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30/03/2018 | FRANCE | N°16NT02538

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 30 mars 2018, 16NT02538


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A...G...et M. B...F...ont demandé au tribunal administratif de Caen de condamner le centre hospitalier de Flers à leur verser 120 000 euros en réparation des préjudices subis du fait des fautes commises dans le cadre du suivi de la grossesse de Mme G... entre décembre 2011 et juin 2012.

Par un jugement n° 1402384 du 23 juin 2016, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 27 juillet 2016 Mme G...et M.F..., r

eprésentés par MeD..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal admini...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A...G...et M. B...F...ont demandé au tribunal administratif de Caen de condamner le centre hospitalier de Flers à leur verser 120 000 euros en réparation des préjudices subis du fait des fautes commises dans le cadre du suivi de la grossesse de Mme G... entre décembre 2011 et juin 2012.

Par un jugement n° 1402384 du 23 juin 2016, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 27 juillet 2016 Mme G...et M.F..., représentés par MeD..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 23 juin 2016 en tant qu'il a rejeté leurs conclusions indemnitaires ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Flers à leur verser la somme globale de 120 000 euros en réparation de leurs préjudices ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Flers la somme de 2 000 euros au titre de leurs frais d'avocat.

Ils soutiennent que :

- le jugement doit être confirmé en tant qu'il retient qu'une faute caractérisée a été commise dans le cadre du suivi de la grossesse de MmeG... ;

- ils subissent de ce fait un préjudice moral, qu'ils évaluent à 50 000 euros pour chacun d'eux, n'ayant pas été en mesure de bénéficier d'un diagnostic prénatal ni de la discussion pluridisciplinaire qui leur aurait permis de faire le choix d'une interruption médicale de grossesse ; leur enfant souffre d'une pathologie encore non opérée qui justifie un suivi médical particulier ; ils vivent au quotidien dans la peur de l'apparition de symptômes liés à cette pathologie, qui pourraient être à l'origine de graves séquelles pour leur fils ;

- ils subissent un préjudice financier chiffré à 20 000 euros, dès lors qu'ils ont interrompu leur activité professionnelle ou diminué leur temps de travail pour s'occuper de leur fils.

Par un mémoire en défense enregistré le 23 octobre 2017 le centre hospitalier de Flers, représenté par MeE..., conclut au rejet de la requête et, à titre incident, à l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a retenu l'existence d'une faute caractérisée commise par cet établissement.

Il fait valoir que :

- c'est à tort que le tribunal administratif a jugé qu'une faute caractérisée avait été commise dans le suivi de la grossesse de MmeG..., dès lors que le diagnostic de spina bifida n'était, en l'espèce, pas aisé ; que la deuxième échographie réalisée lors de ce suivi l'a été par un médecin dans le cadre de son activité libérale et non hospitalière ; la seule circonstance que les clichés de la troisième échographie n'aient pas porté sur le rachis de l'enfant ne saurait constituer une faute caractérisée susceptible d'engager la responsabilité du centre hospitalier ;

- les moyens soulevés par Mme G...et M. F...ne sont pas fondés.

La procédure a été communiquée, le 11 août 2016, à la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados, qui n'a pas produit de mémoire.

Mme G...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 novembre 2016.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, modifiée, relative à l'aide juridique ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991, modifié ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Massiou,

- et les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public.

1. Considérant que MmeG..., née en 1985, a bénéficié d'un suivi au centre hospitalier de Flers (Orne) pour une grossesse débutée le 23 septembre 2011 ; que , dans ce cadre, ont été réalisées cinq échographies les 2 décembre 2011, 13 février 2012, 16 avril 2012, 24 mai 2012 et 8 juin 2012 ; que, lors de ce dernier examen, il a été diagnostiqué que l'enfant à naître présentait une anomalie de la moelle épinière appelée méningocèle, forme de spina bifida ; que la requérante a alors été transférée en urgence au centre hospitalier universitaire de Caen pour une prise en charge spécialisée ; qu'elle a accouché le 10 juin 2012 ; que le bébé a subi dès le 13 juin suivant une chirurgie de fermeture de la méningocèle lombaire ; que Mme G...a saisi la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CRCI) de Basse-Normandie, qui a rendu le 11 octobre 2013 un avis de rejet de sa demande d'indemnisation ; que Mme G...et M.F..., son compagnon et père de l'enfant, relèvent appel du jugement du 23 juin 2016 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté leurs conclusions indemnitaires dirigées contre le centre hospitalier de Flers et tendant à ce que cet établissement soit condamné à leur verser la somme globale de 120 000 euros en réparation de leurs préjudices ; que le centre hospitalier de Flers peut être regardé comme sollicitant la réformation de ce même jugement en tant qu'il a retenu qu'une faute caractérisée avait été commise durant le suivi de la grossesse de MmeG... :

Sur les conclusions indemnitaires :

Sur la faute du centre hospitalier de Flers :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles : " Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance. / La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l'acte fautif a provoqué directement le handicap ou l'a aggravé, ou n'a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l'atténuer. / Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale. " ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que dans le cadre du suivi de sa grossesse Mme G...a bénéficié de plusieurs échographies réalisées au centre hospitalier de Flers, celle du deuxième trimestre l'ayant toutefois été au titre de l'activité libérale du praticien et étant, dès lors, insusceptible d'engager la responsabilité de cet établissement ; qu'en revanche, le compte-rendu de l'échographie du troisième trimestre, réalisée le 16 avril 2012, décrit le rachis de l'enfant à naître comme normal, alors que l'iconographie ne comporte aucune coupe du rachis, en méconnaissance des règles de l'art ; que, dans ces conditions, alors même que les examens antérieurs ne révélaient pas clairement de signes permettant de soupçonner la présence d'un spina bifida, la carence dans la réalisation de cette échographie est constitutive d'une faute caractérisée au sens des dispositions de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles citées au point précédent, de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Flers à l'égard des requérants ;

Sur les préjudices de Mme G...et M.F... :

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la malformation du rachis dont était atteint l'enfant à naître a justifié que soit proposée à MmeG..., le 8 juin 2012, une interruption médicale de grossesse que celle-ci a refusé eu égard à l'état très avancé de sa grossesse et à l'absence de délai lui permettant de disposer de l'information préalable à une décision éclairée ; que l'enfant reste atteint d'une pathologie de la moelle épinière qui aurait également pu être détectée à l'échographie et qui nécessitera à terme un nouveau geste chirurgical ;

5. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'expertise diligentée par la CRCI de Basse-Normandie que la malformation dont était atteint le fils des requérants est décelable dans environ 94 % des cas et que 80 % des parents informés d'une telle malformation décident de recourir à une interruption médicale de grossesse ; que si le centre hospitalier de Flers fait valoir que la pathologie de l'enfant n'aurait sans doute pas justifié une telle interruption, celle-ci a toutefois été proposée à MmeG... ; que, dans ces conditions, la perte de chance subie par les requérants de pouvoir décider de procéder à une telle interruption peut être évaluée à 75 % ; qu'eu égard à ce taux de perte de chance, il sera fait une équitable appréciation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis par les requérants en les estimant à la somme de 10 000 euros pour chacun d'entre eux ;

6. Considérant, en second lieu, que si Mme G...et M. F...se prévalent d'un préjudice financier lié à l'obligation dans laquelle ils se seraient trouvés de se mettre en congé parental ou de diminuer leur temps de travail, il ne résulte pas de l'instruction que les modalités de suivi de leur fils, qui nécessite une consultation à Caen tous les deux mois et une consultation annuelle à Paris, permettent de caractériser l'existence d'un tel préjudice ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme G... et M. F...sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande indemnitaire ;

Sur les frais de l'instance :

8. Considérant que Mme G...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que son avocat peut, par suite, se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet

1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Flers le versement de la somme de 1 000 euros à Me D...dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991 ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1402384 du tribunal administratif de Caen du 23 juin 2016 est annulé.

Article 2 : Le centre hospitalier de Flers est condamné à verser 10 000 euros à Mme G...et 10 000 euros à M.F....

Article 3 : Le versement de la somme de 1 000 euros à Me D...est mis à la charge du centre hospitalier de Flers dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...G..., à M. B... F..., au centre hospitalier de Flers et à la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados.

Délibéré après l'audience du 15 mars 2018, où siégeaient :

- M. Coiffet, président,

- M. Berthon, premier conseiller,

- Mme Massiou, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 30 mars 2018.

Le rapporteur,

B. MassiouLe président,

O. Coiffet

Le greffier,

M. C...

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 16NT02538


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 16NT02538
Date de la décision : 30/03/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. COIFFET
Rapporteur ?: Mme Barbara MASSIOU
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : SELARL ERIC STRUJON

Origine de la décision
Date de l'import : 03/04/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2018-03-30;16nt02538 ?
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