La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/02/2016 | FRANCE | N°14NT02285

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 1ère chambre, 25 février 2016, 14NT02285


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) CB 8 a demandé au tribunal administratif de Nantes, premièrement, de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos de 2004 à 2007, des suppléments de contribution sur cet impôt auxquels elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2004 et 2005, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er mars

2003 au 28 février 2007 et des pénalités correspondantes, deuxièmement, de prononc...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) CB 8 a demandé au tribunal administratif de Nantes, premièrement, de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos de 2004 à 2007, des suppléments de contribution sur cet impôt auxquels elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2004 et 2005, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er mars 2003 au 28 février 2007 et des pénalités correspondantes, deuxièmement, de prononcer le remboursement des frais exposés pour la constitution de garanties et, troisièmement, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1204800 du 3 juillet 2014, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 27 août 2014 et 11 décembre 2015, l'EURL CB 8, représentée par Me A..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 3 juillet 2014 ;

2°) de prononcer la décharge des impositions et des pénalités contestées ;

3°) de prononcer le remboursement des frais exposés pour la constitution de garanties ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- si certaines marchandises ont été vendues à perte, c'est parce qu'elles étaient détériorées et ne pouvaient être retournées à la SAS Futura Finances ; il était préférable de vendre à prix bas certaines marchandises plutôt que de ne pas les vendre ; l'EURL CB 8, qui décidait de sa politique de prix, avait donc intérêt à vendre à perte ce type de marchandises, en procédant au titre des exercices clos en 2006 et 2007 à des " forçages caisse " ; par ailleurs, le code de commerce ne prohibe pas la revente à perte s'agissant de marchandises soldées ; il y a lieu de tenir compte de deux avoirs émis par la SAS Futura Finances, les 31 décembre 2004 et 28 février 2005, qui ont eu pour effet d'annuler les marges négatives constatées à l'occasion de la vente de certaines marchandises ;

- les factures de la SAS Futura Finances relatives à des marchandises cassées, mises en dépôt-vente auprès de l'EURL CB 8, sont appuyées par des bordereaux de casse, dont l'administration a refusé de tenir compte ; dès lors que l'EURL CB 8 vend des marchandises en vrac et que des détériorations ont lieu lors du déchargement des palettes, il est incohérent d'estimer, comme l'a fait l'administration, qu'aucune marchandise n'a été cassée au cours des exercices litigieux ; l'administration a admis l'existence de charges résultant de l'achat de marchandises cassées dans d'autres magasins de la même enseigne ayant les mêmes conditions d'exploitation ; si des quantités fractionnaires ont été comptabilisées comme cassées, cela est dû au mode de comptabilisation spécifique des produits vendus par lots ; si des quantités négatives ont été comptabilisées, s'agissant des marchandises cassées, cela résulte de corrections effectuées lors des déclarations de casse ; à supposer que certains bordereaux de casse soient entachés d'erreurs matérielles, cela ne justifie pas le rejet de la totalité des factures d'achat de marchandises cassées ; l'administration n'est pas fondée à demander que les marchandises cassées soient conservées pour les besoins du contrôle ;

- l'EURL CB 8 et la SAS Futura Finances ont pu librement conclure un contrat verbal impliquant le versement par l'EURL CB 8 de compléments de prix d'achat ; l'envoi de factures, reçues sans protestation par l'EURL CB 8, est suffisant pour prouver la réalité et le montant de la créance détenue par la SAS Futura Finances, ces entreprises entretenant un courant d'affaires continu ; en facturant des compléments de prix, la SAS Futura Finances n'a fait qu'appliquer le contrat de fourniture qui prévoit notamment qu'elle peut se réserver la possibilité, moyennant prévenance, de facturer partiellement les invendus si elle constate une dérive importante par rapport aux exercices précédents ou à la moyenne du réseau des magasins " Noz " ; le paiement de ces compléments de prix était dans l'intérêt de l'EURL CB 8 dès lors qu'en l'absence de tels compléments de prix, la SAS Futura Finances aurait pu renégocier l'ensemble des conditions économiques et financières du contrat de fournitures ;

- les charges de démarque inconnue répondaient aux conditions de déductibilité posées par l'instruction 13 J 1-88 du 14 juin 1988, tenant à la fiabilité des enregistrements de recettes et de la " comptabilité marchandise " ainsi qu'à l'existence de mesures de lutte contre la démarque inconnue et de contrôles internes de l'efficacité de ces mesures ; il est incohérent, compte tenu de la nature de l'activité de la requérante, d'avoir rejeté en totalité les charges correspondant à la démarque inconnue ; il n'y a pas à justifier de la cause des disparitions de marchandises ; l'administration a admis l'existence de charges correspondant à la démarque inconnue dans d'autres magasins de la même enseigne ayant les mêmes conditions d'exploitation ;

- en l'absence d'élément intentionnel, les pénalités pour manquement délibéré appliquées aux suppléments d'impôt sur les sociétés et aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée résultant des redressements concernant la démarque inconnue, les compléments de prix d'achat et l'achat de marchandises cassées sont infondées.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 16 mars 2015 et 30 décembre 2015, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité de la demande de remboursement de frais de constitution de garanties en l'absence de litige né et actuel entre le comptable et la requérante concernant un tel remboursement.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jouno,

- et les conclusions de Mlle Wunderlich, rapporteur public.

1. Considérant que l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) CB 8, qui a opté pour le régime fiscal des sociétés de capitaux, exerce une activité de commerce de détail sous l'enseigne " Noz " ; qu'elle est liée, à ce titre, par un contrat de fourniture daté du 1er mars 2004 à la société par actions simplifiée (SAS) Futura Finances ; qu'en vertu de ce contrat, l'approvisionnement en marchandises de l'EURL CB 8 est laissé à la discrétion de la SAS Futura Finances ; que ces marchandises ne sont payables par l'EURL CB 8 à la SAS Futura Finances qu'à compter de leur vente au consommateur final et restent, antérieurement à ce paiement, la propriété de la SAS Futura Finances ; que les marchandises ainsi mises en dépôt-vente, dénommées " consignations ", font, lorsqu'elles sont effectivement vendues, l'objet d'une facturation par la SAS Futura Finances au moins une fois par mois ; que les marchandises qui ont été mises en dépôt-vente auprès de l'EURL CB 8 mais qui, bien qu'étant commercialisables, n'ont pas été vendues au terme d'une période contractuellement fixée sont retournées à la SAS Futura Finances et ne sont pas facturées par celle-ci ; qu'il est constant que les marchandises identifiées par l'EURL CB 8 comme cassées font l'objet d'une facturation mensuelle de la part de la SAS Futura Finances ; qu'enfin, les marchandises n'ayant été ni vendues, ni retournées, ni cassées, sont considérées comme étant constitutives de la " démarque inconnue " et sont à la charge de l'EURL CB 8 ; qu'en vertu du contrat précité, la SAS Futura Finances est en droit de facturer mensuellement, à titre d'acompte de la " démarque inconnue ", une somme correspondant à 2 % du chiffre d'affaires hors taxe réalisé par l'EURL CB 8 au cours du mois écoulé, des régularisations étant réalisées après inventaire ; que les sommes ainsi facturées sont comptabilisées en tant que charges par l'EURL CB 8 ; que l'EURL CB 8 était liée à la SAS Futura Finances, antérieurement au 1er mars 2004, par un contrat du 15 janvier 2003, dont les stipulations étaient, pour l'essentiel, analogues à celles du contrat mentionné ci-dessus ;

2. Considérant que l'EURL CB 8 a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er mars 2003 au 28 février 2007 ; que, par des propositions de rectification du 20 décembre 2007 et du 19 décembre 2008, l'administration a, en premier lieu, remis en cause la déductibilité des charges résultant, d'une part, de l'achat des marchandises identifiées comme cassées et, d'autre part, de l'achat des marchandises relevant de la " démarque inconnue " ; qu'elle n'a, en deuxième lieu, admis la déductibilité de sommes facturées par la SAS Futura Finances pour l'achat des marchandises qu'à concurrence des sommes contractuellement convenues avec l'EURL CB 8 antérieurement aux achats en cause ; qu'elle a, en troisième lieu, remis en cause la déductibilité, au titre de la période vérifiée, de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé les achats ne correspondant à aucune opération réelle ; qu'en quatrième lieu, l'administration a appliqué aux suppléments d'impôt sur les sociétés et aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée résultant de ces rectifications la majoration pour manquement délibéré ; qu'elle a, en cinquième lieu, estimé que l'EURL CB 8 avait commis un acte anormal de gestion en vendant à perte certaines des marchandises qui lui avaient été données en dépôt vente ; que, s'agissant de ce dernier chef de redressement, le montant des rehaussements en base a été obtenu par différence entre, d'une part, un montant de ventes " théorique " correspondant au prix d'achat hors taxes des unités vendues à perte multiplié par le taux de marge moyen constaté s'agissant des unités vendues sans perte et, d'autre part, le montant hors taxes des ventes à perte effectivement comptabilisées ;

3. Considérant que l'EURL CB 8 a réclamé contre les cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle avait été assujettie au titre des exercices clos en 2004, 2005, 2006 et 2007, les suppléments de contribution additionnelle à cet impôt mis à sa charge au titre des exercices clos en 2004 et 2005, les rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui avaient été réclamés au titre de la période du 1er mars 2003 au 28 février 2007, ainsi que les pénalités correspondantes ; que l'administration a admis partiellement cette réclamation le 14 mars 2012, estimant, en définitive, notamment que le redressement relatif aux marchandises vendues à perte ne devait porter que sur la différence entre, d'une part, le prix auquel l'EURL CB 8 achetait à la SAS Futura Finances ces marchandises une fois la vente réalisée et, d'autre part, leur prix de vente effectif ; que, par un jugement du 3 juillet 2014, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande en décharge présentée par l'EURL CB 8 ; que celle-ci relève appel de ce jugement ;

Sur le bien-fondé des impositions :

En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :

Quant aux suppléments d'impôt sur les sociétés :

S'agissant des ventes à perte :

4. Considérant qu'il résulte des articles 38 et 39 du code général des impôts, dont les dispositions sont applicables à l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code, que le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale ; que les renonciations à recettes et la prise en charge par une entreprise de frais ne lui incombant pas directement ne relèvent pas, en règle générale, d'une gestion commerciale normale, sauf s'il apparaît qu'en consentant de tels avantages, l'entreprise a agi dans son propre intérêt ; que, s'il appartient à l'administration d'apporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour estimer que les avantages octroyés par une entreprise à un tiers constituent un acte anormal de gestion, elle est réputée apporter cette preuve dès lors que cette entreprise n'est pas en mesure de justifier qu'elle a bénéficié en retour de contreparties ;

5. Considérant qu'à l'issue d'une analyse détaillée des fichiers d'achat et de vente, le vérificateur a relevé qu'un nombre non négligeable d'articles avait été vendu par l'EURL CB 8, suivant des consignes données par la SAS Futura Finances, à un prix inférieur au prix d'achat préalablement convenu avec cette SAS ; qu'il a estimé qu'eu égard aux stipulations des contrats mentionnés au point 1 qui prévoient que les invendus sont retournés à la SAS Futura Finances sans être facturés à l'EURL CB 8, cette dernière société s'était, en procédant à ces ventes à perte, d'une part, privée d'une recette probable et avait, d'autre part, pris en charge des frais incombant non à elle-même mais à la SAS Futura Finances, propriétaire des marchandises placées en dépôt-vente ; qu'au stade des propositions de rectification, l'administration a déterminé le taux de marge mensuel moyen dégagé sur les marchandises vendues sans perte, qu'elle a ensuite appliqué ce taux aux quantités vendues à perte, mois par mois, et a, enfin, réintégré aux résultats de l'EURL CB 8 la différence entre les sommes ainsi obtenues et le montant des ventes à pertes constatées mensuellement ; que, cependant, statuant sur la réclamation présentée par l'EURL CB 8, l'administration a décidé de limiter les rehaussements en base à la différence entre le prix d'achat des marchandises vendues à perte, d'une part, et leur prix de vente effectif, d'autre part ;

6. Considérant que, pour justifier de l'existence de contreparties aux ventes à perte, l'EURL CB 8 soutient que, par hypothèse, il est préférable pour elle de vendre une marchandise, quel que soit le prix pratiqué ; qu'elle précise en outre que les ventes à perte, qui étaient décidées par elle-même et non imposées par la SAS Futura Finances, résultent de ce qu'elle désigne être des " forçages caisse ", destinés à limiter les pertes encourues par elle ; qu'elle ajoute qu'il y a lieu de tenir compte de deux avoirs émis par la SAS Futura Finances, les 31 décembre 2004 et 28 février 2005, qui ont eu pour effet d'annuler les " marges négatives " constatées à l'occasion de la vente de certaines marchandises ; qu'elle indique, enfin, que les marchandises vendues à perte étaient détériorées ;

7. Mais considérant d'une part, que, comme l'a relevé l'administration, il résulte des stipulations de l'article 10 du contrat du 1er mars 2004 et de celles de l'article 9 du contrat du 15 janvier 2003 que les marchandises reçues en dépôt-vente et restées invendues peuvent être renvoyées à la SAS Futura Finances sans être facturées par elle ; que, dès lors, sauf circonstances particulières, la vente de marchandises à un prix inférieur à celui d'achat est sans contrepartie pour l'EURL CB 8 ; que les allégations de cette dernière relatives à la nature des marchandises vendues à perte ne sont étayées par aucun élément ; que, par suite, l'EURL CB 8 ne justifie d'aucune circonstance particulière de nature à révéler l'intérêt qu'il y aurait eu pour elle à vendre à perte des marchandises reçues en dépôt-vente de la SAS Futura Finances ;

8. Considérant, d'autre part, qu'ainsi que le souligne le ministre, l'administration a, par courrier du 27 octobre 2009, réduit, à concurrence de 1 727 euros, les rehaussements du résultat imposable de l'EURL CB 8 au titre de l'exercice clos en 2005 au vu des avoirs invoqués, datés des 31 décembre 2004 et 28 février 2005 ; que, pour le surplus, elle a estimé que ces avoirs ne portaient pas sur des articles visés par les rectifications afférentes aux ventes à perte ou ne permettaient pas de neutraliser la " marge négative " constatée par le vérificateur ; que la requérante n'apporte aucun élément de nature à établir que cette appréciation est inexacte ;

S'agissant du surplus des rectifications en litige :

9. Considérant qu'aux termes du 1 de l'article 39 du code général des impôts, applicable pour la détermination de l'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même code : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : 1° Les frais généraux de toute nature (...) " ; qu'en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, s'il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits nécessaires au succès de sa prétention, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci ; qu'il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts de justifier tant du montant des créances de tiers, amortissements, provisions et charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité ; qu'en ce qui concerne les charges, le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée ; que dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive ;

10. Considérant qu'en vertu de ces principes, lorsqu'une entreprise a déduit en charges une dépense réellement supportée, conformément à une facture régulière relative à un achat de prestations ou de biens dont la déductibilité par nature n'est pas contestée par l'administration, celle-ci peut demander à l'entreprise qu'elle lui fournisse tous éléments d'information en sa possession susceptibles de justifier la réalité et la valeur des prestations ou biens ainsi acquis ; que la seule circonstance que l'entreprise n'aurait pas suffisamment répondu à ces demandes d'explication ne saurait suffire à fonder en droit la réintégration de la dépense litigieuse, l'administration devant alors fournir devant le juge tous éléments de nature à étayer sa contestation du caractère déductible de la dépense ; que le juge de l'impôt doit apprécier la valeur des explications qui lui sont respectivement fournies par le contribuable et par l'administration ;

11. Considérant, en premier lieu, qu'à l'issue des opérations de contrôle, après avoir effectué des recoupements entre les fichiers informatiques relatifs aux ventes, aux achats et aux marchandises cassées, le vérificateur a constaté que, de manière générale, des quantités spécialement importantes d'articles avaient été comptabilisées par l'EURL CB 8 comme étant détériorées et devant par suite être facturées par la SAS Futura Finances ; qu'il a par ailleurs relevé que la matérialité des détériorations de marchandises n'était pas établie et qu'un grand nombre de marchandises avaient d'ailleurs été regardées comme détériorées bien que, de par leur nature, ces marchandises ne fussent, en principe, pas aisément sujettes à des détériorations ; qu'enfin, il a relevé que, dans le système de gestion sur lequel se fonde la SAS Futura Finances pour établir ses facturations, le nombre d'articles regardés comme détériorés était, pour certaines références, négatif tandis que, pour certaines autres, il était fractionnaire ;

12. Considérant que l'EURL CB 8 soutient que les sommes facturées par la SAS Futura Finances au titre de marchandises dont la détérioration avait été constatée en magasin sont appuyées par des bordereaux de casse dont l'administration n'a pas tenu compte et que ces marchandises n'avaient pas à être conservées pour les besoins du contrôle ; qu'elle ajoute qu'eu égard aux modalités de vente, le nombre de marchandises détériorées est nécessairement important, si bien que l'administration ne pouvait remettre en cause dans son intégralité la déductibilité en charges des sommes facturées par la SAS Futura Finances au titre des marchandises détériorées en magasin ; qu'elle précise que, si, pour certaines références, le nombre de marchandises détériorées n'est pas un entier, cela est dû au mode de comptabilisation spécifique des produits vendus par lots et que, si, pour certaines autres références, un nombre négatif de marchandises détériorées apparaît dans son système informatique de gestion, cela résulte de corrections effectuées lors des " déclarations de casse " ;

13. Mais considérant que l'EURL CB 8 ne produit aucun des " bordereaux de casse " dont elle fait état ; que les explications fournies par elle quant à l'existence de quantités fractionnaires ou négatives de marchandises détériorées ne sont appuyées par aucun élément probant ; qu'aucun élément avancé par l'EURL CB 8 ne permet ainsi d'expliquer l'importance des détériorations subies en magasin par les marchandises placées en dépôt-vente, qui ont représenté, au titre des exercices clos en 2004, 2005, 2006 et 2007, respectivement 7,36 %, 5,59 %, 4,77 % et 3,68 % des achats hors taxes revendus, alors que le ministre souligne, sans être utilement contredit, que, bien qu'ils fussent fréquemment vendus par lots, en vrac, dans des bacs, la plupart de ces articles étaient, par leur nature, peu sujets à des détériorations ; qu'aucun élément ne permet non plus de justifier de la concentration des détériorations de marchandises sur certaines références, au cours de certaines périodes ; que, dans ces conditions, l'administration était fondée à estimer qu'aucune des dépenses correspondant à l'achat à la SAS Futura Finances de marchandises détériorées en magasin n'était déductible en charges par l'EURL CB 8 ;

14. Considérant, en deuxième lieu, qu'alors qu'il n'avait relevé aucune charge liée à la " démarque inconnue " au titre de l'exercice clos en 2004, le vérificateur a constaté qu'au titre des exercices suivants, l'EURL CB 8 avait déduit en charges des dépenses engagées conformément à des factures émises par la SAS Futura Finances au titre de " consommations de stocks " ou de la " démarque inconnue " constatée dans le magasin ; que le vérificateur a estimé que ces dépenses ne comportaient pas de contrepartie pour l'entreprise ; que, pour en justifier, il a indiqué que les quantités d'articles détériorés, qui étaient portées dans le système informatique de gestion de l'entreprise, étaient manifestement excessives, notamment compte tenu de la nature de certaines marchandises vendues ; qu'il a ajouté que, pour une certaines références, la " démarque inconnue " présentait une valeur négative ; qu'il a enfin relevé que pour un nombre non négligeable de références, des articles avaient été regardés comme relevant de la " démarque inconnue " alors même qu'aucune vente n'avait été réalisée ;

15. Considérant que, pour justifier de l'existence de contreparties aux dépenses déduites par elle en charges au titre de la " démarque inconnue ", l'EURL CB 8 se borne à soutenir qu'il est invraisemblable qu'un magasin ayant pour activité le déstockage de marchandises et la vente de marchandises à bas prix ne subisse pas des vols ou ne constate pas des écarts d'inventaires ayant une autre cause ;

16. Mais considérant que l'EURL CB 8 n'avait pas constaté de charges portant sur la " démarque inconnue " au titre de l'exercice clos en 2004 ; que, par suite, cette EURL ne justifie pas de ce que la constatation de charges résultant de facturations réalisées par la SAS Futura Finances au titre de la " démarque inconnue " est inhérente à son activité ; qu'ainsi, et en l'absence d'explications des incohérences substantielles relevées par l'administration, c'est à bon droit que celle-ci a tenu pour dépourvu de contrepartie l'ensemble des charges constatées par l'EURL CB 8 au titre de la " démarque inconnue " pour les exercices clos en 2005, 2006 et 2007 ;

17. Considérant, en troisième lieu, que le vérificateur a relevé, d'une part, que la SAS Futura Finances avait facturé à l'EURL CB 8, le 31 décembre 2003, des sommes supplémentaires au titre d'article déjà achetés puis revendus par elle et, d'autre part, que ces sommes avaient été déduites en charges par l'EURL CB 8 au titre de l'exercice clos en 2004 ; qu'il a estimé que la dépense liée à cette facturation complémentaire, appliquée à titre rétroactif sans être justifiée par un contrat entre les parties, était dépourvue de contrepartie pour l'EURL CB 8 et ne pouvait donc être déduite en charges ;

18. Considérant que l'EURL CB 8 soutient qu'elle avait conclu avec la SAS Futura Finances un contrat verbal impliquant, dans certaines hypothèses, le versement par elle de compléments de prix d'achat ; qu'elle ajoute qu'en toute hypothèse, en facturant des compléments de prix, la SAS Futura Finances n'a fait qu'appliquer le contrat de fourniture qui prévoit notamment qu'elle peut se réserver la possibilité de facturer partiellement les invendus si elle constate une augmentation significative de ceux-ci au titre d'un exercice, par rapport aux exercices précédents ou à la moyenne du réseau des magasins de même enseigne ; qu'elle poursuit en indiquant que le paiement de ces compléments de prix d'achat était dans l'intérêt de l'EURL CB 8 dès lors qu'en l'absence de tels compléments de prix, la SAS Futura Finances aurait pu renégocier, en sa défaveur, l'ensemble des conditions économiques et financières du contrat de fournitures ;

19. Mais considérant que, premièrement, le contrat de fourniture du 15 janvier 2003, évoqué au point 1, ne mentionnait pas la possibilité pour la SAS Futura Finances de majorer, à titre rétroactif, les prix auxquels elle vendait ses marchandises à l'EURL CB 8 ; que si son article 9 stipulait que la SAS Futura Finances pouvait, après avoir prévenu l'EURL CB 8, lui facturer des invendus, il ne précisait, en tout état de cause, pas que de telles facturations pouvaient avoir un caractère rétroactif ; que, deuxièmement, à supposer même que la facture du 31 décembre 2003 porte sur des invendus, il ne résulte pas de l'instruction que la SAS Futura Finances ait prévenu l'EURL CB 8, comme cela était prévu par le contrat, de ce qu'elle entendait procéder à une telle facturation ; que, troisièmement, l'existence d'un contrat verbal entre l'EURL CB 8 et la SAS Futura Finances, antérieur à la facturation litigieuse, n'est pas attestée ; que, quatrièmement, la gérante de l'EURL CB 8, qui dirigeait plusieurs autres magasins de la même enseigne, ne pouvait craindre, compte tenu de sa position commerciale favorable, que ses relations commerciales avec la SAS Futura Finances se dégradent du seul fait que l'EURL CB 8 ne s'acquitte pas de la facture du 31 décembre 2003 ; que, par suite, c'est à bon droit que l'administration a estimé que la dépense correspondant à la somme facturée le 31 décembre 2003 par la SAS Futura Finances était dépourvue de contrepartie pour l'EURL CB 8 ;

Quant aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée :

20. Considérant que l'administration a, sur le fondement de l'article 271 du code général des impôts et de l'article 230 de l'annexe II à ce code, alors applicable, remis en cause la déductibilité, au titre de la période vérifiée, de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé, d'une part, les marchandises cassées et, d'autre part, les marchandises constituant la " démarque inconnue " ; qu'elle a, en outre, remis en cause, sur ce même fondement, la déductibilité de la taxe ayant grevé des compléments de prix d'achat facturés le 31 décembre 2003 par la SAS Futura Finances ; que l'EURL CB 8 ne soulève aucun moyen spécifique à l'appui des conclusions tendant à la décharge des rappels de taxe en résultant, qui doivent donc être rejetées ;

En ce qui concerne l'interprétation administrative de la loi fiscale :

21. Considérant, d'une part, que l'EURL CB 8 n'est pas fondée à invoquer, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, s'agissant de charges déductibles du résultat imposable, l'instruction administrative référencée 13 J-I-88 du 14 juin 1988 qui concerne la régularisation des déductions de taxe sur la valeur ajoutée ;

22. Considérant, d'autre part, que l'EURL CB 8 doit être regardée comme invoquant, sur le fondement de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, la position que l'administration aurait prise à l'égard de la situation d'autres contribuables exploitant des magasins sous la même enseigne commerciale ; que, toutefois, ces contribuables n'étaient, en tout état de cause, pas dans la même situation de fait qu'elle ni n'avaient participé aux actes ou aux opérations ayant donné naissance à cette situation ;

Sur les pénalités :

23. Considérant que l'EURL CB 8, qui disposait, ainsi qu'elle le souligne, d'outils informatiques lui permettant de contrôler les flux de marchandises, ne pouvait ignorer que les sommes facturées par la SAS Futura Finances pour les marchandises détériorées en magasin et la " démarque inconnue " étaient dépourvues de contrepartie et ne correspondaient à aucune opération réelle ; qu'elle ne pouvait par ailleurs ignorer que la facturation par la SAS Futura Finances, a posteriori, de sommes outrepassant le prix d'achat convenu des marchandises ne reposait sur aucun fondement ; qu'en faisant état de ces circonstances, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve de l'intention de l'EURL CB 8 d'éluder l'impôt ; que, par suite, c'est à bon droit qu'elle a appliqué aux suppléments d'impôt sur les sociétés et aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée résultant des redressements litigieux la pénalité de 40 % prévue à l'article 1729 du code général des impôts en cas de manquement délibéré ;

24. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que l'EURL CB 8 n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande ;

Sur la demande de remboursement des frais de constitution de garanties :

25. Considérant que le remboursement des frais qu'un contribuable a exposés pour constituer des garanties doit, en vertu des dispositions de l'article R. 208-3 du livre des procédures fiscales, être demandé à l'administration dans le délai d'un an à compter de la notification de la décision de dégrèvement qui le justifie ; qu'il n'existe, en l'espèce, aucun litige né et actuel entre le comptable et l'EURL CB 8 concernant un tel remboursement ; que, dès lors, ces conclusions ne sont pas recevables ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

26. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que l'EURL CB 8 demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de l'EURL CB 8 est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'EURL CB 8 et au ministre des finances et des comptes publics.

Délibéré après l'audience du 4 février 2016 à laquelle siégeaient :

- M. Bataille, président de chambre,

- Mme Aubert, président-assesseur,

- M. Jouno, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 25 février 2016.

Le rapporteur,

T. JounoLe président,

F. Bataille

Le greffier,

E. Haubois

La République mande et ordonne au ministre des finances et des comptes publics en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

''

''

''

''

3

N° 14NT02285


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 14NT02285
Date de la décision : 25/02/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Composition du Tribunal
Président : M. BATAILLE
Rapporteur ?: M. Thurian JOUNO
Rapporteur public ?: Mme WUNDERLICH
Avocat(s) : OUTIN

Origine de la décision
Date de l'import : 08/03/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2016-02-25;14nt02285 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award