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21/04/2015 | FRANCE | N°13NT03070

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 21 avril 2015, 13NT03070


Vu la requête, enregistrée le 28 octobre 2013, présentée pour Mme A...C..., demeurant..., par Me Kneubuhler, avocat au barreau de Saint-Etienne ; Mme C...demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1100821 du 27 août 2013 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant d'une part à l'annulation de la décision du 1er avril 2010 par laquelle la directrice de l'agence pour l'enseignement français à l'étranger a mis fin à son contrat en qualité de proviseur adjoint au lycée François Molière à Villanueva de la Canada de façon anticipée à

compter du 1er septembre 2010 et d'autre part à la condamnation de l'agence...

Vu la requête, enregistrée le 28 octobre 2013, présentée pour Mme A...C..., demeurant..., par Me Kneubuhler, avocat au barreau de Saint-Etienne ; Mme C...demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1100821 du 27 août 2013 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant d'une part à l'annulation de la décision du 1er avril 2010 par laquelle la directrice de l'agence pour l'enseignement français à l'étranger a mis fin à son contrat en qualité de proviseur adjoint au lycée François Molière à Villanueva de la Canada de façon anticipée à compter du 1er septembre 2010 et d'autre part à la condamnation de l'agence pour l'enseignement français à l'étranger à lui verser une somme de 90 390,96 euros en réparation des préjudices subis ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 1er avril 2010 ;

3°) de condamner l'agence pour l'enseignement français à l'étranger à lui verser une somme de 90 390,96 euros en réparation des préjudices subis ;

4°) de mettre à la charge de l'agence pour l'enseignement français à l'étranger une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient que :

- l'AEFE a rompu les relations contractuelles sans respecter le délai de préavis de six mois prévu par l'article 6 de son contrat ;

- la décision du 1er avril 2010 est une décision individuelle défavorable qui aurait dû être motivée en vertu de la loi du 11 juillet 1979 ;

- elle aurait dû être mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales en application de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 ;

- il n'est pas établi que la décision contestée a été prise sur sa demande ; elle a fait l'objet de pressions constantes afin qu'elle présente une demande de réintégration ;

- l'illégalité fautive de la décision du 1er avril 2010 lui a causé des préjudices dont elle est fondée à demander réparation ;

- elle a subi un préjudice moral évalué à 20 000 euros dès lors que son poste de proviseur adjoint au lycée Molière de Villanueva de la Canada était l'aboutissement d'une carrière vouée à l'éducation, qu'elle n'a pu mener cette mission jusqu'à son terme et s'est retrouvée dans un poste de principal adjointe dans un collège, situation qu'elle n'a pas choisie ;

- elle a subi un préjudice financier évalué à 70 390,96 euros ; le contrat a été rompu avant son terme, ce qui correspond à une perte de 46 101 euros (3 841,75 euros x 12 mois) ; elle a également subi un manque à gagner de 67 jours soit 4 289,96 euros correspondant à la période durant laquelle elle a été en congé de maladie ;

- la décision du 1er avril 2010 s'inscrit dans un processus de harcèlement moral tel que décrit par l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983, défini par l'article L. 1152-1 du code du travail et prohibé par l'article 222-33-2 du code pénal ; le proviseur du lycée Molière a, dès son arrivée, tout mis en oeuvre pour la déstabiliser dans le but de l'exclure de l'établissement ; elle a subi des brimades et des vexations systématiques, fait l'objet d'une surveillance tatillonne de son travail ; elle s'est vue affecter un bureau minuscule sans fenêtre et situé dans le couloir d'entrée du lycée ; elle ne disposait d'aucun moyen matériel ; le proviseur a défendu à la secrétaire d'effectuer des tâches pour elle ; les reproches qui lui ont été faits sur ses retards sont injustifiés ; le proviseur a cherché à la discréditer auprès des collègues et des parents d'élèves ; le reproche qui lui a été fait de ne pas avoir assuré la mise en oeuvre et le suivi des projets pédagogiques est infondé ; le reproche qui lui a été fait d'une organisation non maîtrisée n'est pas justifié ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu la mise en demeure adressée le 16 mai 2014 à l'agence pour l'enseignement français à l'étranger, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 21 juillet 2014, présenté pour l'agence pour l'enseignement français à l'étranger, par Me Marchand, avocat au barreau de Nantes ; l'agence pour l'enseignement français à l'étranger demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) de mettre à la charge de Mme C...une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient que :

- lorsque des stipulations contractuelles fixent le principe d'un délai de préavis en cas de rupture du lien contractuel, les parties peuvent convenir, d'un commun accord, d'une dispense ou d'une réduction de préavis ; Mme C...ayant sollicité sa réintégration par un courrier du 29 mars 2010 en précisant qu'elle souhaitait participer au mouvement de mutation du personnel de direction du 2 avril 2010, elle a nécessairement demandé à être dispensée en partie du délai de préavis de six mois contractuellement prévu ; l'AEFE a formellement accepté cette démission et dispensé Mme C...d'effectuer une partie de son préavis ; le tribunal administratif de Nantes a donc jugé à bon droit que Mme C...n'était pas fondée à soutenir que la décision du 1er avril 2010 serait entachée d'illégalité en ce qu'elle ne respecte pas le délai de préavis de six mois ;

- la décision du 1er avril 2010 constitue l'acceptation par l'AEFE de la demande de réintégration formulée par MmeC... ; elle n'avait donc pas à être motivée ;

- la décision du 1er avril 2010 n'étant pas illégale, les conclusions indemnitaires ne pourront qu'être rejetées ;

- à titre subsidiaire, s'il était jugé que la décision contestée est illégale, la requérante n'établit pas le lien de causalité entre cette décision et le préjudice allégué ; Mme C...n'a émis que 4 voeux géographiques pour 4 départements ; elle ne peut donc se plaindre d'avoir obtenu un poste dans un collège et non un lycée ;

- en l'absence de faits constitutifs de harcèlement moral établis, les conclusions indemnitaires présentées pour Mme C...ne pourront qu'être rejetées ; le comportement de Mme C...relève de l'insuffisance professionnelle ; la circonstance qu'elle a obtenu des appréciations favorables par le passé ne laissent en rien préjuger du comportement professionnel dans un environnement différent ; par son comportement, Mme C...a indisposé de nombreuses personnes ;

Vu le courrier en date du 6 novembre 2014 adressé aux parties en application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative ;

Vu l'ordonnance en date du 8 décembre 2014 portant clôture immédiate de l'instruction en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative ;

Vu le mémoire complémentaire enregistré le 6 février 2015 présenté pour Mme C... qui n'a pas été communiqué ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;

Vu la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

Vu la loi n°2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations ;

Vu le décret n°2002-22 du 4 janvier 2002 relatif à la situation administrative et financière des personnels des établissements d'enseignement français à l'étranger ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 31 mars 2015 :

- le rapport de Mme Tiger-Winterhalter, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public ;

- les observations de Me Kneubuhler représentant MmeC... ;

- et les observations de Me D...représentant l'agence pour l'enseignement français à l'étranger ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 3 avril 2015, présentée pour MmeC... ;

1. Considérant que Mme C...a été détachée auprès de l'agence pour enseignement français à l'étranger (AEFE) et recrutée dans le cadre d'un contrat d'expatrié pour exercer les fonctions de proviseur adjoint au lycée français François Molière de Villanueva de la Canada du 1er septembre 2008 au 31 août 2011 ; que par une décision du 1er avril 2010, la directrice de l'AEFE a mis fin à la mission de Mme C...à compter du 1er septembre 2010 ; que cette dernière relève appel du jugement du 27 août 2013 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant d'une part à l'annulation de la décision du 1er avril 2010 et d'autre part à la condamnation de l'agence pour l'enseignement français à l'étranger à lui verser une somme de 90 390,96 euros en réparation des préjudices subis ;

Sur la légalité de la décision contestée :

2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, en particulier du courrier du 29 mars 2010 adressé par la requérante à la directrice de l'AEFE, que l'intéressée a expressément formulé une demande de réintégration dans son administration d'origine et a indiqué vouloir participer au mouvement national de mutation des personnels de direction du 2 avril 2010, en précisant les départements et le type d'établissement où elle souhaitait être affectée ; qu'ainsi, elle a manifesté sans ambiguïté sa volonté de cesser ses fonctions au sein du lycée français de Villanueva de la Canada ; que s'il apparaît que Mme C... a formulé cette demande alors qu'elle entretenait des relations conflictuelles avec le proviseur de l'établissement et qu'une procédure de fin de mission anticipée était en cours, elle n'apporte aucun élément de nature à démontrer que sa démission a été présentée sous la contrainte ; que par suite, la décision du 1er avril 2010 doit être regardée comme une décision valant acceptation de la demande de réintégration de l'intéressée et ne constitue pas une décision individuelle défavorable devant être motivée en vertu de la loi du 11 juillet 1979 ;

3. Considérant que la décision contestée a été prise sur une demande de Mme C...formée auprès de la directrice générale de l'AEFE ; que, par suite, la requérante ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 pour en contester la légalité ;

4. Considérant que les stipulations de l'article 6 du contrat conclu entre la requérante et l'AEFE prévoient qu'un délai de préavis de six mois doit être respecté par la partie qui entend dénoncer le contrat ; que, toutefois, en précisant dans sa demande de réintégration qu'elle souhaitait participer au mouvement national de mutation des personnels de direction du 2 avril 2010, Mme C... a implicitement mais nécessairement exprimé le souhait que sa réintégration soit effective pour la rentrée scolaire 2010 et ainsi entendu renoncer à une partie de ce délai de préavis ; que, par suite, le moyen tiré du non respect du délai de préavis de six mois doit en tout état de cause être écarté ;

Sur les conclusions indemnitaires :

5. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 4 que la décision du 1er avril 2010 n'est pas entachée d'une illégalité fautive de nature d'engager la responsabilité de l'AEFE ;

6. Considérant qu'aux termes de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. " ;

7. Considérant, d'une part, qu'il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ; qu'il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; que la conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile ;

8. Considérant, d'autre part, que, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral ; qu'en revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui ; que le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé ;

9. Considérant que Mme C...soutient que la décision du 1er avril 2010 s'inscrit dans un processus de harcèlement moral, qu'elle a subi des brimades et des vexations systématiques de la part du proviseur du lycée Molière qui a cherché à la discréditer auprès des collègues et des parents d'élèves, a exercé une surveillance tatillonne de son travail et ne lui a pas fourni les conditions matérielles lui permettant de mener à bien les missions qui lui avaient été confiées ;

10. Considérant que s'il résulte de l'instruction que les relations entre Mme C...et le proviseur du lycée se sont rapidement dégradées, ainsi qu'en témoigne notamment le rapport rédigé le 9 décembre 2008 par le proviseur, la réalité des brimades et vexations alléguées n'est pas établie ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que l'intéressée n'aurait pas bénéficié des conditions matérielles nécessaires à l'exercice de ses missions ; que si le rapport remis le 1er octobre 2009 par le proviseur du lycée à la directrice de l'AEFE afin que celle-ci mette fin à la mission de Mme C...à l'issue de l'année scolaire 2009/2010 fait état de dysfonctionnements et de lacunes professionnelles graves, le ton employé, relativement mesuré, ne caractérise pas une attitude délibérément hostile à l'égard de Mme C...mais témoigne des légitimes préoccupations du chef d'établissement, qui n'a pas excédé les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique, à l'égard de son plus proche collaborateur ; que dans ces conditions, les éléments de fait produits par Mme C..., dont certains sont démentis ou éclairés par d'autres pièces du dossier, ne peuvent être regardés comme des agissements constitutifs d'un harcèlement moral à son encontre ; qu'il s'ensuit que la requérante n'est pas fondée à soutenir qu'elle a été victime d'un tel harcèlement de la part de son supérieur hiérarchique dont elle pourrait demander réparation ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'agence pour l'enseignement français à l'étranger, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à Mme C... de la somme demandée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme C... le versement à l'agence pour l'enseignement français à l'étranger de la somme de 1 500 euros ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme C...est rejetée.

Article 2 : Mme C...versera à l'agence pour l'enseignement français à l'étranger une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...C...et à l'agence pour l'enseignement français à l'étranger.

Délibéré après l'audience du 31 mars 2015, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M.B..., faisant fonction de premier conseiller,

- Mme Tiger-Winterhalter, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 21 avril 2015.

Le rapporteur,

N.TIGER-WINTERHALTERLe président,

L. LAINÉ

Le greffier,

N. CORRAZE

La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 13NT03070


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 13NT03070
Date de la décision : 21/04/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Nathalie TIGER-WINTERHALTER
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : KNEUBUHLER

Origine de la décision
Date de l'import : 29/05/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2015-04-21;13nt03070 ?
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