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21/12/2017 | FRANCE | N°16NT00964

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 1ère chambre, 21 décembre 2017, 16NT00964


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Shaper's France a demandé au tribunal administratif de Nantes de prononcer la décharge, en droits et intérêts de retard, des cotisations supplémentaires de taxe professionnelle auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2006 et 2007.

Par un jugement no 1310050 du 29 janvier 2016, le tribunal administratif de Nantes a déchargé la société de la cotisation supplémentaire de taxe professionnelle à laquelle elle a été assujettie au titre de l'

année 2007 à concurrence d'une somme de 103 601 euros et rejeté le surplus des conclusi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société par actions simplifiée (SAS) Shaper's France a demandé au tribunal administratif de Nantes de prononcer la décharge, en droits et intérêts de retard, des cotisations supplémentaires de taxe professionnelle auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2006 et 2007.

Par un jugement no 1310050 du 29 janvier 2016, le tribunal administratif de Nantes a déchargé la société de la cotisation supplémentaire de taxe professionnelle à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2007 à concurrence d'une somme de 103 601 euros et rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 21 mars 2016, 3 janvier et 6 juin 2017, la SAS Shaper's France, représentée par MeA..., demande à la cour :

1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Nantes ;

2°) à titre principal, de prononcer la décharge, en droits et intérêts de retard, des cotisations supplémentaires de taxe professionnelle auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2006 et 2007 restant en litige ;

3°) à titre subsidiaire, de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire de taxe professionnelle à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2006 à concurrence d'une somme de 39 142 euros, de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire de taxe professionnelle à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2007 à concurrence d'une somme supplémentaire de 117 545 euros, ou, en tout état de cause, de prononcer la décharge de cette cotisation à hauteur d'une somme de 127 603 euros et non de 103 601 euros ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les premiers juges ont omis de répondre, d'une part, au moyen selon lequel les dispositions du III bis de l'article 1464 B du CGI ne satisfont pas, dans leur rédaction alors applicable, aux obligations d'information des entreprises posées par la règlementation communautaire, d'autre part, au moyen par lequel la société demandait l'application du plafonnement en fonction de la valeur ajoutée avant la limitation de l'exonération prévue en faveur de la reprise d'entreprises en difficulté ;

- elle avait une espérance légitime d'obtenir l'exonération fiscale prévue par l'article 1464 B du code général des impôts et se prévaut de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'Etat français n'a pas donné une correcte information sur l'application de la règle dite " de minimis " relative à l'article 1464 B du code général des impôts en méconnaissance du considérant 8 et des articles 3 et 4 du règlement (CE) n° 69/2001 du 12 janvier 2001 et de la circulaire du 26 janvier 2006 relative à l'application au plan local des règles communautaires de concurrence relatives aux aides publiques aux entreprises ;

- à titre subsidiaire, le plafonnement de la taxe professionnelle en fonction de la valeur ajoutée de l'article 1647 B du code général des impôts doit être appliqué avant l'exonération limitée par l'application de la règle dite " de minimis " ; ainsi, si l'administration est fondée à demander le reversement des aides qui ont été accordées, l'application du plafonnement avant l'exonération de l'article 1464 B du code général des impôts conduit à prononcer une décharge d'imposition à hauteur de 39 142 euros au titre de l'année 2006 et une décharge supplémentaire d'imposition de 117 545 euros au titre de l'année 2007 ;

- à titre subsidiaire, le plafonnement en fonction de la valeur ajoutée appliqué après l'exonération limitée par l'application de la règle dite " de minimis " admis par les premiers juges comporte une erreur dès lors qu'il a été calculé en appliquant un taux de 3,8 % à la valeur ajoutée au lieu du taux de 3,5 % qui s'appliquait à toutes les entreprises en 2007 ; elle demande alors un dégrèvement complémentaire de taxe professionnelle de 24 002 euros au titre de l'année 2007 ;

- à titre subsidiaire, les intérêts de retard ne sont pas exigibles en l'absence d'insuffisance des bases d'imposition ou des éléments qu'elle a déclarés et dès lors que c'est l'administration qui a commis une erreur dans la liquidation de l'imposition ; l'administration a ainsi méconnu le 2 du II de l'article 1727 du code général des impôts ; elle se prévaut du point 30 de la documentation de base 13 N-1-07, repris au point 30 du BOI CF INF 10-10-10 du 12 septembre 2012 ; par ailleurs, l'administration a méconnu le 2 bis du II du même article dès lors que, par courrier du 23 décembre 2005, accompagnant la déclaration de taxe professionnelle pour l'année 2006, elle a présenté sa situation et demandait confirmation du bien-fondé de sa demande.

Par trois mémoires en défense, enregistrés les 22 juillet 2016, 31 mars 2017 et 10 août 2017, le ministre chargé des finances demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de la SAS Shapers'France ;

2°) par la voie de l'appel incident, d'annuler l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Nantes du 29 janvier 2016 et de rétablir, en droits et pénalités, la cotisation supplémentaire de taxe professionnelle à concurrence du dégrèvement prononcé en exécution de ce jugement, soit la somme de 103 601 euros, au titre de l'année 2007.

Il fait valoir que :

- le dégrèvement accordé par les premiers juges en application du plafonnement en fonction de la valeur ajoutée n'est pas intervenu à la suite d'une réclamation présentée sous les conditions de formes et de délais prévues par le livre des procédures fiscales ; en effet, la société n'a à aucun moment déposé de demande de restitution dans le respect des prescriptions de l'article 1647 B sexies du code général des impôts et dans les conditions applicables en matière de taxe professionnelle prévues à l'article R. 196-2 du livre des procédures fiscales ou, le cas échéant, à l'article R. 196-3 du même livre ; que le délai de reprise prévu par les dispositions de l'article R. 196-3 du livre des procédures fiscales expirait le 31 décembre 2011 ; que le délai général de réclamation de la demande de plafonnement en fonction de la valeur ajoutée de la cotisation supplémentaire de l'année 2007 expirait le 31 décembre 2012 ;

- les autres moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (CE) n° 69/2001 de la Commission du 12 janvier 2001 concernant l'application des articles 87 et 88 du traité CE aux aides de minimis ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et notamment l'article 1er de son premier protocole additionnel ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Chollet,

- les conclusions de M. Jouno, rapporteur public,

- et les observations de Me A...pour la SAS Shaper's France.

1. Considérant que la société par action simplifiée (SAS) Arrk Tooling Sermo France, devenue société Shaper's France, qui exerce une activité industrielle de fabrication de moules pour le secteur automobile, a été constituée le 20 avril 2005 pour reprendre trois entreprises en redressement judiciaire ; qu'elle a bénéficié au titre des années 2006 et 2007 de l'exonération temporaire de taxe professionnelle prévue par les dispositions de l'article 1464 B du code général des impôts au titre de la reprise d'établissements en difficulté ; qu'à l'issue d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2005 au 30 novembre 2007, l'administration a remis partiellement en cause cette exonération dans la mesure où elle dépassait les plafonds prévus par la réglementation communautaire relative aux aides dites " de minimis " ; que les montants exonérés ont ainsi été limités à la somme de 200 000 euros pour les années 2006 et 2007 ; que le service a procédé à des rappels de taxe professionnelle d'un montant, en droits et intérêts de retard, de 268 444 euros pour 2006 et 259 994 euros pour 2007 ; que la SAS Shaper's France relève appel du jugement du 29 janvier 2016 du tribunal administratif de Nantes et demande, à titre principal, que soit prononcée la décharge, en droits et intérêts de retard, des cotisations supplémentaires de taxe professionnelle auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2006 et 2007 restant en litige, et, à titre subsidiaire, que le jugement attaqué soit réformé en ce qu'il n'a ni prononcé la décharge de la cotisation supplémentaire de taxe professionnelle à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2006 à concurrence d'une somme de 39 142 euros, ni prononcé la décharge de la cotisation supplémentaire de taxe professionnelle à laquelle elle a été assujettie au titre de l'année 2007 à concurrence d'une somme supplémentaire de 117 545 euros, ou, en tout état de cause, en ce qu'il a prononcé la décharge de cette cotisation à hauteur d'une somme de 103 601 euros et non de 127 603 euros ; que le ministre chargé des finances demande à la cour de rejeter la requête de la SAS Shaper's France et, par la voie de l'appel incident, d'annuler l'article 1er du jugement du 29 janvier 2016 par lequel le tribunal administratif de Nantes a prononcé la décharge de la cotisation supplémentaire de taxe professionnelle à laquelle la SAS Shaper's France a été assujettie au titre de l'année 2007 à concurrence d'une somme de 103 601 euros ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant, en premier lieu, que contrairement à ce que soutient la SAS Shaper's France, le tribunal a, en indiquant dans son jugement que " la société requérante était informée que les exonérations dont elle a bénéficié sur le fondement de l'article 44 septies du code général des impôts en 2006 et en 2007 étaient soumises au respect des limites prévues par la réglementation des aides dites " de minimis ", en application, respectivement des règlements des 12 janvier 2001 et 15 décembre 2006 susvisés ", répondu au moyen selon lequel les dispositions du III bis de l'article 1464 B du code général des impôts ne satisfaisaient pas, dans leur rédaction alors applicable, aux obligations d'information des entreprises posées par la règlementation communautaire ;

3. Considérant, en second lieu, que, contrairement à ce que soutient la SAS Shaper's France, le tribunal a, en indiquant dans son jugement que " sans qu'y fasse obstacle la circonstance que le plafonnement de la taxe professionnelle en fonction de la valeur ajoutée s'applique après mise en oeuvre des exonérations, la limitation de l'aide que constitue l'avantage fiscal accordé à la société requérante en application de l'article 1464 B du code général des impôts porte sur la différence entre, d'une part, la taxe professionnelle brute, avant mise en oeuvre de l'exonération prévue par les dispositions précitées de l'article 1464 B du code général des impôts, le cas échéant plafonnée en fonction de la valeur ajoutée, et, d'autre part, la taxe professionnelle déterminée après application de cette exonération ", répondu au moyen tiré de ce que l'application du plafonnement en fonction de la valeur ajoutée doit se faire avant la limitation de l'exonération prévue en faveur de la reprise d'entreprises en difficulté ;

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne l'application du plafonnement en fonction de la valeur ajoutée :

4. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article R. 190-1 du livre des procédures fiscales : " Le contribuable qui désire contester tout ou partie d'un impôt qui le concerne doit d'abord adresser une réclamation au service territorial (...) de la direction générale des finances publiques (...) dont dépend le lieu de l'imposition. (...) Les entreprises mentionnées aux deuxième à septième alinéas du I de l'article 1649 quater B quater du code général des impôts adressent au service chargé des grandes entreprises l'ensemble des réclamations portant sur les impôts qui relèvent de sa compétence ainsi que sur les dégrèvements prévus aux articles (...) 1647 B sexies (...) quelle que soit la période sur laquelle portent ces réclamations. Toutefois, les réclamations portant sur une imposition dont l'assiette a été établie à l'initiative d'une direction départementale ou, le cas échéant, régionale des finances publiques, d'une direction spécialisée ou d'un autre service à compétence nationale sont adressées à cette direction ou à ce service. (...) " ;

5. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1647 B sexies du code général des impôts dans sa rédaction applicable aux années 2006 et 2007 : " I. Sur demande du redevable, la cotisation de taxe professionnelle de chaque entreprise est plafonnée en fonction de la valeur ajoutée produite au cours de l'année au titre de laquelle l'imposition est établie ou au cours du dernier exercice de douze mois clos au cours de cette même année lorsque cet exercice ne coïncide pas avec l'année civile. (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 174 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable : " Les omissions ou les erreurs concernant la taxe professionnelle peuvent être réparées par l'administration jusqu'à l'expiration de la troisième année suivant celle au titre de laquelle l'imposition est due. " ; qu'aux termes de l'article R. 196-2 du même livre : " Pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts directs locaux et aux taxes annexes, doivent être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de l'année suivant, selon le cas : a) L'année de mise en recouvrement du rôle ; (...) " ; que les cotisations supplémentaires de taxe professionnelle des années 2006 et 2007 ont été mises en recouvrement le 31 décembre 2011 ; qu'il résulte de ces dispositions qu'une demande de plafonnement en fonction de la valeur ajoutée au titre des années 2006 et 2007, qui revêt le caractère d'une réclamation contentieuse, devait être introduite par la SAS Shaper's France au plus tard le 31 décembre 2012 ;

6. Considérant que, pour prononcer une décharge de la cotisation supplémentaire de taxe professionnelle à laquelle la SAS Shaper's France a été assujettie au titre de l'année 2007 à concurrence d'une somme de 103 601 euros, le tribunal administratif de Nantes s'est fondé sur le motif tiré de ce que la société a sollicité par courrier du 10 février 2012, valant réclamation et régulièrement adressé au directeur de contrôle fiscal Ouest en application du 4ème alinéa de l'article R. 190-1 du livre des procédures fiscales, le bénéfice du plafonnement en fonction de la valeur ajoutée de la taxe professionnelle mise à sa charge au titre de l'année 2007 ; que, toutefois, il résulte de l'instruction que ce courrier ne comportait pas les éléments de calcul de la valeur ajoutée produite par la société et faisait état indifféremment des dispositions de l'article 1647 sexies et 1679 quinquies du code général des impôts ; qu'il n'avait pour objet, et selon ses termes " subsidiairement ", que de démontrer que la combinaison des modalités d'application du plafonnement en fonction de la valeur ajoutée et de la règle dite " de minimis " devait conduire à réduire très sensiblement les redressements notifiés puisque l'aide plafonnée " de minimis " devait être appréciée, selon la société requérante, non à partir du montant de la taxe professionnelle initiale mais à partir de la taxe professionnelle plafonnée en fonction de la valeur ajoutée ; que ce courrier ne pouvait dès lors tenir lieu de demande de plafonnement au sens de l'article 1647 B sexies du code général des impôts ;

7. Considérant, en outre, que le document cerfa n° 1327-TP (mention 2007), non daté, produit pour la première fois par la SAS Shaper's France devant le tribunal administratif de Nantes le 9 juin 2015, par lequel elle demande à bénéficier d'un dégrèvement évalué à 127 603 euros, ne vaut pas dépôt d'une réclamation au sens de l'article 1647 sexies du code général des impôts dans le respect des conditions de délais telles que rappelées au point 5 du présent arrêt ;

8. Considérant que, par suite, à défaut d'une demande régulière en ce sens, la SAS Shaper's France ne peut bénéficier d'un plafonnement en fonction de la valeur ajoutée pour ses cotisations de taxe professionnelle des années 2006 et 2007 ; que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes a prononcé une décharge de la cotisation supplémentaire de taxe professionnelle à laquelle la SAS Shaper's France a été assujettie au titre de l'année 2007 à concurrence d'une somme de 103 601 euros ; qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par la SAS Shaper's France, tant en première instance qu'en appel ;

9. Considérant que la SAS Shaper's France soutient, d'une part, qu'il y a lieu d'appliquer le plafonnement en fonction de la valeur ajoutée avant la limitation de l'exonération prévue en faveur de la reprise d'entreprises en difficulté et que l'administration a porté atteinte au principe de l'égalité de traitement, principe fondamental du droit communautaire et garanti par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'autre part, que le plafonnement en fonction de la valeur ajoutée appliqué après l'exonération limitée par l'application de la règle dite " de minimis " admis par les premiers juges comporte une erreur dès lors qu'il a été calculé en appliquant un taux de 3,8 % à la valeur ajoutée au lieu du taux de 3,5 % qui s'appliquait à toutes les entreprises en 2007 et demande, de ce fait, un dégrèvement complémentaire de taxe professionnelle de 24 002 euros au titre de l'année 2007 ; que, toutefois, compte tenu de ce qui vient d'être dit aux points 4 à 8 du présent arrêt, il y a lieu d'écarter ces moyens par voie de conséquence ;

En ce qui concerne l'application des dispositions relatives au plafonnement des aides dites " de minimis " :

10. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 3 du règlement (CE) n° 69/2001 du 12 janvier 2001 : " 1. Lorsqu'un État membre octroie une aide de minimis à une entreprise, il l'informe du caractère de minimis de cette aide ; (...) " ; que la règle tenant à l'information du caractère de minimis de l'aide a été reprise par le règlement (CE) n°1998/2006 de la Commission du 15 décembre 2006, applicable à compter du 1er janvier 2007 ; qu'aux termes de l'article 1464 B du code général des impôts : " I. Les entreprises qui bénéficient des exonérations prévues aux articles 44 sexies et 44 septies, peuvent être temporairement exonérées, dans les conditions prévues à l'article 1464 C, de la taxe professionnelle dont elles sont redevables, pour les établissements qu'elles ont créés ou repris à une entreprise en difficulté, à compter de l'année suivant celle de leur création. (...) " ; que, dans sa rédaction applicable du 1er janvier 2005 au 29 décembre 2007, cet article prévoyait dans son III bis que l'exonération s'appliquait dans les limites prévues par le règlement (CE) n° 69/2001 de la Commission du 12 janvier 2001, concernant l'application des articles 87 et 88 du traité CE aux aides " de minimis " ;

11. Considérant que les dispositions de l'article 1464 B du code général des impôts telles qu'énoncées au point 10 du présent arrêt informaient explicitement les contribuables des limites de l'exonération à laquelle ils pouvaient prétendre dans le cadre de la règle dite " de minimis " ; qu'ainsi, l'administration a satisfait à son obligation d'information prévue par l'article 3 du règlement (CE) n° 69/2001 de la Commission du 12 janvier 2001, contrairement à ce que soutient la SAS Sharper's France ;

12. Considérant, en deuxième lieu, d'une part, qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour (...) assurer le paiement des impôts (...) " ; qu'une personne ne peut prétendre au bénéfice de ces stipulations que si elle peut faire état de la propriété d'un bien qu'elles ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte ; qu'à défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir une somme d'argent doit être regardée comme un bien au sens de ces stipulations ;

13. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 174 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable : " Les omissions ou les erreurs concernant la taxe professionnelle peuvent être réparées par l'administration jusqu'à l'expiration de la troisième année suivant celle au titre de laquelle l'imposition est due. " ; que si le règlement (CE) n° 69/2001 de la Commission du 12 janvier 2001 prévoit que l'Etat membre ne peut accorder une aide dite " de minimis " qu'après avoir vérifié que celle-ci ne porte pas au-delà du plafond de 100 000 euros le montant de telles aides perçues au cours de la période de référence de trois ans, ces dispositions ne font pas obstacle à ce que, lorsqu'il constate que l'octroi d'un avantage fiscal a conduit au dépassement de ce plafond, le service des impôts le remette en cause ;

14. Considérant qu'il résulte de ce qui été dit au point 11 du présent arrêt que la SAS Shaper's France était informée de ce que le bénéfice de l'exonération prévue à l'article 1464 B du code général des impôts entrait dans le champ du régime dit " de minimis " ; que, dans ces conditions, et alors que l'administration bénéficiait d'un droit de reprise du montant des exonérations initialement accordées en application de l'article L. 174 du livre des procédures fiscales, la société n'est pas fondée à soutenir qu'elle disposait d'une espérance légitime de conserver le bénéfice de ces exonérations dans leurs montants établis à partir de ses propres déclarations des 23 décembre 2005 et 26 avril 2006 ; qu'elle n'est pas fondée à se prévaloir de ce qu'elle a, par courriers des mêmes jours, sollicité l'administration sur la question de savoir si elle avait effectivement droit à l'exonération de l'article 1464 B du code général des impôts dès lors qu'il est constant qu'elle a déclaré dans le même temps " remplir les conditions requises pour bénéficier de l'une des exonérations temporaires de taxe professionnelle " et coché la case " régime de l'article 44 septies du code général des impôts " sur les imprimés Cerfa de déclaration provisoire de taxe professionnelle pour 2006 et 2007 ; qu'en ne répondant pas aux courriers des 23 décembre 2005 et 26 avril 2006 ou en lui accordant le bénéfice de cette exonérations pour les années 2006 et 2007 conformément aux déclarations souscrites, l'administration n'a pris aucune position formelle, au sens de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, sur le droit de la SAS Sharper's France à bénéficier de l'exonération de l'article 1464 B du code général des impôts ; que, par suite, le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 1er au premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté ;

En ce qui concerne les intérêts de retard :

15. Considérant qu'aux termes de l'article 1727 du code général des impôts dans sa rédaction applicable au litige : " I. - Toute somme, dont l'établissement ou le recouvrement incombe à la direction générale des impôts, qui n'a pas été acquittée dans le délai légal donne lieu au versement d'un intérêt de retard. A cet intérêt s'ajoutent, le cas échéant, les sanctions prévues au présent code. II. - L'intérêt de retard n'est pas dû : (...) 2. Au titre des éléments d'imposition pour lesquels un contribuable fait connaître, par une indication expresse portée sur la déclaration ou l'acte, ou dans une note annexée, les motifs de droit ou de fait qui le conduisent à ne pas les mentionner en totalité ou en partie, ou à leur donner une qualification qui entraînerait, si elle était fondée, une taxation atténuée, ou fait état de déductions qui sont ultérieurement reconnues injustifiées ; (...) " ;

16. Considérant, en premier lieu, que la SAS Shaper's France a adressé, le 23 décembre 2005, à la cellule de taxe professionnelle du centre des impôts de Nantes Sud-Est un courrier précisant les modalités de création de la société Sema, la circonstance que cette société avait repris les actifs de trois sociétés en redressement judiciaire, les modalités de calcul de la nouvelle base de taxe professionnelle des biens acquis aux trois sociétés en redressement judiciaire ainsi que des tableaux permettant de comprendre le montant des bases déclarées ; que ce courrier précise que la déclaration annexée est une déclaration provisoire dans la mesure où les comptes de la société ne sont pas clôturés et qu'une déclaration définitive sera transmise début 2006 ; que ce courrier ajoute que, dans la mesure où la société Sema SASU est une entreprise nouvelle ayant repris les actifs de trois sociétés en redressement judiciaire, elle a opté pour l'exonération au titre du régime de l'article 44 septies du code général des impôts, en demandant confirmation de son droit à cette exonération ; qu'un tel courrier, non assorti de précisions pouvant justifier l'exonération, n'est pas de nature à faire échec, sur le fondement des dispositions du 2 du II de l'article 1727 du code général des impôts, à l'application des intérêts de retard encourues ;

17. Considérant, en deuxième lieu, que la SAS Shaper's France n'est pas fondée à se prévaloir du 2 bis du II de l'article 1727 du code général des impôts dès lors que ces dispositions, issues de l'article 49 de la loi 2008-1443 du 30 décembre 2008, s'appliquent aux déclarations souscrites à compter du 1er janvier 2009 ;

18. Considérant, en dernier lieu, qu'avant sa modification par la loi du 30 décembre 2008 portant loi de finances rectificative pour 2008, le second alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales était ainsi rédigé : " Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente " ; que l'article 47 de cette loi l'a complété par la phrase suivante : " Sont également opposables à l'administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l'impôt et aux pénalités fiscales " ; que si cette dernière disposition, applicable aux instances en cours pour ce qui concerne les pénalités fiscales, institue une garantie contre les changements de doctrine de l'administration permettant, en particulier, aux contribuables auteurs d'infractions fiscales de se prévaloir des énonciations contenues dans les notes ou instructions publiées, c'est à la condition, notamment, que ces notes ou instructions aient été susceptibles d'influencer le comportement des intéressés au regard de leurs obligations fiscales ;

19. Considérant que la SAS Shaper's France n'est pas fondée à se prévaloir du point 30 de la documentation de base 13 N-1-07, repris au point 30 du BOI CF INF 10-10-10 du 12 septembre 2012 qui précise notamment que les intérêts de retard ne s'appliquent pas en cas d'erreur commise par le service dans la liquidation des impôts dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que ce texte ait été susceptible d'influencer le comportement de la SAS Shaper's France au regard de ses obligations déclaratives ;

20. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, d'une part, le ministre est fondé à soutenir, par la voie de l'appel incident, que c'est à tort que, par l'article 1er du jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a prononcé la décharge de la cotisation supplémentaire de taxe professionnelle à laquelle la SAS Shaper's France a été assujettie au titre de l'année 2007 à concurrence d'une somme de 103 601 euros et que, d'autre part, la requête de la SAS Shaper's France doit être rejetée ;

D E C I D E :

Article 1er : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Nantes du 29 janvier 2016 est annulé.

Article 2 : La cotisation supplémentaire de taxe professionnelle à laquelle la SAS Shaper's France a été assujettie au titre de l'année 2007 est remise à sa charge à concurrence d'une somme de 103 601 euros.

Article 3 : La requête de la SAS Shaper's France est rejetée.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée (SAS) Shaper's France et au ministre de l'action et des comptes publics.

Délibéré après l'audience du 14 décembre 2017, à laquelle siégeaient :

- M. Bataille, président de chambre,

- M. Geffray, président assesseur,

- Mme Chollet, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 21 décembre 2017.

Le rapporteur,

L. CholletLe président,

F. Bataille

Le greffier,

E. Haubois

La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

No 16NT00964


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 16NT00964
Date de la décision : 21/12/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. BATAILLE
Rapporteur ?: Mme Laure CHOLLET
Rapporteur public ?: M. JOUNO
Avocat(s) : SOCIETE FILOR AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 09/01/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2017-12-21;16nt00964 ?
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