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06/10/2017 | FRANCE | N°15NT02496

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 06 octobre 2017, 15NT02496


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D...A...et M. J...G...ont demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner le centre hospitalier de Chartres à leur verser 120 000 euros en réparation des préjudices subis du fait des fautes commises dans le diagnostic prénatal de leur filleK..., qui les a privés de la possibilité de recourir à une interruption médicale de la grossesse de MmeA....

Par un jugement n° 1402033 du 4 juin 2015, le tribunal administratif d'Orléans a partiellement fait droit à leur demande.

Procédur

e devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 7 août 2015 et le 7 déc...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D...A...et M. J...G...ont demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner le centre hospitalier de Chartres à leur verser 120 000 euros en réparation des préjudices subis du fait des fautes commises dans le diagnostic prénatal de leur filleK..., qui les a privés de la possibilité de recourir à une interruption médicale de la grossesse de MmeA....

Par un jugement n° 1402033 du 4 juin 2015, le tribunal administratif d'Orléans a partiellement fait droit à leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 7 août 2015 et le 7 décembre 2016, le centre hospitalier de Chartres, représenté par MeC..., demande à la cour :

1°) à titre principal, d'annuler le jugement n° 1402033 du 4 juin 2015 du tribunal administratif d'Orléans et de rejeter la demande présentée par Mme A...et M. G...devant ce tribunal ;

2°) à titre subsidiaire, d'ordonner une nouvelle expertise, ou de limiter l'indemnisation de Mme A...et M. G...à la somme de 32 000 euros pour tenir compte d'un taux de perte de chance de 80 % de n'avoir pu interrompre la grossesse.

Il soutient que :

- l'existence d'une faute caractérisée n'est pas rapportée ; l'opérateur qui a réalisé les échographies de contrôle était qualifié pour ce faire ; Mme A...a bénéficié de cinq échographies de suivi de grossesse alors que trois seulement étaient obligatoires ; il n'a ainsi pas manqué à son obligation de moyens en la matière ; la seule circonstance que la malformation cardiaque et la trisomie 21 affectant l'enfant n'ont pas été détectés n'est pas de nature, à elle seule, à démontrer l'existence d'une faute caractérisée ;

- les trois échographies de référence ont été réalisées conformément aux recommandations de bonne pratique du comité national technique d'échographie foetale publiées en 2005 ; les échographies étaient de bonne qualité, ainsi qu'il a été démontré au cours de l'expertise ; les mesures de la clarté nucale réalisées lors de l'échographie du 22 février 2011 ne laissaient pas présager de risque de malformation ; les clichés de l'échographie du 5 mai 2011 sont conformes aux bonnes pratiques et l'absence de détection de la malformation cardiaque ne révèle pas en elle-même une faute ; la mesure des os propres du nez ne faisait pas partie des examens requis, contrairement à ce qu'a affirmé l'expert désigné par le tribunal administratif d'Orléans ;

- aucun des examens réalisés ne laissait suspecter les pathologies dont est atteinte la jeune K...; le taux de diagnostic des malformations cardiaque par échographie n'est que de 9,6 % ;

- l'expert ne pratiquant pas lui-même l'échographie, ses conclusions sont contestables ; une analyse critique d'un professeur responsable du centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal de l'hôpital Béclère conclut d'ailleurs à l'invalidité de cette expertise ;

- il n'est pas établi que, dûment informé des pathologies de leur enfant, Mme A...et M. G...auraient choisi de procéder à une interruption médicale de grossesse de sorte que leur préjudice doit, en tout état de cause, être limité à 80 % représentant le taux de perte de chance d'avoir pu avoir recourir à une interruption médicale de grossesse.

Par un mémoire en défense enregistré le 6 novembre 2015, Mme A...et M.G..., représentés par MeL..., concluent au rejet de la requête du centre hospitalier de Chartres, à la condamnation de cet établissement à leur verser chacun la somme de 60 000 euros et aux entiers dépens, et à ce que la somme de 7 000 euros soit mise à la charge du centre hospitalier de Chartres au titre des frais d'instance de référé-expertise, de première instance et d'appel, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir que :

- la requête n'est pas recevable faute de production et de critique du jugement attaqué ;

- les moyens soulevés par le centre hospitalier de Chartres ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Massiou,

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,

- et les observations de MeI..., substituant MeC..., représentant le centre hospitalier de Chartres, et de MeE..., substituant MeL..., représentant Mme A...et M.G....

1. Considérant que le 30 août 2011, MmeA..., alors âgée de 29 ans, a donné naissance à la jeune K...au centre hospitalier de Chartres ; qu'il est apparu après la naissance que l'enfant était atteinte d'une malformation cardiaque inter-ventriculaire et d'une trisomie 21 qui n'avaient pas été détectées durant la grossesse, dont le suivi avait été assuré par ce centre hospitalier ; que les parents de l'enfant, estimant que le suivi de la grossesse n'avait pas été suffisamment attentif, ont sollicité une mesure d'expertise qui a été ordonnée par le président du tribunal administratif d'Orléans, qui l'a confié au Dr F...; que, saisi par Mme A...et M. G..., le tribunal administratif d'Orléans a, par un jugement du 4 juin 2015, condamné le centre hospitalier de Chartres à verser à ces derniers la somme de 40 000 euros chacun en réparation de leur préjudice propre liée à l'impossibilité dans laquelle ils se sont trouvés, du fait des manquements commis par l'établissement dans le diagnostic prénatal, de recourir à une interruption médicale de grossesse ; que le centre hospitalier de Chartres relève appel de ce jugement et demande, à titre principal, l'annulation de ce jugement, ou, à titre subsidiaire, qu'une nouvelle expertise soit ordonnée ou que la somme qu'il a été condamné à payer soit ramenée à 32 000 euros à chacun des parents ; que Mme A...et M.G..., demandent, par la voie de l'appel incident, la réformation de ce même jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de leurs demandes indemnitaires ;

Sur la recevabilité de la requête du centre hospitalier de Chartres :

2. Considérant que le centre hospitalier de Chartres a produit, à l'appui de sa requête, copie du jugement attaqué du tribunal administratif d'Orléans ; que sa requête ne se borne pas à reproduire ses écritures de première instance et comporte une critique de ce jugement mettant ainsi la cour en mesure de se prononcer sur les erreurs qu'aurait pu commettre le tribunal en écartant les moyens de défense soulevés devant lui ; que, par suite, la requête du centre hospitalier de Chartres satisfait aux exigences de l'article R. 411-1 du code de justice administrative et est, dès lors, recevable ;

Sur la responsabilité du centre hospitalier de Chartres :

3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles : " Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance. / La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l'acte fautif a provoqué directement le handicap ou l'a aggravé, ou n'a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l'atténuer. / Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. Ce préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap. La compensation de ce dernier relève de la solidarité nationale. " ;

4. Considérant que l'enfant de Mme A...et M. G...est née atteinte d'une malformation cardiaque inter-ventriculaire et d'une trisomie 21 non détectées au titre du diagnostic prénatal ayant résulté de cinq échographies réalisées au cours de la grossesse les 8 février, 22 février, 5 avril, 5 mai et 12 juillet 2011 ; que selon le jugement attaqué, qui reprend les conclusions de l'expertise du DrF..., le caractère incomplet et imprécis des clichés échographiques a fait obstacle à la détection du handicap de l'enfant et privé ses parents de la possibilité de recourir à une interruption médicale de grossesse ;

5. Considérant, en premier lieu, d'une part, qu'au cours de l'échographie dite du premier trimestre, réalisée le 22 février 2011 par une sage-femme habilitée pour ce faire, il a été procédé à trois mesures de la clarté nucale du foetus, dont la plus élevée était de 2,13 mm ; qu'il résulte de l'instruction que cette dernière indication, rapportée à celle de la longueur cranio-caudale du foetus et combinée au résultat des marqueurs sériques de Mme A...et à la prise en compte de son âge, ne plaçait pas cette dernière dans un groupe à risque de trisomie 21 ; que, d'autre part, le Dr F...a indiqué, dans son rapport d'expertise, que les clichés pris au cours de cette échographie ne respectent pas complètement les recommandations du comité national technique de l'échographie de dépistage prénatal (CNTE), qui préconisent que l'image foetale doit occuper 75 % de l'écran, et que les images doivent comprendre une coupe sagittale médiane avec un zoom à 1,5, ce qui peut être une source d'erreur concernant la mesure de la clarté nucale ; qu'il résulte, toutefois, de l'instruction que le score de Herman, qui permet d'apprécier la qualité de la mesure de la clarté nucale pouvait être estimé de 6/8, ce qui est satisfaisant ; qu'en outre, la mesure de la clarté nucale n'est qu'un des critères à prendre en compte au titre du dépistage de la trisomie 21 lors de l'échographie du premier trimestre, aucun des autres critères relevés, n'ayant davantage placé Mme A...dans une population à risque au regard de la trisomie 21 ; qu'enfin, si la grossesse de cette dernière était, par ailleurs, considérée comme à risque, dès lors qu'elle était porteuse du virus HIV et présentait un important surpoids, les risques en cause étaient sans lien avec celui de mettre au monde un enfant atteint de trisomie 21 ; que c'est, par suite, à tort que les premiers juges ont considéré que des manquements commis lors de la réalisation de l'échographie du premier trimestre n'auraient pas permis de déceler une anomalie révélatrice du handicap de l'enfant à naître ;

6. Considérant, en deuxième lieu, qu'au cours de l'échographie dite du deuxième trimestre, réalisée en l'espèce le 5 mai 2011, doivent notamment être pris, en vertu des recommandations du CNTE, des clichés permettant d'apprécier la morphologie du coeur, en particulier les quatre cavités cardiaques et la position des gros vaisseaux, en vue notamment de détecter une malformation cardiaque inter-ventriculaire, qui est présente chez la moitié des foetus atteints de trisomie 21 ; que selon le rapport du DrF..., la qualité des quatre clichés du coeur du foetus réalisés lors de cette échographie n'a pas permis de porter correctement cette appréciation ni, par suite, de diagnostiquer la pathologie cardiaque en cause ; que s'il résulte de l'instruction, et notamment d'un dire du DrB..., conseil du centre hospitalier de Chartres au cours des opérations d'expertise, que ces clichés étaient de qualité moyenne, ils ont néanmoins permis à la sage-femme ayant réalisé l'échographie d'objectiver la présence de quatre cavités cardiaques équilibrées et le croisement des gros vaisseaux ; qu'il ressort, par ailleurs, de plusieurs sources médicales versées au dossier que le risque de malformation cardiaque inter-ventriculaire ne peut être dépisté que dans moins de 10 % des cas ; que, dans ces conditions, c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la qualité moyenne des clichés échographiques et de leur interprétation lors de l'échographie du deuxième trimestre avait constitué un obstacle fautif à une détection de la pathologie cardiaque en cause ;

7. Considérant, en dernier lieu, que si l'expert indique que les clichés pris lors de l'échographie dite du troisième trimestre, réalisée le 12 juillet 2011 ne permettent pas de confirmer l'absence d'anomalies cardiaques alors que le dépistage de la communication inter-ventriculaire est un signe d'appel de la trisomie 21 et que le Dr B...relève que ces prises de vues sont de " qualité médiocre ", il ne résulte toutefois pas de l'instruction, et notamment du compte-rendu d'examen échographique, que l'opérateur aurait omis de procéder à l'ensemble des observations requises ; que si l'expert critique également l'absence de prise en compte d'autres signes évocateurs tels que la mesure des os propres du nez et l'éversion de la lèvre inférieure, il résulte de l'instruction, en particulier d'une attestation du Pr Benachi, présidente de la fédération des centres pluridisciplinaires de dépistage prénatal, que la prise en compte de ces signes n'était ni requise ni médicalement pertinente en l'espèce ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le centre hospitalier de Chartres est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a estimé que l'établissement aurait commis une succession de négligences qui, par leur intensité et leur gravité, constituerait une faute caractérisée au sens du troisième alinéa de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles et qui serait de nature à ouvrir droit à réparation à Mme A...et M. G...du préjudice qu'ils estiment avoir subi du fait d'avoir été privés de la possibilité de recourir à une interruption médicale de grossesse ; que le centre hospitalier de Chartres est, dès lors, fondé à solliciter l'annulation de ce jugement ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier de Chartres qui n'a pas, dans la présence instance, la qualité de partie perdante, la somme dont Mme A...et M. G...sollicitent le versement au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1402033 du tribunal administratif d'Orléans du 4 juin 2015 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme A...et M. G...devant le tribunal administratif d'Orléans, ainsi que leurs conclusions d'appel tendant au bénéfice des dispositions de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier de Chartres, à Mme D...A..., à M. J...G...et à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Indre.

Délibéré après l'audience du 19 septembre 2017 à laquelle siégeaient :

- M. Coiffet, président,

- M. Berthon, premier conseiller,

- Mme Massiou, premier conseiller.

Lu en audience publique le 6 octobre 2017.

Le rapporteur,

B. Massiou

Le président,

O. Coiffet

Le greffier,

M. H...

La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

3

N° 15NT02496


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 15NT02496
Date de la décision : 06/10/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. COIFFET
Rapporteur ?: Mme Barbara MASSIOU
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : CABINET FABRE SAVARY FABBRO

Origine de la décision
Date de l'import : 17/10/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2017-10-06;15nt02496 ?
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