Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Fléchard a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 12 juin 2013 valant titre exécutoire par laquelle le directeur général de l'établissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) lui a demandé de lui verser la somme de 5 741 822,99 euros à titre de sanction et d'acquisition de cautions sur certificats d'exportation pour la vente de beurre adultéré ayant donné lieu à la perception d'aides communautaires indues.
Par un jugement n° 1301429 du 16 février 2016, le tribunal administratif de Caen a fait droit à cette demande et annulé cette décision du 12 juin 2013.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 13 avril 2016 et 18 septembre 2017 l'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), représenté par MeA..., demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Caen du 16 février 2016 en tant qu'il a déclaré prescrite sa créance portant sur l'acquisition des cautions sur certificats d'exportation, pour un montant de 556 771,79 euros ;
2°) de rejeter la demande présentée sur ce point par la société Fléchard devant le tribunal administratif de Caen ;
3°) de mettre à la charge de la société Fléchard la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il n'a pas visé et analysé l'ensemble des moyens des parties ;
- les premiers juges ont commis une erreur de droit en appliquant les dispositions de règlement (CE) n° 2988/95 aux cautions sur certificats d'exportation, alors que ces cautions ne relèvent pas du champ d'application de ce texte dès lors qu'elles restent acquises aux Etats-membres et ne sont pas affectées au budget communautaire ; le délai de prescription applicable à ces cautions est celui résultant des règles nationales régissant la prescription de droit commun, à savoir l'article 2262 du code civil à l'époque des faits, qui prévoyait un délai de trente ans.
Par un mémoire en défense enregistré le 9 novembre 2016 la société Fléchard Laiterie du Pont Morin, représentée par MeC..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 10 000 euros soit mise à la charge de FranceAgriMer au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par FranceAgriMer ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (CEE) n° 3719/88 de la Commission du 16 novembre 1988 portant modalités communes d'application du régime des certificats d'importation, d'exportation et de préfixation pour les produits agricoles ;
- le règlement (CEE, Euratom) n° 2988/95 du Conseil du 18 décembre 1995 relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes ;
- le code civil ;
- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Massiou,
- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., représentant FranceAgriMer.
1. Considérant que la société Fléchard, qui fabrique et commercialise des produits laitiers a, entre 1997 et 2000, exporté à destination de pays tiers à l'Union européenne 5 600 tonnes de matières premières présentées comme étant du beurre dont une enquête pénale a révélé qu'elles avaient en réalité été adultérées par l'incorporation de produits d'origine animale ou végétale ou de produits chimiques ; que par un arrêt du 6 février 2009 devenu définitif, la cour d'appel de Paris a condamné au titre de l'action civile la société Fléchard à verser 23 055 027 euros de dommages et intérêts à l'Office national interprofessionnel de l'élevage et de ses productions (Oniep), venu aux droits de l'Office national interprofessionnel du lait et des produits laitiers (Onilait), auprès duquel elle avait constitué des cautions aux fins de délivrance de certificats d'exportation des produits concernés ; qu'après avoir sollicité les observations de la société Fléchard par un courrier du 21 mai 2013, l'établissement public national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer), venu aux droits de l'Oniep, a par une décision de son directeur général du 12 juin 2013 valant titre exécutoire, demandé à cette société qu'elle lui verse la somme de 5 741 822,99 euros au titre d'une sanction correspondant au double du montant des aides indument versées au titre des exportations concernées et à l'acquisition notamment de cautions sur certificats d'exportation ; que par un jugement du 16 février 2016, le tribunal administratif de Caen a fait droit en totalité à la demande présentée par la société Fléchard et annulé cette décision ; que FranceAgriMer relève appel de ce jugement en tant seulement que le tribunal administratif a estimé prescrite la partie de la créance correspondant à ces cautions, pour un montant de 556 771,79 euros ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant qu'à l'appui de la critique tirée de l'irrégularité du jugement du tribunal administratif de Caen, FranceAgriMer se borne à indiquer que " le jugement querellé ne vise ni n'analyse qu'imparfaitement les moyens des parties " ; qu'un tel moyen n'est pas assorti des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé et doit, dès lors, être écarté ;
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Considérant qu'aux termes de l'article 1er du règlement (CEE, Euratom) n° 2988/95 du Conseil du 18 décembre 1995 : " 1. Aux fins de la protection des intérêts financiers des Communautés européennes, est adoptée une réglementation générale relative à des contrôles homogènes et à des mesures et des sanctions administratives portant sur des irrégularités au regard du droit communautaire. / 2. Est constitutive d'une irrégularité toute violation d'une disposition du droit communautaire résultant d'un acte ou d'une omission d'un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles-ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue " ; qu'aux termes de l'article 3 du même règlement : " 1. Le délai de prescription des poursuites est de quatre ans à partir de la réalisation de l'irrégularité visée à l'article 1er paragraphe 1. (...). / Pour les irrégularités continues ou répétées, le délai de prescription court à compter du jour où l'irrégularité a pris fin. (...). / La prescription des poursuites est interrompue par tout acte, porté à la connaissance de la personne en cause, émanant de l'autorité compétente et visant à l'instruction ou à la poursuite de l'irrégularité. Le délai de prescription court à nouveau à partir de chaque acte interruptif. / Toutefois, la prescription est acquise au plus tard le jour où un délai égal au double du délai de prescription arrive à expiration sans que l'autorité compétente ait prononcé une sanction, sauf dans le cas où la procédure administrative a été suspendue conformément à l'article 6 paragraphe 1. / (...) 3. Les Etats membres conservent la possibilité d'appliquer un délai plus long que celui prévu respectivement au paragraphe 1 et au paragraphe 2 " ; qu'aux termes de l'article 4 du même règlement : " 1. Toute irrégularité entraîne, en règle générale, le retrait de l'avantage indûment obtenu : / - par l'obligation de verser les montants dus ou de rembourser les montants indûment perçus, / - par la perte totale ou partielle de la garantie constituée à l'appui de la demande d'un avantage octroyé ou lors de la perception d'une avance. / 2. L'application des mesures visées au paragraphe 1 est limitée au retrait de l'avantage obtenu augmenté, si cela est prévu, d'intérêts qui peuvent être déterminés de façon forfaitaire. / (...) 4. Les mesures prévues par le présent article ne sont pas considérées comme des sanctions " ; qu'aux termes de l'article 5 du même règlement : " Les irrégularités intentionnelles ou causées par négligence peuvent conduire aux sanctions administratives suivantes : / a) le paiement d'une amende administrative ; / b) le paiement d'un montant excédant les sommes indûment perçues ou éludées, augmentées, le cas échéant, d'intérêts (...) ; / (...) / f) la perte d'une garantie ou d'un cautionnement constitué aux fins du respect des conditions d'une réglementation ou la reconstitution du montant d'une garantie indûment libérée ; / g) d'autres sanctions à caractère exclusivement économique, de nature et de portée équivalente, prévues dans les réglementations sectorielles (...) " ; qu'aux termes de l'article 6 du même règlement : " 1. (...) l'imposition des sanctions pécuniaires, telles que les amendes administratives, peut être suspendue par décision de l'autorité compétente si une procédure pénale a été ouverte contre la personne en cause et porte sur les mêmes faits. La suspension de la procédure administrative suspend le délai de prescription prévu à l'article 3. / 2. Si la procédure pénale n'est pas poursuivie, la procédure administrative qui a été suspendue reprend son cours. / 3. Lorsque la procédure pénale est menée à son terme, la procédure administrative qui a été suspendue reprend, pour autant que les principes généraux du droit ne s'y opposent pas. " ; que la loi du 17 juin 2008 a, par ailleurs, substitué aux dispositions de l'article 2262 du code civil, aux termes duquel : " Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans ", celles du nouvel article 2224 du même code, aux termes duquel : " Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer " ;
4. Considérant que le règlement (CEE) n° 3719/88 de la Commission a instauré des modalités communes d'application du régime des certificats d'importation, d'exportation et de préfixation pour les produits agricoles ; que les règlements communautaires ayant institué ces certificats disposent notamment que la délivrance de ces derniers est subordonnée à la constitution d'une garantie qui garantit l'engagement d'importer ou d'exporter pendant leur durée de validité ; qu'au termes de l'article 2 de ce règlement : " (...) 5. Lors de l'exportation d'un produit se trouvant sous un des régimes visés au paragraphe 1 et contenant un ou plusieurs produits de base visés au paragraphe 2 point a ), un certificat d'exportation doit être présenté pour chacun de ces produits de base dans la mesure où ceux-ci sont soumis à la présentation d'un tel certificat. (...) " ; qu'aux termes de l'article 8 de ce même règlement : " 1. Le certificat d'importation ou d'exportation autorise et oblige respectivement à importer ou à exporter, au titre du certificat, et, sauf cas de force majeure, pendant la durée de sa validité, la quantité spécifiée du produit en cause. (...) " ; qu'aux termes de l'article 33 du même règlement : " (...) Sous réserve de l'application des dispositions des articles 36, 37 et 44, lorsque l'obligation d'importer ou d'exporter n'a pas été remplie, la garantie reste acquise à raison d'un montant égal à la différence entre : a) 95 % de la quantité indiquée dans le certificat et b) la quantité effectivement importée ou exportée. (...) Toutefois, si la quantité importée ou exportée s'élève à moins de 5 % de la quantité indiquée dans le certificat, la garantie reste acquise en totalité. (...) " ;
5. Considérant qu'ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt du 4 octobre 2012 ED et F Man Alcohols Ltd (aff. C-669/11), une violation d'une disposition du droit communautaire peut affecter sérieusement les intérêts financiers de l'Union et, par suite, être regardée comme une irrégularité au sens de l'article 1er du règlement n° 2988/95 du 18 décembre 1995 rappelé au point 1, alors même qu'elle n'aurait pas d'impact financier précis ; que la perte de la garantie de bonne exécution prévue par les dispositions du règlement (CEE) n° 3719/88 de la Commission et destinée à assurer une exportation dans les délais impartis relève de la notion de sanction administrative au sens de l'article 5 du règlement du 18 décembre 1995 rappelé au point 3 ; que l'objet des certificats d'exportation auxquels sont attachées ces garanties est d'assurer un contrôle sur les volumes des exportations avec les pays-tiers et le montant des restitutions, et plus largement, une bonne gestion de l'organisation commune des marchés, le non-respect des délais ou conditions fixés par ces certificats pouvant entraîner une perturbation de cette gestion et, par suite, la privation pour le budget de l'Union européenne d'une recette potentielle, et ce alors même que le montant des garanties reste, lorsque les conditions posées par les certificats n'ont pas été remplies, acquises par les Etats-membres ; qu'il s'ensuit que cette acquisition de caution peut, alors même que son impact financier ne pourrait pas être mesuré avec précision, être regardée comme un acte qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général de l'Union ou à des budgets gérés par celle-ci ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le non-respect par la société Fléchard des conditions prévues par les certificats à l'exportation dont elle a bénéficié pour les produits laitiers adultérés concernés constitue une irrégularité au sens du second paragraphe de l'article 1er du règlement n° 2988/95 du 18 décembre 1995 ; que les dispositions de ce règlement relatives à la prescription trouvent dès lors, contrairement à ce que soutient FranceAgriMer, à s'appliquer aux modalités d'acquisition des cautions sur certificats d'exportation qui lui ont été consenties, à l'exclusion des règles nationales issues du code civil ; que, c'est par suite à bon droit que les premiers juges ont estimé que la créance portant sur l'acquisition des cautions sur certificats d'exportation pour un montant de 556 771,79 euros était soumise à ce délai de prescription, qui était en l'espèce expiré à la date à laquelle FranceAgriMer a émis le titre exécutoire litigieux ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que FranceAgriMer n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé la décision prise le 12 juin 2013 par son directeur général ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Fléchard qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, la somme dont FranceAgriMer sollicite le versement au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées au même titre par la société Fléchard ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de FranceAgriMer est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la société Fléchard tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à l'Etablissement national des produits de l'agriculture et de la mer (FranceAgriMer) et à la Société Fléchard Laiterie du Pont Morin.
Délibéré après l'audience du 23 novembre 2017, où siégeaient :
- M. Coiffet, président,
- Mme Le Bris, premier conseiller,
- Mme Massiou, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 8 décembre 2017.
Le rapporteur,
B. MassiouLe président,
O. Coiffet
Le greffier,
M. B...
La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de l'alimentation en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 16NT01222