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08/12/2017 | FRANCE | N°17NT01888

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 08 décembre 2017, 17NT01888


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...H...et M. F...A...D...ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'État à leur verser la somme de 3 321 462 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait des circonstances dans lesquelles le ministre de la justice a prononcé la démission d'office de M. E...I...de la société civile professionnelle (SCP) de notairesI..., H..., LeD....

Par un jugement n° 1104942 du 13 mars 2014, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande.

Par un

arrêt n° 14NT01213 du 29 octobre 2015, la cour administrative d'appel de Nantes a re...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...H...et M. F...A...D...ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'État à leur verser la somme de 3 321 462 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait des circonstances dans lesquelles le ministre de la justice a prononcé la démission d'office de M. E...I...de la société civile professionnelle (SCP) de notairesI..., H..., LeD....

Par un jugement n° 1104942 du 13 mars 2014, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande.

Par un arrêt n° 14NT01213 du 29 octobre 2015, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par MM. H...et A...D...contre ce jugement.

Par une décision n° 395668 du 21 juin 2017, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi formé par MM. H...et A...D..., a annulé cet arrêt du 29 octobre 2015 en tant qu'il a rejeté, " pour la période courant à compter de la date à laquelle aurait normalement dû intervenir l'exécution du jugement du tribunal de grande instance de Lorient du 22 mars 2007 ", leurs conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice allégué résultant pour eux de l'obligation de verser à M. I...sa part des dividendes de la SCP jusqu'en 2008 et a renvoyé l'affaire, dans cette mesure, devant la cour administrative d'appel de Nantes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 5 mai 2014, 2 octobre 2015 et 18 juillet 2017, MM. H...et A...D..., représentés par Me B...puis par MeJ..., demandent à la cour, dans le dernier état de leurs écritures :

1°) de condamner l'Etat à leur verser la somme de 272 401,82 euros en réparation de leurs préjudices, somme assortie des intérêts au taux légal courant à compter du 26 août 2011 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le Conseil d'Etat a jugé dans sa décision n° 395668 du 21 juin 2017 qu'ils étaient fondés à solliciter la réparation du préjudice né pour eux du versement à M. I...de sa quote-part de bénéfices distribués pour la période allant de l'exécution du jugement du tribunal de grande instance de Lorient du 22 mars 2007 jusqu'à la fin de l'année 2008 ;

- cette somme s'élève, ainsi qu'en atteste leur cabinet d'expertise comptable, à un total de 272 401,82 euros, dont ils sollicitent que l'Etat soit condamné à leur verser.

Par des mémoires en défense enregistrés les 7 novembre 2014 et 21 juillet 2017 régularisé le 24 juillet 2017, le ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la responsabilité de l'Etat ne peut pas être engagée au titre de la période en cause ;

- subsidiairement, la pièce produite par les requérants ne permet pas de calculer le montant de leurs préjudices.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- l'ordonnance n° 45-1418 du 28 juin 1945 relative à la discipline des notaires et de certains officiers ministériels ;

- le décret n° 67-868 du 2 octobre 1967 pris pour l'application à la profession de notaire de la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 relative aux sociétés civiles professionnelles ;

- le décret n° 73-1202 du 28 décembre 1973 relatif à la discipline et au statut des officiers publics ou ministériels ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Massiou,

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,

- et les observations de MeJ..., représentant MM. H...et A...D....

1. Considérant que MM.H..., A...D...et I...étaient associés d'une société civile professionnelle (SCP) titulaire d'un office notarial à Lorient (Morbihan) lorsque

M. I...a, du fait de problèmes de santé, cessé d'exercer son activité le 1er février 1997 ; qu'ayant été placé en arrêt de travail jusqu'en 2003, année au cours de laquelle il a fait valoir ses droits à la retraite, M. I...a toutefois refusé de céder ses parts sociales à ses associés et souhaité continuer à percevoir sa quote-part des bénéfices de la société ; que le tribunal de grande instance de Lorient a, par un jugement du 3 juillet 2003, constaté son empêchement à exercer ses fonctions ; que par un arrêté du 15 septembre 2003, le ministre de la justice a alors déclaré l'intéressé démissionnaire d'office de la SCP, cet arrêté ayant été annulé par le Conseil d'Etat par un arrêt du 7 août 2008 au motif qu'il était insuffisamment motivé ; que, dans l'intervalle, MM. H...et A...D...avaient, le 23 novembre 2006, saisi le tribunal de grande instance de Lorient afin que soit ordonnée la cession forcée des parts sociales de

M.I... ; que par un jugement du 22 mars 2007 ensuite infirmé en appel, il a été fait droit à cette demande ; que par un nouvel arrêté du 21 octobre 2008, le ministre de la justice a de nouveau déclaré M. I...démissionnaire d'office de la SCP ; que par une demande indemnitaire préalable reçue le 26 août 2011, MM. H...et A...D...ont recherché la responsabilité de l'Etat du fait de son inaction fautive et de l'illégalité de l'arrêté du ministre de la justice du 15 septembre 2003 ; que cette demande ayant été rejetée, ils ont saisi en vain le tribunal administratif de Rennes puis la cour administrative d'appel de Nantes, qui a rejeté leur requête par un arrêt n° 14NT01213 du 29 octobre 2015 ; qu'à la suite du pourvoi en cassation formé par MM. H...et A...D..., A...K..., statuant au contentieux a, par une décision n° 395668 du 21 juin 2017, annulé cet arrêt en tant qu'il a rejeté, " pour la période courant à compter de la date à laquelle aurait normalement dû intervenir l'exécution du jugement du tribunal de grande instance de Lorient du 22 mars 2007, leurs conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice ayant résulté pour eux de l'obligation de verser à M. I...sa part des dividendes de la SCP jusqu'en 2008 " et, dans cette mesure, renvoyé devant la cour l'affaire, qui porte désormais le n° 17NT01888 ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 45 de l'ordonnance du 28 juin 1945 : " (...) Peut (...) être déclaré démissionnaire d'office (...) l'officier public ou ministériel qui (...) en raison de son état physique ou mental, est empêché d'assurer l'exercice normal de ses fonctions. (...) / L'empêchement ou l'inaptitude doit avoir été constaté par le tribunal de grande instance saisi soit par le procureur de la République, soit par le président de la chambre de discipline. (...) " ; qu'aux termes de l'article 41 du décret du 28 décembre 1973 : " Le tribunal de grande instance est saisi, aux fins de constater l'empêchement ou l'inaptitude d'un officier public ou ministériel en application de l'article 45 de l'ordonnance susvisée du 28 juin 1945, par assignation à jour fixe délivrée à l'intéressé (...). / La démission d'office est déclarée par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice. Cet arrêté peut être pris dès le prononcé du jugement constatant l'inaptitude ou l'empêchement, nonobstant l'exercice de voies de recours. " ; que selon l'article 31-1 du décret du 2 octobre 1967 : " En cas d'empêchement ou d'inaptitude d'un associé dans les conditions prévues par l'alinéa 2 de l'article 45 de l'ordonnance du 28 juin 1945 susvisée, cet associé est déclaré démissionnaire d'office par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice. / Les dispositions de l'article 32 sont applicables à la cession de parts sociales de cet associé. " ; que selon l'article 32 de ce même décret : " L'associé destitué dispose d'un délai de six mois à compter du jour où sa destitution est devenue définitive pour céder ses parts sociales à un tiers dans les conditions prévues à l'article 27. / Si, à l'expiration de ce délai, aucune cession n'est intervenue, il est procédé conformément aux dispositions de l'article 28, dans la mesure où celles-ci sont de nature à recevoir application. (...) " ; qu'enfin, aux termes de l'article 1843-4 du code civil, dans sa version alors en vigueur : " " Dans tous les cas où sont prévus la cession des droits sociaux d'un associé, ou le rachat de ceux-ci par la société, la valeur de ces droits est déterminée, en cas de contestation, par un expert désigné, soit par les parties, soit à défaut d'accord entre elles, par ordonnance du président du tribunal statuant en la forme des référés et sans recours possible. " ;

Sur la période de responsabilité :

3. Considérant, d'une part, que le jugement du tribunal de grande instance de Lorient du 22 mars 2007 ordonnant la cession forcée des parts de M. I...dans la SCP, s'il bénéficiait de " l'exécution provisoire nonobstant appel ", ordonnait également en vertu des dispositions de l'article 1843-4 du code civil que soit réalisée une expertise permettant d'évaluer le montant des parts sociales, cette évaluation revêtant un caractère obligatoire ; qu'il résulte de l'instruction que l'expert a rendu son rapport le 6 juillet 2007 ; qu'il y a lieu, dès lors, de considérer que c'est à cette dernière date qu'aurait normalement dû intervenir l'exécution du jugement du 22 mars 2007, à partir de laquelle est engagée la responsabilité de l'Etat envers MM. H...et A...D...du fait de l'illégalité de l'arrêté du ministre de la justice du 15 septembre 2003 déclarant M. I...démissionnaire d'office ;

4. Considérant, d'autre part, qu'il résulte de l'instruction que MM. H...etA... D... ont, dans le dernier état de leurs écritures, sollicité la réparation du préjudice né pour eux de l'obligation de verser à M. I...sa part des dividendes de la SCP pour la période courant jusqu'à la date de publication de l'arrêté du ministre de la justice le 21 octobre 2008 déclarant à nouveau M. I...démissionnaire d'office, soit le 29 octobre suivant ; que la responsabilité de l'Etat, qui se prévaut également de cette date en défense, ne peut, en effet, pas être engagée pour une période postérieure, dès lors qu'un nouvel arrêté ministériel avait été pris permettant de remédier à la situation née de l'illégalité de celui du 15 septembre 2003 ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la responsabilité de l'Etat à l'égard de MM. H...et A...D...du fait de l'illégalité de l'arrêté du 15 septembre 2003 est engagée pour la période du 6 juillet 2007 au 29 octobre 2008 ;

Sur le préjudice de MM. H...et A...D... :

6. Considérant qu'il résulte de l'attestation établie le 2 octobre 2015 par le cabinet d'expertise Ouest Conseils Lorient que les quotes-parts de résultat de la SCP alors dénommée I...-H... -Le D...affectées à M. I...s'élèvent à 164 027,06 euros au titre de l'exercice 2007 et à 149 381,57 euros au titre de l'exercice 2008 ; qu'il ressort de cette attestation que la répartition de ces dividendes était alors annuelle au sein de cette SCP, ainsi que cela est habituel en la matière même si cela n'est pas imposé par les textes ; qu'il y a lieu, dès lors, de condamner l'Etat à indemniser MM. H...et A...D... du préjudice ayant résulté pour eux de l'obligation de verser à M. I...sa part des dividendes de la SCP pour la période du 6 juillet 2007 au 29 octobre 2008 sur la base de ces éléments chiffrés ; qu'il y a lieu, au prorata temporis, de retenir la somme de 80 440,67 euros pour l'année 2007 et celle de

123 668,37 euros pour l'année 2008, soit un montant total de 204 109,04 euros mis à la charge de l'Etat ;

7. Considérant que MM. H...et A...D...ont droit, comme ils le sollicitent, aux intérêts au taux légal de la somme de 204 109,04 euros à compter du 26 août 2011, date de réception de leur demande indemnitaire préalable par le ministre de la justice ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par MM. H...et A...D...tendant à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : L'Etat est condamné à verser la somme de 204 109,04 euros à MM. H...etA... D..., assortie des intérêts au taux légal à compter du 26 août 2011.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de MM. H...et A...D...est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... H..., à M. F... A...D...et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 23 novembre 2017, où siégeaient :

- M. Coiffet, président,

- Mme Le Bris, premier conseiller,

- Mme Massiou, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 8 décembre 2017.

Le rapporteur,

B. MassiouLe président,

O. Coiffet

Le greffier,

M. G...

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 17NT01888


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 17NT01888
Date de la décision : 08/12/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. COIFFET
Rapporteur ?: Mme Barbara MASSIOU
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : SCP LESAGE ORAIN VARIN CAMUS ALEO

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2017-12-08;17nt01888 ?
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