La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/03/2016 | FRANCE | N°14NT03040

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 1ère chambre, 10 mars 2016, 14NT03040


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...a demandé au tribunal administratif de Nantes de prononcer la restitution d'une somme complémentaire de 462 683 euros au titre du plafonnement à 50 % des revenus des impôts directs auxquels son mari et elle ont été assujettis au titre de l'année 2007.

Par un jugement n° 1306214 du 9 octobre 2014, le tribunal administratif de Nantes a fait droit à leur demande.

Procédure devant la cour :

Par un recours et un mémoire, enregistrés le 28 novembre 2014 et le 15 avril 2015, le mi

nistre des finances et des comptes publics demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B...a demandé au tribunal administratif de Nantes de prononcer la restitution d'une somme complémentaire de 462 683 euros au titre du plafonnement à 50 % des revenus des impôts directs auxquels son mari et elle ont été assujettis au titre de l'année 2007.

Par un jugement n° 1306214 du 9 octobre 2014, le tribunal administratif de Nantes a fait droit à leur demande.

Procédure devant la cour :

Par un recours et un mémoire, enregistrés le 28 novembre 2014 et le 15 avril 2015, le ministre des finances et des comptes publics demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 9 octobre 2014 ;

2°) de remettre à la charge de Mme B...la somme de 462 683 euros que l'administration lui a restituée en exécution de ce jugement.

Il soutient que :

- le jugement est entaché d'une erreur de droit au regard de la notion d'événement susceptible de rouvrir le délai de réclamation au sens et pour l'application des dispositions combinées des articles L. 190 et R. 196-1 du livre des procédures fiscales ;

- les paragraphes de l'instruction du 26 août 2008 censurés par le Conseil d'Etat en 2010 ne peuvent pas être regardés comme ayant fondé le droit à restitution ;

- l'annulation d'une instruction administrative ne saurait être analysée comme une décision révélant la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure ; dès lors, cette annulation ne constitue pas un événement motivant la réclamation au sens de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales ;

- la demande de restitution complémentaire formulée le 27 décembre 2012 par Mme B...au titre de ses revenus de l'année 2007 est en conséquence irrecevable pour tardiveté dès lors qu'il est constant qu'elle a été présentée postérieurement au délai prévu par le 8 de l'article 1649-0 A du code général des impôts ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 février 2015, Mme A...B..., représentée par MeC..., conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés par le ministre des finances et des comptes publics ne sont pas fondés ;

- à titre subsidiaire, à la date de sa réclamation préalable, la jurisprudence du Conseil d'Etat considérait qu'une décision juridictionnelle pouvait révéler la non-conformité d'une instruction fiscale avec une règle de droit supérieure au sens de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales et constituer un événement nouveau au sens du c) de l'article R. 196-1 du même livre ; si la Cour devait considérer que le Conseil d'Etat a opéré sur ce point un revirement de jurisprudence, il en résulterait une atteinte disproportionnée à l'espérance légitime qu'elle avait d'obtenir la restitution des impositions en cause ; il en résulte que ce revirement de jurisprudence ne pourrait produire des effets que pour les contentieux futurs.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Allio-Rousseau,

- et les conclusions de Mlle Wunderlich, rapporteur public.

1. Considérant que M. et Mme B...ont demandé, le 10 décembre 2009, à bénéficier du plafonnement de leurs impôts directs à hauteur de 50 % de leurs revenus au titre de l'année 2007 en application de l'article 1649-0 A du code général des impôts ; que l'administration a fait droit à cette demande ; qu'après l'annulation par le Conseil d'Etat statuant au contentieux, par décision n° 321416 du 13 janvier 2010, des alinéas 2 à 5 du paragraphe 34 ainsi que du paragraphe 38 de l'instruction 13 A-I-08 publiée au bulletin officiel des impôts n° 83 du 26 août 2008 dont l'administration avait fait application pour inclure dans leurs revenus les produits de leurs contrats d'assurance-vie, Mme B...a présenté le 27 décembre 2012 une demande de restitution complémentaire au titre de l'année 2007 à hauteur de 462 683 euros, au motif que les revenus perçus en 2007 à hauteur de la somme de 926 367 euros sur un contrat d'assurance vie multi-supports ne devaient pas être inclus dans la base de calcul de la demande de plafonnement des impôts directs à 50 % ; que cette demande de restitution a été rejetée par l'administration le 2 juillet 2013 au motif qu'elle avait été présentée après expiration du délai de réclamation spécifique prévu par le 8 de l'article 1649-0 A du code général des impôts selon lequel les demandes de restitution doivent être déposées avant le 31 décembre de la deuxième année suivant celle de la réalisation des revenus mentionnés au 4 de cet article ; que, saisi par MmeB..., le tribunal administratif de Nantes a estimé le 9 octobre 2014 que sa demande de restitution était recevable et fondée ; qu'il a prononcé la restitution demandée au titre de l'année 2007 ; que le ministre des finances et des comptes publics relève appel de ce jugement ;

2. Considérant que le tribunal administratif de Nantes a écarté la fin de non-recevoir opposée par l'administration fiscale, tirée de la tardiveté de la réclamation préalable, au motif que la décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux rendue le 13 janvier 2010 constituait un événement au sens du c) de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales ayant ouvert à Mme B...un nouveau délai de réclamation ;

3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Les réclamations relatives aux impôts, contributions, droits, taxes, redevances, soultes et pénalités de toute nature, établis ou recouvrés par les agents de l'administration, relèvent de la juridiction contentieuse lorsqu'elles tendent à obtenir (...) le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou réglementaire. / (...) / Sont instruites et jugées selon les règles du présent chapitre toutes actions tendant à (...) la réduction d'une imposition (...) fondées sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure. / Lorsque cette non-conformité a été révélée par une décision juridictionnelle (...), l'action en restitution des sommes versées (...) ne peut porter que sur la période postérieure au 1er janvier de la troisième année précédant celle où la décision (...) révélant la non-conformité est intervenu[e]. / Pour l'application du quatrième alinéa, sont considérés comme des décisions juridictionnelles (...) les décisions du Conseil d'Etat (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 196-1 du même livre : " Pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts, doivent être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas : / (...) / c) De la réalisation de l'événement qui motive la réclamation (...) " ;

4. Considérant qu'une demande de restitution de la fraction des impositions qui excède 50 % des revenus constitue une réclamation tendant à obtenir le bénéfice d'un droit au sens de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales ; que le délai particulier prévu au 8 de l'article 1649-0 A du code général des impôts pour formuler une demande de restitution ne fait pas obstacle à ce que soit invoquée, après l'expiration de ce délai, la réalisation d'un événement qui motive la réclamation, au sens de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales ;

5. Mais considérant qu'une décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux qui révèle l'illégalité d'une instruction fiscale ne révèle pas la non-conformité d'une règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure, dès lors que l'imposition ne saurait être fondée sur l'interprétation de la loi fiscale que l'administration exprime dans ses instructions ; que le ministre est dès lors fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes s'est fondé sur la circonstance que la décision n° 321416 du 13 janvier 2010 était de nature à constituer la réalisation d'un événement ouvrant, au sens et pour l'application du c) de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales, un délai dans lequel pouvait être présentée une demande tendant au bénéfice d'un droit à restitution tel que celui résultant de l'application des articles 1er et 1649-0 A du code général des impôts, pour juger que la demande de restitution complémentaire du 27 décembre 2012, présentée après l'expiration du délai de réclamation, n'était pas tardive ;

6. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. " ;

7. Considérant que Mme B...se prévaut de l'état du droit résultant, outre la décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux du 13 janvier 2010 visée au point 1, des décisions n° 330094 du 23 décembre 2011 et n° 339203 du 30 mai 2012, qui permettaient selon elle au contribuable de se prévaloir de ce qu'une décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux prononçant l'annulation d'une instruction fiscale constitue un événement au sens du c) de l'article R 196-1 du livre des procédures fiscales ; qu'elle estime en conséquence qu'à la date de sa réclamation préalable sa demande de restitution complémentaire au titre de l'année 2007 à hauteur de 462 683 euros, fondée sur l'annulation partielle de l'instruction 13 A-I-08, était recevable et fondée ; qu'elle en déduit qu'alors même que, par une décision n° 350100 du 30 décembre 2013 statuant au contentieux, le Conseil d'Etat a estimé qu'une décision juridictionnelle qui censure l'illégalité d'une instruction fiscale ne révèle pas la non-conformité d'une règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure et ne constitue pas la réalisation d'un événement au sens et pour l'application du c) de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales, l'application de ce revirement de jurisprudence porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de ses biens protégé par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

8. Considérant que Mme B...ne saurait prétendre au bénéfice de ces stipulations que si elle peut faire état de la propriété d'un bien qu'elles ont pour objet de protéger et à laquelle il aurait été porté atteinte ; qu'à défaut de créance certaine, l'espérance légitime d'obtenir la restitution d'une somme d'argent doit être regardée comme un bien, au sens des stipulations précitées du premier alinéa de cet article ; que toutefois, d'une part la décision n° 339223 du 30 mai 2012 ne constitue pas le revirement de jurisprudence allégué et d'autre part, eu égard à son caractère récent, la décision n° 330094 du 23 décembre 2011, qui comporte un tel revirement mais à laquelle le Conseil d'Etat, reprenant une jurisprudence ancienne et constante, a entendu mettre un terme dès le 30 décembre 2013, ne peut être regardée comme ayant eu une stabilité suffisante à la date de la réclamation préalable de MmeB... ; que, dans ces conditions, Mme B...ne saurait se fonder sur ces décisions pour se prévaloir d'une espérance légitime d'obtenir la restitution de la somme qui fait l'objet du présent litige ; qu'ainsi, elle ne peut utilement invoquer les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans le champ desquelles elle n'entre pas ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre des finances et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a accordé à Mme B...le remboursement de la somme de 462 683 euros au titre du plafonnement de ses impôts directs à 50 % de ses revenus de l'année 2007 ; que, par suite, il y a lieu d'annuler le jugement attaqué et de remettre à la charge de Mme B...la somme de 462 683 euros ; qu'enfin, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme B...demande au titre des frais exposés ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes en date du 9 octobre 2014 est annulé.

Article 2 : La somme de 462 683 euros est remise à la charge de MmeB....

Article 3 : Les conclusions de Mme B...présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des finances et des comptes publics et à Mme A...B....

Délibéré après l'audience du 25 février 2016, à laquelle siégeaient :

- M. Bataille, président de chambre,

- Mme Aubert, président-assesseur,

- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 10 mars 2016.

Le rapporteur,

M-P. Allio-Rousseau

Le président,

F. Bataille

Le greffier,

C. Croiger

La République mande et ordonne au ministre des finances et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 14NT03040


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 14NT03040
Date de la décision : 10/03/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Contributions et taxes - Généralités - Règles générales d'établissement de l'impôt.

Contributions et taxes - Règles de procédure contentieuse spéciales - Réclamations au directeur - Délai.


Composition du Tribunal
Président : M. BATAILLE
Rapporteur ?: Mme Marie-Paule ALLIO-ROUSSEAU
Rapporteur public ?: Mme WUNDERLICH
Avocat(s) : CMS BUREAU FRANCIS LEFEBVRE

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2016-03-10;14nt03040 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award