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08/12/2017 | FRANCE | N°16NT00808

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 08 décembre 2017, 16NT00808


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E...C...'h a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 8 février 2012 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande d'indemnisation présentée au titre de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français.

Par un jugement n° 1201156 du 31 décembre 2015, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision du 8 février 2012 et a enjoint au comité d'indemnisation des v

ictimes des essais nucléaires de présenter à MmeC...'h une proposition d'indemnisation...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme E...C...'h a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision du 8 février 2012 par laquelle le ministre de la défense a rejeté sa demande d'indemnisation présentée au titre de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français.

Par un jugement n° 1201156 du 31 décembre 2015, le tribunal administratif de Rennes a annulé la décision du 8 février 2012 et a enjoint au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires de présenter à MmeC...'h une proposition d'indemnisation des préjudices subis dans un délai de trois mois.

Procédure devant la cour :

Par un recours, enregistré le 1er mars 2016, le ministre de la défense demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 31 décembre 2015 ;

2°) de rejeter la demande présentée par MmeC...'h devant le tribunal administratif de Rennes.

Il soutient que si la présomption de causalité s'applique à la situation de M.C...'h qui a séjourné sur le site des essais et contracté un cancer des glandes salivaires, cette présomption est renversée dès lors qu'en l'espèce le risque attribuable aux essais nucléaires est négligeable.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 juillet 2016, MmeC...'h, représentée par MeD..., conclut au rejet du recours et demande en outre que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les dépens.

Elle soutient que les moyens soulevés par le ministre de la défense ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées le 17 juillet 2017, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'application de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017.

Par un mémoire en réponse au courrier du 17 juillet 2017, enregistré le 10 août 2017, la ministre des Armées conclut aux mêmes fins que le recours par les mêmes moyens.

Elle soutient en outre que, si la loi du 28 février 2017 est applicable, M.C...'h n'a concrètement subi aucune exposition aux rayonnements ionisants.

Par un mémoire en réponse au courrier du 17 juillet 2017, enregistré le 14 novembre 2017, MmeC...'h conclut par les mêmes moyens au rejet du recours.

Elle soutient que le ministre n'apporte pas d'élément de nature à établir que la pathologie de M.C...'h résulte exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires, en particulier parce qu'il n'a subi aucune exposition à de tels rayonnements.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2010-2 modifiée du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

- la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique ;

- le décret n° 2010-653 modifié du 11 juin 2010 pris en application de la loi relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Allio-Rousseau,

- les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public,

- et les observations de MeD..., représentant MmeC...'h.

1. Considérant que M. B...C...'h, militaire de carrière, né le 1er septembre 1938, a été affecté en qualité de mécanicien d'entretien sur le site d'expérimentations nucléaires d'In Ecker au Sahara, du 6 mars 1961 au 1er juillet 1963 ; qu'au cours de cette période, un essai nucléaire atmosphérique et quatre essais nucléaires souterrains ont été effectués en Algérie ; qu'il est décédé le 1er février 1987 d'un cancer des glandes salivaires diagnostiqué en 1985 ; que son épouse, Mme E...C...'h, a présenté le 15 septembre 2010 une demande d'indemnisation sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ; que par une décision du 8 février 2012, le ministre de défense a rejeté cette demande au motif que le risque attribuable aux essais nucléaires dans le survenue de la maladie de M.C...'h pouvait être qualifié de négligeable ; que le ministre de la défense relève appel du jugement du 31 décembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Rennes a annulé cette décision et a enjoint au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) de présenter à MmeC...'h une proposition d'indemnisation des préjudices subis par son époux dans un délai de trois mois ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français : " Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'Etat conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi./Si la personne est décédée, la demande de réparation peut être présentée par ses ayants droit " ; que l'article 2 de cette même loi définit les conditions de temps et de lieu de séjour ou de résidence que le demandeur doit remplir ; que l'article 4 de cette loi, dans sa rédaction antérieure à la loi du 28 février 2017, prévoyait que les demandes individuelles d'indemnisation étaient soumises à un comité d'indemnisation, et disposait : " (...) / V. - Ce comité examine si les conditions de l'indemnisation sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable (...) " ; qu'enfin, aux termes de l'article 113 de la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique : " I.- Au premier alinéa du V de l'article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, les mots et la phrase : " à moins qu'au regard de la nature de la maladie et des conditions de son exposition le risque attribuable aux essais nucléaires puisse être considéré comme négligeable. Le comité le justifie auprès de l'intéressé. " sont supprimés./ II.- Lorsqu'une demande d'indemnisation fondée sur les dispositions du I de l'article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français a fait l'objet d'une décision de rejet par le ministre de la défense ou par le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires avant l'entrée en vigueur de la présente loi, le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires réexamine la demande s'il estime que l'entrée en vigueur de la présente loi est susceptible de justifier l'abrogation de la précédente décision. Il en informe l'intéressé ou ses ayants droit s'il est décédé qui confirment leur réclamation et, le cas échéant, l'actualisent. Dans les mêmes conditions, le demandeur ou ses ayants droit s'il est décédé peuvent également présenter une nouvelle demande d'indemnisation, dans un délai de douze mois à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi./ III.- Une commission composée pour moitié de parlementaires et pour moitié de personnalités qualifiées propose, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, les mesures destinées à réserver l'indemnisation aux personnes dont la maladie est causée par les essais nucléaires. Elle formule des recommandations à l'attention du Gouvernement " ;

3. Considérant que l'entrée en vigueur des dispositions précitées du I de l'article 113 de la loi du 28 février 2017 n'est pas manifestement impossible en l'absence de mesures d'application ; qu'elle est dès lors intervenue le lendemain de la publication de cette loi au Journal officiel de la République française ; que ces dispositions sont applicables à la présente instance ;

4. Considérant qu'il résulte du II de l'article 113 de la loi du 28 février 2017, cité au point 2 ci-dessus, d'une part, que le législateur a confié au CIVEN la mission de réexaminer l'ensemble des demandes d'indemnisation ayant fait l'objet d'une décision de rejet de la part du ministre ou du comité, s'il estime que l'entrée en vigueur de cette loi est susceptible de justifier l'abrogation de la précédente décision et, d'autre part, que les victimes ou leurs ayants droit peuvent, dans les douze mois à compter de l'entrée en vigueur de cette loi, présenter au CIVEN une nouvelle demande d'indemnisation ; que, compte tenu de son office, il appartient au juge du plein contentieux, saisi d'un litige relatif à une décision intervenue après réexamen d'une ancienne demande d'indemnisation ou en réponse à une demande postérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 28 février 2017, de statuer en faisant application des dispositions de la loi du 5 janvier 2010 dans leur rédaction issue de la loi du 28 février 2017 et, s'il juge illégale la décision contestée, de fixer le montant de l'indemnité due au demandeur, sous réserve que ce dernier ait présenté des conclusions indemnitaires chiffrées, le cas échéant, après que le juge l'a invité à régulariser sa demande sur ce point ; qu'en revanche, il résulte des dispositions rappelées ci-dessus de la loi du 28 février 2017 que le législateur a entendu que, lorsque le juge statue sur une décision antérieure à leur entrée en vigueur, il se borne, s'il juge, après avoir invité les parties à débattre des conséquences de l'application de la loi précitée, qu'elle est illégale, à l'annuler et à renvoyer au CIVEN le soin de réexaminer la demande ;

5. Considérant que les dispositions du I de l'article 113 de la loi du 28 février 2017 citées au point 2 ont supprimé les dispositions du premier alinéa du V de l'article 4 de la loi du 5 janvier 2010 ; que le législateur a ainsi entendu que, dès lors qu'un demandeur satisfait aux conditions de temps, de lieu et de pathologie prévues par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 modifiée, il bénéficie de la présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie ; que cette présomption ne peut être renversée que si l'administration établit que la pathologie de l'intéressé résulte exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires, en particulier parce qu'il n'a subi aucune exposition à de tels rayonnements ;

6. Considérant que M.C...'h a séjourné dans des lieux et pendant une période définies par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 ; que la pathologie dont il est décédé figure sur la liste annexée au décret du 11 juin 2010 ; que MmeC...'h bénéficie dès lors d'une présomption de causalité aux fins d'indemnisation du préjudice subi en raison de l'exposition de son époux aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires ;

7. Considérant que, pour renverser cette présomption, le ministre fait valoir que M.C...'h n'a pas été concrètement exposé aux rayons ionisants durant la période de son affectation en Algérie, en se fondant sur la recommandation du CIVEN qui avait indiqué que, compte tenu de la nature des fonctions exercées par M.C...'h, du niveau de l'exposition aux rayonnements ionisants retenue pour ce dernier lors de sa présence sur les sites d'expérimentation nucléaires, la probabilité d'une relation de causalité entre cette exposition et la maladie dont il a été atteint, évaluée selon les recommandations de l'agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), est très inférieure à 1% (0,03%) ;

8. Considérant, toutefois, que M.C...'h a été affecté en qualité de mécanicien d'entretien sur le site d'expérimentations nucléaires d'In Ecker au Sahara, du 6 mars 1961 au 1er juillet 1963 ; que si ses missions consistaient essentiellement en l'approvisionnement en eau de la base-vie et en l'évacuation des eaux usées, il résulte de l'instruction, notamment du tableau de reconstitution des doses par inhalation produit par le ministre, qu'en raison du mauvais confinement de l'essai souterrain " Béryl " du 1er mai 1962 et des retombées dans l'air de particules liées à cet essai, la base au sein de laquelle M.C...'h séjournait a été évacuée d'urgence ; que M.C...'h y est cependant retourné dans l'après-midi ; que la radioactivité de l'air a connu une très forte hausse sur les sites " Base-vie " et " Oasis 2 " durant les jours suivants le tir ; que M.C...'h n'a bénéficié d'une surveillance dosimétrique individuelle qu'à compter du mois de juillet 1962, dont les résultats ne couvrent que deux des cinq essais réalisés durant sa présence au Sahara ; que par ailleurs, si le ministre fait valoir que M.C...'h a bénéficié de quatre examens au titre de la contamination interne révélant des résultats normaux, aucun examen de cette nature n'a été réalisé avant le 7 mai 1962 alors que l'essai atmosphérique " Gerboise verte " et l'essai souterrain " Agathe " ont été effectués respectivement le 25 avril 1961 et le 7 novembre 1961 ; que, dans ces conditions, il n'est pas établi que la pathologie dont est décédé M.C...'h résulte exclusivement d'une cause étrangère à l'exposition aux rayonnements ionisants due aux essais nucléaires, en particulier parce qu'il n'aurait subi aucune exposition à de tels rayonnements ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé sa décision du 8 février 2012 et lui a enjoint de saisir le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires ;

Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par MmeC...'h et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le recours du ministre de la défense est rejeté.

Article 2 : L'Etat versera une somme de 3 000 euros à MmeC...'h en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des Armées, à Mme E...C...'h et au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires.

Délibéré après l'audience du 21 novembre 2017, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- Mme Tiger-Winterhalter, présidente-assesseure,

- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 8 décembre 2017.

Le rapporteur,

M.-P. Allio-RousseauLe président,

L. Lainé

Le greffier,

M. A...

La République mande et ordonne au ministre des Armées en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 16NT00808


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 16NT00808
Date de la décision : 08/12/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Marie-Paule ALLIO-ROUSSEAU
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : CABINET D'AVOCATS TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/12/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2017-12-08;16nt00808 ?
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