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08/12/2017 | FRANCE | N°16NT01045

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 08 décembre 2017, 16NT01045


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C...H...veuve A...a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 4 octobre 2011 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande d'indemnisation présentée au titre de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français.

Par un jugement n° 1104423 du 31 décembre 2015, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision du 4 octobre 2011 et a enjoint au comité d'indemnisation

des victimes des essais nucléaires (CIVEN) de présenter à Mme A...une proposition d'...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C...H...veuve A...a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 4 octobre 2011 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande d'indemnisation présentée au titre de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français.

Par un jugement n° 1104423 du 31 décembre 2015, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision du 4 octobre 2011 et a enjoint au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) de présenter à Mme A...une proposition d'indemnisation des préjudices subis dans un délai de trois mois.

Procédure devant la cour :

Par un recours, enregistré le 11 mars 2016, le ministre de la défense demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 31 décembre 2015 ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme A...devant le tribunal administratif de Rennes.

Il soutient que si la présomption de causalité s'applique à la situation de M. A...qui a séjourné sur le site des essais et contracté un cancer du colon, cette présomption est renversée dès lors qu'en l'espèce le risque attribuable aux essais nucléaires est négligeable.

Par des mémoires en défense, enregistré le 5 septembre 2016 et le 10 mars 2017, Mme F...puis M. B...A...et Mme C...I...A..., ses enfants, représentés par MeG..., concluent au rejet du recours et demandent en outre qu'il soit enjoint au ministre de la défense et au CIVEN de procéder à l'évaluation et à l'indemnisation des préjudices de toute nature imputables à la maladie radio-induite dont était atteint M. A...dans un délai de trois mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, que le montant de l'indemnisation des préjudices soit majoré des intérêts de droit à compter de la date de la demande d'indemnisation avec capitalisation des intérêts échus à compter de cette même formalité et que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les dépens.

Ils soutiennent que les moyens soulevés par le ministre de la défense ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées le 17 juillet 2017, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'application de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017.

Par des mémoires en réponse au courrier du 17 juillet 2017, enregistrés le 11 août 2017 et le 13 septembre 2017, le ministre des Armées conclut aux mêmes fins que le recours par les mêmes moyens.

Il soutient en outre que, si la loi du 28 février 2017 est applicable, M. A...n'a concrètement subi aucune exposition aux rayonnements ionisants.

Par un mémoire en réponse au courrier du 17 juillet 2017, enregistré le 10 novembre 2017, les consorts A...concluent par les mêmes moyens au rejet du recours.

Ils soutiennent que :

- le ministre n'apporte pas d'élément de nature à établir que la pathologie de M. A...résulte exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires, en particulier parce qu'il n'a subi aucune exposition à de tels rayonnements ;

- une expertise a été diligentée par le CIVEN le 10 mai 2017 pour évaluer les préjudices subis par M.A....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2010-2 modifiée du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

- la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique ;

- le décret n° 2010-653 modifié du 11 juin 2010 pris en application de la loi relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Allio-Rousseau,

- les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public,

- et les observations de MeG..., représentant MmeA....

1. Considérant que M. E...A..., militaire de carrière, né le 3 août 1934, a été affecté successivement en septembre et octobre 1967 puis d'octobre 1967 à février 1969 et de mars 1970 à juin 1971 à Mururoa ; qu'au cours de ces périodes, quinze essais nucléaires atmosphériques ont été réalisés ; qu'il est décédé le 22 mai 2004 d'un cancer du colon ; que son épouse, Mme C...A..., aujourd'hui décédée, a présenté le 11 octobre 2010 une demande d'indemnisation sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ; que par une décision du 4 octobre 2011, le ministre de la défense a rejeté cette demande au motif que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie de M. A...pouvait être qualifié de négligeable ; que le ministre de la défense relève appel du jugement du 31 décembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Rennes a annulé cette décision et a enjoint au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) de présenter à Mme A...une proposition d'indemnisation des préjudices subis par son époux dans un délai de trois mois ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi./Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit " ; que l'article 2 de cette même loi définit les conditions de temps et de lieu de séjour ou de résidence que le demandeur doit remplir ; que l'article 4 de cette loi, dans sa rédaction antérieure à la loi du 28 février 2017, prévoyait que les demandes individuelles d'indemnisation étaient soumises à un comité d'indemnisation et disposait : " (...) / V. - Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable (...) " ; qu'enfin, aux termes de l'article 113 de la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique : " I.- Au premier alinéa du V de l'article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, les mots et la phrase : " à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité le justifie auprès de l'intéressé. " sont supprimés./ II.- Lorsqu'une demande d'indemnisation fondée sur les dispositions du I de l'article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français a fait l'objet d'une décision de rejet par le ministre de la défense ou par le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires avant l'entrée en vigueur de la présente loi, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires réexamine la demande s'il estime que l'entrée en vigueur de la présente loi est susceptible de justifier l'abrogation de la précédente décision. Il en informe l'intéressé ou ses ayants droit s'il est décédé qui confirment leur réclamation et, le cas échéant, l'actualisent. Dans les mêmes conditions, le demandeur ou ses ayants droit s'il est décédé peuvent également présenter une nouvelle demande d'indemnisation, dans un délai de douze mois à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi./ III.- Une commission composée pour moitié de parlementaires et pour moitié de personnalités qualifiées propose, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, les mesures destinées à réserver l'indemnisation aux personnes dont la maladie est causée par les essais nucléaires. Elle formule des recommandations à l'attention du Gouvernement " ;

3. Considérant que l'entrée en vigueur des dispositions précitées du I de l'article 113 de la loi du 28 février 2017 n'est pas manifestement impossible en l'absence de mesures d'application ; qu'elle est dès lors intervenue le lendemain de la publication de cette loi au Journal officiel de la République française ; que ces dispositions sont applicables à la présente instance ;

4. Considérant qu'il résulte du II de l'article 113 de la loi du 28 février 2017, cité au point 2 ci-dessus, d'une part, que le législateur a confié au CIVEN la mission de réexaminer l'ensemble des demandes d'indemnisation ayant fait l'objet d'une décision de rejet de la part du ministre ou du comité, s'il estime que l'entrée en vigueur de cette loi est susceptible de justifier l'abrogation de la précédente décision et, d'autre part, que les victimes ou leurs ayants droit peuvent, dans les douze mois à compter de l'entrée en vigueur de cette loi, présenter au CIVEN une nouvelle demande d'indemnisation ; que, compte tenu de son office, il appartient au juge du plein contentieux, saisi d'un litige relatif à une décision intervenue après réexamen d'une ancienne demande d'indemnisation ou en réponse à une demande postérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 28 février 2017, de statuer en faisant application des dispositions de la loi du 5 janvier 2010 dans leur rédaction issue de la loi du 28 février 2017 et, s'il juge illégale la décision contestée, de fixer le montant de l'indemnité due au demandeur, sous réserve que ce dernier ait présenté des conclusions indemnitaires chiffrées, le cas échéant, après que le juge l'a invité à régulariser sa demande sur ce point ; qu'en revanche, il résulte des dispositions rappelées ci-dessus de la loi du 28 février 2017 que le législateur a entendu que, lorsque le juge statue sur une décision antérieure à leur entrée en vigueur, il se borne, s'il juge, après avoir invité les parties à débattre des conséquences de l'application de la loi précitée, qu'elle est illégale, à l'annuler et à renvoyer au CIVEN le soin de réexaminer la demande ;

5. Considérant que les dispositions du I de l'article 113 de la loi du 28 février 2017 citées au point 2 ont supprimé les dispositions du premier alinéa du V de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010 ; que le législateur a ainsi entendu que, dès lors qu'un demandeur satisfait aux conditions de temps, de lieu et de pathologie prévues par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 modifiée, il bénéficie de la présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie ; que cette présomption ne peut être renversée que si l'administration établit que la pathologie de l'intéressé résulte exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires, en particulier parce qu'il n'a subi aucune exposition à de tels rayonnements ;

6. Considérant que M. A...a séjourné dans des lieux et pendant une période définis par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 ; que la pathologie dont il est décédé figure sur la liste annexée au décret du 11 juin 2010 ; qu'il bénéficie dès lors d'une présomption de causalité aux fins d'indemnisation du préjudice subi en raison de son exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires ;

7. Considérant que M. A...a été affecté à Mururoa, successivement, en septembre et octobre 1967 sur le bâtiment Giboulée, puis d'octobre 1967 à février 1969 à bord du Saintonge, et de mars 1970 à juin 1971 à bord de l'engin de débarquement d'infanterie et de chars (EDIC) 9074 ; qu'il résulte du livret militaire de M. A...que, s'agissant plus particulièrement de cette période, celui-ci était directement affecté à des travaux sous rayonnements ionisants ; que le navire EDIC 9074, appelé EDIC Ballon et à bord duquel il était chef de quart, était chargé de remorquer jusqu'au fond du lagon, site du tir d'essai, le grand ballon sous lequel était fixé l'engin nucléaire ; que le ministre de la défense ne produit aucun document relatif à la localisation exacte de ce navire au moment des tirs sous ballon ; que, par ailleurs, M. A...n'a bénéficié d'aucune mesure de contamination interne au titre de cette période ; qu'aucune mesure de contamination externe correspondant à cette période n'est produite dans le dossier médicoradiobiologique de M.A... ; que si le résultat de ses analyses de sang n'a révèlé rien d'anormal, il ressort également des pièces du dossier que l'analyse réalisée le 6 mai 1971 est antérieure aux essais " Dioné " et " Encelade " des 5 et 12 juin 1971 ; qu'il ressort en outre du dossier médical de M. A...que ce dernier a subi deux examens périodiques les 26 octobre 1970 et 8 mai 1971 afin de s'assurer de son aptitude " P.D.A. " ; qu'au regard de l'ensemble de ces éléments, et notamment des missions exercées par M. A...entre mars 1970 et juin 1971, période au cours de laquelle dix tirs sous ballon ont été effectués à Mururoa ou à Fangataufa, il n'est pas établi que la pathologie de M. A...résulte exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires, en particulier parce que celui-ci n'aurait subi aucun exposition à de tels rayonnements ;

8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé sa décision du 4 octobre 2011 et lui a enjoint de saisir le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires ;

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Considérant que, compte tenu de ce qui a été dit au point 4, l'annulation de la décision du 4 octobre 2011 implique seulement que la demande des consorts A...soit renvoyée au CIVEN pour être réexaminée ; que les consorts A...ont informé la cour de ce qu'une expertise médicale diligentée par le CIVEN en vue d'évaluer les préjudices subis par M. A...est en cours ; que, par suite, les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les intérêts :

10. Considérant que les ayants droit de M. et Mme A...ont droit aux intérêts des sommes qui leur sont dues à compter du 11 octobre 2010, date de la réception par l'administration de sa demande complète d'indemnisation, avec capitalisation des intérêts échus au 11 octobre 2011, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par M. et Mme A...et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le recours du ministre de la défense est rejeté.

Article 2 : Les sommes allouées par le CIVEN à M. et Mme A...en application du jugement du 31 décembre 2015 porteront intérêts à compter du 11 octobre 2010. Les intérêts échus le 11 octobre 2011, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : L'Etat versera une somme globale de 3 000 euros à M. et Mme A...en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de M. et Mme A...à fin d'injonction et d'astreinte sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des Armées, à M. B...A..., à Mme C...I...A...et au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires.

Délibéré après l'audience du 21 novembre 2017, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- Mme Tiger-Winterhalter, présidente-assesseure,

- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 8 décembre 2017.

Le rapporteur,

M.-P. Allio-RousseauLe président,

L. Lainé

Le greffier,

M. D...

La République mande et ordonne au ministre des Armées en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 16NT01045


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 16NT01045
Date de la décision : 08/12/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Marie-Paule ALLIO-ROUSSEAU
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : CABINET D'AVOCATS TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2017-12-08;16nt01045 ?
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