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16/10/2014 | FRANCE | N°13NT02049

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 16 octobre 2014, 13NT02049


Vu la requête, enregistrée le 16 juillet 2013, présentée pour Mme A... B... et

M. C... B..., demeurant..., agissant tant en leur nom propre qu'en qualité de parents de leur enfant mineur D...et d'ayants-droits de leur enfant Flore décédée, par Me Zorn-Macrez, avocat au barreau de Nancy ; M. et Mme B... demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 10-1600 du 15 mai 2013 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à la condamnation solidaire du centre hospitalier de Quimper et du centre hospitalier de Brest à réparer les préju

dices qu'ils ont subis du fait du décès de leur fille et soeur, Flore Le Hi...

Vu la requête, enregistrée le 16 juillet 2013, présentée pour Mme A... B... et

M. C... B..., demeurant..., agissant tant en leur nom propre qu'en qualité de parents de leur enfant mineur D...et d'ayants-droits de leur enfant Flore décédée, par Me Zorn-Macrez, avocat au barreau de Nancy ; M. et Mme B... demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 10-1600 du 15 mai 2013 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à la condamnation solidaire du centre hospitalier de Quimper et du centre hospitalier de Brest à réparer les préjudices qu'ils ont subis du fait du décès de leur fille et soeur, Flore Le Hir, survenu le 6 juin 2008 dans les minutes qui ont suivi sa naissance ;

2°) de condamner solidairement le centre hospitalier de Quimper et le centre hospitalier de Brest (hôpital de Carhaix) à leur verser la somme de 40 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter des 5 et 9 mars 2010, date de rejet de leurs demandes préalables, ces intérêts étant eux mêmes capitalisés ;

3°) de mettre à la charge solidaire du centre hospitalier de Quimper et du centre hospitalier de Brest-Carhaix la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

ils soutiennent :

- que le jugement est irrégulier faute d'avoir distingué la qualité des requérants, d'être suffisamment motivé et d'avoir repris l'ensemble des moyens ;

- que c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes n'a pas retenu la perte de chance de survie de Flore puisque, d'une part, elle avait atteint le terme de 25 semaines, pesait 715 grammes et disposait d'une chance réelle de survie et, d'autre part, le décès résulte d'une série de négligences médicales et d'erreurs de diagnostic, notamment l'ignorance du rétrécissement important du col de l'utérus, un défaut d'attention malgré les difficultés de la première grossesse, l'absence de transfert vers le centre hospitalier universitaire de Brest en temps utile et l'absence de tentative de réanimation de l'enfant à sa naissance ;

- que Mme B... n'a pas été informée des conséquences pour sa fille des anesthésiques qui lui ont été administrés au cours du travail alors que ces traitements ont hypothéqué les chances de survie de l'enfant ;

- que ces injections, réalisées sans son consentement éclairé, ont porté atteinte à l'intégrité physique de Mme B... ;

- que le décès de Flore sans aucune assistance quelques minutes après sa naissance révèle une atteinte à la dignité de l'enfant ;

- que la circonstance que des clichés et une empreinte de sa fille Flore ont été remis à Mme B... qui n'y avait pas consenti a porté atteinte au droit à l'image de leur fille défunte et leur a causé un préjudice propre ;

- qu'eu égard à une perte de chance de survie évaluée à 75 %, l'intégralité de leurs préjudices doit être indemnisée par une somme totale de 40 000 euros ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu la lettre, enregistrée le 2 décembre 2013, présentée par la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère qui indique qu'elle n'entend pas intervenir à l'instance ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 19 décembre 2013, présenté pour le centre hospitalier universitaire de Brest et pour le centre hospitalier de Quimper, par leurs directeurs généraux respectifs, par Me Le Prado, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, lesquels concluent au rejet de la requête ;

ils font valoir :

- que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, la demande a été introduite devant le tribunal administratif de Rennes au seul nom de M. et Mme B... ; que le jugement attaqué vise les moyens et les conclusions des consortsB... ; que par suite, ce jugement n'est entaché d'aucune irrégularité ;

- que le lien de causalité entre les manquements invoqués dans la prise en charge de la grossesse de Mme B... et les conditions de la naissance de leur fille Flore n'est pas établi de manière directe et certaine et que, faute de démontrer l'existence une désorganisation dans la continuité des soins, les requérants ne peuvent invoquer une perte de chance de survie de l'enfant ;

- que la grossesse de Mme B... a fait l'objet d'une surveillance appropriée par le médecin du centre hospitalier universitaire de Brest qui l'a prise en charge au centre hospitalier de Carhaix ; que l'état de Mme B... ne nécessitait pas qu'elle soit hospitalisée avant le 26 mai 2008, date à laquelle l'échographie a révélé que le col de l'utérus ne mesurait que 16 millimètres ; que l'expertise ordonnée par le tribunal administratif indique qu'il n'est pas certain qu'une hospitalisation dès cette date, au lieu du 31 mai 2008 comme cela a été le cas, aurait permis d'éviter l'accouchement prématuré ;

- que les soins apportés à Mme B... au centre hospitalier de Quimper du 31 mai au 5 juin 2008 ont été conformes aux données acquises de la science ; que contrairement à ce que soutiennent les consortsB..., le tranfert vers la maternité du centre hospitalier universitaire de Brest ne pouvait avoir lieu avant la vingt cinquième semaine de grossesse ;

- que l'argumentation selon laquelle à 25 semaines l'enfant était en situation de bénéficier d'une réanimation à sa naissance est purement théorique alors que dans les faits, l'enfant est né dans un contexte infectieux important rendant toute réanimation inutile ; que l'enfant est né en état de mort apparente et qu'aucune faute ne peut être reprochée au centre hospitalier de Quimper dans l'application des protocoles de réanimation foetale ;

- qu'eu égard au contexte d'extrême urgence dans lequel les calmants ont été administrés au cours de l'accouchement, aucun défaut d'information de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier ne peut être retenu ;

- que les souffrances de Flore sont dues, non à l'administration de sédatifs puissants ou aux conditions de l'accouchement au cours duquel toutes les précautions d'usage ont été prises, mais à son état infectieux ; que les moyens tirés de la méconnaissance de la dignité au cours de la fin de vie ou de la violation de la vie privée ne sont assortis d'aucune justification ;

- que le pourcentage de perte de chance ne repose sur aucune explication ; que le décès de l'enfant ne pourrait ouvrir droit qu'à une réparation du préjudice moral en résultant pour ses parents ;

Vu le mémoire, enregistré le 21 juillet 2014, présentée pour Mme A... B... et

M. C... B..., qui concluent aux mêmes fins que leur requête par les mêmes moyens ; ils soutiennent en outre que le docteur Nizharadze, praticien contractuel associé, ne disposait pas des diplômes et qualifications nécessaires pour prendre en charge Mme B... comme il l'a fait le 26 mai 2008, le 29 mai 2008 et le matin du 6 juin 2008 ; que ce praticien a pris seul la décision de ne pas réanimer l'enfant alors qu'il ne pouvait le faire sans en référer à son chef de service ; que, n'étant pas inscrit au tableau de l'ordre des médecins, il exerçait illégalement la médecine ;

Vu le mémoire, enregistré le 19 septembre 2014, présenté pour le centre hospitalier universitaire de Brest et pour le centre hospitalier de Quimper qui concluent aux mêmes fins que leurs précédentes écritures par les mêmes moyens ; ils soutiennent en outre que le docteur Nizharadze, praticien contractuel associé, disposait des diplômes et qualifications nécessaires pour prendre en charge Mme B... et exerçait régulièrement au sein de l'établissement ;

Vu le mémoire, enregistré le 21 septembre 2014, présentée pour Mme A... B... et

M. C... B..., qui concluent aux mêmes fins que leurs précédentes écritures par les mêmes moyens ; ils soutiennent en outre que le docteur Nizharadze n'était pas habilité à décider seul de la prise en charge de Mme B... sans en référer à un médecin senior ; que cette circonstance est constitutive d'une faute du centre hospitalier de nature à engager sa responsabilité ; qu'au moment des faits, le docteur Nizharadze assurait une garde sans pouvoir bénéficier de l'appui d'un praticien titulaire ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 25 septembre 2014 :

- le rapport de M. Lemoine, premier conseiller,

- les conclusions de M. Giraud, rapporteur public,

- et les observations de Mme B... ;

1. Considérant que M. et Mme B... relèvent appel du jugement du 15 mai 2013 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à la condamnation solidaire du centre hospitalier de Quimper et du centre hospitalier universitaire de Brest, auquel est rattaché l'hôpital de Carhaix, en réparation des préjudices qu'ils ont subis du fait du décès de leur fille, Flore Le Hir, survenu le 6 juin 2008 au centre hospitalier de Quimper ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant, en premier lieu, que le jugement attaqué, qui vise et répond, contrairement à ce que soutiennent les consortsB..., à tous les moyens soulevés de façon suffisamment motivée, n'est pas entaché d'omission à statuer ;

3. Considérant, en second lieu, qu'il ressort des pièces du dossier de première instance que la demande enregistrée au tribunal administratif de Rennes n'a été présentée par M. et Mme B... qu'en leur nom propre et en qualité d'ayants-droit de leur fille décédée ; que, par suite, le jugement attaqué n'est entaché d'aucune irrégularité en ce qu'il n'aurait pas mentionné toutes les parties à l'instance, et notamment le fils des requérants ;

Sur la responsabilité du centre hospitalier de Quimper et du centre hospitalier universitaire de Brest :

4. Considérant qu'aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) " ; que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;

5. Considérant, d'une part, que M. et Mme B... recherchent la responsabilité du centre hospitalier universitaire de Brest, auquel est rattaché l'établissement de Carhaix, et du centre hospitalier de Quimper à raison des négligences commises selon eux dans le suivi de Mme B..., alors qu'elle présentait les caractéristiques d'une grossesse à risque, et des erreurs d'appréciation médicales commises lors de son accouchement survenu prématurément le 6 juin 2008 ; que s'il résulte de l'expertise ordonnée par le président du tribunal administratif de Rennes et réalisée par le docteur Bouchez, gynécologue-obstétricien, que le suivi ambulatoire de la parturiente par le docteur Marinouchkine du centre hospitalier de Carhaix n'a pas été assez attentif et diligent eu égard à la présence de signes évocateurs d'un col de l'utérus court, qui a justifié que la patiente soit adressée en urgence au centre hospitalier de Quimper le 26 mai 2008, et que, de même, le suivi dans cet établissement révèle également un manque d'attention dans les soins apportés puisque Mme B... a été autorisée à retourner à son domicile à l'issue de sa visite du 26 mai 2008, avant d'être hospitalisée le 31 mai suivant en raison d'une perte de liquide amniotique, l'expert toutefois ne retient aucun lien de causalité entre ces manquements et le décès de l'enfant, relevant que rien ne permet d'affirmer que l'accouchement prématuré aurait pu être évité si Mme B... avait été hospitalisée dès le 26 mai 2008 ; que, par ailleurs, le même expert précise que les soins prodigués au centre hospitalier de Quimper entre le 31 mai et le 5 juin 2008 ont été conformes aux données de la science ; que si Mme B... soutient qu'elle aurait dû être orientée dès le début de sa grossesse vers la maternité de niveau 3 du centre hospitalier universitaire de Brest, l'expert ne retient aucune négligence dans l'orientation de la parturiente, dont l'admission vers cette maternité avait été programmée à 25 semaines d'aménnorhée et n'a pas été rendu possible en raison du déclenchement spontané de l'accouchement le matin même du jour prévu pour le transfert ; que si les consorts B...soutiennent par ailleurs que la décision prise en urgence de ne pas réanimer leur fille à sa naissance est constitutive d'une erreur médicale et que l'ensemble des choix thérapeutiques du matin de l'accouchement ont été faits par un praticien qui n'était pas habilité à décider seul de la prise en charge de Mme B..., le docteur Bouchez indique toutefois, en ce qui concerne les causes du décès, que celui-ci résulte de la conjonction d'une très grande prématurité à 25 semaines d'aménorrhée et d'une infection importante du cordon et du liquide amniotique résultant de la rupture de la poche plusieurs jours auparavant et qu'aucun acte médical n'aurait pu éviter ; qu'il résulte par ailleurs de l'instruction, d'une part, que le praticien mis en cause exerçait dans des conditions régulières au centre hospitalier de Quimper et, d'autre part, qu'aucune faute dans les conditions de la naissance de Flore en lien avec son décès ne peut être retenue dès lors qu'en s'abstenant de toute manoeuvre de réanimation de l'enfant, né en état de mort apparente, le médecin accoucheur n'a pas enfreint le protocole de réanimation en vigueur au centre hospitalier de Quimper pour les enfants nés dans cet établissement, qui est largement utilisé dans les maternités du niveau équivalent à celle de Quimper et dont il n'est pas allégué qu'il ne serait pas conforme à l'état de la science médicale ;

6. Considérant, d'autre part, qu'à supposer que Mme B... n'ait pas, comme elle le soutient, été informée des risques délétères pour son enfant des produits sédatifs qui lui ont été injectés au cours de l'accouchement et n'ait pas été mise à même de donner son consentement, il est constant que dans le contexte d'urgence dans lequel ces choix thérapeutiques ont été décidés, alors qu'il n'existait aucune alternative thérapeutique, aucun défaut d'information ne peut, en tout état de cause, être retenu à... ; que, par ailleurs, aucun des éléments produits du dossier et notamment la remise d'images et d'une empreinte de Flore à ses parents ne permet d'établir une atteinte à la dignité de l'enfant en fin de vie qui serait constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité du centre hospitalier de Quimper ;

7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'en l'absence soit de fautes médicales imputables au centre hospitalier de Quimper au cours de l'accouchement de Mme B..., soit de lien de causalité entre les maladresses ou négligences commises lors du suivi de la grossesse de Mme B... et le décès de sa fille lors de sa naissance le 6 juin 2008, M. et Mme B... ne sont pas fondés à rechercher la responsabilité du centre hospitalier de Quimper et du centre hospitalier universitaire de Brest ; que par suite, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité d'une partie des conclusions de la requête, ils ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande ; que, par voie de conséquence, leurs conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. et Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., à M. C... B..., au centre hospitalier universitaire de Brest, au centre hospitalier de Quimper et à la caisse primaire d'assurance maladie du Finistère.

Délibéré après l'audience du 25 septembre 2014, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président de chambre,

- Mme Gélard, premier conseiller,

- M. Lemoine, premier conseiller.

Lu en audience publique le 16 octobre 2014.

Le rapporteur,

F. LEMOINELe président,

I. PERROT

Le greffier,

A. MAUGENDRE

La République mande et ordonne au ministre des affaires sociales et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 13NT02049


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 13NT02049
Date de la décision : 16/10/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: M. François LEMOINE
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : CABINET ZORN et MACREZ

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2014-10-16;13nt02049 ?
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