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20/10/2017 | FRANCE | N°15NT03195

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 20 octobre 2017, 15NT03195


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

MmesJ..., B...et M...F..., respectivement fille et soeurs de Mme A...F..., et M. E...G..., compagnon de Mme J...F..., ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner le centre hospitalier de Saint-Brieuc à les indemniser des préjudices subis par eux-mêmes et par Mme A...F...à la suite de son hospitalisation dans cet établissement le 19 septembre 2008 et d'un acte de soin ayant entraîné son décès le 6 octobre suivant.

Par un jugement n° 1301267 du 27 août 2015 le tribunal administrati

f de Rennes a condamné le centre hospitalier de Saint-Brieuc à verser aux consor...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

MmesJ..., B...et M...F..., respectivement fille et soeurs de Mme A...F..., et M. E...G..., compagnon de Mme J...F..., ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner le centre hospitalier de Saint-Brieuc à les indemniser des préjudices subis par eux-mêmes et par Mme A...F...à la suite de son hospitalisation dans cet établissement le 19 septembre 2008 et d'un acte de soin ayant entraîné son décès le 6 octobre suivant.

Par un jugement n° 1301267 du 27 août 2015 le tribunal administratif de Rennes a condamné le centre hospitalier de Saint-Brieuc à verser aux consorts F...la somme de 13 220 euros au titre des préjudices de Mme A...F...et, au titre de leurs préjudices propre, les sommes de 17 765,84 euros à Mme J...F..., 6 000 euros à Mmes B...et M...F...et 2 000 euros à M.G....

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 20 octobre 2015, 23 novembre 2015 et 1er septembre 2016 le centre hospitalier de Saint-Brieuc, représenté par MeK..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 27 août 2015 ;

2°) subsidiairement, de ramener les indemnités allouées à de plus justes proportions.

Il soutient que :

- la réparation du préjudice mise à sa charge doit correspondre à la perte de chance subie par la patiente de voir son état s'améliorer du fait de la faute commise, perte de chance qui dans le cas d'espèce ne pouvait pas être évaluée à 100% compte tenu de l'état antérieur de Mme F..., porteuse d'un cancer à un stade avancée qui limitait son espérance de vie ;

- compte tenu de la gravité de la pathologie et de l'état dégradé de la patiente au jour de l'intervention, la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux a retenu une perte de chance de 25% ;

- les sommes allouées par le tribunal administratif de Rennes pour chaque chef de préjudice sont équitables et les demandes supplémentaires formulées par les requérants doivent être rejetées.

Par un courrier enregistré le 19 mai 2016 la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes d'Armor a informé la cour qu'elle avait été indemnisée de ses débours par le centre hospitalier de Saint-Brieuc à la suite d'une transaction amiable et qu'elle n'interviendrait pas à l'instance.

Par un mémoire enregistré le 9 août 2016 MmesJ..., B...et M...F...et M.G..., représentés par MeI..., concluent :

1°) au rejet de la requête du centre hospitalier de Saint-Brieuc ;

2°) par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement attaqué en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de leurs demandes ;

3°) à la condamnation du centre hospitalier de Saint-Brieuc à leur verser la somme totale de 104 510,04 euros, assortie des intérêts à compter du 21 mars 2013, ces intérêts étant capitalisés pour porter eux-mêmes intérêt ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Saint-Brieuc la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- les moyens invoqués par le centre hospitalier de Saint-Brieuc ne sont pas fondés ;

- le déficit fonctionnel temporaire, les souffrances endurées et le préjudice esthétique et le préjudice moral de Mme A...F...justifient le versement des sommes de 650 euros, 8 000 euros, 8 000 et 10 000 euros

- au jour de son décès, Mme A...F...avait divers abonnements et contrat de location en cours dont elle n'a pas pu profiter, ce qui justifie le versement de la somme de 10 561,15 euros ;

- Mme J...F...est fondée à demander les sommes de 2 884,89 euros au titre des frais d'obsèques, 414 euros au titre de la consultation d'un psychologue, 10 000 euros au titre du préjudice d'accompagnement et 10 000 euros au titre du préjudice moral découlant du caractère brutal du décès de sa mère ;

- au titre du préjudice d'affection, Mme J...F...est fondée à demander le versement d'une somme de 25 000 euros, M. G...une somme de 5 000 euros, Mme B...F...une somme de 7 000 euros et Mme M...F...une somme de 7 000 euros.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Le Bris,

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,

- et les observations de MeI..., représentant les consorts F...

1. Considérant qu'IrèneF..., née en 1947, a consulté un gastro-entérologue le 18 septembre 2008 en raison d'une dysphagie accompagnée d'une perte de 20% de son poids en un mois ; qu'elle a été hospitalisée le lendemain au centre hospitalier de Saint Brieuc, où un processus de réhydratation a été entamé ; que, le 24 septembre 2008, elle a subi sous anesthésie générale une endoscopie oeso-gastro-duodénale qui a révélé la présence d'une tumeur infranchissable dans l'oesophage, tumeur qui sera identifiée après analyse comme un carcinome épidermoïde infiltant ; que le médecin qui pratiquait l'endoscopie a pris la décision de procéder en outre à une dilatation oesophagienne, qui a entraîné une perforation de l'oesophage ; que, lors d'une nouvelle intervention chirurgicale pratiquée le jour même, Irène F...a subi une ablation de l'oesophage et de la rate ; que la patiente, qui demeurait en état de choc après cette intervention, a été à nouveau opérée le 1er octobre 2008 ; que le 6 octobre 2008, après avoir identifié une nécrose de l'intestin, l'équipe médicale a décidé d'arrêter les soins ; qu'Irène F...est décédée dans la soirée ; que Mme J...F..., fille de la patiente, a présenté le 16 juin 2010 une demande d'indemnisation à la commission régionale de conciliation et d'indemnisation de Bretagne qui, sur la base du rapport d'expertise déposé le 1er février 2011 par le Pr Smadja, a, lors de sa séance du 22 septembre 2011, estimé que la responsabilité du centre hospitalier de Saint-Brieuc était engagée à raison d'une faute médicale mais que, compte tenu de l'état antérieur de la patiente, seuls 25% des préjudices subis devaient être indemnisés ; que le centre hospitalier de Saint-Brieuc relève appel du jugement du 27 août 2015 par lequel le tribunal administratif de Rennes l'a condamné à réparer l'intégralité des préjudices subis par Irène F...et par ses proches ; que les consorts F...demandent à la cour, par la voie de l'appel incident, de porter le montant des indemnités qui leur ont été accordées à la somme totale de 104 510,04 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts ;

Sur la responsabilité du centre hospitalier de Saint-Brieuc :

En ce qui concerne la faute médicale :

2. Considérant qu'aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère (...) " ; que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le médecin chargé de réaliser l'endoscopie oeso-gastro-duodénale a décidé de sa seule initiative de pratiquer une dilatation oesophagienne qui n'avait pas été prévue ni annoncée à la patiente, et a perforé l'oesophage au cours de cette opération ; qu'il ressort sans ambigüité du rapport d'expertise du Pr Smadja que cette intervention n'était pas indiquée pour le traitement de la pathologie d'IrèneF..., et que la perforation qui en est résultée a conduit à son décès moins de deux semaines plus tard ; que si le centre hospitalier fait valoir que la patiente, qui se trouvait dans un état de dénutrition important et était atteinte d'un cancer grave à un stade avancé qui ne lui laissait que dix-huit mois à deux ans d'espérance de vie, n'a subi qu'une perte de chance d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, il résulte de l'instruction que la faute commise par le médecin, qui a provoqué une aggravation brutale de son état, est à l'origine directe de son décès survenu douze jours seulement après l'intervention ; qu'ainsi c'est à bon droit que les premiers juges ont condamné le requérant à réparer intégralement les préjudices résultant de cette faute ;

En ce qui concerne le défaut d'information :

4. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit au point 3, la responsabilité du centre hospitalier régional universitaire est engagée au titre de la faute médicale et justifie l'indemnisation de l'intégralité des préjudices d'Irène F...et de ses proches ; que, par suite, il n'y a pas lieu de se prononcer sur l'existence d'une faute résultant d'un défaut d'information qui aurait privé l'intéressée d'une chance de refuser l'intervention ;

Sur l'indemnisation des préjudices :

En ce qui concerne les préjudices d'IrèneF... :

5. Considérant, en premier lieu, qu'Irène F...a subi une incapacité temporaire totale en lien avec la faute commise par le centre hospitalier du 25 septembre au 6 octobre 2008 ; que les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation de l'indemnité due à ce titre en l'évaluant à la somme de 220 euros ;

6 Considérant, en deuxième lieu, que les souffrances endurées par l'intéressée, évaluées à 5/7 par l'expert, justifient, ainsi qu'il a été décidé à bon droit en première instance, le versement d'une somme de 8 000 euros ;

7. Considérant, en troisième lieu, qu'il ne résulte pas de l'instruction que les premiers juges auraient fait une inexacte appréciation du préjudice esthétique subi par IrèneF..., évalué à 5/7 par l'expert, en fixant à 2 000 euros la somme qui lui est due à ce titre, compte tenu de la brièveté de la période concernée ;

8. Considérant, en quatrième lieu, que le préjudice moral subi par Irène F...du fait du caractère brutal et inattendu de la dégradation de son état de santé justifiait le versement de la somme de 3 000 euros mise à la charge du centre hospitalier à ce titre en première instance ;

9. Considérant, enfin, que les frais liés aux abonnements et aux contrats de location conclus par Irène F...avant son décès ne résultent pas directement de la faute commise par le centre hospitalier de Saint-Brieuc ; que, par suite, la demande d'indemnisation présentée à ce titre doit être rejetée ;

En ce qui concerne les préjudices des proches d'IrèneF... :

10. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que les frais d'obsèques d'Irène F...se sont élevés à 2 884,89 euros ; que les juges de première instance ont estimé à juste titre que devait être déduit de cette somme le coût de divers objets funéraires ainsi que le montant versé à la paroisse ; qu'il y a lieu de confirmer à ce titre l'attribution à Mme J...F...de la somme de 2 351,84 euros ;

11. Considérant, en deuxième lieu, que le tribunal administratif de Rennes a fait une juste appréciation du préjudice moral et des préjudices d'accompagnement et d'affection, ainsi que de frais de soutien psychologique exposés en accordant à Mme J...F...à ce titre les sommes de 15 000 euros et de 414 euros ;

12. Considérant, en dernier lieu, que les premiers juges n'ont pas fait une inexacte appréciation du préjudice d'affection subi par M. C...G..., compagnon de Mme J...F..., et par Mmes B...et M...F..., soeurs de la victime, en leur accordant respectivement les sommes de 2 000, 6 000 et 6 000 euros ;

13. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de Saint-Brieuc n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Rennes a retenu sa responsabilité et l'a condamné à indemniser les consorts F...de l'intégralité de leurs préjudices ; que les conclusions d'appel incident présentées par les consorts F...ne peuvent, quant à elles, qu'être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Saint-Brieuc une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par les consorts F...et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du centre hospitalier de Saint-Brieuc est rejetée.

Article 2 : Les conclusions d'appel incident des consorts F...sont rejetées.

Article 3 : Le centre hospitalier de Saint-Brieuc versera aux consorts F...une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme J...F..., à M. E... G..., à Mme B... F...épouseD..., à Mme M... F...épouseH..., à la caisse primaire d'assurance maladie des Côtes d'Armor et au centre hospitalier de Saint-Brieuc.

Délibéré après l'audience du 5 octobre 2017, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président de chambre,

- Mme Le Bris, premier conseiller,

- Mme Massiou, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 20 octobre 2017.

Le rapporteur,

I. Le BrisLe président,

I. Perrot

Le greffier,

M. L...

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N°15NT03195


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 15NT03195
Date de la décision : 20/10/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: Mme Isabelle LE BRIS
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : SOCIETE AVOCATS CARTRON-LHOSTIS

Origine de la décision
Date de l'import : 31/10/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2017-10-20;15nt03195 ?
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