Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A...D...a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à l'indemniser, à hauteur de 21 500 euros, des préjudices résultant de sa contamination par transfusion sanguine au virus de l'hépatite C.
Par un jugement n° 1103742 du 5 janvier 2016, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 4 mars 2016, 9 mars 2017 et 6 février 2018 M.D..., représenté par MeC..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 5 janvier 2016 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de condamner l'ONIAM à lui verser la somme totale de 53 080 euros en réparation des préjudices qu'il a subis du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C ;
3°) de mettre à la charge de l'Office la somme de 5 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les dispositions de l'article L. 1142-28 du code de la santé publique prévoient une prescription décennale de sorte que son action n'était pas prescrite ;
- du fait de son hémophilie de type B, il a reçu de nombreuses transfusions sanguines dans les années 1980 qui sont à l'origine de sa contamination par le virus de l'hépatite C ; le lien de causalité entre ces transfusions et la contamination est certain ; l'ONIAM est donc tenu à son égard au titre de la solidarité nationale ;
- il évalue l'aide humaine qui lui a été apportée par son épouse à 9 000 euros, son préjudice scolaire à 5 000 euros, son déficit fonctionnel temporaire à 20 000 euros, les souffrances endurées à 15 000 euros, son préjudice d'agrément à 3 000 euros, son préjudice esthétique temporaire à 4 000 euros, et son déficit fonctionnel permanent à 3 000 euros.
Par un mémoire enregistré le 6 septembre 2016 la caisse primaire d'assurance maladie de Maine-et-Loire, représentée par MeF..., conclut à la condamnation de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à lui verser la somme de 26 401,24 euros, en remboursement des débours exposés pour son assuré, M.D..., somme augmentée des intérêts au taux légal à compter du 1er août 2010, les intérêts étant eux-mêmes capitalisés, à la condamnation de cet établissement à lui verser la somme de 1 047 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, et à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de cet établissement au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- son action n'est pas prescrite ;
- l'origine transfusionnelle de la contamination de M. D...au virus de l'hépatite C est établie ;
- elle justifie de ses débours.
Par un mémoire en défense enregistré le 2 novembre 2016 l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux des affections iatrogènes, représenté par MeB..., s'en rapporte à la sagesse de la cour en ce qui concerne l'imputabilité de la contamination par le VHC, conclut à ce que les demandes de M. D...soient réduites à de plus justes proportions et au rejet des conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie.
Il fait valoir que :
- il est admis que la créance de M. D...n'est pas prescrite et ni la matérialité des transfusions sanguines, ni l'imputabilité de la contamination au virus de l'hépatite C de M. D... par ces transfusions ne sont contestables ;
- le référentiel de l'indemnisation des préjudices qu'il a adopté doit conduire la cour à réduire les demandes de M. D...à de plus justes proportions ;
- les tiers payeurs ne peuvent engager à son encontre de recours subrogatoire dès lors qu'il indemnise M. D...au titre de la solidarité nationale.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur deux moyens relevés d'office tiré de ce que les conclusions de M. D...au-delà de la somme de 21 500 euros demandée en première instance sont nouvelles en appel et, par suite, irrecevables et de ce que les conclusions de la CPAM du Maine-et-Loire dirigées contre l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ne sont pas recevables.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 ;
- la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 ;
- la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Lemoine,
- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,
- et les observations de Me Baudoin, avocat de M.D....
1. Considérant que M.D..., né le 18 septembre 1976, atteint d'une hémophilie B sévère ayant rendu nécessaire l'administration régulière de produits sanguins en grande quantité depuis son enfance, a été identifié comme porteur du virus de l'hépatite C le 17 avril 1990 ; qu'à la suite de deux séries de traitement du 5 juillet 1993 au 8 juillet 1994 puis du 23 août 2001 au 23 juillet 2002, la guérison de l'intéressé a été constatée au 24 février 2003 ; qu'estimant que cette contamination était imputable aux transfusions de produits sanguins reçues par lui, M. D... a formé le 1er août 2010 une demande d'indemnisation auprès de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, qui a explicitement rejeté cette demande le 16 février 2011 en opposant la prescription quadriennale ; que M.D..., agissant seul, a saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à la condamnation de cet établissement à l'indemniser des préjudices subis du fait de la contamination litigieuse à hauteur de 21 500 euros ; que, par un jugement du 5 janvier 2016 dont il relève appel, le tribunal administratif de Nantes a rejeté les prétentions indemnitaires de M. D... en lui opposant la prescription quadriennale ; que l'intéressé réitère ses conclusions devant la cour en les portant à 53 080 euros ; que la caisse primaire d'assurance maladie de Maine-et-Loire demande que l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales soit condamné à lui verser la somme de 26 401,24 euros correspondant aux débours qu'elle a exposés pour la prise en charge de son assuré, ainsi que la somme de 1 047 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion ;
Sur la recevabilité des conclusions présentées en appel par M. D...:
2. Considérant que les conclusions présentées en appel par M.D..., pour un montant total fixé en dernier lieu à 53 080 euros, excèdent le montant de 21 500 euros avancé en première instance ; qu'il est constant que M. D...a été déclaré guéri en 2003 ; que ces conclusions nouvelles en appel, qui ne sont pas justifiées par une évolution du préjudice postérieure au jugement attaqué, sont dans cette mesure irrecevables ;
Sur la recevabilité des conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de Maine-et-Loire :
3. Considérant que le I de l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009 a introduit dans le code de la santé publique un article L. 1221-14 qui confie à l'ONIAM l'indemnisation, au titre de la solidarité nationale, des victimes de préjudices résultant d'une contamination par le VHC causée par une transfusion de produits sanguins ou par une injection de médicaments dérivés du sang ; que le IV du même article 67 prévoit que l'ONIAM est substitué à l'EFS, à la date d'entrée en vigueur de cette loi, dans les contentieux en cours portant sur les préjudices mentionnés à l'article L. 1221-14 du code de la santé publique et n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable ; que le I de l'article 72 de la loi du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013 a complété cet article par une disposition prévoyant que l'office et les tiers payeurs peuvent, après avoir indemnisé la victime, exercer une action subrogatoire contre l'EFS venu aux droits et obligations des établissements de transfusion sanguine à la condition que l'établissement de transfusion sanguine ait été assuré et que sa couverture d'assurance ne soit pas épuisée ou venue à expiration ; que l'ensemble de ces dispositions est entré en vigueur le 1er juin 2010 ;
4. Considérant que si, en vertu des dispositions rappelées au point 3, l'ONIAM s'est trouvé, s'agissant des litiges en cours au 1er juin 2010, substitué à l'EFS à l'égard tant des victimes que des tiers payeurs, tel n'est pas le cas pour les litiges nés postérieurement à cette date ; qu'il résulte de l'instruction que l'action de M. D...et celle de la caisse primaire d'assurance maladie de Maine-et-Loire ont été engagées respectivement les 15 avril 2011 et 30 juin 2015 ; que, par suite, les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de Maine-et-Loire en tant qu'elle sont dirigées contre l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales ne sont pas recevables et doivent être rejetées ;
Sur la prescription :
5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1142-28 du code de la santé publique : " (...) les demandes d'indemnisation formées devant l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales en application du II de l'article L. 1142-1 et des articles L. 1221-14, L. 3111-9, L. 3122-1 et L. 3131-4 se prescrivent par dix ans à compter de la consolidation du dommage " ; qu'aux termes du II de l'article 188 de la loi du 26 janvier 2016, ces dispositions s'appliquent " lorsque le délai de prescription n'était pas expiré à la date de publication de la présente loi. Il est alors tenu compte du délai déjà écoulé. / Toutefois, lorsqu'aucune décision de justice irrévocable n'a été rendue, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales applique le délai prévu au I aux demandes d'indemnisation présentées devant lui à compter du 1er janvier 2006. Dans ce cas, il ne peut engager d'action subrogatoire ou récursoire à raison de droits qui, en application du premier alinéa du présent II, étaient prescrits à la date de publication de la présente loi. " ;
6. Considérant qu'ainsi qu'il a été rappelé au point 1 la guérison de M. D...a été fixée au 24 février 2003 ; que cette date constitue, en l'espèce, celle du point de départ du décompte du délai de prescription ; que M. D...a saisi l'ONIAM le 1er août 2010 d'une demande portant sur l'une des indemnisations énumérées à l'article L. 1142-28 du code de la santé publique ; qu'en l'absence d'une décision de justice irrévocable à la date du 27 janvier 2016 de publication de la loi du 26 janvier 2016, le délai de prescription applicable en l'espèce se trouve ainsi être, non pas le délai de quatre ans prévu par la loi du 31 décembre 1968 mais le délai de dix ans introduit par les dispositions citées au point 5 ; que, ce délai courant à compter de la date de consolidation du dommage, de la guérison ou de la date du décès, l'action introduite par M. D...n'était, en vertu des dispositions législatives entrées en vigueur postérieurement à la lecture du jugement attaqué, pas prescrite à la date à laquelle elle a été engagée ; que c'est, dès lors, à tort que le tribunal administratif a estimé que l'ONIAM était fondé à lui opposer la prescription quadriennale de sa créance ;
7. Considérant qu'il y a lieu pour la cour, statuant dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner le bien-fondé des conclusions présentées par M. D...devant le tribunal et devant la cour ;
Sur l'obligation de l'ONIAM :
8. Considérant que l'ONIAM ne conteste pas, dans la présente instance, l'origine transfusionnelle de la contamination de M. D...par le VHC ; qu'ainsi son obligation à l'égard de celui-ci doit être regardée comme établie dès lors en particulier que l'enquête transfusionnelle n'a pas été en mesure d'écarter la responsabilité du centre de transfusion sanguine du Mans dans la contamination par ce virus ;
Sur l'évaluation des préjudices :
En ce qui concerne les préjudices à caractère patrimonial :
9. Considérant qu'en se bornant à produire une attestation de son épouse indiquant qu'il était incapable d'assurer les tâches du quotidien entre le 23 août 2001 et le 23 juillet 2002, l'intéressé ne démontre pas que sa demande, au demeurant non justifiée, tendant à l'indemnisation spécifique de l'aide apportée par elle aurait eu pour objet de compenser le handicap dont il était atteint du fait de l'asthénie liée au traitement de l'hépatite C qu'il a reçu durant la même période ;
10. Considérant qu'il est constant que M. D...a subi une première série de traitements du 5 juillet 1993 au 8 juillet 1994, période durant laquelle il était scolarisé en classe de première scientifique ; qu'il résulte de l'instruction que ses résultats scolaires se sont lentement dégradés durant l'année puis l'année suivante en terminale scientifique, conduisant à son redoublement ; qu'eu égard aux lourdes conséquences de ces traitements sur l'état de santé de M. D..., et quand bien même ces conséquences ne seraient pas exclusivement responsables de la baisse du niveau scolaire de l'intéressé et de son redoublement, il y a lieu de mettre à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales la somme de 5 000 euros au titre de l'incidence scolaire et professionnelle ;
En ce qui concerne les préjudices personnels :
11. Considérant, en premier lieu, que M. D...n'a pas été hospitalisé durant les périodes au cours desquelles il a reçu les traitements antiviraux, du 5 juillet 1993 au 8 juillet 1994, puis du 23 août 2001 au 23 juillet 2002 ; qu'il a cependant souffert des effets secondaires importants de ces traitements durant 23 mois ; qu'il y a lieu d'évaluer le déficit fonctionnel temporaire de 50 % durant ces deux périodes et les troubles de toute nature dans les conditions d'existence subis par l'intéressé à la somme totale de 6 000 euros ;
12. Considérant, en deuxième lieu, que pendant la période de 13 ans qui s'est écoulée entre la découverte de sa contamination et sa guérison M. D...a suivi deux longues périodes de traitements d'une durée totale de 23 mois et enduré des souffrances physiques et psychiques, incluant les sentiments de rejet et d'isolement dont il fait état, dont il sera fait une juste appréciation en les évaluant à la somme de 10 000 euros ;
13. Considérant, en troisième lieu, que les deux traitements subis par M. D...ont générés, notamment, un prurit des avant-bras, des éruptions cutanées, et une perte des cheveux ; que, par suite, il y a lieu de fixer à la somme de 500 euros l'indemnité due au titre de son préjudice esthétique temporaire ; qu'en, revanche, l'intéressé ne produit aucun élément de nature à établir qu'il pratiquait avant l'annonce de sa contamination des activités sportives ou de loisir qu'il aurait été contraint d'abandonner du fait de sa maladie ; que, par suite, sa demande présentée au titre du préjudice d'agrément doit être rejetée ;
14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. D...est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué du tribunal administratif de Nantes et la condamnation de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales à lui verser la somme de 21 500 euros ; que les conclusions présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de Maine-et-Loire au titre de ses débours, de même que celles présentées au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, doivent être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales la somme que la caisse primaire d'assurance maladie de Maine-et-Loire demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de l'office une somme de 1 500 euros à verser à M. D...au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er: L'article 1er du jugement n°1103742 du tribunal administratif de Nantes du 5 janvier 2016 est annulé.
Article 2 : L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales est condamné à verser à M. D...la somme de 21 500 euros.
Article 3 : Les conclusions présentées devant la cour par la caisse primaire d'assurance maladie de Maine-et-Loire sont rejetées.
Article 4 : L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales versera à M. D...une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...D..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie de Maine-et-Loire.
Délibéré après l'audience du 8 février 2018 à laquelle siégeaient :
- Mme Perrot, président de chambre,
- M. Coiffet, président-assesseur,
- M. Lemoine, premier conseiller.
Lu en audience publique le 23 février 2018.
Le rapporteur,
F. Lemoine
Le président,
I. Perrot
Le greffier,
M. E...
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 16NT00769