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12/10/2015 | FRANCE | N°15NT01651

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 12 octobre 2015, 15NT01651


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le préfet d'Ille-et-Vilaine a déféré au tribunal administratif de Rennes le procès-verbal de contravention de grande voirie dressé le 16 septembre 2009 à l'encontre de M. A... B...pour avoir édifié des bassins et des locaux d'exploitation de cultures marines sur le domaine public maritime, dans l'étang de Beauchet sur la commune de Saint-Suliac.

Par un jugement n° 0904820 du 5 juillet 2011, le tribunal administratif de Rennes a condamné M. B...à payer une amende de 500 euros, lui a enjoint de p

rocéder à la remise en état du domaine public maritime sur lequel il a édifié les...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le préfet d'Ille-et-Vilaine a déféré au tribunal administratif de Rennes le procès-verbal de contravention de grande voirie dressé le 16 septembre 2009 à l'encontre de M. A... B...pour avoir édifié des bassins et des locaux d'exploitation de cultures marines sur le domaine public maritime, dans l'étang de Beauchet sur la commune de Saint-Suliac.

Par un jugement n° 0904820 du 5 juillet 2011, le tribunal administratif de Rennes a condamné M. B...à payer une amende de 500 euros, lui a enjoint de procéder à la remise en état du domaine public maritime sur lequel il a édifié les installations litigieuses dans un délai de six mois à compter de la notification de ce jugement, sous astreinte de 200 euros par mois de retard, et a autorisé l'administration à procéder d'office à l'enlèvement des installations litigieuses en cas d'inexécution par le contrevenant dans le délai imparti.

Par un arrêt n° 11NT02489 du 29 novembre 2013, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par M. B...contre ce jugement.

Par une décision n°375036 du 6 mai 2015, le Conseil d'Etat, saisi d'un pourvoi en cassation par M.B..., a annulé l'arrêt du 29 novembre 2013 de la cour administrative d'appel de Nantes et renvoyé l'affaire devant la cour administrative d'appel de Nantes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 2 septembre 2011 et 11 septembre 2015, M. A...B..., M. G... B..., agissant en qualité de subrogé curateur de M. A... B..., et l'association tutélaire d'Ille-et-Vilaine, agissant en qualité de curateur de M. A...B..., représenté par MeF..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 5 juillet 2011 ;

2°) de rejeter le déféré du préfet d'Ille-et-Vilaine ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les parcelles litigieuses n'appartiennent pas au domaine public maritime ; ainsi, l'acte de vente notarié du 27 mars 1969 par lequel il a acquis des parcelles sur le territoire des communes de Saint-Père et de Saint-Suliac stipule qu'elles constituent des propriétés privées ;

- il ressort de la photo aérienne produite par l'Etat que les terrains litigieux sont situés au-delà des limites où peuvent s'étendre les plus hautes eaux ; en 1969, la parcelle n° 204 était dénommée au cadastre " platière de la grande vasière ", ce qui établit qu'elle était soustraite à l'action des plus hautes eaux ; la parcelle n° 203, formée par une voie, est également soustraite à l'action des plus hautes eaux ; les documents produits, et notamment le permis de construire délivré en 1975 et le certificat d'urbanisme en date du 9 avril 2009 établissent que les constructions litigieuses se situent sur des terrains soustraits à l'action des eaux depuis plus de trente ans ;

- le rapport d'expertise du 2 février 2011 atteste que les terrains litigieux existaient déjà en 1542 et appartenaient, en vertu du titre du 1er mai 1542, reçu à la Chambre des comptes de Bretagne le 16 août 1543, à Suzanne de Bourbon, dame de Rieux et de Rochefort ; la preuve est ainsi apportée de l'existence d'un titre de propriété antérieur à l'Edit de Moulins de février 1566 ;

- les parcelles nos 178 et 205 n'appartiennent pas davantage au domaine public maritime, l'étang n'étant pas en communication naturelle, directe et permanente avec la mer.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 juillet 2013, le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Vu les pièces du dossier ;

Vu :

- l'édit de Moulins de février 1566 ;

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le décret du 10 janvier 1962 portant délimitation du rivage de la mer dans l'estuaire de la Rance ;

- le décret n° 2003-172 du 25 février 2003 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Francfort,

- les conclusions de M. Durup de Baleine, rapporteur public,

- et les observations de MeF..., représentant M.B....

1. Considérant que, par une lettre du 2 avril 2009, le préfet d'Ille-et-Vilaine, après avoir relevé que M. B... avait édifié des bassins et locaux d'exploitation de cultures marines sur des parcelles appartenant au domaine public maritime, l'a mis en demeure de procéder à la remise de ces parcelles en leur état initial dans le délai d'un mois ; qu'à défaut pour M. B...de se conformer à cette mise en demeure un procès-verbal de contravention de grande voirie a été dressé le 16 septembre 2009 à l'encontre de M. B... ; que ce procès-verbal ayant été déféré par le préfet d'Ille-et-Vilaine au tribunal administratif de Rennes, cette juridiction a, par jugement du 5 juillet 2011, condamné M. B...à payer une amende de 500 euros et lui a enjoint de procéder à la remise en état des parcelles du domaine public maritime sur lesquelles il a édifié les constructions litigieuses dans un délai de six mois, sous astreinte de 200 euros par mois de retard, l'administration étant autorisée, à l'issue de ce délai, à procéder d'office à cette remise en état ; que M. B...relève appel de ce jugement du tribunal administratif de Rennes ;

Sur le bien-fondé des poursuites :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Nul ne peut, sans disposer d'un titre l'y habilitant occuper une dépendance du domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 ou l'utiliser dans des limites dépassant le droit d'usage qui appartient à tous " ; que l'article L. 2132-2 du même code énonce que : " Les contraventions de grande voirie sont instituées par la loi ou par décret, selon le montant de l'amende encourue, en vue de la répression des manquements aux textes qui ont pour objet, pour les dépendances du domaine public n'appartenant pas à la voirie routière, la protection soit de l'intégrité ou de l'utilisation de ce domaine public, soit d'une servitude administrative mentionnée à l'article L. 2131-1. Elles sont constatées, poursuivies et réprimées par voie administrative " ; qu'enfin en application de l'article L. 2132-3 de ce code : " Nul ne peut bâtir sur le domaine public maritime ou y réaliser quelque aménagement ou quelque ouvrage que ce soit sous peine de leur démolition, de confiscation des matériaux et d'amende (...) " ;

En ce qui concerne l'appartenance au domaine public maritime :

3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2111-4 du code général de la propriété de personnes publiques : " Le domaine public maritime naturel de L'Etat comprend : 1° Le sol et le sous-sol de la mer entre la limite extérieure de la mer territoriale et, côté terre, le rivage de la mer. / Le rivage de la mer est constitué par tout ce qu'elle couvre et découvre jusqu'où les plus hautes mers peuvent s'étendre en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles(...) "

4. Considérant qu'il ressort de l'instruction que la parcelle anciennement cadastrée section B2 n° 204, aujourd'hui incluse avec l'ancienne parcelle n° 205 dans une nouvelle parcelle AF 21, située au lieu-dit " Etang du moulin de Beauchet " sur le territoire de la commune de Saint-Suliac, acquise par M. B... de M. et Mme D... par acte du 27 mars 1969, et sur laquelle sont édifiées les constructions litigieuses, est entièrement comprise dans les limites des dépendances du domaine public maritime délimité par le décret du 10 janvier 1962 portant délimitation du rivage de la mer dans l'estuaire de la Rance ; que la délimitation du rivage de la mer ainsi opérée corrobore les conclusions que l'on peut tirer de la photographie aérienne prise le 16 mars 1957 lors des opérations de délimitation du rivage de l'estuaire de la Rance, et qui montre que les terrains contestés étaient alors envahis par les plus hautes eaux, ainsi que le rappelle du reste le rapport de l'expert commis par les premiers juges qui a constaté que " les plus hautes eaux de mars 1957 ont recouvert la totalité des parcelles portées au titre de propriété de M. B... " et que sans l'intervention d'EDF pour réguler la hauteur des eaux en amont du barrage de la Rance, " les eaux de mer pourraient submerger la digue du moulin de Beauchet et envahir la partie située en amont de la digue du moulin de Beauchet, comme cela a été le cas en 1957 " ; que dans ces conditions, et sans que M. B... puisse utilement invoquer les circonstances que la parcelle cadastrée section B2 n° 204 soit dénommée " Platière de la grande vasière " par l'acte de vente du 27 mars 1969, qu'un extrait cadastral mentionne qu'elle était à usage de pâture et alors même qu'elle a pu faire l'objet, à sa demande, d'un permis de construire et d'un certificat d'urbanisme, cette parcelle doit être regardée comme appartenant au domaine public maritime ;

En ce qui concerne l'invocation d'un droit fondé en titre :

5. Considérant qu'aux termes de l'article L. 3111-2 du code général de la propriété de personnes publiques : " Le domaine public maritime et le domaine public fluvial sont inaliénables sous réserve des droits et des concessions régulièrement accordés avant l'édit de Moulins de février 1566 et des ventes légalement consommées de biens nationaux " ; que sur ce fondement les particuliers justifiant de titres de propriété résultant d'aliénations antérieures à l'Edit de Moulins de février 1566 ou de ventes de biens nationaux sont en droit de revendiquer la propriété de biens qui auraient normalement dû faire partie du domaine public maritime ;

6. Considérant que l'acte notarié d'acquisition du 27 mars 1969 indique que l'étang et le moulin de Beauchet faisaient autrefois partie de la Seigneurie de Châteauneuf ; que M. B... a produit devant la cour l'acte " d'aveu et dénombrement " en date du 1er mai 1542 et reçu le 16 août 1543 par la Chambre des comptes de Bretagne, " des maisons, terres, héritages, rentes, droits héritels des appartenances de la seigneurie Chatelenie et juridiction de chateauneuf " que Mme E...H..., dame de Rieux, de Rochefort et d'Ancenis " dit et advoue tenir noblement et prochement a devoir de foy et hommages et rachapt le cas des enfants de Monseigneur I...ducJ... " ; que parmi ces biens figurent " les moulins nommez et vulgairement appelez les moulins à mer " situés " en la paroisse de St Père au dit baillage de Poullet ou leurs détroits affermés avec toutes leurs réparations ", correspondant aux deux anciens moulins à marée du site de Beauchet ; que toutefois si cet acte investit son déclarant d'un ensemble de prérogatives et obligations de nature féodale sur les biens dont il dresse l'inventaire, le rendant notamment titulaire d'un droit exclusif de gestion et d'exploitation de ces biens, il ne l'investit pas expressément du droit d'en disposer ; qu'ainsi, compte tenu de l'imprécision de ses mentions quant à la teneur du droit qui en résulte, ni ce document, ni aucune des autres pièces versées à l'instruction par M. B... ne permettent d'établir l'existence à son profit de droits réels antérieurs à l'édit de février 1566 ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments, sans préjudice des conclusions non contraires de la contribution de M.C..., professeur de droit public désigné en qualité d' " amicus curiae " sur le fondement des dispositions de l'article R. 652-3 du code de justice administrative, que le requérant n'est pas fondé à exciper d'un titre de propriété antérieur à l'édit de Moulins de 1566 sur la parcelle d'assiette des constructions litigieuses, aujourd'hui incluse dans la parcelle cadastrée section AF n° 21, susceptible de faire échec à la domanialité publique de cette parcelle ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes, après avoir constaté l'infraction commise par M. B...en construisant des locaux d'exploitation de cultures marines sur le domaine public maritime, a enjoint à M. B...de remettre les lieux en état dans le délai de six mois à compter de la notification de son jugement, sous astreinte de 200 euros par mois de retard passé ce délai ;

Sur l'action publique :

8. Considérant qu'aux termes de l'article 1er du décret susvisé du 25 février 2003 : " Toute infraction en matière de grande voirie commise sur le domaine public maritime en dehors des ports (...) est punie de la peine d'amende prévue par l'article 131-13 du code pénal pour les contraventions de la 5ème classe ( ...) " ; et qu'aux termes de l'article 131-13 du code pénal : " (...) Le montant de l'amende est le suivant : (...) 5° 1 500 euros au plus pour les contraventions de la 5ème classe, montant qui peut être porté à 3 000 euros en cas de récidive lorsque le règlement le prévoit, hors les cas où la loi prévoit que la récidive de la contravention est un délit " ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de réduire à 50 euros le montant de l'amende prononcée par les premiers juges à l'encontre de M. B...au titre des constructions qu'il a illégalement édifiées sur le domaine public maritime ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

DÉCIDE :

Article 1er: Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 5 juillet 2011 est réformé en tant qu'il condamne M. B... au versement d'une amende supérieure à 50 euros.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B...est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...B..., à M. G... B..., agissant en qualité de subrogé curateur de M. A... B..., à l'association tutélaire d'Ille-et-Vilaine, agissant en qualité de curateur de M. A...B...et au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie.

Délibéré après l'audience du 21 septembre 2015, à laquelle siégeaient :

- M. Lenoir, président de chambre,

- M. Francfort, président-assesseur

- M. Mony, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 12 octobre 2015.

Le rapporteur,

J. FRANCFORTLe président,

H. LENOIR

Le greffier,

C. GOY

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N° 15NT01651


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 15NT01651
Date de la décision : 12/10/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LENOIR
Rapporteur ?: M. Jérôme FRANCFORT
Rapporteur public ?: M. DURUP de BALEINE
Avocat(s) : LEXCAP RENNES LAHALLE - DERVILLERS et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 17/11/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2015-10-12;15nt01651 ?
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