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08/12/2017 | FRANCE | N°16NT01043

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 08 décembre 2017, 16NT01043


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E...B...veuve D...a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 15 septembre 2011 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande d'indemnisation présentée au titre de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français.

Par un jugement n° 1104321 du 31 décembre 2015, le tribunal administratif de Rennes, a annulé la décision du 15 septembre 2011 et a enjoint au comité d'indemni

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E...B...veuve D...a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 15 septembre 2011 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande d'indemnisation présentée au titre de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français.

Par un jugement n° 1104321 du 31 décembre 2015, le tribunal administratif de Rennes, a annulé la décision du 15 septembre 2011 et a enjoint au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires de présenter à Mme D...une proposition d'indemnisation des préjudices subis dans un délai de trois mois.

Procédure devant la cour :

Par un recours, enregistré le 11 mars 2016, le ministre de la défense demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 31 décembre 2015 ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme D...devant le tribunal administratif de Rennes.

Il soutient que si la présomption de causalité s'applique à la situation de M. D...qui a séjourné sur le site des essais et contracté une leucémie et un cancer cutané, cette présomption est renversée dès lors qu'en l'espèce le risque attribuable aux essais nucléaires est négligeable.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 juillet 2016, MmeD..., représentée par MeG..., conclut au rejet du recours et demande en outre que soit mis à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les dépens.

Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre de la défense ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées le 17 juillet 2017, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'application de l'article 113 de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017.

Par un mémoire en réponse au courrier du 17 juillet 2017, enregistré le 13 septembre 2017, le ministre des Armées conclut aux mêmes fins que son recours par les mêmes moyens.

Il soutient en outre que, si la loi du 28 février 2017 est applicable, M. D...n'a concrètement subi aucune exposition aux rayonnements ionisants.

Par un mémoire en réponse au courrier du 17 juillet 2017, enregistré le 14 novembre 2017, Mme D...conclut par les mêmes moyens au rejet du recours.

Elle soutient que le ministre n'apporte pas d'élément de nature à établir que la pathologie de M. D...résulte exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires, en particulier parce qu'il n'a subi aucune exposition à de tels rayonnements.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi n° 2010-2 modifiée du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

- la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique ;

- le décret n° 2010-653 modifié du 11 juin 2010 pris en application de la loi relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Allio-Rousseau,

- les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public,

- et les observations de MeF..., représentant MmeD....

1. Considérant que M. A...D..., né le 25 avril 1945, militaire de carrière, a été affecté en qualité de boulanger sur le bâtiment-base " Moselle " du 9 avril 1973 au 11 avril 1974, au centre d'expérimentation du pacifique de Mururoa du 11 mai 1976 au 13 juin 1977 ainsi qu'à Papeete du 11 octobre 1983 au 16 octobre 1984 ; qu'au cours de ces périodes, six essais nucléaires atmosphériques et treize essais souterrains ont été réalisés ; que l'intéressé, qui a développé une leucémie et un cancer cutané, est décédé en 2004 ; que Mme D...a présenté le 11 octobre 2010 une demande d'indemnisation des préjudices subis au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) en se prévalant des disposition de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ; que le ministre de la défense a, par une décision du 15 septembre 2011, conformément à la recommandation émise par le CIVEN, rejeté sa demande au motif que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenance de la maladie de M. D...pouvait être qualifié de négligeable ; que le ministre relève appel du jugement du 31 décembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Rennes a annulé cette décision ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi./Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit " ; que l'article 2 de cette même loi définit les conditions de temps et de lieu de séjour ou de résidence que le demandeur doit remplir ; que l'article 4 de cette loi, dans sa rédaction antérieure à la loi du 28 février 2017, prévoyait que les demandes individuelles d'indemnisation étaient soumises à un comité d'indemnisation, et disposait : " (...) / V. - Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable (...) " ; qu'enfin, aux termes de l'article 113 de la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique : " I.- Au premier alinéa du V de l'article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, les mots et la phrase : " à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité le justifie auprès de l'intéressé. " sont supprimés./ II.- Lorsqu'une demande d'indemnisation fondée sur les dispositions du I de l'article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français a fait l'objet d'une décision de rejet par le ministre de la défense ou par le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires avant l'entrée en vigueur de la présente loi, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires réexamine la demande s'il estime que l'entrée en vigueur de la présente loi est susceptible de justifier l'abrogation de la précédente décision. Il en informe l'intéressé ou ses ayants droit s'il est décédé qui confirment leur réclamation et, le cas échéant, l'actualisent. Dans les mêmes conditions, le demandeur ou ses ayants droit s'il est décédé peuvent également présenter une nouvelle demande d'indemnisation, dans un délai de douze mois à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi./ III.- Une commission composée pour moitié de parlementaires et pour moitié de personnalités qualifiées propose, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, les mesures destinées à réserver l'indemnisation aux personnes dont la maladie est causée par les essais nucléaires. Elle formule des recommandations à l'attention du Gouvernement " ;

3. Considérant que l'entrée en vigueur des dispositions précitées du I de l'article 113 de la loi du 28 février 2017 n'est pas manifestement impossible en l'absence de mesures d'application ; qu'elle est dès lors intervenue le lendemain de la publication de cette loi au Journal officiel de la République française ; que ces dispositions sont applicables à la présente instance ;

4. Considérant qu'il résulte du II de l'article 113 de la loi du 28 février 2017, cité au point 2 ci-dessus, d'une part, que le législateur a confié au CIVEN la mission de réexaminer l'ensemble des demandes d'indemnisation ayant fait l'objet d'une décision de rejet de la part du ministre ou du comité, s'il estime que l'entrée en vigueur de cette loi est susceptible de justifier l'abrogation de la précédente décision et, d'autre part, que les victimes ou leurs ayants droit peuvent, dans les douze mois à compter de l'entrée en vigueur de cette loi, présenter au CIVEN une nouvelle demande d'indemnisation ; que, compte tenu de son office, il appartient au juge du plein contentieux, saisi d'un litige relatif à une décision intervenue après réexamen d'une ancienne demande d'indemnisation ou en réponse à une demande postérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 28 février 2017, de statuer en faisant application des dispositions de la loi du 5 janvier 2010 dans leur rédaction issue de la loi du 28 février 2017 et, s'il juge illégale la décision contestée, de fixer le montant de l'indemnité due au demandeur, sous réserve que ce dernier ait présenté des conclusions indemnitaires chiffrées, le cas échéant, après que le juge l'a invité à régulariser sa demande sur ce point ; qu'en revanche, il résulte des dispositions rappelées ci-dessus de la loi du 28 février 2017 que le législateur a entendu que, lorsque le juge statue sur une décision antérieure à leur entrée en vigueur, il se borne, s'il juge, après avoir invité les parties à débattre des conséquences de l'application de la loi précitée, qu'elle est illégale, à l'annuler et à renvoyer au CIVEN le soin de réexaminer la demande ;

5. Considérant que les dispositions du I de l'article 113 de la loi du 28 février 2017 citées au point 2 ont supprimé les dispositions du premier alinéa du V de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010 ; que le législateur a ainsi entendu que, dès lors qu'un demandeur satisfait aux conditions de temps, de lieu et de pathologie prévues par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 modifiée, il bénéficie de la présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie ; que cette présomption ne peut être renversée que si l'administration établit que la pathologie de l'intéressé résulte exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires, en particulier parce qu'il n'a subi aucune exposition à de tels rayonnements ;

6. Considérant que M. D...a séjourné dans des lieux et pendant une période définis par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 ; que les pathologies dont il est décédé figurent sur la liste annexée au décret du 11 juin 2010 ; qu'il bénéficie dès lors d'une présomption de causalité aux fins d'indemnisation du préjudice subi en raison de son exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires ;

7. Considérant qu'il ressort des cartes produites pour la première fois en appel par le ministre que le bâtiment-base " Moselle " était positionné à une distance comprise entre 29 et 62 kilomètres du point zéro lors des six tirs atmosphériques de la période d'affectation de M.D... ; que, pour renverser la présomption de causalité, le ministre fait valoir que M. D...occupait des fonctions de boulanger et n'a pas été affecté, à ce titre, à un poste radiologiquement exposé ; que le relevé de la dosimétrie collective installée à bord du bâtiment-base " Moselle " pour la période allant d'avril à septembre 1973 indique un résultat nul ;

8. Considérant, toutefois, qu'il ressort des attestations produites par M.D..., non sérieusement contestées par le ministre, que lors de la campagne d'essais de 1973 le personnel du bâtiment-base " Moselle " était de retour sur l'atoll de Mururoa dans un délai compris entre vingt-quatre et quarante-huit heures après chaque explosion ; que l'équipage n'a fait l'objet d'aucune mesure de protection particulière ; qu'il résulte de l'instruction que des retombées radioactives ont eu lieu sur l'atoll de Mururoa et dans le lagon dans les jours suivant le tir " Melpomène " du 28 juillet 1973 ; que suite au tir " Parthénope ", du 24 août 1973, des retombées de débris sur l'atoll et dans le lagon y ont engendré une hausse de la radioactivité ; qu'à l'occasion de ses différentes affectations en Polynésie, M. D...n'a fait l'objet d'aucun relevé dosimétrique individuel ; que les deux examens spectrogammamétriques effectués le 22 mai 1977 et le 9 octobre 1984 correspondent à des examens de sortie, au demeurant largement postérieurs à l'affectation de l'intéressé sur le bâtiment-base " Moselle " ; que le ministre produit les résultats de la dosimétrie collective en zones " Anémone " et " Khatie " pour la période allant du 1er mai 1972 au 31 août 1975, alors que ces relevés, qui permettent de mesurer l'exposition externe, ne sont pas pertinents pour mesurer les risques de contamination interne ; que, dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que les pathologies dont était atteint M. D...résultent exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires, en particulier parce que celui-ci n'aurait subi aucune exposition à de tels rayonnements ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre de la défense n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes, d'une part, a annulé sa décision du 15 septembre 2011 et, d'autre part, a enjoint au CIVEN de présenter à Mme D...une offre d'indemnisation dans un délai de trois mois ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par Mme D...et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le recours du ministre de la défense est rejeté.

Article 2 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à Mme D...en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des Armées, au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires et à Mme E...D....

Délibéré après l'audience du 21 novembre 2017, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- Mme Tiger-Winterhalter, présidente-assesseure,

- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 8 décembre 2017.

Le rapporteur,

M.-P. Allio-RousseauLe président,

L. Lainé

Le greffier,

M. C...

La République mande et ordonne au ministre des Armées en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 16NT01043


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 16NT01043
Date de la décision : 08/12/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Marie-Paule ALLIO-ROUSSEAU
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : CABINET D'AVOCATS TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2017-12-08;16nt01043 ?
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