Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'EURL Alternimmo a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision en date du 12 février 2014 par laquelle le directeur de l'Etablissement Public Foncier de Bretagne a décidé d'exercer le droit de préemption urbain pour acquérir la parcelle de terrain cadastrée section située sur le territoire de la commune de La Mézière.
Par un jugement n° 1403335 du 7 juillet 2017, le tribunal administratif de Rennes a fait droit à sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 31 juillet 2017 et le 31 janvier 2018, l'Etablissement Public Foncier de Bretagne (EPF), représenté par MeB..., demande à la cour ;
1°) d'annuler ce jugement du 7 juillet 2017 ;
2°) de rejeter la requête de l'EURL Alternimmo ;
3°) de mettre à la charge de l'EURL Alternimmo une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
L'EPF de Bretagne soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier en ce que, statuant sur un litige relatif au droit de l'urbanisme, les premiers juges ont omis de statuer sur l'ensemble des moyens susceptibles de fonder l'annulation de la décision attaquée, en méconnaissance de l'article L. 600-4-1 du code de justice administrative ;
- le tribunal administratif a commis une erreur de droit en confondant des types de délégation qui présentent une nature juridique différente ;
- le cas d'espèce porte sur une délégation spécifique, limitée dans le temps, relative à l'acquisition d'un bien immobilier donné et non à une délégation générale ;
- une collectivité ne peut pas autoriser son maire à déléguer de manière générale l'exercice du droit de préemption ;
- les délégations mentionnées à l'article L. 213-3 du code de l'urbanisme ne sont pas exclusives l'une de l'autre ;
- la commune de La Mézière pouvait déléguer l'exercice de son droit de préemption pour des acquisitions d'immeubles ne dépassant pas 300 000 euros ;
- la commune lui a délégué par délibération le 12 février 2014 ce droit de préemption urbain ;
- s'agissant des biens dont le prix d'acquisition dépasse 300 000 euros, le conseil municipal restait compétent pour pouvoir le déléguer ponctuellement ;
- la délibération adoptée le 24 janvier 2014 par le conseil municipal de La Mézière n'est pas illégale, les conseillers municipaux ayant été convoqués dans le délai requis et ayant disposé d'une note explicative de synthèse ;
- son directeur était compétent par délégation de son conseil d'administration en date du 5 novembre 2010 ;
- cette délégation de pouvoir est indépendante du périmètre d'exercice du droit de préemption dont l'EPF reçoit délégation ;
- son conseil d'administration n'avait pas à consentir de nouveau une délégation au directeur du seul fait que la commune de La Mézière avait repris son droit de préemption à la communauté de communes du Val d'Ille (CCVI) ;
- la décision attaquée est suffisamment motivée et indique précisément l'objet de la préemption ;
- le projet de requalification et de densification de la zone d'activité de La Bourdonnais n'est pas dépourvu de réalité, comme en attestent les études réalisées et la création d'une ZAC ;
- aucune erreur manifeste n'entache l'utilisation du droit de préemption dès lors que le projet public est d'intérêt général, ainsi qu'en atteste d'ailleurs la déclaration d'utilité publique prononcée par le préfet ;
- le droit de préemption sur le territoire de la commune a été institué le 31 août 1990 et son champ d'application a été étendu le 23 août 2002.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 novembre 2017, l'EURL Alternimmo, représentée par MeF..., conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint à l'Etablissement Public Foncier de Bretagne de proposer le bien à son ancien propriétaire ou à ses ayants-droit dans un délai d'une semaine à compter de l'arrêt à intervenir, et en cas de refus de l'ancienne propriétaire ou de ses ayants-droit de lui proposer le bien dans un délai d'une semaine à compter de ce refus, et de mettre une somme de 3 000 euros à la charge de l'EPF de Bretagne en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
L'EURL Alternimmo fait valoir qu'aucun des moyens d'annulation soulevés par le requérant n'est fondé et que la décision du 12 février 2014 est dépourvue de base légale, le droit de préemption urbain n'ayant pas été institué par la commune de La Mézière à cette date.
Par ordonnance du 7 mai 2018, la clôture d'instruction a été fixée à cette même date.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mony,
- les conclusions de M. Sacher, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., substituant MeB..., représentant l'Etablissement public foncier de Bretagne, et de MeF..., représentant l'EURL Alternimmo.
Une note en délibéré présentée pour l'Etablissement Public Foncier de Bretagne a été enregistrée le 13 septembre 2018.
Une note en délibéré présentée pour l'EURL Alternimmo a été enregistrée le 17 septembre 2018.
Considérant ce qui suit :
1. Le directeur général de l'Etablissement Public Foncier de Bretagne a décidé le 12 février 2014 d'exercer le droit de préemption urbain pour se porter acquéreur, pour le compte de la commune de La Mézière, de la parcelle de terrain cadastrée section AM n° 34, situé au sein du périmètre de la zone d'activités de La Bourdonnais, que se proposait d'acquérir l'EURL Alternimmo. Cette dernière, après avoir formé en vain un recours administratif, a formé un recours contentieux contre cette décision. Le tribunal administratif de Rennes, par un jugement en date du 7 juillet 2017, a fait droit à sa demande. L'Etablissement Public Foncier de Bretagne relève appel de cette décision.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'elle annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d'urbanisme ou en ordonne la suspension, la juridiction administrative se prononce sur l'ensemble des moyens de la requête qu'elle estime susceptibles de fonder l'annulation ou la suspension, en l'état du dossier. "
3. Il ressort des pièces du dossier que le tribunal administratif, alors même qu'il était saisi d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un acte intervenu en matière d'urbanisme, qu'il a annulé, a statué, ainsi que l'indique le jugement attaqué, " sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête ". L'Etablissement Public Foncier de Bretagne est dès lors fondé à soutenir qu'en statuant ainsi qu'il l'a fait, le tribunal administratif, en méconnaissant les obligations de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, a entaché son jugement d'irrégularité. Le jugement attaqué doit, par suite, être annulé.
4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par l'EURL Alternimmo devant le tribunal administratif de Rennes.
Sur les conclusions en annulation :
5. Aux termes des premier et troisième alinéas de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme alors applicable : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. / (...) / Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. ". Aux termes de l'article L. 300-1 du même code : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en oeuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels (...) ".
6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, alors même que le bien faisant l'objet du droit de préemption est situé dans le périmètre de la ZAC de La Bourdonnais, créée en 2011 par la communauté de communes du Val d'Ille (CCVI) dans le cadre de l'exercice de sa compétence en matière de développement économique, la décision attaquée n'apporte, en dépit de longs rappels sur les différentes raisons ayant poussé la CCVI à créer cette ZAC, aucune justification particulière précise de l'intérêt s'attachant à ce que la commune de La Mézière, membre de la CCVI, puisse constituer une réserve foncière " qui permettra à la CCVI de réaliser son projet d'aménagement ". Elle n'identifie pas davantage quel objectif particulier attaché à la réalisation de la ZAC communautaire serait de la sorte facilité par la constitution, par une de ses communes adhérentes, d'une réserve foncière, la commune de la Mézière n'ayant par ailleurs, à l'occasion de la délibération adoptée le 24 janvier 2014 déléguant son droit de préemption urbain à l'établissement public foncier, fourni aucun éclairage permettant de comprendre en quoi son intention d'acquérir le terrain objet du litige, pour constituer des réserves foncières, s'articulait avec les opérations d'aménagement de la ZAC communautaire.
7. Il résulte de ce qui précède que, faute de déterminer la nature de l'action ou de l'opération d'aménagement que la commune de La Mézière entendait mener au travers de la constitution d'une réserve foncière située au sein de la ZAC à vocation économique créée et gérée par la CCVI, la décision attaquée a méconnu les exigences de motivation posées par l'article L. 210-1 précité.
8. En second lieu, il résulte en outre de ces dispositions que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption.
9. En l'espèce, comme précédemment indiqué, l'Etablissement Public Foncier de Bretagne ne fournit aucun élément de nature à établir que la commune de La Mézière justifierait d'un projet propre d'action ou d'opération d'aménagement nécessitant, de sa part, la constitution d'une réserve foncière au sein de la ZAC portée par un EPCI dont elle est par ailleurs membre. Dans de telles conditions, faute d'établir la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, l'exercice du droit de préemption par l'Etablissement public foncier de Bretagne pour acquérir des terrains afin de constituer une réserve foncière pour la commune de la Mézière a méconnu les dispositions de l'article L. 210-1 alors applicables du code de l'urbanisme.
10. Pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, aucun des autres moyens invoqués n'est susceptible, en l'état du dossier, de fonder cette annulation.
11. Il résulte de ce qui précède que l'EURL Alternimmo est fondée à demander l'annulation de la décision contestée.
Sur les conclusions en injonction :
12. Aux termes de l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme, issu de la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové : " Lorsque, après que le transfert de propriété a été effectué, la décision de préemption est annulée ou déclarée illégale par la juridiction administrative, le titulaire du droit de préemption propose aux anciens propriétaires ou à leurs ayants cause universels ou à titre universel l'acquisition du bien en priorité. / Le prix proposé vise à rétablir, sans enrichissement injustifié de l'une des parties, les conditions de la transaction à laquelle l'exercice du droit de préemption a fait obstacle. À défaut d'accord amiable, le prix est fixé par la juridiction compétente en matière d'expropriation, conformément aux règles mentionnées à l'article L. 213-4. / A défaut d'acceptation dans le délai de trois mois à compter de la notification de la décision juridictionnelle devenue définitive, les anciens propriétaires ou leurs ayants cause universels ou à titre universel sont réputés avoir renoncé à l'acquisition. / Dans le cas où les anciens propriétaires ou leurs ayants cause universels ou à titre universel ont renoncé expressément ou tacitement à l'acquisition dans les conditions mentionnées aux trois premiers alinéas du présent article, le titulaire du droit de préemption propose également l'acquisition à la personne qui avait l'intention d'acquérir le bien, lorsque son nom était inscrit dans la déclaration mentionnée à l'article L. 213-2. " . Ces nouvelles dispositions s'appliquent immédiatement, en l'absence de dispositions expresses contraires, aux instances en cours, quelle que soit la date à laquelle est intervenue la décision administrative contestée.
13. L'annulation par le juge de l'excès de pouvoir de l'acte par lequel le titulaire du droit de préemption décide d'exercer ce droit emporte pour conséquence que ce titulaire doit être regardé comme n'ayant jamais décidé de préempter. Une telle annulation implique ainsi que le titulaire de ce droit, s'il n'a pas entre temps cédé le bien illégalement préempté, prenne toute mesure afin de mettre fin aux effets de la décision annulée. A ce titre, et au regard des dispositions précitées de l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme, le titulaire du droit de préemption est tenu de proposer aux propriétaires initiaux ou à leurs ayants cause puis, à défaut, à l'acquéreur évincé si son nom était inscrit dans la déclaration d'intention d'aliéner, d'acquérir le bien à un prix visant à rétablir autant que possible et sans enrichissement injustifié de l'une quelconque des parties les conditions de la cession à laquelle l'exercice du droit de préemption a fait obstacle.
14. Le présent arrêt confirmant l'annulation prononcée par le tribunal administratif, il y a lieu pour la Cour, sous réserve que l'Etablissement Public Foncier de Bretagne n'ait pas déjà cédé le bien immobilier irrégulièrement préempté, de lui faire injonction de proposer, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision, à l'ancienne propriétaire, Mme E...néeD..., de procéder à l'acquisition de la parcelle cadastrée section AM, n° 34 et, en cas de refus exprès ou tacite de cette dernière, dans un délai de trois mois, de proposer sans délai à l'EURL Alternimmo l'acquisition de ce bien.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'EURL Alternimmo, qui n'est pas la partie perdante dans la présente affaire, verse à l'Etablissement Public Foncier de Bretagne la somme que celui-ci réclame au titre des frais exposés non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de l'Etablissement Public Foncier de Bretagne, au même titre, une somme de 2 000 euros au profit de l'EURL Alternimmo.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 7 juillet 2017 et la décision du 12 février 2014 de l'Etablissement Public Foncier de Bretagne sont annulés.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de l'Etablissement Public Foncier de Bretagne est rejeté.
Article 3 : Il est enjoint à l'Etablissement Public Foncier de Bretagne, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la présente décision, de mettre en demeure Mme E...née D...de procéder à l'acquisition de la parcelle cadastrée section AM, n°34 et, en cas de refus exprès ou tacite de cette dernière dans un délai de trois mois, de proposer sans délai à l'EURL Alternimmo l'acquisition de ce bien.
Article 4 : L'Etablissement Public Foncier de Bretagne communiquera à la Cour la copie des actes justifiant de l'exécution de l'injonction mentionnée à l'article 3 du présent arrêt dans un délai maximum de trois mois à compter de la date de la notification du présent arrêt.
Article 5 : L'Etablissement Public Foncier de Bretagne versera à l'EURL Alternimmo la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à l'Établissement Public Foncier de Bretagne, à l'EURL Alternimmo, à Mme C... E...et à la commune de La Mézière.
Délibéré après l'audience du 7 septembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Dussuet, président,
- M. Degommier, président assesseur,
- M. Mony, premier conseiller.
Lu en audience publique le 24 Septembre 2018.
Le rapporteur,
A. MONYLe président,
J-P. DUSSUET
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de la Cohésion des Territoires en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17NT02377