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01/12/2015 | FRANCE | N°13NT03146

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 01 décembre 2015, 13NT03146


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme A... ont demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner la SAS Liséa à leur verser une somme de 90 000 euros en réparation de la dépréciation de la valeur vénale de leur résidence principale, 40 000 euros au titre des troubles de jouissance et dans leurs conditions d'existence et 10 000 euros au titre du préjudice moral, occasionnés par l'implantation de la ligne ferroviaire nouvelle à grande vitesse reliant Tours à Bordeaux.

Par un jugement n° 1301250 du 19 septembre 2013

, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande.

Procédure devant la ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme A... ont demandé au tribunal administratif d'Orléans de condamner la SAS Liséa à leur verser une somme de 90 000 euros en réparation de la dépréciation de la valeur vénale de leur résidence principale, 40 000 euros au titre des troubles de jouissance et dans leurs conditions d'existence et 10 000 euros au titre du préjudice moral, occasionnés par l'implantation de la ligne ferroviaire nouvelle à grande vitesse reliant Tours à Bordeaux.

Par un jugement n° 1301250 du 19 septembre 2013, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 18 novembre et 3 décembre 2013, 5 août 2014 et 5 juin 2015, M. et MmeA..., représentés par MeD..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 19 septembre 2013 ;

2°) de condamner la SAS Liséa à leur verser une somme de 90 000 euros en réparation de la dépréciation de la valeur vénale de leur résidence principale, 40 000 euros au titre des troubles de jouissance et dans leurs conditions d'existence et 10 000 euros au titre du préjudice moral, occasionnés par l'implantation de la ligne ferroviaire nouvelle à grande vitesse reliant Tours à Bordeaux, et d'assortir cette somme d'intérêts au taux légal à compter de la date d'enregistrement de leur requête et de la capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge de la SAS Liséa le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le tribunal administratif a commis une erreur de droit en ne portant pas une appréciation globale sur l'ensemble des chefs de dommages allégués ;

- le tribunal administratif a commis une erreur de fait en estimant que la vue offerte depuis la maison ne présentait pas de caractère particulier ;

- le tribunal administratif s'est fondé sur un référentiel de bruit infondé en droit car le respect des règles imposées au constructeur ne saurait empêcher les riverains de se plaindre des nuisances subies, et il l'a incorrectement mis en oeuvre pour écarter le préjudice sonore, les prévisions à 2036 indiquant que le niveau de bruit maximal de 52 dB(A) sera dépassé, en outre ces indices ne rendent pas compte du bruit instantané qui va croissant avec la vitesse des trains ;

- en ce qui concerne la preuve du préjudice anormal et spécial, ils ont apporté des commencements de preuve mais le tribunal administratif n'a pas exercé ses pouvoirs d'instruction ;

- le tribunal administratif a omis de statuer sur le moyen tiré de ce que le maître d'ouvrage est responsable des dommages causés aux tiers par les ouvrages publics dont il a la garde, tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement ; à ce titre la société Liséa, de droit privé, relève des dispositions de l'article 1384 du code civil ;

- le préjudice anormal et spécial est établi par la très grande proximité de l'ouvrage implanté à 50m de l'entrée de la propriété et à 100m de l'habitation ;

- ils ont démontré la réalité des troubles de jouissance et leur évaluation (facture des travaux d'isolation et estimation chiffrée des travaux nécessaires de réorganisation intérieure de la maison) ;

- l'extrême proximité des ouvrages donne un caractère certain à la perte de valeur vénale de leur propriété, incluant l'illiquidité du capital, (estimée à 33 000 euros soit 23,40% de la valeur vénale théorique) et à leur préjudice moral (Mme A...rencontre des problèmes de santé).

Par des mémoires en défense, enregistrés les 4 avril et 20 novembre 2014, la SAS Liséa, représentée par MeE..., conclut au rejet de la requête et demande que soit mis à la charge de M. et Mme A...le versement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

A titre principal :

- le jugement, qui écarte implicitement le moyen tiré de la responsabilité du maître d'ouvrage en raison des dommages causés aux tiers par les ouvrages publics dont il a la garde, n'est pas irrégulier dès lors que ce moyen est inopérant en raison de l'exclusivité du régime des dommages permanents de travaux publics ;

- le préjudice sonore ne pouvait être évalué par application de l'arrêté du 8 novembre 1999 en l'absence de circulation effective des trains ;

- les autres moyens soulevés par M. et Mme A...ne sont pas fondés ;

A titre subsidiaire :

- dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel, les époux A...ne justifient pas d'un préjudice anormal et spécial ;

- en tout état de cause, les préjudices qu'ils invoquent ne présentent pas un caractère direct et certain, dès lors que la mise en service effective des infrastructures ferroviaires n'aura lieu qu'en 2017.

La SAS Liséa a produit un nouveau mémoire en défense, enregistré le 3 novembre 2015, qui n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Loirat, président-assesseur ;

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,

- et les observations de MeD..., représentant M. et MmeA..., et de MeC..., représentant la société Liséa .

1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. et Mme A...sont propriétaires d'une maison d'habitation située sur le territoire de la commune de Maillé (Indre-et-Loire) au lieu-dit " La Rabaudière " ; que la ligne ferroviaire à grande vitesse " Sud Europe Atlantique " (SEA), déclarée d'utilité publique par un décret du 10 juin 2009, et dont la conception, la maintenance et l'exploitation ont été concédées par Réseau Ferré de France à la société Liséa, est implantée à proximité de leur propriété ; qu'après avoir tenté en vain de mettre la société Liséa puis l'Etat en demeure d'acquérir leur propriété, M. et Mme A...ont cherché à mettre en oeuvre la responsabilité sans faute de la société concessionnaire en excipant de ce que la proximité de la ligne ferroviaire en construction leur occasionne un préjudice anormal et spécial et en demandant la réparation de la perte de valeur vénale de leur propriété, estimée à 90 000 euros, de la perte de vue et de jouissance, et des troubles dans les conditions d'existence, estimés à 40 000 euros et enfin de leur préjudice moral, estimé à 10 000 euros ; que par la présente requête, les intéressés relèvent appel du jugement du 19 septembre 2013 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant que les époux A...soutiennent que les premiers juges ont omis de statuer sur le moyen tiré de ce que le maître d'ouvrage est responsable des dommages causés aux tiers par les ouvrages publics dont il a la garde, tant en raison de leur existence que de leur fonctionnement ; que toutefois, si le maître d'ouvrage est responsable, même en l'absence de faute, des dommages que les ouvrages publics dont il a la garde peuvent causer aux tiers en raison tant de leur existence que de leur fonctionnement, la qualité invoquée de gardienne de l'ouvrage de la SAS Lisea constitue, non une cause juridique distincte susceptible de fonder la responsabilité recherchée en dehors du caractère anormal et spécial du préjudice subi, mais une simple question d'imputabilité dudit préjudice, dont les éléments constitutifs du caractère spécial et anormal devront être en tout état de cause recherchés ; qu'ainsi, dès lors qu'il n'a pas rejeté la requête comme mal dirigée, le tribunal administratif a, implicitement mais nécessairement, admis la qualité de gardienne de l'ouvrage de la société Lisea, avant d'apprécier le caractère du préjudice invoqué, et n'a donc pas commis l'omission à statuer qui lui est reprochée ;

Sur la responsabilité :

3. Considérant que lorsqu'il est saisi par un requérant, qui s'estime victime d'un dommage de travaux publics, de conclusions indemnitaires à raison d'un préjudice anormal et spécial, il appartient au juge administratif de porter une appréciation globale sur l'ensemble des chefs de dommages allégués ;

4. Considérant que la seule circonstance que le tribunal a examiné séparément la réalité de chacun des chefs de dommage invoqués ne suffit pas à établir qu'il aurait méconnu son office en n'appréciant pas de manière globale l'effet de ces éléments pour apprécier le caractère éventuellement anormal et spécial du préjudice d'ensemble ; que, d'ailleurs, le tribunal a déduit de son examen successif des différents chefs de dommage invoqués, nuisances sonores et troubles visuels, en concluant à la fin du point 5 de son jugement " qu'ainsi, le dommage invoqué par les époux requérants au titre des troubles permanents n'est pas, en l'espèce, au nombre de ceux pouvant ouvrir droit à indemnisation " et a ainsi procédé à l'évaluation des effets conjugués des chefs de dommage qui lui incombait en vue de l'appréciation du caractère anormal du préjudice ;

5. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la propriété de M et MmeA..., acquise en 1999, est située à une distance d'environ 450 mètres de l'autoroute A10 et 220 mètres de la voie ferrée Paris-Bordeaux existante ; que les voies de raccordement de la ligne LGV Tours Bordeaux à la voie ferrée existante sont situées à une distance de 104 mètres du point le plus proche de la maison d'habitation des intéressés ; que la vue sur le paysage naturel environnant n'est pas gravement altérée par les voies en cours de construction, qui ne sont pas édifiées en surplomb et comportent seulement des mâts de plusieurs mètres de haut destinés à supporter la caténaire ; qu'avant la mise en service effective de la ligne à grande vitesse, prévue au cours de l'année 2017, les nuisances sonores comme la perte de jouissance et le préjudice moral ne peuvent être utilement mesurés ou évalués, et ne présentent par suite pas un caractère certain ; que la perte de la valeur vénale de la propriété ne peut davantage être tenue pour certaine, s'agissant d'un bien implanté dans un site à caractère naturel mais ne présentant pas un intérêt particulier, déjà situé à proximité d'un important ouvrage de transport routier et éloigné des commerces et des transports en commun, qui est donc par nature, malgré les travaux d'amélioration réalisés par les épouxA..., difficile à évaluer et à vendre ; que dans ces conditions, d'une part, l'expertise demandée ne présente pas de caractère utile et, d'autre part, les préjudices allégués par M. et Mme A...ne peuvent être regardés comme présentant un caractère anormal excédant les sujétions susceptibles d'être, sans indemnité, normalement imposées dans l'intérêt général aux riverains des ouvrages publics ;

6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme A...ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté leur demande ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

7. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Liséa, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme demandée par M. et Mme A...au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. et Mme A...le versement à la société Liséa de la somme qu'elle demande au titre des mêmes frais ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. et Mme A...est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la SAS Liséa tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A... et à la société par actions simplifiée Lisea.

Délibéré après l'audience du 10 novembre 2015, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- Mme Loirat, président-assesseur,

- Mme Rimeu, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 1er décembre 2015.

Le rapporteur,

C. LOIRATLe président,

L. LAINÉ

Le greffier,

M. B...

La République mande et ordonne au ministre au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 13NT03146


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 13NT03146
Date de la décision : 01/12/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Cécile LOIRAT
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : SCP OMNIA LEGIS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2015-12-01;13nt03146 ?
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