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23/02/2018 | FRANCE | N°16NT01146

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 23 février 2018, 16NT01146


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...I...et sa fille, Mme G...I...agissant tant en son nom propre qu'en qualité de représentante légale de son fils Jessy Sailly, ont demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser la somme de 306 754,96 euros en réparation des préjudices résultant de la contamination au virus de l'hépatite C et du décès, le 29 avril 2004, de Brigitte Moussard épouseI...,

leur épouse et mère ; la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...I...et sa fille, Mme G...I...agissant tant en son nom propre qu'en qualité de représentante légale de son fils Jessy Sailly, ont demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser la somme de 306 754,96 euros en réparation des préjudices résultant de la contamination au virus de l'hépatite C et du décès, le 29 avril 2004, de Brigitte Moussard épouseI..., leur épouse et mère ; la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe a demandé pour sa part que soit mise à la charge de l'Établissement français du sang (EFS) la somme de 132 082,43 euros en remboursement des débours qu'elle a exposés pour son assurée, BrigitteI....

Par un jugement n° 1207970 du 5 février 2016, le tribunal administratif de Nantes a rejeté ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 4 avril 2016 et 13 juin 2017 M. C...I...et sa fille, Mme G...I...agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale de son fils Jessy Sailly, représentés par MeD..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n°1207970 du 5 février 2016 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) de condamner l'ONIAM à leur verser la somme totale de 306 754, 96 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'ONIAM la somme de 5 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- ils établissent que Brigitte I...a été contaminée par le virus de l'hépatite C lors de plusieurs transfusions sanguines reçues au cours des deux interventions chirurgicales des 18 août 1978 et 26 janvier 1981 au centre hospitalier du Mans du fait de grossesses extra-utérines ;

- les dispositions de l'article L. 1142-28 du code de la santé publique prévoient une prescription décennale, de sorte que leur action n'était pas prescrite ;

- ils sont fondés à solliciter le versement des sommes de 29,40 euros au titre des dépenses de santé de BrigitteI..., de 3 000 euros au titre de son déficit fonctionnel temporaire, de 20 000 euros au titre des souffrances endurées par elle ;

- son époux est fondé à obtenir l'indemnisation de la perte de revenus du ménage à hauteur de 173 615,96 euros, de son préjudice d'accompagnement à hauteur de 50 000 euros, de son préjudice d'affection à hauteur de 30 000 euros, et de frais de communication du dossier médical de son épouse pour un montant de 106,60 euros ;

- Mme G...I...est fondé à obtenir l'indemnisation de son préjudice d'affection qu'elle évalue à la somme de 20 000 euros et de celui de son fils, Jessy Sailly, évalué à la somme de 10 000 euros ;

- contrairement à ce qu'affirme l'ONIAM, il n'y a aucun élément médical plaidant pour un lien possible entre la consommation alcoolique de Brigitte I...et la cirrhose dont elle souffrait, dont l'origine réside entièrement dans la contamination par le virus de l'hépatite C.

Par des mémoires enregistrés les 7 juin 2016 et 10 janvier 2018 la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe, représentée par MeB..., conclut :

1°) à la condamnation de l'Établissement français du sang à lui verser la somme totale de 132 082,43 euros en remboursement des débours exposés pour son assurée, Mme H...I..., somme augmentée des intérêts au taux légal à compter du 6 janvier 2015 ;

2°) à la condamnation de l'Établissement français du sang à lui verser la somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

3°) à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de cet établissement au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- son action n'est pas prescrite ;

- l'origine transfusionnelle de la contamination de Brigitte I...au virus de l'hépatite C est établie ;

- la requête en indemnisation des consorts I...n'ayant été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Nantes que le 13 août 2012, soit après le 1er juin 2010, elle n'est pas recevable à exercer son recours subrogatoire contre l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, mais est fondée, en application de l'article L 376-1 du code de la sécurité sociale et en qualité de tiers payeur, à exercer un recours subrogatoire contre l'EFS en sa qualité de responsable du dommage subi par Brigitte I...;

- elle justifie de ses débours.

Par des mémoires en défense enregistrés les 1er août 2016 et 15 janvier 2018 l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes, représenté par Me E..., s'en remet à la sagesse de la cour en ce qui concerne la prescription de la créance des consortsI..., conclut à ce que les demandes de ces derniers soient réduites à de plus justes proportions ou à ce qu'une expertise médicale soit ordonnée aux fins de déterminer le montant des préjudices dont l'indemnisation lui incombe et demande à être mis hors de cause pour ce qui concerne les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe.

Par un mémoire enregistré le 6 septembre 2016 l'Établissement français du sang, représenté par MeA..., conclut au rejet des conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de cette caisse au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il fait valoir qu'aucun des moyens développés par la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lemoine,

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,

- et les observations de Me Conte, avocat des consortsI....

1. Considérant que Brigitte Moussard, épouseI..., a subi deux interventions chirurgicales au centre hospitalier du Mans les 18 août 1978 et 26 janvier 1981 à l'occasion desquelles elle a fait l'objet de plusieurs transfusions sanguines ; qu'elle a été informée, en mars 1997, qu'elle était porteuse du virus de l'hépatite C ; qu'après plusieurs traitements sans succès, elle a subi le 12 octobre 2002, en raison d'un carcinome hépato-cellulaire, une transplantation hépatique réalisée au centre hospitalier universitaire de Rennes, puis a développé un diabète insulino-dépendant ; qu'elle est décédée le 29 avril 2004, à l'âge de 44 ans, de la récidive du carcinome opéré en 2002 ; qu'estimant que la contamination et le décès de Brigitte I...étaient imputables aux transfusions qu'elle avait reçues au centre hospitalier du Mans, les consorts I...ont obtenu, par une ordonnance du 4 mai 2005 du juge des référés du tribunal de grande instance du Mans, la désignation d'un expert qui, dans son rapport établi le 30 mars 2006, a conclu à l'origine vraisemblablement transfusionnelle de l'hépatite C dont Brigitte I...était atteinte ; que les intéressés ont présenté, le 27 septembre 2011, une demande d'indemnisation auprès de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux et des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) qui, par deux courriers de son directeur en date des 14 et 18 juin 2012, leur a opposé la prescription quadriennale ; que, saisi par les consortsI..., le tribunal administratif de Nantes a, par un jugement du 5 février 2016, rejeté leur demande tendant à ce que soit mise à la charge de l'ONIAM la somme totale de 306 754,96 euros en réparation des préjudices de Brigitte I...et de leurs préjudices propres ; que M. C...I...et sa fille, Mme G...I..., agissant tant en son nom propre qu'en qualité de représentante légale de son fils Jessy Sailly, relèvent appel de ce jugement et réitèrent en appel leurs demandes indemnitaires ; que la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe a, pour sa part, demandé à l'Établissement français du sang (EFS) de lui verser la somme de 85 239,08 euros correspondant aux débours exposés pour la prise en charge de son assurée ; qu'elle relève appel de ce même jugement par lequel le tribunal administratif de Nantes lui a également opposé la prescription quadriennale et demande en outre que soit mis à la charge de l'Établissement français du sang la somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

Sur la prescription :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1142-28 du code de la santé publique désormais applicable : " (...) les demandes d'indemnisation formées devant l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales en application du II de l'article L. 1142-1 et des articles L. 1221-14, L. 3111-9, L. 3122-1 et L. 3131-4 se prescrivent par dix ans à compter de la consolidation du dommage " ; qu'aux termes du II de l'article 188 de la loi du 26 janvier 2016, ces dispositions s'appliquent " lorsque le délai de prescription n'était pas expiré à la date de publication de la présente loi. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé. / Toutefois, lorsqu'aucune décision de justice irrévocable n'a été rendue, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales applique le délai prévu au I aux demandes d'indemnisation présentées devant lui à compter du 1er janvier 2006. Dans ce cas, il ne peut engager d'action subrogatoire ou récursoire à raison de droits qui, en application du premier alinéa du présent II, étaient prescrits à la date de publication de la présente loi. " ;

3. Considérant qu'ainsi qu'il a été rappelé au point 1, Brigitte I...est décédée le 29 avril 2004 ; que cette date constitue, en l'espèce, celle du point de départ du décompte du délai de prescription ; que ses ayants droit ont saisi l'ONIAM le 27 septembre 2011 d'une demande portant sur l'une des indemnisations énumérées à l'article L. 1142-28 du code de la santé publique ; qu'en l'absence d'une décision de justice irrévocable à la date du 27 janvier 2016 de publication de la loi du 26 janvier 2016, le délai de prescription applicable en l'espèce se trouve ainsi être, non pas le délai de quatre ans prévu par la loi du 31 décembre 1968 mais le délai de dix ans introduit par les dispositions citées au point 2 ; que, ce délai courant à compter de la date de consolidation du dommage ou de la date du décès, l'action introduite par les consorts I...n'était pas prescrite à la date à laquelle elle a été engagée ; que c'est, dès lors, à tort que le tribunal administratif a estimé que l'ONIAM était fondé à leur opposer la prescription quadriennale de leur créance ;

4. Considérant qu'il y a lieu pour la cour, statuant dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner le bien-fondé des conclusions présentées par les consorts I...devant le tribunal et devant la cour ;

Sur l'obligation de l'ONIAM :

5. Considérant que l'ONIAM ne conteste pas, dans la présente instance, l'origine transfusionnelle de la contamination de Brigitte I...par le VHC ; qu'ainsi son obligation à l'égard des consorts I...doit être regardée comme établie ;

Sur les préjudices des consorts I...:

6. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment des constats opérés au cours de l'expertise ordonnée en 2005 par le juge judiciaire, que BrigitteI..., consommatrice habituelle d'alcool, a continué à en consommer, fût-ce de façon modérée, jusqu'au mois de novembre 2001, date à partir de laquelle un sevrage à cette addiction est mentionné, et ce malgré l'apparition de l'hépatite C et de la cirrhose mise en évidence lors d'une hospitalisation le 21 mars 1997 et les trois tentatives thérapeutiques vaines par interféron et Ribavirine et jusqu'à la découverte du carcinome hépato-cellulaire diagnostiqué en novembre 2001 ; que l'expert conclut que la cirrhose et le carcinome à l'origine du décès de Brigitte I...présentaient une causalité mixte, virale et éthylique ; que ces éléments sont de nature à justifier que le montant de l'indemnité à laquelle les consorts I...peuvent prétendre soit réduit, pour certains des préjudices et notamment ceux résultant du décès de BrigitteI..., à hauteur de 50 % du fait du comportement de celle-ci, qui ne pouvait ignorer que l'absorption d'alcool constituait un facteur favorisant l'évolution péjorative et cirrhotique de la maladie ;

En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial :

7. Considérant qu'il n'y a pas lieu pour l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales d'indemniser les consorts I...de la somme de 29,40 euros restée à leur charge au titre de frais de télévision et de téléphone liés à des séjours hospitaliers de BrigitteI..., dès lors que ces frais ne sont pas des dépenses de santé liées à la contamination par le virus de l'hépatite C ;

8. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment de l'avis d'impôt sur le revenu du couple pour l'année 2003 et de l'attestation de débours de la caisse primaire d'assurance maladie, qu'avant son décès survenu le 29 avril 2004 Mme H...I...a travaillé à mi-temps du 9 novembre 1998 au 21 août 2002 et a été placée en arrêt de travail de manière quasi continue à compter du 6 décembre 2001, date à partir de laquelle elle a perçu des indemnités journalières ; qu'ainsi, compte tenu d'un revenu mensuel moyen de 600 euros net par mois, l'intéressée pouvait prétendre percevoir la somme de 17 600 euros pour la période comprise entre le 6 décembre 2001 et le 29 avril 2004 ; que Brigitte I...a perçu durant cette période la somme de 13 230,47 euros au titre des indemnités journalières versées par la CPAM ; que le couple a ainsi subi une perte de revenus de 4 370 euros ; que toutefois les arrêts de travail en cause sont liés à la cirrhose mixte, dont la moitié seulement est en lien direct avec la contamination par le virus de l'hépatite C ; qu'ainsi la part de cette somme devant être mise à la charge de l'office doit être réduite de moitié, soit 2 185 euros ; que, pour la période postérieure au décès de Mme H...I..., il y a lieu, compte tenu des éléments rappelés ci-dessus, de déterminer les revenus du foyer à hauteur de 22 225 euros ; que la part des dépenses personnelles de Brigitte I...doit être évaluée à 40 % de ce montant, compte tenu de la composition de la famille et de la faiblesse des revenus du couple, soit 8 890 euros par an ; que, du revenu disponible pour la famille de 13 335 euros en résultant doivent être déduits les salaires perçus par M. I...pour un montant annuel de 15 025 euros compte tenu des avis d'imposition versés au dossier à compter de 2003 ; qu'il suit de là que M. I...n'a subi aucune perte de revenus résultant pour lui du décès de son épouse ; que le préjudice économique total des consorts I...s'établit en conséquence à la somme de 2 185 euros ;

9. Considérant, en revanche, que les consorts I...sont fondés à obtenir le remboursement des frais de communication du dossier médical de Brigitte I...à hauteur de 106,60 euros, dès lors que cette communication leur a été utile pour faire valoir leurs droits ;

En ce qui concerne les préjudices personnels de Brigitte I...:

10. Considérant, en premier lieu, que les consorts I...sont fondés à obtenir l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire total subi par Brigitte I...au titre de ses périodes d'hospitalisation du 12 octobre au 10 décembre 2002 puis du 31 mars au 29 avril 2004, soit trois mois, à hauteur de 1 500 euros sur la base de 500 euros par mois ; que toutefois ces hospitalisations sont, là encore, en lien avec la cirrhose mixte, dont la moitié seulement est imputable à la contamination par le virus de l'hépatite C ; qu'ainsi la part de cette somme devant être mise à la charge de l'office doit être réduite de moitié ; qu'en revanche, le déficit fonctionnel temporaire partiel résultant des traitements antiviraux pour la période totale de 21 mois correspondant au mois de décembre 2001 plus les vingt mois de la période comprise entre le 21 août 2002 et le décès de la victime le 29 avril 2004 doit être indemnisé en totalité par l'ONIAM, par l'allocation de la somme de 12 000 euros ; qu'il en résulte que le montant de l'indemnisation due par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales au titre du déficit fonctionnel temporaire de Brigitte I...s'élève à 12 750 euros ;

11. Considérant, en deuxième lieu, que si l'expert mandaté par le tribunal de grande instance n'a pas évalué les souffrances endurées par BrigitteI..., il est constant que celle-ci a souffert d'une asthénie chronique et a dû subir des traitements contre le virus de l'hépatite C ; qu'à cet égard, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales admet que les souffrances endurées se sont élevées à 5,5 sur une échelle de 7 pour les souffrances strictement imputables à la contamination par le virus de l'hépatite C ; qu'il y a lieu, par suite, de mettre à la charge de l'office la somme de 20 000 euros à ce titre ;

En ce qui concerne les préjudices personnels des proches de Brigitte I...:

12. Considérant que les dispositions de l'article L. 1142-22 du code de la santé publique, qui mettent à la charge de l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, l'indemnisation des victimes des dommages résultant notamment de la contamination par le virus de l'hépatite C, ne font pas obstacle à ce que les victimes indirectes de cette contamination puissent également être indemnisées au titre de la solidarité nationale ;

13. Considérant que M. I...a subi un préjudice d'accompagnement et des troubles dans ses conditions d'existence du fait de la contamination de son épouse par le virus de l'hépatite C et de la dégradation de son état de santé, préjudices qui peuvent être évalués à la somme de 6 500 euros, qui doit rester intégralement à la charge de la solidarité nationale ; qu'il y a également lieu de lui accorder la somme de 25 000 euros au titre du préjudice d'affection subi du fait du décès de son épouse ; qu'en revanche, compte tenu du partage d'imputabilité opéré au point 6, la somme devant être mise à la charge de l'ONIAM au titre de ce dernier préjudice s'élève à 12 500 euros ;

14. Considérant que la fille de BrigitteI..., qui était majeure et vivait en dehors du foyer, peut se prévaloir d'un préjudice d'affection du fait de la disparition prématurée de sa mère, qu'il y a lieu de fixer à 6 500 euros ; que son propre fils peut également se prévaloir d'un préjudice analogue s'agissant de la disparition de sa grand-mère, qu'il y a lieu de fixer à 4 000 euros ; que les sommes respectives de 3 250 euros et de 2 000 euros seront mises à la charge de l'ONIAM à ce titre du fait du partage d'imputabilité opéré au point 6 ;

Sur les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie dirigées contre l'Établissement français du sang :

15. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique applicable à tous les litiges nés, comme en l'espèce, postérieurement au 1er juin 2010 : " Les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l'hépatite B ou C ou le virus T-lymphotropique humain causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang réalisée sur les territoires auxquels s'applique le présent chapitre sont indemnisées au titre de la solidarité nationale par l'office mentionné à l'article L. 1142-22 dans les conditions prévues à la seconde phrase du troisième alinéa de l'article L. 3122-1, aux deuxième et troisième alinéas de l'article L. 3122-2, au premier alinéa de l'article L. 3122-3 et à l'article L. 3122-4, à l'exception de la seconde phrase du premier alinéa. (...) L'office et les tiers payeurs ne peuvent exercer d'action subrogatoire contre l'Établissement français du sang, venu aux droits et obligations des structures mentionnées à l'avant-dernier alinéa, si l'établissement de transfusion sanguine n'est pas assuré, si sa couverture d'assurance est épuisée ou encore dans le cas où le délai de validité de sa couverture est expiré. " ; qu'il résulte de ces dispositions que, même en l'absence de faute, les tiers payeurs sont en droit d'exercer à l'encontre de l'EFS une action subrogatoire à hauteur des sommes versées à la victime d'une contamination par le VHC, sauf pour cet établissement à établir que les conditions relatives à sa couverture d'assurance visées au dernier alinéa de l'article précité sont remplies et font, par voie de conséquence, obstacle à un tel recours ; qu'eu égard à l'intérêt qui s'attache, en vue d'une bonne administration de la justice, à ce que les droits de la victime et du tiers payeur subrogé dans ses droits soient déterminés dans le même cadre procédural, au vu notamment d'une même appréciation de l'imputabilité de la contamination en cause à la transfusion de produits sanguins ou à l'injection de médicaments dérivés du sang, l'action qu'une personne porteuse du virus de l'hépatite C engage pour être indemnisée par l'ONIAM en application de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique au motif qu'elle aurait été contaminée par des produits sanguins ou par des médicaments dérivés du sang, d'une part, et l'action engagée par le tiers payeur qui lui a versé des prestations contre l'EFS pris en sa qualité d'auteur du dommage, d'autre part, ne constituent pas des litiges distincts, alors même que ces deux actions ne sont pas dirigées contre la même personne ; qu'ainsi, la caisse primaire d'assurance maladie jouissant des mêmes droits à indemnisation que la victime elle-même dans les droits de laquelle elle est subrogée en vertu de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, il ne peut lui être opposé un délai de prescription différent de celui qui s'applique à son assuré ; qu'il suit de là que l'Établissement français du sang n'est pas fondé à soutenir que l'action de la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe serait prescrite par application de la prescription quadriennale prévue à l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 ;

16. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment de l'enquête transfusionnelle réalisée dans le cadre de l'expertise ordonnée par le tribunal de grande instance du Mans en 2005, que l'origine transfusionnelle de la contamination de Brigitte I...par le VHC par des produits en provenance du centre de transfusion sanguine du Mans est établie ; que l'Établissement français du sang, qui a repris ce centre de transfusion sanguine, n'établit pas, ainsi que cela lui incombe, ni même ne soutient, que ce centre n'était pas assuré, que sa couverture d'assurance serait épuisée ou encore que le délai de validité de cette couverture serait expiré ; que la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe est, par suite, fondée, par la voie de l'action subrogatoire, à demander à l'EFS le remboursement des débours qu'elle a exposés du fait de la contamination de Brigitte I...par le virus de l'hépatite C ;

17. Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe justifie d'un montant de débours engagés pour le compte de son assurée à hauteur de 132 082,43 euros ; que, cependant, en l'absence de ventilation de ces frais de traitement, d'hospitalisation et d'indemnités journalières entre les dépenses résultant soit de la contamination par le VHC soit des autres pathologies ayant conduit au décès de BrigitteI..., l'attestation du médecin-conseil de la caisse n'étant pas circonstanciée sur ce point, et alors que l'Établissement français du sang a expressément indiqué qu'il ne pouvait être redevable que de la moitié des débours réclamés par la caisse en raison de l'imputabilité mixte des préjudices, il n'y a lieu de mettre à la charge de l'Établissement français du sang que la moitié de la somme demandée par la caisse, soit 66 041 euros ; que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 6 janvier 2015 ;

18. Considérant, par ailleurs, qu'il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, de mettre à la charge de l'Établissement français du sang le versement à la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe de la somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

19. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les consorts I...sont fondés à demander l'annulation du jugement attaqué du tribunal administratif de Nantes et à obtenir la condamnation de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à leur verser la somme de 59 291,60 euros ; que la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe est, pour sa part, fondée à obtenir que l'Établissement français du sang soit condamné à lui verser la somme de 66 041 euros au titre des débours engagés pour Brigitte I...et la somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

20. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que l'Établissement français du sang demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par les consorts I...et non compris dans les dépens ; qu'il y a également lieu de mettre à la charge de l'Établissement français du sang une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1207970 du tribunal administratif de Nantes du 5 février 2016 est annulé.

Article 2 : L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales est condamné à verser aux consorts I...la somme de 59 291,60 euros.

Article 3 : L'Établissement français du sang est condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe la somme de 66 041 euros, assortie des intérêts à compter du 6 janvier 2015, ainsi que la somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Article 4 : L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales versera aux consorts I...la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. L'Établissement français du sang versera à la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe la somme de 1 500 euros au titre des mêmes dispositions.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête et des conclusions de la CPAM de la Sarthe, ainsi que les conclusions de l'Établissement français du sang tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...I..., à Mme G...I..., à Jessy Sailly, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, à la caisse primaire d'assurance maladie de la Sarthe et à l'Établissement français du sang.

Délibéré après l'audience du 8 février 2018 à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président de chambre,

- M. Coiffet, président-assesseur,

- M. Lemoine, premier conseiller.

Lu en audience publique le 23 février 2018.

Le rapporteur,

F. Lemoine

Le président,

I. Perrot

Le greffier,

M. F...

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 16NT01146


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 16NT01146
Date de la décision : 23/02/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Comptabilité publique et budget - Dettes des collectivités publiques - Prescription quadriennale - Régime de la loi du 31 décembre 1968 - Champ d'application.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Modalités de la réparation - Solidarité.

Responsabilité de la puissance publique - Recours ouverts aux débiteurs de l'indemnité - aux assureurs de la victime et aux caisses de sécurité sociale - Action récursoire.

Responsabilité de la puissance publique - Recours ouverts aux débiteurs de l'indemnité - aux assureurs de la victime et aux caisses de sécurité sociale - Subrogation.

Responsabilité de la puissance publique - Recours ouverts aux débiteurs de l'indemnité - aux assureurs de la victime et aux caisses de sécurité sociale - Droits des caisses de sécurité sociale - Imputation des droits à remboursement de la caisse - Article L - 376-1 (ancien art - L - 397) du code de la sécurité sociale.

Santé publique - Bioéthique - Dons du sang.


Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: M. François LEMOINE
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : CABINET PIGEAU MEMIN CONTE MURILLO

Origine de la décision
Date de l'import : 06/03/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2018-02-23;16nt01146 ?
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