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24/03/2015 | FRANCE | N°14NT00320

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 24 mars 2015, 14NT00320


Vu la requête, enregistrée le 6 février 2014, présentée pour M. B... D..., demeurant..., par MeE... ; M. D... demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1300082 du 10 décembre 2013 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 14 décembre 2012 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Vire l'a suspendu de ses fonctions à titre conservatoire ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cette décision ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier le versement d'une somme de 2 000 eur

os au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

il soutient q...

Vu la requête, enregistrée le 6 février 2014, présentée pour M. B... D..., demeurant..., par MeE... ; M. D... demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1300082 du 10 décembre 2013 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 14 décembre 2012 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Vire l'a suspendu de ses fonctions à titre conservatoire ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cette décision ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier le versement d'une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

il soutient que :

- une procédure disciplinaire ayant été engagée à son encontre, il résulte de l'article R. 6152-77 du code de la santé publique que seul le directeur général du centre national de gestion était compétent pour prendre une décision de suspension ; c'est à tort que les premiers juges ont reconnu l'existence de circonstances exceptionnelles pour admettre la compétence du directeur au sens des dispositions de l'article L.6143-7 du même code ;

- le centre national de gestion ne s'est prononcé sur sa situation que le 25 juillet 2013, soit plus de sept mois après que la décision contestée ait été prise ;

- aucun élément n'était de nature à justifier une mesure de suspension notamment un éventuel refus de servir ; il a toujours fait preuve de professionnalisme ainsi qu'il le démontre par les attestations produites ; s'il dispose d'une liberté d'expression professionnelle, il n'a pas tenté de faire obstacle à un projet de restructuration d'un service ni mis en péril la sécurité des patients ; une mesure d'urgence ne peut être fondée sur des faits qui se sont produits six mois avant son édiction ;

- le procès-verbal du conseil de discipline du 14 janvier 2014 démontre le contexte difficile propre au centre hospitalier de Vire marqué par un climat de harcèlement moral à l'encontre des praticiens du service ; ses agendas lui ont été confisqués en violation des règles déontologiques ;

- le conflit est né d'un désaccord intervenu lors d'une réunion tenue le 5 décembre 2012 ce qui ne peut caractériser l'existence de circonstances exceptionnelles, de même que la seule mésentente avec un confrère ; à la suite de cette réunion, il a été demandé à ses confrères d'établir un dossier à charge à son encontre ; son équipe n'a produit aucun témoignage en sa défaveur en dépit de l'organisation d'une réunion ayant cet objectif ; les fonctions de chef de service lui avaient été proposées peu de temps auparavant ; les témoignages qu'il produit démontrent au contraire ses compétences professionnelles ;

- le tribunal a commis une erreur de droit en écartant le moyen tiré de l'absence de communication de son dossier administratif ;

- la décision contestée mentionne qu'elle produit ses effets jusqu'à nouvel ordre, en méconnaissance du délai de suspension maximal de six mois prévu par l'article R. 6152-77 du code de la santé publique ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 13 août 2014, présenté pour le centre hospitalier de Vire qui conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge du requérant la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

il fait valoir que :

- le directeur était compétent pour prendre la décision de suspension ; aux termes de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique, il exerce son autorité sur l'ensemble du personnel ce qui lui permet, en cas de circonstances exceptionnelles, notamment lorsque la continuité du service et la sécurité des patients sont menacées, de suspendre un praticien hospitalier de ses fonctions ;

- en l'espèce la mesure était justifiée pour préserver la continuité du service et la sécurité des enfants et adolescents pris en charge dans le service ; elle a été portée à la connaissance de l'agence régionale de santé et du centre national de gestion le jour où elle a été prise ;

- c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que la procédure suivie a été régulière en l'absence de communication préalable du dossier du requérant ;

- les faits reprochés à M. D... sont avérés et établis par des courriers de ses confrères, un signalement du président de la commission médicale d'établissement et de l'équipe soignante du CMPEA ainsi que par une plainte de patients de juillet 2012 ; l'intéressé refusait l'autorité du chef de service et mettait en péril un important projet de l'établissement ; la décision a été prise après l'échec d'une tentative de médiation ;

- le requérant n'est pas fondé à se prévaloir du délai de six mois prévu dans le cadre d'une mesure de suspension prise par le directeur du centre national de gestion sur le fondement de l'article R. 6152-77 du code de la santé publique, la mesure en cause relevant de l'article L. 6143-7 du même code ;

- l'absence de mention sur la durée de la suspension n'est pas de nature à établir qu'elle serait supérieure à six mois ;

Vu l'ordonnance du 21 novembre 2014 fixant la clôture d'instruction au 12 décembre 2014, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 10 décembre 2014, présenté pour M. D... qui conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens et soutient en outre que ;

- les faits reprochés n'ont pas été tenus pour établis par le conseil de discipline dans sa séance du 10 janvier 2014 ; par une décision du 6 février 2014, le directeur général du centre national de gestion a mis fin à la mesure de suspension ;

- dans cette décision, le directeur général du centre national de gestion a pris en compte les fortes tensions relationnelles existantes dans le service de pédopsychiatrie, leur caractère structurel et connu de longue date révélé par plusieurs enquêtes administratives ou mission d'appui sans qu'il en ressorte une responsabilité qui lui soit directement imputable ;

Vu l'ordonnance du 17 décembre 2012 reportant la clôture de l'instruction au 5 janvier 2015 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 mars 2015 :

- le rapport de M. Auger, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public ;

- et les observations de Me A...pour le centre hospitalier de Vire ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 4 mars 2015, présentée pour le centre hospitalier de Vire ;

1. Considérant que M. D..., qui exerce l'activité de praticien hospitalier dans la spécialité de pédopsychiatrie au centre hospitalier de Vire depuis 1987, a fait l'objet, le 14 décembre 2012, d'une mesure de suspension provisoire de fonctions à titre conservatoire à compter du 17 décembre 2012, prise par le directeur du centre hospitalier dans l'intérêt du service ; qu'il relève appel du jugement du 10 décembre 2013 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision ;

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique : " Le directeur, président du directoire, conduit la politique générale de l'établissement. Il représente l'établissement dans tous les actes de la vie civile et agit en justice au nom de l'établissement. (...) Le directeur exerce son autorité sur l'ensemble du personnel dans le respect des règles déontologiques ou professionnelles qui s'imposent aux professions de santé, des responsabilités qui sont les leurs dans l'administration des soins et de l'indépendance professionnelle du praticien dans l'exercice de son art. " ; qu'il résulte de ces dispositions que le directeur d'un centre hospitalier peut légalement, dans des circonstances exceptionnelles où sont mises en péril la continuité du service et la sécurité des patients et à condition d'en référer immédiatement aux autorités compétentes, décider de suspendre les activités cliniques et thérapeutiques d'un praticien hospitalier sans qu'y fassent obstacle les dispositions de l'article R. 6152-77 du même code relatives à la procédure disciplinaire des praticiens hospitaliers ;

3. Considérant que la décision contestée est fondée sur le comportement qualifié d'harcelant et de menaçant de M. D... à l'encontre du médecin responsable du service et de l'équipe médicale dans le cadre de laquelle il travaille, sur son refus d'accepter une coordination médicale dans la prise en charge des enfants et des adolescents ainsi que son opposition au projet de restructuration de service ; que, toutefois, il ressort des pièces du dossier, qu'à l'époque à laquelle la mesure de suspension de fonctions à titre conservatoire a été prise, il existait, depuis plusieurs années au sein du service de pédopsychiatrie, de fortes tensions relationnelles résultant du comportement de plusieurs membres de l'équipe médicale auxquelles la direction de l'établissement n'avait pas réussi à remédier et qui n'étaient pas spécifiquement imputables au requérant ; qu'en outre, le projet de restructuration du service qu'il lui est reproché d'avoir désapprouvé n'a pas abouti, en dépit de la mesure de suspension prise à son encontre qui a produit effet du 17 décembre 2012 au 6 février 2014 ; qu'enfin, le fait, également retenu à son encontre, que M. D... a tenu des propos blessants et non confraternels à l'encontre de sa chef de service, constitue un comportement qui, pour regrettable qu'il soit, n'a pas eu pour effet de mettre en péril la sécurité des jeunes patients ou la continuité du service ; que si le centre hospitalier se prévaut également, dans ses écritures, du comportement du requérant à l'égard des enfants et des adolescents pris en charge, et plus particulièrement de la plainte des parents d'un enfant en juillet 2012 au sujet du déroulement d'une consultation, il ne ressort pas des pièces du dossier que les faits ainsi invoqués, qui ne constituent pas au surplus l'un des motifs de la décision contestée, aient eu un tel effet ; que l'existence de circonstances exceptionnelles n'étant ainsi pas établie, le directeur du centre hospitalier n'a pu, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique, légalement prendre une mesure de suspension de fonctions à titre conservatoire à l'encontre de M. D... ;

4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens, que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du directeur du centre hospitalier de Vire du 14 décembre 2012 ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

5. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. D..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement au centre hospitalier de Vire de la somme demandée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de ce dernier le versement à M. D... de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 10 décembre 2013 et la décision du directeur du centre hospitalier de Vire du 14 décembre 2012 sont annulés.

Article 2 : Le centre hospitalier de Vire versera à M. D... la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions du centre hospitalier de Vire tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D...et au centre hospitalier de Vire.

Une copie en sera adressée, pour information, à la ministre de la santé, des affaires sociales et des droits des femmes.

Délibéré après l'audience du 3 mars 2015, à laquelle siégeaient :

- M. Bachelier, président de la cour,

- M. C..., faisant fonction de premier conseiller,

- M. Auger, premier conseiller.

Lu en audience publique le 24 mars 2015.

Le rapporteur,

P. AUGERLe président,

G. BACHELIER

Le greffier,

N. CORRAZE

La République mande et ordonne au ministre de la santé, des affaires sociales et des droits des femmes et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 14NT00320


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 14NT00320
Date de la décision : 24/03/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. le Pdt. BACHELIER
Rapporteur ?: M. Paul AUGER
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : CABINET CARATINI LE MASLE MOUCHENOTTE REVEL

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2015-03-24;14nt00320 ?
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