Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 23 décembre 2016, 2 octobre 2017 et 24 janvier 2018, la société du Noireau, l'Union des commerçants, industriels et artisans de Condé-sur-Noireau et la société Foncim, représentées par MeB..., demandent à la cour :
1°) d'annuler la décision du 29 septembre 2016 par laquelle la commission nationale d'aménagement commercial a autorisé la société Bocadist à créer un ensemble commercial de 2 774,70 m² de surface de vente comprenant un hypermarché à l'enseigne " E. Leclerc " de 2 400 m² et une galerie commerciale de 374,70 m² à Saint-Pierre-Du-Regard ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à chacune d'elles de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- il n'a pas été procédé à une nouvelle instruction complète du projet de la société Bocadist ;
- la commission n'a pas motivé sa décision au regard de l'ensemble des critères énoncés à l'article L. 752-6 du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi du 18 juin 2014 ;
- aucune dérogation à l'interdiction de délivrer une autorisation d'exploitation commerciale à l'intérieur d'une zone rendue constructible après le 4 juillet 2003 n'a été prise sur le fondement de l'article L. 142-5 du code de l'urbanisme ;
- la commission a entaché d'illégalité sa décision quant à la localisation du projet et son intégration urbaine ;
- le projet ne répond pas à l'objectif d'une consommation économe de l'espace ;
- l'existence d'une réserve foncière de 10 000 m² sur le terrain d'assiette du projet, qui nécessitera d'importants travaux d'aplanissement, ne permet pas de comptabiliser cet espace, totalement disproportionné, au titre des espaces verts ;
- le projet, dont l'accès unique se fera par un giratoire aménagé en 2009, est difficilement accessible tant en transports collectifs, qu'en vélo ou à pied ;
- il ne présente aucune originalité en terme d'insertion paysagère et architecturale ;
- le projet qui n'apportera pas une offre différente de celle existante ne contribuera pas à la protection des consommateurs.
Par des mémoires, enregistrés les 21 février et 6 novembre 2017, la SAS Bocadist, représentée par MeA..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge solidaire de la société du Noireau, de l'Union des commerçants, industriels et artisans de Condé-sur-Noireau et de la société Foncim au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens soulevés par les requérantes ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de commerce ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gélard,
- les conclusions de M. Derlange, rapporteur public.
- et les observations de MeB..., représentant la société Noireau et autres et de MeC..., substituant MeA..., représentant la société Bocadist.
1. Considérant que le 29 septembre 2016, la commission nationale d'aménagement commercial a autorisé la société Bocadist à créer un ensemble commercial de 2 774,70 m² de surface de vente comprenant un hypermarché à l'enseigne " E. Leclerc " de 2 400 m² et une galerie commerciale de 374,70 m² à Saint-Pierre-Du-Regard ; que la société du Noireau, qui exploite le magasin Intermarché de Condé-sur-Noireau, l'Union des commerçants, industriels et artisans de Condé-sur-Noireau et la société Foncim, société d'aménagement du parc Saint-Jacques situé dans la zone commerciale de Condé-sur-Noireau, sollicitent l'annulation de cette décision ;
2. Considérant, en premier lieu, qu'à la suite de l'annulation par la cour, le 11 mai 2016, de sa décision du 23 octobre 2014 refusant d'autoriser le projet présenté par la société Bocadist sur la même parcelle, la commission nationale d'aménagement commercial s'est de nouveau trouvée saisie de cette demande ; que préalablement à l'examen de ce projet, la société pétitionnaire a déposé en septembre 2016 un dossier actualisé de son projet ; que les ministres chargés du commerce et de l'urbanisme ont été consultés les 22 et 28 septembre 2016 ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la commission nationale n'aurait pas procédé à un réexamen exhaustif de la demande actualisée déposée par la société Bocadist alors même que dans sa décision elle a repris une partie des arguments de la cour ; que par suite, le moyen tiré de ce qu'il n'aurait pas été procédé à une nouvelle instruction complète du projet de la société Bocadist ne peut qu'être écarté ;
3. Considérant, en deuxième lieu, qu'en vertu des dispositions de l'article L. 752-6 du code de commerce alors en vigueur, la commission départementale d'aménagement commercial puis la commission nationale d'aménagement commercial se prononcent sur les effets du projet en matière d'aménagement du territoire, notamment au regard de l'animation de la vie urbaine, et en matière de développement durable, notamment au regard de la qualité environnementale du projet ;
4. Considérant que si, eu égard à la nature, à la composition et aux attributions de la commission nationale d'aménagement commercial, les décisions qu'elle prend doivent être motivées, cette obligation n'implique pas que la commission soit tenue de prendre explicitement parti sur le respect, par le projet qui lui est soumis, de chacun des objectifs et critères d'appréciation fixés par les dispositions législatives applicables ; qu'en l'espèce, la commission nationale a satisfait à cette obligation ; que le moyen tiré de ce qu'elle aurait entaché sa décision d'une insuffisance de motivation doit donc être écarté ;
5. Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article L. 122-2 du code de l'urbanisme en vigueur le 19 février 2014 : " (...) Dans les communes où s'applique le premier alinéa et à l'intérieur des zones à urbaniser ouvertes à l'urbanisation après l'entrée en vigueur de la loi n° 2003-590 du 2 juillet 2003 urbanisme et habitat, il ne peut être délivré d'autorisation d'exploitation commerciale en application de l'article L. 752-1 du code de commerce ou l'autorisation prévue aux article/ Il peut être dérogé aux dispositions des trois alinéas précédents soit avec l'accord du préfet donné après avis de la commission départementale compétente en matière de nature, de paysages et de sites et de la chambre d'agriculture, soit, jusqu'au 31 décembre 2016, lorsque le périmètre d'un schéma de cohérence territoriale incluant la commune a été arrêté, avec l'accord de l'établissement public prévu à l'article L. 122-4. La dérogation ne peut être refusée que si les inconvénients éventuels de l'urbanisation envisagée pour les communes voisines, pour l'environnement ou pour les activités agricoles sont excessifs au regard de l'intérêt que représente pour la commune la modification ou la révision du plan. Lorsque le préfet statue sur une demande de dérogation aux dispositions du deuxième alinéa du présent article, il vérifie en particulier que le projet d'équipement commercial envisagé ne risque pas de porter atteinte aux équilibres d'un schéma de cohérence territoriale dont le périmètre est limitrophe de la commune d'implantation du fait des flux de déplacements de personnes et de marchandises qu'il suscite (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 142-4 du code de l'urbanisme : " Dans les communes où un schéma de cohérence territoriale n'est pas applicable : (...) 4° A l'intérieur d'une zone ou d'un secteur rendu constructible après la date du 4 juillet 2003, il ne peut être délivré d'autorisation d'exploitation commerciale en application de l'article L. 752-1 du code de commerce (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 142-5 du même code : " Il peut être dérogé à l'article L. 142-4 avec l'accord de l'autorité administrative compétente de l'Etat après avis de la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers prévue à l'article L. 112-1-1 du code rural et de la pêche maritime et, le cas échéant, de l'établissement public prévu à l'article L. 143-16. La dérogation ne peut être accordée que si l'urbanisation envisagée ne nuit pas à la protection des espaces naturels, agricoles et forestiers ou à la préservation et à la remise en bon état des continuités écologiques, ne conduit pas à une consommation excessive de l'espace, ne génère pas d'impact excessif sur les flux de déplacements et ne nuit pas à une répartition équilibrée entre emploi, habitat, commerces et services. " ;
6. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que par une décision du 19 février 2014, le préfet de l'Orne a accordé à la société Bocadist une dérogation à la constructibilité limitée en application de l'article L. 122-2 du code de l'urbanisme alors en vigueur pour le projet litigieux ; que par suite, et alors même que le projet aurait été actualisé en septembre 2016 en vue notamment d'améliorer son insertion dans l'environnement et que l'article L. 122-2 du code de l'urbanisme a été remplacé par les articles L. 142-4 et L. 142-5 du même code, le moyen tiré de ce qu'aucune dérogation à l'interdiction de délivrer une autorisation d'exploitation commerciale à l'intérieur d'une zone rendue constructible après le 4 juillet 2003 n'aurait été prise, ne peut qu'être écarté ;
7. Considérant, en dernier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que le projet est localisé à proximité de la RD 962, entre Flers et Caen, à moins de 2 km des communes de Saint-Pierre-du-Regard, de Condé-sur-Noireau et de Montilly-sur-Noireau ; que s'il ne se situe pas dans une zone déjà urbanisée, il est constant qu'un " drive " ouvert depuis 2014 ainsi qu'une station service, en fonctionnement depuis janvier 2016, sont également présents sur le site à proximité immédiate du lieu d'implantation du projet, situé dans une zone à urbanisée AUz du plan local d'urbanisme ; qu'il existe une zone d'activités à 150 m de l'autre côté de la RD 962 ; que la circonstance que la galerie commerciale en litige comprendra un fleuriste et un pressing cordonnier ne suffit pas à établir que le projet contribuerait à fragiliser les commerces du centre-ville de Condé-sur-Noireau ; qu'il n'est pas établi par ailleurs que le rond-point existant au niveau de la route départementale ne supporterait pas le flux de circulation engendré par le projet ; que l'insuffisance de sa desserte par les transports en commun et les pistes cyclables sera compensée par un système de navettes électriques mises gratuitement à la disposition des clients ; que la surface de vente du centre E. Leclerc sera de 2 400 m² et celle des commerces de la galerie de 374,70 m² soit 2 774,70 m² au total ; que la société pétitionnaire a dû notamment acheter l'ensemble des parcelles cadastrées section D n° 497, 352, 85 d'une superficie totale de 5ha37a29ca à la communauté de communes du Bocage d'Athis de l'Orne ; que la circonstance que la parcelle d'assiette du projet comprendrait une zone d'un hectare non aménagée est sans incidence sur la légalité de la décision contestée dès lors qu'elle est susceptible d'être cédée en vue de la réalisation d'un autre projet alors non défini ; qu'il n'est pas davantage établi que ce projet aurait pu être réalisé sur une friche commerciale située dans le même secteur géographique, au sud des communes de Saint-Pierre-du-Regard, de Condé-sur-Noireau et au nord de celle de Montilly-sur-Noireau ; qu'indépendamment de la réserve foncière d'un hectare, le projet comporte des espaces verts, ainsi qu'en attestent notamment le plan de circulation et le plan de masse faisant apparaître les " solutions végétales et consommations énergétiques ", lesquels contrairement à ce que soutiennent les requérantes ne présentent aucun caractère disproportionné ; que le projet s'insèrera harmonieusement dans le paysage compte tenu de la hauteur réduite du bâtiment à 6 m sur la partie commerciale et les réserves et de la conception originale de sa façade principale, qui sera habillée en bois ou imitation bois et comprendra un système grillagé de pergola et de paroi permettant un traitement paysager ; qu'il comprendra en outre, une éolienne de type Turbine à vent, une pompe à chaleur, des cellules photovoltaïques en toiture et un puits canadien pour la zone bureau ; qu'une démarche certification Iso 50001 sera lancée à l'ouverture du magasin ; qu'enfin, si la commune de Condé-sur-Noireau comprend déjà un hypermarché de taille comparable, celui-ci se situe au nord de cette commune alors que le magasin Carrefour implanté au sud à Saint-Georges des Groseilles est plus proche de Flers ; que par suite, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que la commission nationale d'aménagement commercial n'aurait pas fait, par la décision contestée, une exacte application des dispositions de l'article L. 752-6 du code de commerce ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, que la société du Noireau, l'Union des commerçants, industriels et artisans de Condé-sur-Noireau et la société Foncim ne sont pas fondées à demander l'annulation de la décision du 29 septembre 2016 ;
Sur les frais liés au litige :
9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Bocadist, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à la société du Noireau, à l'Union des commerçants, industriels et artisans de Condé-sur-Noireau et à la société Foncim de la somme qu'elles demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société du Noireau, de l'Union des commerçants, industriels et artisans de Condé-sur-Noireau et de la société Foncim le versement à la société du Noireau d'une somme globale de 1 500 euros au titre des mêmes frais ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société du Noireau, de l'Union des commerçants, industriels et artisans de Condé-sur-Noireau et de la société Foncim est rejetée.
Article 2 : La société du Noireau, l'Union des commerçants, industriels et artisans de Condé-sur-Noireau et la société Foncim verseront à la société Bocadist une somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société du Noireau, à l'Union des commerçants, industriels et artisans de Condé-sur-Noireau, à la société Foncim, à la société Bocadist et au ministre de l'économie et des finances.
Délibéré après l'audience du 29 mai 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- M. Degommier, président-assesseur,
- Mme Gélard, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 15 juin 2018.
Le rapporteur,
V. GELARDLe président,
A. PEREZ
Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 16NT04133