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13/02/2015 | FRANCE | N°13NT01745

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 13 février 2015, 13NT01745


Vu la requête, enregistrée le 15 juin 2013, présentée pour la commune de Moulins-sur-Orne, représentée par son maire en exercice, par Me Angot, avocat au barreau de Paris ; la commune de Moulins-sur-Orne demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 12-1932 du 16 avril 2013 par lequel le tribunal administratif de Caen a annulé, sur déféré du préfet de l'Orne, la décision du 6 avril 2012 de son maire refusant d'accorder à la communauté de communes du pays d'Argentan un permis de construire un local de stockage de boues séchées chaulées ;

2°) de rejeter le

déféré du préfet de l'Orne ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3...

Vu la requête, enregistrée le 15 juin 2013, présentée pour la commune de Moulins-sur-Orne, représentée par son maire en exercice, par Me Angot, avocat au barreau de Paris ; la commune de Moulins-sur-Orne demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 12-1932 du 16 avril 2013 par lequel le tribunal administratif de Caen a annulé, sur déféré du préfet de l'Orne, la décision du 6 avril 2012 de son maire refusant d'accorder à la communauté de communes du pays d'Argentan un permis de construire un local de stockage de boues séchées chaulées ;

2°) de rejeter le déféré du préfet de l'Orne ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient que :

- le déféré du préfet de l'Orne était tardif et donc irrecevable ;

- les observations de la communauté de communes du Pays d'Argentan sont également irrecevables ;

- le projet de la communauté de communes caractérise une méconnaissance du principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales et de la prohibition des tutelles posée par l'article L. 1111-3 du code général des collectivités territoriales ;

- les articles L. 124-2 et suivants du code de l'urbanisme ne sauraient s'appliquer à une collectivité territoriale comme à des particuliers ;

- le règlement de la carte communale ne permet pas une opération d'urbanisme visant à installer sans concertation un équipement de service public relevant d'une collectivité territoriale voisine ;

- l'autorité en charge des autorisations d'urbanisme soit prendre en considération les principes définis par le code de l'environnement, notamment le principe de précaution visé à son article L. 110-1, également protégé par l'article 5 de la Charte de l'environnement ; or, le projet considéré présente un risque pour l'environnement qui justifie la mise en oeuvre de ce principe ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire, enregistré le 24 septembre 2013, présenté par le préfet de l'Orne, qui conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de la commune de Moulins-sur-Orne une somme de 50 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; il fait valoir que :

- la commune ne justifie pas du paiement de la contribution pour l'aide juridique ;

- il n'est pas davantage justifié par la commune que son maire aurait été habilité à agir en justice ou à constituer avocat ;

- le déféré préfectoral du 28 septembre 2012 n'était pas tardif ;

- aucune disposition n'interdit à un établissement public intercommunal d'acquérir un terrain dans une commune voisine pour y implanter un équipement collectif dont il a la charge ;

- compte tenu du principe d'indépendance des législations, le maire n'avait pas à prendre en considération les principes du code de l'environnement pour refuser de délivrer une autorisation d'urbanisme ;

- selon la jurisprudence le principe de précaution prévu à l'article 5 de la Charte de l'environnement ne peut être pris en compte dans la délivrance d'autorisations d'urbanisme ; en tout état de cause il n'y a pas d'incertitude scientifique sur les conséquences résultant de la conversion d'un hangar agricole en site de stockage de boues d'épuration chaulées ;

Vu le mémoire enregistré le 12 décembre 2014, présenté pour la commune de Moulins-sur-Orne, qui persiste dans les conclusions de sa requête par les mêmes moyens et en faisant en outre valoir que :

- elle a acquitté la contribution à l'aide juridique ;

- la communauté de communes du Pays d'Argentan n'a pas justifié de son intérêt et de sa qualité pour intervenir en première instance ;

- elle n'a pas non plus justifié de ce que le conseil communautaire aurait habilité son président à présenter la demande de permis de construire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Charte de l'environnement instituée par la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu le code de l'environnement ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 20 janvier 2015 :

- le rapport de M. Pouget, premier conseiller ;

- et les conclusions de M. Delesalle, rapporteur public ;

1. Considérant que, par un arrêté du 6 avril 2012, le maire de Moulins-sur-Orne a refusé de délivrer à la communauté de communes du Pays d'Argentan un permis de construire pour la transformation d'un hangar agricole en site de stockage de boues séchées chaulées provenant de la station d'épuration située sur le territoire voisin de cet établissement public de coopération intercommunale ; que la commune de Moulins-sur-Orne relève appel du jugement du 16 avril 2013 par lequel le tribunal administratif de Caen, saisi par un déféré du préfet de l'Orne, a prononcé l'annulation de l'arrêté du 6 avril 2012 ;

Sur les fins de non-recevoir opposées par la commune à la demande :

2. Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article L. 2131-1 du code général des collectivités territoriales : " Les actes pris par les autorités communales sont exécutoires de plein droit dès qu'il a été procédé (...) à leur transmission au représentant de l'Etat dans le département ou à son délégué dans l'arrondissement (...) / La preuve de la réception des actes par le représentant de l'Etat dans le département ou son délégué dans l'arrondissement peut être apportée par tout moyen " ; que les dispositions de l'article L. 2132-6 du même code prévoient que le représentant de l'Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 2131-2 au nombre desquels figurent les refus de permis de construire, qu'il estime contraires à la légalité " dans les deux mois suivant leur transmission " ; qu'il résulte de ces dispositions que le délai de deux mois prévu par l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales court à compter de la date à laquelle cet acte a été reçu par le préfet de département, en préfecture, ou par le sous-préfet d'arrondissement compétent, en sous-préfecture, ou, si elle est antérieure, à la date à laquelle le texte intégral de l'acte a été porté à la connaissance du préfet par les services de l'Etat placés sous son autorité, lorsque la commune concernée a transmis l'acte à ces derniers en application des dispositions rappelées ci-dessus ;

3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que si l'arrêté du maire de Moulins-

sur-Orne du 6 avril 2012 a été adressé le jour même à la direction départementale des territoires de l'Orne, ce service n'en a effectué la transmission au sous-préfet d'Argentan, aux fins d'exercice du contrôle de la légalité des actes, que le 14 juin 2012 ; que c'est donc à compter de cette date qu'a couru le délai de deux mois prévu par l'article L. 2131-6 du code général et des collectivités territoriales, qu'a interrompu le courrier du 27 juillet 2012 par lequel le représentant de l'Etat dans l'arrondissement a demandé au maire de Moulins-sur-Orne de retirer son arrêté du 6 avril 2012 ; que, par conséquent, le déféré du préfet de l'Orne demandant l'annulation de cet arrêté, enregistré le 1er octobre 2012 au greffe du tribunal administratif de Caen, n'était pas tardif ; que la fin de non-recevoir opposée par la commune de Moulins-sur-Orne au déféré du préfet de l'Orne doit donc être écartée ;

4. Considérant que si, par ailleurs, la commune de Moulin-sur-Ornes invoque l'irrecevabilité des observations formulées en première instance par la communauté de communes du Pays d'Argentan, il est constant que celle-ci s'est en tout état de cause bornée, par un courrier enregistré le 31 octobre 2012 au greffe du tribunal, à faire savoir qu'elle s'en remettait, s'agissant de l'appréciation de la légalité de l'arrêté du 6 avril 2012, à la sagesse de la juridiction ;

Sur la légalité de l'arrêté du 6 avril 2012 :

5. Considérant, en premier lieu, qu'en sollicitant du maire de Moulins-sur-Orne la délivrance d'un permis de construire pour le projet considéré, en stricte application des dispositions du code de l'urbanisme auxquelles elle est assujettie, la communauté de communes du pays d'Argentan n'a ni porté atteinte au principe constitutionnel de libre administration des collectivités locales, ni méconnu les dispositions de l'article L. 1111-3 du code général des collectivités territoriales prohibant les tutelles entre collectivités locales ;

6. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 124-2 du code de l'urbanisme : " Les cartes communales (...) délimitent les secteurs où les constructions sont autorisées et les secteurs où les constructions ne sont pas admises, à l'exception de l'adaptation, du changement de destination, de la réfection ou de l'extension des constructions existantes ou des constructions et installations nécessaires à des équipements collectifs, à l'exploitation agricole ou forestière et à la mise en valeur des ressources naturelles. (...) " ; que selon l'article R. 124-1 du même code : " la carte communale comprend un rapport de présentation et un ou plusieurs documents graphiques. (...) Les documents graphiques sont opposables aux tiers. " ; que la carte communale de la commune de Moulins-sur-Orne a classé la parcelle d'assiette du projet de la communauté de communes du Pays d'Argentan en zone naturelle où les constructions sont interdites, à l'exception de l'adaptation, du changement de destination, de la réfection ou de l'extension des constructions existantes ou des constructions et installations nécessaires à des équipements collectifs, à l'exploitation agricole ou forestière et à la mise en valeur des ressources naturelles ;

7. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le permis de construire litigieux porte sur la transformation d'un hangar existant de stockage agricole d'une superficie de 635 m² en un local de stockage de boues séchées chaulées, les seuls travaux projetés consistant à remplacer le bardage et la couverture en fibrociment du hangar par un bardage en bois et une couverture en acier ; que le projet s'analyse ainsi en une opération de changement de destination d'une construction existante, autorisée par la carte communale, laquelle, contrairement à ce que soutient la commune, ne comporte aucune interdiction tenant à la nature du stockage envisagé ; qu'ainsi que l'ont relevé les premiers juges, la commune ne peut utilement se prévaloir par ailleurs des mentions du paragraphe 2.2.1 du rapport de présentation de la carte communale, qui n'est pas un document d'urbanisme à caractère réglementaire opposable à une demande de permis de construire ; que, par suite, le maire de Moulins-sur-Orne n'était pas fondé à refuser l'autorisation de construire sollicitée au motif d'une méconnaissance par le projet des dispositions de la carte communale ;

8. Considérant, en troisième lieu, qu'il est énoncé à l'article 5 de la Charte de l'environnement, à laquelle le Préambule de la Constitution fait référence en vertu de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005, que : " Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en oeuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage " ; que ces dispositions s'imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de compétence respectifs ; qu'au demeurant, l'article R. 111-15 du code de l'urbanisme prévoit que le permis de construire ou la décision prise sur la déclaration préalable de travaux doit respecter les préoccupations définies par l'article L. 110-1 du code de l'environnement qui se réfère au principe de précaution " selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable " ; que, s'il appartient dès lors à l'autorité administrative compétente de prendre en compte le principe de précaution lorsqu'elle se prononce sur l'octroi d'une autorisation délivrée en application de la législation sur l'urbanisme, les dispositions de l'article 5 de la Charte de l'environnement ne permettent pas, indépendamment des procédures d'évaluation des risques et des mesures provisoires et proportionnées susceptibles, le cas échéant, d'être mises en oeuvre par les autres autorités publiques dans leur domaine de compétence, de refuser légalement la délivrance d'une autorisation d'urbanisme en l'absence d'éléments circonstanciés faisant apparaître, en l'état des connaissances scientifiques, des risques, même incertains, de nature à justifier un tel refus ;

9. Considérant que, pour refuser l'autorisation de construire, le maire de Moulins-sur-Orne s'est également fondé sur le caractère incertain des effets du stockage des boues sur les nappes phréatiques et les terres agricoles voisines ; que, toutefois, il ressort des pièces du dossier que les boues seront entreposées dans un hangar clos et couvert, à l'abri des eaux pluviales ; que si la commune prétend que le sol en béton de ce local serait fissuré et pourrait occasionner des infiltrations de boues polluées dans le sous-sol, cette affirmation n'est appuyée d'aucune pièce justificative ; qu'il n'est pas davantage établi que la présence alléguée, à moins de 35 mètres du local de stockage, de points d'eau servant de réserves pour la lutte contre l'incendie serait de nature à caractériser un risque pour l'environnement ; qu'ainsi, aucun élément circonstancié n'est de nature à établir en l'espèce l'existence, en l'état des connaissances scientifiques, d'un risque pouvant résulter, pour les eaux souterraines, de risques de contamination et à justifier que, indépendamment des procédures d'évaluation des risques et des mesures provisoires et proportionnées susceptibles, le cas échéant, d'être mises en oeuvre par les autorités compétentes, le maire de Moulins-sur-Orne refuse la délivrance du permis de construire demandé, en application de la législation de l'urbanisme, en vue de la transformation d'un hangar existant de stockage agricole en stockage de boues séchées chaulées ;

10. Considérant, enfin, que la commune de Moulin-sur-Orne doit être regardée comme demandant, à titre subsidiaire, que soit substitué aux motifs énoncés dans la décision du 6 avril 2012 un motif fondé sur le défaut d'habilitation du président de la communauté de communes du Pays d'Argentant pour présenter la demande de permis de construire ; que, cependant, par une délibération du conseil communautaire du 22 septembre 2009, la communauté de communes a décidé du principe de la mise en oeuvre des travaux destinés à assurer le stockage des boues dans un bâtiment réaménagé, sur le terrain dont elle est propriétaire sur le territoire de la commune de Moulins-sur-Ornes, autorisant son président à engager les démarches nécessaires ; que cette délibération suffit à établir l'accord donné par l'assemblée délibérante au président de la communauté de communes pour conduire l'opération projetée, et en particulier pour déposer, dans le cadre de ses compétences exécutives, une demande de permis de construire ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées à la requête par le préfet de l'Orne, que la commune de Moulins-sur-Orne n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé l'arrêté du 6 avril 2012 par lequel son maire a refusé à la communauté de communes du Pays d'Argentant la délivrance d'un permis de construire pour le changement de destination d'un hangar agricole ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme demandée par la commune de Moulins-sur-Orne au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées sur le fondement des mêmes dispositions par le préfet de l'Orne ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Moulins-sur-Orne est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le préfet de l'Orne sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Moulins-sur-Orne, au ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité, et à la communauté de communes du Pays d'Argentan.

Copie en sera adressée au préfet de l'Orne.

Délibéré après l'audience du 20 janvier 2015, à laquelle siégeaient :

- M. Millet, président,

- Mme Buffet, premier conseiller,

- M. Pouget, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 13 février 2015.

Le rapporteur,

L. POUGET Le président,

JF. MILLET

Le greffier,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 13NT01745


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 13NT01745
Date de la décision : 13/02/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. MILLET
Rapporteur ?: M. Laurent POUGET
Rapporteur public ?: M. DELESALLE
Avocat(s) : CABINET ADP AVOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2015-02-13;13nt01745 ?
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