La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/05/2017 | FRANCE | N°15NT03922

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 10 mai 2017, 15NT03922


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le ministre des finances et des comptes publics et le département de la Loire-Atlantique ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes de prescrire une expertise en vue de constater les désordres affectant l'ensemble immobilier de bureaux destiné à abriter certains services du département, ainsi que la trésorerie générale de Loire-Atlantique.

Par une ordonnance n° 1509225 du 21 décembre 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a fait droit à cette

demande d'expertise et l'a confiée à M. N...D....

Procédure devant la cour :

Par un...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le ministre des finances et des comptes publics et le département de la Loire-Atlantique ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes de prescrire une expertise en vue de constater les désordres affectant l'ensemble immobilier de bureaux destiné à abriter certains services du département, ainsi que la trésorerie générale de Loire-Atlantique.

Par une ordonnance n° 1509225 du 21 décembre 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a fait droit à cette demande d'expertise et l'a confiée à M. N...D....

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 31 décembre 2015, M. E..., la SCPA Laidi et Chateigner, architecte, et la SAS Sincoba, représentés par MeK..., demandent à la cour :

1°) d'annuler cette ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nantes du 21 décembre 2015 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat et du département de la Loire-Atlantique le versement de la somme de 3 000 euros par application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- en vertu de l'article 1792-4-3 du code civil, la mise en oeuvre de la garantie décennale des constructeurs est prescrite ; l'expertise ordonnée à fin de déterminer l'imputabilité des désordres à des vices de conception, des défauts de surveillance, des fautes d'exécution ou toute autre cause, n'a donc pas de raison d'être ;

- l'ordonnance attaquée est entachée d'erreur de droit, dès lors, d'une part, que l'expertise du 28 juillet 2011 ne révélant aucune faute des constructeurs assimilable à une fraude ou un dol, qui supposent une intention de nuire, l'expertise ordonnée ne repose sur aucun motif légitime ;

- d'autre part, la prescription de cinq années de l'article 2224 du code civil, invoquée par le juge des référés, est elle-même acquise, dès lors que les désordres sont apparus dès novembre 2010.

Par des mémoires, enregistrés les 16 juillet et 26 août 2016, la SARL Acotra et M. C...B..., concluent aux mêmes fins que les appelants et demandent au juge des référés de la cour de mettre à la charge solidaire de l'Etat et du département de la Loire-Atlantique le versement de la somme de 1 500 euros par application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la demande d'expertise ne présente aucun caractère utile dès lors que l'action du maître de l'ouvrage est manifestement prescrite ;

- le juge des référés ne pouvait ordonner une expertise sur le fondement de la responsabilité des constructeurs pour fraude ou dol en l'absence de tout élément attestant de la crédibilité d'une telle action, de réalisation exceptionnelle ;

- compte tenu de la nature de leur mission d'OPC, les défendeurs ne peuvent qu'être mis hors de cause ;

- les intimés sont recevables à présenter des observations allant dans le sens des prétentions des appelants.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 août 2016, le ministre des finances et du budget, le directeur régional des finances publiques de la Loire-Atlantique et le département de la Loire-Atlantique, représentés par MeJ..., concluent au rejet de la requête et des conclusions de la SARL Acotra et de M. C...B..., et à ce que M. E..., la SCPA Laidi et Chateigner, Architecte et la SAS Sincoba, la SARL Acotra et M. C...B...soient condamnés à leur verser la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- les conclusions de la SARL Acotra et de M. C...B..., présentées après expiration du délai d'appel, sont irrecevables ;

- la condition d'utilité de l'expertise est subordonnée à l'existence soit d'un litige né et actuel soit d'un litige éventuel mais présentant un caractère certain ; si la prescription de l'action en garantie décennale n'est pas contestée, les maîtres d'ouvrage entendent agir sur le fondement de la faute des constructeurs assimilable à une fraude ou un dol ;

- cette action n'est pas prescrite, d'une part, car la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription est restée sans incidence sur la prescription trentenaire attachée à la responsabilité pour fraude ou dol ; d'autre part, parce que la prescription de l'article 2224 du code civil n'est pas acquise en l'espèce, dès lors que si les désordres étaient connus fin novembre 2010, leur étendue et gravité n'ont été révélées que par le rapport d'expertise du 28 juillet 2011 ;

- sur le bien fondé de l'action pour faute assimilable à une fraude ou un dol, il suffit d'apporter des commencements de preuves de ce que les manquements aux obligations contractuelles ont été commis volontairement et que le constructeur ne pouvait en ignorer les conséquences ; tant le rapport d'expertise du 28 juillet 2011 que le constat d'expert judiciaire du 20 octobre 2014, constatant la méconnaissance du DTU 55.2 à l'origine des désordres affectant 80% de la façade, comportent de tels commencements de preuve ;

- les conclusions de la SARL Acotra et de M. C...B...tendant à leur mise hors de cause devront être rejetées comme étant irrecevables et en outre parce que la présence de l'OPC est de nature à éclairer les travaux d'expertise.

Par un mémoire, enregistré le 13 septembre 2016, les sociétés Eiffage Construction Bretagne, Sogéa Atlantique BTP et EMCC, représentées par MeH..., demandent à la cour d'annuler cette ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nantes du 21 décembre 2015 et de mettre à la charge solidaire de l'Etat et du département de la Loire-Atlantique le versement de la somme de 800 euros chacune par application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- l'action des maîtres d'ouvrage à l'encontre des constructeurs est manifestement prescrite ;

- le projet de rapport d'expertise confirme l'absence de fautes assimilables à une fraude ou un dol.

Par ordonnance du 28 novembre 2016, la clôture d'instruction a été fixée au 29 décembre 2016.

Une mise en demeure a été adressée le 24 août 2016 à la société Bureau Veritas.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Loirat,

- les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public,

- et les observations de MeA..., représentant la direction générale des finances publiques des Pays de la Loire et le département de la Loire-Atlantique, de MeG..., représentant les sociétés Eiffage Construction Bretagne, Sogéa Atlantique BTP et EMCC, et MeI..., représentant la SARL Acotra et M. C...B....

1. Considérant que, le 26 octobre 1990, l'Etat (ministre des finances et des comptes publics) et le département de la Loire-Atlantique ont conclu une convention de co-maîtrise d'ouvrage pour la construction d'un ensemble immobilier à usage de bureaux à Nantes, quai Ceineray, détenu en copropriété et destiné à abriter certains services du département, ainsi que la trésorerie générale de la Loire-Atlantique ; que la maîtrise d'oeuvre de l'opération a été confiée à un groupement dont était mandataire M. L...E..., architecte, le contrôle technique à la société CEP devenue société Bureau Veritas, une mission d'ordonnancement pilotage et coordination étant confiée au groupement société Acotra / M. C...B...et le gros-oeuvre au groupement ayant pour mandataire la société SOGEA Atlantique ; que les travaux de construction ont fait l'objet d'une réception avec effet au 15 avril 1996, après que la levée des réserves a été constatée par un procès-verbal du 31 janvier 1997 ; que des désordres sont toutefois apparus fin novembre 2010, notamment le détachement d'un élément du parement en pierres de façade au niveau d'un tableau de fenêtre ; que, sur la demande des maîtres d'ouvrages, la société Spie Batignolles a réalisé un sondage du bâtiment, un expert a relevé dans un rapport du 28 juillet 2011 l'existence de fissures en sous-sol et, s'agissant des pierres agrafées en façade, le non respect du document technique unifié (DTU) auquel renvoyait le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) ; qu'un expert judiciaire a en outre constaté, le 2 avril 2014, une forte mise en compression des pierres de la totalité des façades, essentiellement due selon lui à une mauvaise mise en oeuvre du revêtement pierres et au non respect du DTU 55/2 ; que par la présente requête, M. E...et les sociétés Laidi et Chateigner et Sincoba relèvent appel de l'ordonnance du 21 décembre 2015 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a, sur la demande du ministre des finances et des comptes publics et du département de la Loire-Atlantique enregistrée les 6 novembre et 2 décembre 2015, ordonné une expertise en vue de constater les désordres affectant l'ensemble immobilier de bureaux et de se prononcer sur leurs causes et imputabilité ; que la SARL Acotra et M. C...B..., d'une part, et les sociétés Eiffage Construction Bretagne, Sogéa Atlantique BTP et EMCC, d'autre part, présentent des conclusions tendant à cette même fin ;

Sur les conclusions d'appel principal :

2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction (...) " ;

3. Considérant que le juge des référés, saisi sur le fondement des dispositions précitées, ne peut faire droit à une demande d'expertise si cette dernière est formulée à l'appui de prétentions indemnitaires dont il est établi qu'elles sont irrecevables ou prescrites ; que, dans l'hypothèse où est opposée une forclusion ou une prescription, il lui incombe de prendre parti sur ces points ;

4. Considérant que l'expiration du délai de l'action en garantie décennale ne décharge pas les constructeurs de la responsabilité qu'ils peuvent encourir, en cas de fraude ou de dol dans l'exécution de leur contrat ; qu'en effet, même sans intention de nuire, la responsabilité des constructeurs peut également être engagée en cas de faute assimilable à une fraude ou à un dol, caractérisée par la violation grave par sa nature ou ses conséquences, de leurs obligations contractuelles, commise volontairement et sans qu'ils puissent en ignorer les conséquences ;

5. Considérant que M. E...et autres ne sont pas fondés à soutenir que les dispositions de l'article 2224 du code civil, issues de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, feraient obstacle à la mise en oeuvre par les services de l'Etat et du département de la Loire-Atlantique de l'action en responsabilité des constructeurs en raison de fautes commises par eux et assimilables à une fraude ou à un dol, dès lors que le délai de la prescription par cinq ans prévue par cet article court, selon ses termes mêmes, " à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer " ;

6. Considérant en effet qu'en l'espèce, les faits fondant la demande d'expertise consistent en des désordres qui ont commencé à se manifester par le détachement d'un élément du parement des façades d'un tableau de fenêtre, fin novembre 2010, et peuvent être regardés comme s'étant manifestés dans toute leur ampleur par l'établissement le 28 juillet 2011 du rapport d'avis technique, qui portait sur les défauts structurels du bâtiment tels que fissures en sous-sol et pièces agrafées en façade, demandé par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, ce dont il résulte qu'à la date d'enregistrement de la demande présentée au tribunal administratif de Nantes, le 6 novembre 2015, l'action envisagée n'était pas prescrite ; qu'il n'appartient pas au juge se prononçant sur la demande d'expertise d'apprécier le bien fondé de l'action éventuelle en vue de laquelle cette mesure d'instruction est sollicitée ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'y puisse faire obstacle la circonstance que les conclusions provisoires de l'expert désigné par le juge des référés du tribunal tendraient à écarter l'existence de fautes des constructeurs assimilables à une fraude ou à un dol, M. E...et les sociétés Laidi et Chateigner, et Sincoba ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a fait droit à la demande d'expertise dont il était saisi ;

Sur les conclusions d'appel provoqué :

8. Considérant que les conclusions de la SARL Acotra et de M. C...B..., d'une part, et des sociétés Eiffage Construction Bretagne, Sogéa Atlantique BTP et EMCC, d'autre part, tendant à l'annulation de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nantes du 21 décembre 2015 ordonnant l'expertise litigieuse, qui ne sont pas dirigées contre les appelants, doivent être regardées comme des conclusions d'appel provoqué ; que, dès lors que les conclusions de la requête d'appel ne sont pas accueillies, les obligations résultant pour eux de l'ordonnance attaquée ne peuvent s'en trouver aggravées ; qu'ainsi, leurs conclusions d'appel provoqué doivent être rejetées comme irrecevables ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mises à la charge de l'Etat et du département de la Loire-Atlantique, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, les sommes que M. E...et les sociétés Laidi et Chateigner et Sincoba, d'une part, la SARL Acotra et M. C...B..., d'autre part, les sociétés Eiffage Construction Bretagne, SOGEA Atlantique BTP et EMCC, enfin, demandent sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; qu'il y a lieu en revanche de mettre à la charge de M. E...et des sociétés Laidi et Chateigner et Sincoba, d'une part, et de la SARL Acotra et M. C...B..., d'autre part, le versement à l'Etat et au département de la Loire-Atlantique d'une somme de 1 000 euros chacun en application de ces mêmes dispositions ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. E... et des sociétés Laidi et Chateigner et Sincoba est rejetée.

Article 2 : Les conclusions d'appel provoqué de la SARL Acotra et de M. C...B..., d'une part, et des sociétés Eiffage Construction Bretagne, Sogéa Atlantique BTP et EMCC, d'autre part, sont rejetées.

Article 3 : M. E...et les sociétés Laidi et Chateigner et Sincoba, d'une part, et la SARL Acotra et M. C...B..., d'autre part, verseront à l'Etat et au département de la Loire-Atlantique une somme de 1 000 euros chacun en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article : Le présent arrêt sera notifié au ministre des finances et du budget, au département de la Loire-Atlantique, à la société Laïdi et Chateignier, à la société Sincoba, à la société Sogea Atlantique hydraulique, à la société Eiffage Construction Bretagne, à la société EMCC, à M. C... B..., à la société Acotra, à la préfecture de Loire-Atlantique, à la direction régionale des finances publiques de Loire-Atlantique, la société bureau Veritas, à M. M... E...et à M. D..., expert.

Délibéré après l'audience du 25 avril 2017 , à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- Mme Loirat, premier conseiller,

- Mme Rimeu, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 10 mai 2017.

Le rapporteur,

C. LOIRATLe président,

L. LAINÉ

Le greffier,

M. F...

La République mande et ordonne au préfet de la Loire-Atlantique en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 15NT03922


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 15NT03922
Date de la décision : 10/05/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Cécile LOIRAT
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : LEXCAP RENNES LAHALLE - DERVILLERS et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 12/09/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2017-05-10;15nt03922 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award