance syndicale. Par suite, même lorsque le salarié est atteint d'une inaptitude susceptible de justifier son licenciement, la circonstance que le licenciement envisagé est également en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale fait obstacle à ce que l'administration accorde l'autorisation sollicitée. Le fait que l'inaptitude du salarié résulte d'une dégradation de son état de santé, elle-même en lien direct avec des obstacles mis par l'employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives est à cet égard de nature à révéler l'existence d'un tel rapport.

7. A la suite d'une altercation intervenue le 2 juillet 2010 avec M.A..., chauffeur salarié de la société Transports Gélin, Mme D...a bénéficié d'arrêts de travail jusqu'au 1er mai 2013. Le 2 mai 2013, par un avis dont Mme D...ne conteste pas la teneur, le médecin du travail a estimé qu'elle était inapte à reprendre son poste ou tout autre poste dans l'entreprise en concluant, sans deuxième visite, à un " danger immédiat ". Le 7 mai 2013, l'entreprise Transports Gélin a demandé, dans le cadre de son obligation légale de reclassement, au médecin du travail de préciser les fonctions que Mme D...serait susceptible d'occuper, le cas échéant par la mise en oeuvre, dans l'entreprise, de mesures de mutations, de transformations de postes de travail ou d'aménagement du temps de travail et de se prononcer sur l'aptitude de l'intéressée à suivre une formation pour faciliter sa reconversion professionnelle au sein de l'entreprise. Le 13 mai 2013, le médecin du travail a indiqué qu'il n'existait aucune possibilité de reclassement ou d'aménagement de poste au sein de l'entreprise et qu'il n'était pas opposé à une formation ou reconversion en dehors de celle-ci. L'entreprise a en outre interrogé en vain l'Union des entreprises d'Ille-et-Vilaine, la fédération nationale des transports routiers et la société TLF Ouest en vue d'un reclassement externe de MmeD.... Il ressort ainsi des pièces du dossier que l'inaptitude de Mme D...et l'impossibilité de la reclasser justifient son licenciement.

8. Si Mme D...soutient que la dégradation de son état de santé et son inaptitude seraient en lien avec les difficultés rencontrées dans son mandat syndical, il résulte de ce qui a été dit au point 6 que ce moyen ne peut qu'être écarté.

9. Enfin, si les pièces du dossier révèlent un climat de travail dégradé au sein de l'entreprise, en particulier des relations tendues entre l'employeur et l'intéressée ainsi qu'avec l'union départementale CFTC, il ne ressort pas des pièces du dossier que le licenciement de Mme D...serait en lien avec les fonctions représentatives exercées par l'intéressée ou avec son appartenance syndicale. L'altercation intervenue le 2 juillet 2010 avec M.A..., chauffeur salarié de la société Transports Gélin, si elle constitue un incident très regrettable, n'est nullement le fait de la direction de l'entreprise, qui a infligé un avertissement à ce salarié. Les difficultés alléguées par Mme D...dans l'exercice de ses mandats, concernant notamment les heures de délégation, la fixation de l'ordre du jour des réunions du comité d'entreprise, la perte de fichiers informatiques, si elles témoignent des tensions constantes entre Mme D...et l'entreprise, ne permettent pas, dans un contexte où les blocages constatés sont également imputables au comportement de MmeD..., d'établir l'existence d'un lien entre le licenciement litigieux et les mandats exercés par l'intéressée. La contre-visite médicale dont Mme D...a fait l'objet s'inscrit dans le cadre du pouvoir de contrôle de l'employeur. En outre, il ressort notamment du rapport d'expertise du professeur Le Gueut et des constatations faites par la cour d'appel de Rennes dans sa décision du 12 novembre 2014, que les arrêts de travail de Mme D...à partir du 9 décembre 2011 ne sont pas imputables à l'accident de travail survenu le 2 juillet 2010. Ainsi, l'inaptitude de MmeD..., médicalement constatée le 2 mai 2013, ne saurait être regardée comme résultant d'une dégradation de son état de santé en lien direct avec des obstacles qui auraient été mis par la société Transports Gélin à l'exercice de ses fonctions représentatives. Dans ces conditions, l'existence d'un lien entre les mandats exercés par Mme D...et son licenciement pour inaptitude n'apparaît pas établie.

10. Il résulte de ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, lequel est suffisamment motivé et n'est entaché d'aucune omission à statuer, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Transports Gélin qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont Mme D...sollicite le versement au titre des frais liés au litige. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au même titre par la société Transports Gélin.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la société Transports Gélin tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E...D..., au ministre du travail et à la société de transports Gélin.

Délibéré après l'audience du 21 septembre 2018, où siégeaient :

- M. Degommier, président,

- M. Mony, premier conseiller,

- Mme Picquet, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 8 octobre 2018.

Le rapporteur,

P. PICQUETLe président,

S. DEGOMMIER

Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne au ministre du travail en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 17NT01231


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 17NT01231
Date de la décision : 08/10/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. DEGOMMIER
Rapporteur ?: Mme Pénélope PICQUET
Rapporteur public ?: M. SACHER
Avocat(s) : ABC ASSOCIATION BERTHAULT COSNARD

Origine de la décision
Date de l'import : 16/10/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2018-10-08;17nt01231 ?
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