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08/12/2017 | FRANCE | N°16NT01049

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 08 décembre 2017, 16NT01049


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...A...a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 10 octobre 2014 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande d'indemnisation présentée au titre de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français.

Par un jugement n° 1203772 du 31 décembre 2015, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision du 1er octobre 2014 et a enjoint au comité d'indemnisation des vict

imes des essais nucléaires de présenter à M. A...une proposition d'indemnisation des...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...A...a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 10 octobre 2014 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande d'indemnisation présentée au titre de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français.

Par un jugement n° 1203772 du 31 décembre 2015, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision du 1er octobre 2014 et a enjoint au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires de présenter à M. A...une proposition d'indemnisation des préjudices subis dans un délai de trois mois.

Procédure devant la cour :

Par un recours, enregistré le 11 mars 2016, le ministre de la défense demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 31 décembre 2015 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif de Rennes.

Il soutient que si la présomption de causalité s'applique à la situation de M. A...qui a séjourné sur le site des essais et contracté un myélome, cette présomption est renversée dès lors qu'en l'espèce le risque attribuable aux essais nucléaires est négligeable.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 15 juillet 2016 et le 30 mars 2017, M.A..., représenté par MeE..., conclut au rejet du recours et demande en outre que, d'une part, le montant de l'indemnisation des préjudices soit majoré des intérêts de droit à compter de la date de la première demande d'indemnisation, avec capitalisation des intérêts échus à compter de cette même formalité, et, d'autre part, qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les dépens.

Il soutient que les moyens soulevés par le ministre de la défense ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées le 17 juillet 2017, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'application de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017.

Par un mémoire en réponse au courrier du 17 juillet 2017, enregistré le 30 août 2017, la ministre des Armées conclut aux mêmes fins que le recours par les mêmes moyens.

Elle soutient en outre que, si la loi du 28 février 2017 est applicable, M. A...n'a concrètement subi aucune exposition aux rayonnements ionisants.

Par un mémoire en réponse au courrier du 17 juillet 2017, enregistré le 14 novembre 2017, M. A...conclut par les mêmes moyens au rejet du recours.

Il soutient que le ministre n'apporte pas d'élément de nature à établir que sa pathologie résulte exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires, en particulier parce qu'il n'a subi aucune exposition à de tels rayonnements.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2010-2 modifiée du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

- la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique ;

- le décret n° 2010-653 modifié du 11 juin 2010 pris en application de la loi relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Allio-Rousseau,

- les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public,

- et les observations de MeD..., représentant M.A....

1. Considérant que M. C...A..., né le 18 février 1953, militaire de carrière, a été affecté au centre d'expérimentation du Pacifique à plusieurs reprises du 11 février 1972 au 15 juin 1993 ; qu'au cours de cette période, quatre essais nucléaires atmosphériques et trente-et-un essais souterrains ont été réalisés ; que M.A..., qui a développé un myélome, a présenté le 20 octobre 2011 une demande d'indemnisation des préjudices subis au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) en se prévalant des disposition de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ; que le ministre de la défense a, par une décision du 10 octobre 2014, conformément à la recommandation émise par le CIVEN, rejeté sa demande au motif que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenance de la maladie de M. A...pouvait être qualifié de négligeable ; que le ministre relève appel du jugement du 31 décembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Rennes a annulé cette décision ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi./Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit " ; que l'article 2 de cette même loi définit les conditions de temps et de lieu de séjour ou de résidence que le demandeur doit remplir ; que l'article 4 de cette loi, dans sa rédaction antérieure à la loi du 28 février 2017, prévoyait que les demandes individuelles d'indemnisation étaient soumises à un comité d'indemnisation, et disposait : " (...) / V. - Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable (...) " ; qu'enfin, aux termes de l'article 113 de la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique : " I.- Au premier alinéa du V de l'article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, les mots et la phrase : " à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité le justifie auprès de l'intéressé. " sont supprimés./ II.- Lorsqu'une demande d'indemnisation fondée sur les dispositions du I de l'article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français a fait l'objet d'une décision de rejet par le ministre de la défense ou par le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires avant l'entrée en vigueur de la présente loi, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires réexamine la demande s'il estime que l'entrée en vigueur de la présente loi est susceptible de justifier l'abrogation de la précédente décision. Il en informe l'intéressé ou ses ayants droit s'il est décédé qui confirment leur réclamation et, le cas échéant, l'actualisent. Dans les mêmes conditions, le demandeur ou ses ayants droit s'il est décédé peuvent également présenter une nouvelle demande d'indemnisation, dans un délai de douze mois à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi./ III.- Une commission composée pour moitié de parlementaires et pour moitié de personnalités qualifiées propose, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, les mesures destinées à réserver l'indemnisation aux personnes dont la maladie est causée par les essais nucléaires. Elle formule des recommandations à l'attention du Gouvernement " ;

3. Considérant que l'entrée en vigueur des dispositions précitées du I de l'article 113 de la loi du 28 février 2017 n'est pas manifestement impossible en l'absence de mesures d'application ; qu'elle est dès lors intervenue le lendemain de la publication de cette loi au Journal officiel de la République française ; que ces dispositions sont applicables à la présente instance ;

4. Considérant qu'il résulte du II de l'article 113 de la loi du 28 février 2017, cité au point 2 ci-dessus, d'une part, que le législateur a confié au CIVEN la mission de réexaminer l'ensemble des demandes d'indemnisation ayant fait l'objet d'une décision de rejet de la part du ministre ou du comité, s'il estime que l'entrée en vigueur de cette loi est susceptible de justifier l'abrogation de la précédente décision et, d'autre part, que les victimes ou leurs ayants droit peuvent, dans les douze mois à compter de l'entrée en vigueur de cette loi, présenter au CIVEN une nouvelle demande d'indemnisation ; que, compte tenu de son office, il appartient au juge du plein contentieux, saisi d'un litige relatif à une décision intervenue après réexamen d'une ancienne demande d'indemnisation ou en réponse à une demande postérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 28 février 2017, de statuer en faisant application des dispositions de la loi du 5 janvier 2010 dans leur rédaction issue de la loi du 28 février 2017 et, s'il juge illégale la décision contestée, de fixer le montant de l'indemnité due au demandeur, sous réserve que ce dernier ait présenté des conclusions indemnitaires chiffrées, le cas échéant, après que le juge l'a invité à régulariser sa demande sur ce point ; qu'en revanche, il résulte des dispositions rappelées ci-dessus de la loi du 28 février 2017 que le législateur a entendu que, lorsque le juge statue sur une décision antérieure à leur entrée en vigueur, il se borne, s'il juge, après avoir invité les parties à débattre des conséquences de l'application de la loi précitée, qu'elle est illégale, à l'annuler et à renvoyer au CIVEN le soin de réexaminer la demande ;

5. Considérant que les dispositions du I de l'article 113 de la loi du 28 février 2017 citées au point 2 ont supprimé les dispositions du premier alinéa du V de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010 ; que le législateur a ainsi entendu que, dès lors qu'un demandeur satisfait aux conditions de temps, de lieu et de pathologie prévues par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 modifiée, il bénéficie de la présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie ; que cette présomption ne peut être renversée que si l'administration établit que la pathologie de l'intéressé résulte exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires, en particulier parce qu'il n'a subi aucune exposition à de tels rayonnements ;

6. Considérant que M. A...a séjourné dans des lieux et pendant une période définis par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 ; que le myélome dont il est atteint figure sur la liste annexée au décret du 11 juin 2010 ; qu'il bénéficie dès lors d'une présomption de causalité aux fins d'indemnisation du préjudice subi en raison de son exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires ;

7. Considérant que M. A...a séjourné à plusieurs reprises au centre d'expérimentation du pacifique de 1972 à 1993 ; qu'en qualité de manoeuvrier, il a été affecté du 11 février 1972 au 8 février 1973 sur le bâtiment-base " Maurienne " à Mururoa ; que d'octobre 1980 à juillet 1983, il a été affecté sur l'aviso-escorteur " Protet " à Tahiti, puis de mai 1984 à juin 1985 sur le transporteur de chalands de débarquement " Orage " avant d'être affecté de juillet 1985 à juillet 1986 en qualité de responsable du club nautique sur l'atoll d'Hao ; qu'enfin, il a séjourné sur le ravitailleur " Revi " du 15 avril 1992 au 15 juin 1993 à Mururoa ; que le ministre soutient qu'à l'occasion de la campagne d'essais de 1972, le bâtiment-base Maurienne appareillait à une distance comprise entre 25 km et 30 km des sites d'expérimentations ; que M. A...rapporte toutefois, sans être contredit, avoir assisté à trois explosions depuis le pont du bâtiment-base " Maurienne " sans autre protection que des lunettes noires ; qu'à l'occasion des essais souterrains, il indique avoir effectué des travaux d'inspection du puits et de relevé d'échantillons d'eau de mer sur les lignes de mouillage de Fangataufa ; qu'en raison de son affectation à des postes réputés non exposés aux rayonnements ionisants, M. A...n'a jamais fait l'objet de surveillance dosimétrique individuelle ; que seuls deux examens anthroporadiamétriques ont été réalisés en avril 1992 et avril 1993 à des périodes au cours desquelles aucun essai n'a été effectué ; qu'au regard de ces éléments, de la durée de son affectation au centre d'expérimentation du Pacifique et des missions réellement exercées, il ne résulte pas de l'instruction que la pathologie de M. A...résulte exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires, en particulier parce que celui-ci n'aurait subi aucun exposition à de tels rayonnements ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre de la défense n'est pas fondé à soutenir que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes, d'une part, a annulé sa décision du 10 octobre 2014 et d'autre part, a enjoint au CIVEN de présenter à M. A...une offre d'indemnisation dans un délai de trois mois ;

Sur les intérêts :

9. Considérant que M. A...a droit aux intérêts des sommes qui lui sont dues à compter du 20 octobre 2011, date de la réception par l'administration de sa demande complète d'indemnisation, avec capitalisation des intérêts échus au 20 octobre 2012, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par M. A...et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le recours du ministre des Armées est rejeté.

Article 2 : Les sommes allouées par le CIVEN à M. A...en application du jugement du 31 décembre 2015 porteront intérêts à compter du 20 octobre 2011. Les intérêts échus le 20 octobre 2012, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à M. A...en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des Armées, à M. C...A...et au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires.

Délibéré après l'audience du 21 novembre 2017, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- Mme Tiger-Winterhalter, présidente-assesseure,

- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 8 décembre 2017.

Le rapporteur,

M.-P. Allio-RousseauLe président,

L. Lainé

Le greffier,

M. B...

La République mande et ordonne au ministre des Armées en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 16NT01049


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 16NT01049
Date de la décision : 08/12/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Marie-Paule ALLIO-ROUSSEAU
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : CABINET D'AVOCATS TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2017-12-08;16nt01049 ?
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