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19/10/2016 | FRANCE | N°16NT00271

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 19 octobre 2016, 16NT00271


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D...A...a demandé au tribunal administratif de Rennes, d'une part, sous le n°1505682, d'annuler la décision du 6 août 2015 du préfet d'Ille-et-Vilaine refusant de l'admettre provisoirement au séjour en qualité de demandeur d'asile et d'annuler la décision du 15 décembre 2015 du même préfet ordonnant sa remise aux autorités hongroises, d'autre part, sous le n°1505686, d'annuler l'arrêté du 15 décembre 2015 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine l'a placé en rétention administrative.

Par

un jugement n° 1505682 et n° 1505686 du 18 décembre 2015, le magistrat désigné par le ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D...A...a demandé au tribunal administratif de Rennes, d'une part, sous le n°1505682, d'annuler la décision du 6 août 2015 du préfet d'Ille-et-Vilaine refusant de l'admettre provisoirement au séjour en qualité de demandeur d'asile et d'annuler la décision du 15 décembre 2015 du même préfet ordonnant sa remise aux autorités hongroises, d'autre part, sous le n°1505686, d'annuler l'arrêté du 15 décembre 2015 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine l'a placé en rétention administrative.

Par un jugement n° 1505682 et n° 1505686 du 18 décembre 2015, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a renvoyé à la formation collégiale le jugement des conclusions tendant à l'annulation de la décision du 6 août, et annulé les décisions du 15 décembre 2015 du préfet d'Ille-et-Vilaine portant réadmission de M. A... vers la Hongrie et le plaçant en rétention administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 janvier 2016, le préfet d'Ille-et-Vilaine demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes du 18 décembre 2015 en tant qu'il a annulé son arrêté du 15 décembre 2015 portant réadmission en Hongrie de M.A... ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif de Rennes.

Il soutient que :

- le jugement est erroné en droit, au regard des stipulations de l'article 4 de la charte des droit fondamentaux de l'Union européenne, et est entaché d'une erreur de fait ;

- M. A...n'établit pas encourir personnellement des risques de traitements inhumains ou dégradants en cas de remise aux autorités hongroises ;

- il n'établit pas davantage l'existence de défaillances systémiques dans la procédure de demande d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Hongrie.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 juin 2016, M.A..., représenté par MeC..., demande à la cour :

à titre principal, de rejeter la requête ;

à titre subsidiaire, d'annuler l'arrêté préfectoral du 15 décembre 2015 ;

en toute hypothèse, de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 € au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par le préfet ne sont, au regard notamment des décisions récentes de la Cour européenne des droits de l'homme et de l'ouverture d'une procédure en manquement le 10 décembre 2015 par la Commission européenne à l'encontre de la Hongrie, pas fondés.

M. A...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 8 mars 2016.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

-la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

On été entendus au cours de l'audience publique ;

- le rapport de Mme Loirat, président-assesseur,

- et les conclusions de M. Bréchot, rapporteur public.

1. Considérant que M.A..., de nationalité afghane, est entré irrégulièrement en France le 1er juin 2015 selon ses déclarations ; qu'il a sollicité le 23 juillet 2015 son admission provisoire au séjour en qualité de demandeur d'asile et que la consultation du fichier " Eurodac " a révélé que ses empreintes ont été relevées le 22 mai 2015 par les autorités hongroises ; que le préfet d'Ille-et-Vilaine a saisi ces dernières le 31 juillet 2015 d'une demande de reprise en charge en application de l'article 18.1 b) du règlement (UE) n° 604/2013 ; que M. A... s'est vu notifier le 6 août 2015 une décision du préfet d'Ille-et-Vilaine du même jour portant refus d'admission provisoire au séjour en qualité de demandeur d'asile ; que le 15 décembre 2015, il s'est vu notifier une deuxième décision du préfet d'Ille-et-Vilaine portant réadmission vers la Hongrie et une troisième décision portant placement en rétention administrative ; que le préfet d'Ille-et-Vilaine relève appel du jugement du 18 décembre 2015 en tant que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a annulé les décisions susmentionnées du 15 décembre 2015 portant réadmission de M. A... vers la Hongrie et le plaçant en rétention administrative ;

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé : " (...) / 2. (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. " ; qu'aux termes de l'article 17 du même règlement (UE) : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) 2. L'Etat membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'Etat membre responsable, ou l'Etat membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. Les personnes concernées doivent exprimer leur consentement par écrit " ; qu'aux termes de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. (...) " ; qu'aux termes de l'article 3 de cette convention: " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ;

3. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées que la présomption selon laquelle un État membre respecte les obligations découlant de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne est renversée lorsqu'il existe de sérieuses raisons de croire qu'il existe, dans " l'État membre responsable " de la demande d'asile au sens du règlement précité, des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile impliquant pour ces derniers un risque d'être soumis à des traitements inhumains ou dégradants ;

4. Considérant que la Hongrie est un Etat membre de l'Union européenne, partie à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés et à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, toutefois, il ressort des pièces du dossier que, quelques jours avant l'adoption par le Parlement européen, le 16 décembre 2015, d'une résolution faisant état de la situation critique des demandeurs d'asile en Hongrie, la Commission européenne a ouvert, le 10 décembre 2015, une procédure d'infraction à l'encontre de ce pays, en relevant notamment que sa procédure d'asile était incompatible sur plusieurs points avec le droit de l'Union européenne, et en particulier avec la directive n° 2013/32/UE relative aux procédures d'asile ; que la Commission européenne a ainsi relevé que les demandeurs d'asile en Hongrie ne peuvent présenter de faits et circonstances nouveaux à l'appui de leur recours, que la Hongrie n'applique pas d'effet suspensif à l'introduction des recours, contraignant les demandeurs d'asile à quitter le territoire hongrois avant l'expiration du délai de recours ou avant qu'il n'ait été statué sur ce dernier, que leur droit à l'interprétation et à la traduction est méconnu, et que la nouvelle législation hongroise sur le contrôle juridictionnel des décisions de rejet est susceptible de méconnaître le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial ; que, par ailleurs, se fondant sur les constatations faites en Hongrie à la fin du mois de novembre 2015 par le Commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe, ledit Conseil a relevé, dans un communiqué du 13 janvier 2016, la pratique des autorités hongroises consistant à placer les demandeurs d'asile dans des centres de rétention administrative, où s'applique un régime de détention restrictif, sans réel accès à des recours effectifs contre cette détention ; qu'en outre, le haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a, dans un rapport du mois de mai 2016 portant sur les modifications législatives en Hongrie entre les mois de juillet 2015 et mars 2016, déploré la pénalisation des personnes ayant franchi la frontière hongroise sans autorisation, y compris lorsqu'elles l'ont fait pour solliciter l'asile ; que dans ces conditions, M. A...établit suffisamment qu'il existait, à la date à laquelle est intervenu l'arrêté contesté, des motifs sérieux et avérés de croire qu'en cas de remise aux autorités hongroises, il ne bénéficierait pas d'un examen de sa demande d'asile dans des conditions conformes aux garanties exigées par le respect du droit d'asile et risquerait ainsi de subir des traitements contraires à l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet d'Ille-et-Vilaine n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes s'est fondé sur les motifs sérieux de croire qu'à la date de la décision contestée par M.A..., il existait en Hongrie des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs susceptibles d'entraîner un risque de traitement inhumain ou dégradant pour annuler la décision du 15 décembre 2015 qui a ordonné la remise de l'intéressé aux autorités hongroises et, par voie de conséquence, la décision du même jour par laquelle a été ordonné son placement en rétention administrative ;

Sur les conclusions tendant au bénéfice de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 l'article et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

6. Considérant que M. A...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me C...renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de celui-ci le versement à Me C...de la somme de 1 500 euros ;

DECIDE :

Article 1er : La requête du préfet d'Ille-et-Vilaine est rejetée.

Article 2 L'État versera à Me C...la somme de 1 500 euros (mille cinq cents euros) en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, sous réserve que Me C...renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. D...A.... Une copie en sera transmise pour information au préfet d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 4 octobre 2016, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- Mme Loirat, président assesseur,

- Mme Rimeu, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 19 octobre 2016.

Le rapporteur,

C. LOIRATLe président,

L. LAINÉ

Le greffier,

M. B...

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 16NT00271
Date de la décision : 19/10/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Cécile LOIRAT
Rapporteur public ?: M. BRECHOT
Avocat(s) : LE STRAT

Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2016-10-19;16nt00271 ?
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