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16/07/2018 | FRANCE | N°16NT01228

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 6ème chambre, 16 juillet 2018, 16NT01228


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Industrielle du Ponant a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 775 025 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 10 janvier 2014, date d'enregistrement de sa demande au tribunal, ces intérêts étant eux-mêmes capitalisées à compter du 10 janvier 2015.

Par un jugement n° 1400138 du 12 février 2016, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémo

ire, enregistrés les 13 avril 2016 et 15 février 2018, la société Industrielle du Ponant, représenté...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Industrielle du Ponant a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 775 025 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 10 janvier 2014, date d'enregistrement de sa demande au tribunal, ces intérêts étant eux-mêmes capitalisées à compter du 10 janvier 2015.

Par un jugement n° 1400138 du 12 février 2016, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 13 avril 2016 et 15 février 2018, la société Industrielle du Ponant, représentée par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 12 février 2016 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 869 148 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 10 janvier 2014 et capitalisation des intérêts à compter du 10 janvier 2015 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la déchéance quadriennale est opposée au nom de l'Etat par une autorité qui n'a pas compétence pour le faire ; en tout état de cause pour que le cours de la prescription ait commencé à courir, encore faut-il que l'étendue des préjudices subis ait été entièrement révélée, ces préjudices étant connus et pouvant être exactement mesurés, alors qu'au cas particulier le préjudice est continu ; de plus la société a adressé depuis 2005 différentes demandes qui ont interrompu la prescription ;

- la responsabilité sans faute de l'Etat est engagée à son égard sur le fondement de la rupture d'égalité devant les charges publiques, en raison de l'adoption des lois n° 2000-37 du 19 janvier 2000 et n° 2003-47 du 17 janvier 2003 ; ces dernières dispositions ont créé une concurrence déloyale entre les entreprises qui, comme elle, avaient souscrit une convention d'aménagement et de réduction collective du temps de travail dans le cadre du développement de l'emploi sur le fondement de la loi n° 96-502 du 11 juin 1996 en s'engageant non seulement à réduire le temps de travail mais aussi à embaucher de nouveaux salariés, et celles qui ont bénéficié d'une réduction de charge supérieure, grâce à ces deux lois, sans supporter le coût d'embauches supplémentaires ; le caractère anormal et spécial du préjudice est établi tant pour la période de janvier 2001 à février 2005 pour un montant de 319 200 euros que pour la période de mars 2005 à juin 2013 pour un montant de 1 455 825 euros ; le lien de causalité entre le préjudice subi et l'intervention des lois de 2000 et 2003 est certain ;

- la responsabilité pour faute de l'Etat est également engagée du fait des mêmes lois du 19 janvier 2000 et du 17 janvier 2003, en ce qu'en ne créant pas une obligation d'embauche et de maintien de l'emploi, elles ont eu pour effet de créer une aide publique d'Etat illégale au sens de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; ces lois méconnaissent les principes de sécurité juridique et de confiance légitime qui sont des principes généraux du droit de l'Union européenne.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 22 décembre 2017 et 26 mars 2018, la ministre du travail conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- la prescription quadriennale, opposée par une autorité compétente et qui n'a pas été valablement interrompue, est acquise en ce qui concerne les exercices ayant pris fin antérieurement au 1er janvier 2011 ;

- pour le surplus aucun des moyens soulevés par la société requérante n'est fondé.

Un mémoire présenté pour la société Industrielle du Ponant, enregistré le 21 juin 2018, n'a pas été communiqué à défaut d'éléments nouveaux au sens de l'article R. 611-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 93-1313 quinquennale du 20 décembre 1993 relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle ;

- la loi n° 96-502 du 11 juin 1996 tendant à favoriser l'emploi par l'aménagement et la réduction conventionnels du temps de travail ;

- la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail ;

- la loi n° 2003-47 du 17 janvier 2003 relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi ;

- le décret n° 96-721 du 14 août 1996 portant application des articles 39 et 39-1 de la loi quinquennale n° 93-1313 du 20 décembre 1993 relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle, modifiée par la loi n° 96-502 du 11 juin 1996 tendant à favoriser l'emploi par l'aménagement et la réduction conventionnels du temps de travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Francfort, président,

- les conclusions de M. Lemoine, rapporteur public,

- et les observations de MeC..., substituant MeB..., représentant la société industrielle du Ponant.

Une note en délibéré, présentée pour la société industrielle du Ponant a été enregistrée le 9 juillet 2018.

1. Considérant que la société industrielle du Ponant relève appel du jugement du 12 février 2016 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser des conséquences dommageables résultant du préjudice qu'elle aurait subi du fait de la concurrence déloyale induite par l'adoption des mécanismes de réduction de charges institués par les lois n° 2000-37 du 19 janvier 2000 et n°2003-47 du 17 janvier 2003, en l'absence, dans ces textes législatifs, de prescriptions particulières tenant à l'obligation de procéder à des embauches ;

Sur les conclusions indemnitaires :

2. Considérant, d'une part, que selon les dispositions de l'article 39 de la loi quinquennale du 20 décembre 1993 relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle, dans leur rédaction résultant de la loi du 11 juin 1996, applicable à la présente espèce " I - : Il est institué une incitation à la réduction collective du temps de travail dont bénéficient les entreprises ou établissements dans lesquels (...) un nouvel horaire collectif ayant pour effet de réduire la durée initiale de travail d'au moins 10 p. cent est fixé soit par application d'une convention ou d'un accord de branche étendu, soit par un accord d'entreprise ou d'établissement ayant pour objet un aménagement du temps de travail " ; qu'aux termes du paragraphe II du même article : " Cette incitation prend la forme d'un allégement des cotisations à la charge de l'employeur au titre des assurances sociales, des accidents du travail et des allocations familiales assises sur les gains et rémunérations des salariés concernés par l'accord ou la convention mentionné au I. (...) L'allégement est accordé pour une durée de sept ans par convention avec l'Etat lorsque la réduction de l'horaire collectif s'accompagne d'embauches intervenant dans le délai fixé par la convention sans pouvoir excéder un an et correspondant au moins à 10 p. 100 de l'effectif moyen annuel de l'entreprise ou de l'établissement concerné. (...). Pendant une durée de deux années, le niveau de l'effectif de l'entreprise ou de l'établissement doit rester au moins égal à celui atteint à l'issue de la période d'embauche (...) " ;

3. Considérant, d'autre part, que par la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000, dite " Aubry II ", le législateur a institué un dispositif d'allègement des charges sociales en faveur des entreprises qui appliquent un accord collectif fixant la durée collective du travail au plus, soit à trente-cinq heures hebdomadaires, soit à 1 600 heures sur l'année et s'engagent dans ce cadre à créer ou à préserver des emplois ; puis que par la loi n°2003-47 du 17 janvier 2003, dite " Fillon " le législateur a octroyé sans conditions à toutes les entreprises des réductions de cotisations au titre des assurances sociales, des accidents du travail, des maladies professionnelles et des allocations familiales assises sur les gains et rémunérations inférieurs au salaire minimum de croissance majoré de 60 % ;

4. Considérant qu'en application des dispositions législatives citées au point 2 et du décret du 14 août 1996 pris pour leur application, la société Industrielle du Ponant a conclu avec l'Etat le 3 décembre 1997 une convention d'aménagement et de réduction du temps de travail pour une durée de 7 ans, aux termes de laquelle la société s'engageait à réduire la durée collective de travail, en la faisant passer de 39 heures à 35 heures hebdomadaires, et à procéder à l'embauche de 7 nouveaux collaborateurs, augmentant ainsi l'effectif moyen annuel de l'entreprise de 10 pour cent ; qu'elle a bénéficié, en contrepartie de ces engagements, d'un allègement des cotisations à sa charge au titre des assurances sociales, des accidents du travail et des maladies professionnelles et des allocations familiales de 40 % au titre de la première année et de 30 % au titre des années suivantes, jusqu'au terme de la convention ;

En ce qui concerne la responsabilité sans faute de l'Etat du fait des lois du 19 janvier 2000 et 17 janvier 2003 :

5. Considérant que la société Industrielle du Ponant, soutient que les dispositions des lois du 19 janvier 2000 et 17 janvier 2003 ont engendré une concurrence déloyale entre les entreprises qui, comme elle, avaient souscrit une convention avec l'Etat sur le fondement de la loi du 11 juin 1996 en s'engageant non seulement à réduire le temps de travail mais également à embaucher de nouveaux salariés, et celles qui ont pu, en application de ces lois postérieures, bénéficier d'une réduction de charges supérieure sans supporter le coût d'embauches supplémentaires, et recherche à ce motif la responsabilité de l'Etat sur le fondement de la responsabilité sans faute ;

6. Considérant que la responsabilité de l'Etat du fait des lois est susceptible d'être engagée sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de l'adoption d'une loi, à la condition que cette loi n'ait pas exclu toute indemnisation et que le préjudice dont il est demandé réparation, revêtant un caractère grave et spécial, ne puisse, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés ;

7. Considérant, d'une part, que la société industrielle du Ponant n'établit pas davantage qu'en première instance en quoi sa situation, semblable à celle de l'ensemble des employeurs qui avaient conclu des conventions d'aménagement et de réduction collective du temps de travail dans le cadre des dispositions applicables antérieurement aux dispositions de la loi du 19 janvier 2000, serait à l'origine d'un préjudice spécial ;

8. Considérant, d'autre part, que la société industrielle du Ponant s'est engagée librement dans la convention du 3 décembre 1997, afin d'obtenir une baisse de diverses cotisations sociales en application de la réglementation alors applicable ; qu'elle ne pouvait ignorer qu'elle ne bénéficiait d'aucun droit acquis au maintien de cette réglementation sur les cotisations sociales, ou à l'institution d'un mécanisme compensateur à son profit ; qu'ainsi la modification de la législation en matière d'incitation à l'aménagement et à la réduction du temps de travail ne peut être regardée comme un aléa excédant ceux inhérents à son activité ; que par suite la société requérante ne justifie pas du caractère anormal du préjudice qu'elle invoque ;

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat pour méconnaissance des normes ou principes généraux du droit communautaire :

9. Considérant que la responsabilité de l'Etat du fait des lois est également est susceptible d'être engagée en raison des obligations qui sont les siennes pour assurer le respect des conventions internationales par les autorités publiques, pour réparer l'ensemble des préjudices qui résultent de l'intervention d'une loi adoptée en méconnaissance des engagements internationaux de la France ;

10. Considérant, en premier lieu, que la société industrielle du Ponant persiste à soutenir en appel que les lois n° 2000-37 du 19 janvier 2000 et n° 2003-47 du 17 janvier 2003 institueraient des aides publiques en méconnaissance des dispositions de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; que le tribunal ayant justement et suffisamment répondu à ce moyen, il y a lieu, en l'absence de justification ou d'argumentation nouvelles en appel, d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges ;

11. Considérant, en second lieu, que la société industrielle du Ponant soutient que les lois du 19 janvier 2000 et du 17 janvier 2003 méconnaissent les principes de sécurité juridique et de confiance légitime qui sont des principes généraux du droit de l'Union européenne dès lors que " les revirements opérés par le législateur en matière d'incitation des entreprises à la réduction du temps de travail ( ... ) sont intervenus en l'absence de toute prévisibilité de l'évolution de la norme " ;

12. Considérant que la société, qui s'est engagée volontairement avec l'Etat dans le cadre d'un dispositif contractuel limité dans le temps, ne pouvait se prévaloir d'aucun droit acquis à conserver l'avantage dont elle bénéficiait du fait de la signature de cette convention au-delà de sa durée d'application ; que par suite elle n'est pas fondée à soutenir que l'Etat aurait porté atteinte aux principes généraux du droit communautaire qu'elle invoque ;

13. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'exception de prescription quadriennale invoquée en défense, que la société industrielle du Ponant n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'a pas dans la présente instance la qualité de partie perdante, la somme que demande la société industrielle du Ponant au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société industrielle du Ponant est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société industrielle du Ponant et à la ministre du travail.

Délibéré après l'audience du 29 juin 2018, à laquelle siégeaient :

- M. Francfort, président de chambre,

- M. Pons, premier conseiller,

- M. Bouchardon, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 16 juillet 2018.

Le président,

J. FRANCFORTL'assesseur le plus ancien

F. PONS

La greffière,

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 16NT01228


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 16NT01228
Date de la décision : 16/07/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. FRANCFORT
Rapporteur ?: M. Jérôme FRANCFORT
Rapporteur public ?: M. LEMOINE
Avocat(s) : MORAGA ROJEL

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2018-07-16;16nt01228 ?
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