Vu la requête, enregistrée le 5 juillet 2013, présentée pour la société Rava France, dont le siège est 9, rue Ferdinand Buisson à Saint-Contest (14280), par Me Le Terrier, avocat au barreau de Caen ; la société Rava France demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1201251 du 10 mai 2013 du tribunal administratif de Caen en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 16 avril 2012 du préfet du Calvados déclarant cessibles, au profit de la ville de Caen, certaines parties de chacune des parcelles cadastrées LZ n°s 18, 21 et 27 ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative ainsi que la contribution pour l'aide juridique ;
elle soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé en droit en ce qui concerne la réponse faite par le juge de première instance à son moyen tiré de ce que l'arrêté de cessibilité ne pouvait déclarer cessibles les parcelles dont elle était propriétaire au profit de la ville de Caen ;
- l'arrêté portant déclaration d'utilité publique devait être publié au recueil des actes administratifs de la préfecture en application des dispositions des articles R 123-24 et R 123-25 du code de l'urbanisme ; à défaut de l'accomplissement de cette mesure de publicité, l'arrêté de cessibilité est privé de base légale ;
- la composition du dossier préalable à l'enquête parcellaire est irrégulière au regard des prescriptions de l'article R 11-19 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
- la ville de Caen ne pouvait être désignée comme l'expropriante dès lors que la communauté d'agglomération Caen-la-mer sera le maître d'ouvrage de la bibliothèque multimédia à vocation régionale située sur la parcelle LZ 21 ;
- l'arrêté de cessibilité litigieux est entaché d'illégalité par voie de conséquence de l'illégalité de l'arrêté préfectoral du 3 avril 2012 déclarant d'utilité publique les travaux et les acquisitions foncières nécessaires à la réalisation du projet d'aménagement de la " pointe presqu'île de Caen" ; ce dernier arrêté a été pris en méconnaissance des dispositions du I de l'article R 11-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ; il mentionne avoir pour objet de déclarer d'utilité publique les travaux et les acquisitions foncières nécessaires à la réalisation du projet d'aménagement de la " pointe presqu'île de Caen" ; un tel objet qui ne précise pas les constructions et projets de la ville concernés par cette opération est trop général ; le dossier d'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique est entaché d'irrégularité ; les deux projets déclarés d'utilité publique, l'un au profit de l'Etat, l'autre au profit de la ville de Caen, sont indivisibles ; ils auraient dû faire l'objet d'une procédure d'enquête commune ; le préfet ne pouvait donner la qualité d'expropriant à deux personnes publiques pour les même terrains cadastrés LZ 28, 30, 31 et 32 ; le périmètre de la déclaration d'utilité publique est présenté comme unique dans les deux dossiers d'enquête préalable, ce qui a été de nature à tromper le public ; ce périmètre passe sous silence le sort partagé des parcelles LZ 28, 30, 31 et 32 qui font partie du périmètre des deux opérations déclarées d'utilité publique ; la déclaration d'utilité publique n'est pas compatible avec le titre III du règlement du plan d'occupation des sols; les dispositions des articles L 123-16 et L 123-17 du code de l'urbanisme ont été méconnues ; le projet de création d'un palais de justice est dépourvu d'utilité publique ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 31 décembre 2013, présenté pour la ville de Caen, représentée par son maire en exercice, par Me Gras, avocat au barreau de Paris, qui conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la société Rava France à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l'article L 761-1 du code de justice administrative ; elle soutient que les moyens invoqués par la société Rava France ne sont pas fondés ;
Vu la mise en demeure adressée le 13 janvier 2014 à la Garde des Sceaux, ministre de la justice, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;
Vu la lettre du 13 mars 2014 de la Garde des Sceaux, ministre de la justice ;
Vu l'ordonnance du 10 juin 2014 fixant la clôture d'instruction au 1er juillet 2014, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 30 juin 2014, présenté pour la société Rava France qui conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens qu'elle développe ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
Vu le code de l'urbanisme ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique:
- le rapport de Mme Buffet, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Delesalle, rapporteur public ;
- et les observations de MeA..., substituant Me Gras, avocat de la ville de Caen ;
1. Considérant que la société Rava France relève appel du jugement du 10 mai 2013 du tribunal administratif de Caen en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 16 avril 2012 du préfet du Calvados déclarant cessibles, au profit de la ville de Caen, certaines parties de chacune des parcelles cadastrées LZ n°s 18, 21 et 27 ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant que le jugement du 10 mai 2013 vise le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique et cite les dispositions législatives et règlementaires de ce code applicables au litige ; que, par suite et alors, en outre, que le moyen tiré de ce que l'arrêté de cessibilité ne pouvait déclarer cessibles les parcelles dont elle était propriétaire au profit de la ville de Caen n'était lui-même assorti d'aucune précision quant aux dispositions dont elle demandait au juge de faire application, le jugement attaqué n'est pas, contrairement à ce qu'elle soutient, insuffisamment motivé en droit sur ce point ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
Sur les moyens tirés de l'illégalité de l'arrêté du 3 avril 2012 du préfet du Calvados portant déclaration d'utilité publique :
3. Considérant qu'à l'appui de sa requête, la société Rava France invoque, par la voie de l'exception, l'illégalité de l'arrêté préfectoral du 3 avril 2012 déclarant d'utilité publique, au profit de la ville de Caen, les travaux et acquisitions foncières nécessaires à la réalisation du projet d'aménagement de la " pointe presqu'île de Caen";
4. Considérant, en premier lieu, qu'il y a lieu par adoption des motifs retenus par les premiers juges d'écarter les moyens que la société requérante réitère en appel sans apporter de précision nouvelle, tirés de ce que l'intitulé de l'arrêté de déclaration d'utilité publique était " trop général ", que le dossier soumis à enquête publique ne répondait pas aux exigences de l'article R. 11-3 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique en ce que l'appréciation sommaire des dépenses jointe au dossier mis à l'enquête était entachée d'une sous-évaluation manifeste et en ce qu'il mentionnait, à tort, les parcelles, cadastrées LZ n°s 28 à 32, d'assiette du nouveau palais de justice, de ce que l'arrêté du 29 juin 2011 ne serait pas compatible avec le titre III du règlement du plan d'occupation des sols de la ville de Caen et de ce que cet arrêté aurait dû faire l'objet des mesures de publicité prescrites par les articles R 123-24 et R 123-25 du code de l'urbanisme ;
5. Considérant, en deuxième lieu, que par un arrêté du 29 juin 2011, le préfet du Calvados a déclaré d'utilité publique les travaux et acquisitions foncières nécessaires à la réalisation du nouveau palais de justice sur le site de la " presqu'île de Caen " ; que si le nouveau palais de justice est implanté sur le site de la presqu'île de Caen, la réalisation de ce nouveau bâtiment destiné à regrouper en un même lieu le tribunal d'instance et le tribunal de grande instance de Caen, d'une part, et l'aménagement du secteur considéré, d'autre part, constituent deux opérations distinctes qui ne se conditionnent pas l'une l'autre, et dont l'utilité publique n'avait pas, dès lors, à faire l'objet d'un examen commun ni d'une enquête commune ; que, par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que " le préfet ne pouvait donner la qualité d'expropriant à deux personnes publiques sur les mêmes terrains ", qu'aurait été faussée l'information du public au cours de l'enquête préalable, en raison de ce que le dossier d'enquête ne reflétait pas la réalité du projet ;
6. Considérant, en troisième lieu, qu'une opération ne peut être légalement déclarée d'utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et éventuellement les inconvénients d'ordre social qu'elle comporte, ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente ;
7. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'opération déclarée d'utilité publique vise à aménager le secteur de la pointe de la presqu'île de Caen, d'une superficie de 46 912 m², situé entre le centre-ville et la gare ferroviaire, caractérisé par un bâti vétuste lié à son ancienne vocation industrialo-portuaire, en vue d'y édifier plusieurs équipements publics, notamment, outre le nouveau palais de justice, une bibliothèque multimédia à vocation régionale et un parc public dénommé la " Grande Pelouse " ainsi que d'y implanter des commerces et des services ; que la société requérante n'établit pas que l'expropriant était en mesure de réaliser cette opération dans des conditions équivalentes sans recourir à l'expropriation ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier, et alors que la société requérante se borne à soutenir que son coût est " manifestement exagéré " et qu'il aura " des incidences sur les finances locales et sur l'imposition des contribuables " déjà particulièrement élevée, que ce coût serait excessif eu égard à l'intérêt général qui s'attache à sa réalisation et serait de ce fait de nature à lui retirer son caractère d'utilité publique ;
8. Considérant, enfin, que le moyen tiré de ce que la ville de Caen ne pouvait être désignée comme l'expropriante dès lors que la communauté d'agglomération Caen-la-mer et l'Etat seront, respectivement, le maître d'ouvrage de la bibliothèque multimédia à vocation régionale et celui du nouveau palais de justice, n'est pas assorti de précisions suffisantes pour permettre au juge d'en apprécier le bien fondé ;
9. Considérant qu'il résulte des développements qui précèdent que la société Rava France n'est pas fondée à exciper, au soutien de ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté de cessibilité litigieux, de l'illégalité de l'arrêté préfectoral du 3 avril 2012 portant déclaration d'utilité publique ;
Sur les vices propres dont serait affecté l'arrêté de cessibilité du 16 avril 2012 du préfet du Calvados :
10. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R. 11-19 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : " L'expropriant adresse au préfet, pour être soumis à enquête dans chacune des communes où sont situés les immeubles à exproprier : 1° Un plan parcellaire régulier des terrains et bâtiments ; 2° La liste des propriétaires. (...) " ; qu'il ressort des pièces du dossier que le plan parcellaire, joint au dossier d'enquête parcellaire, fait apparaître la situation, la contenance ainsi que la désignation cadastrale des parties des parcelles LZ n°s 18, 21, 27 à exproprier en vue de la réalisation du projet d'aménagement de la " pointe presqu'île de Caen" ; que, contrairement à ce que soutient la société requérante, ce plan ne mentionne pas les terrains concernés par le projet de réalisation du nouveau palais de justice objet de la déclaration d'utilité publique du 29 juin 2011 ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la composition du dossier d'enquête parcellaire ne respecterait pas les prescriptions de l'article R. 11-19 doit être écarté ;
11. Considérant, en second lieu, qu'ainsi qu'il a été dit précédemment, la déclaration d'utilité publique du 3 avril 2012 n'est pas incompatible avec le titre III du règlement du plan d'occupation des sols de la ville de Caen ; que, dès lors, et en tout état de cause, la procédure de mise en compatibilité prévue par les dispositions des articles L. 123-16 et L. 123-17, dans leur rédaction alors applicable, du code de l'urbanisme n'avait pas à être mise en oeuvre de sorte que la société requérante ne peut soutenir que l'arrêté de cessibilité litigieux serait " dépourvu de base légale " ;
12. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Rava France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande ;
Sur les dépens :
13. Considérant qu'aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent la contribution pour l'aide juridique prévue à l'article 1635 bis Q du code général des impôts, ainsi que les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. / L'Etat peut être condamné aux dépens " ;
14. Considérant qu'il y a lieu de laisser à la société Rava France, qui est la partie perdante dans la présente instance, la charge de la contribution pour l'aide juridique qu'elle a acquittée lors de l'introduction de sa requête ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que la société Rava France demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de ces dispositions, de mettre à la charge de la société Rava France, le versement de la somme de 1 500 euros que la ville de Caen demande au titre des frais de même nature qu'elle a exposés ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Rava France est rejetée.
Article 2 : La société Rava France versera à la ville de Caen une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Rava France, à la commune de Caen, au ministre de l'intérieur et au Garde des Sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 2 septembre 2014 à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- M. Millet, président-assesseur,
- Mme Buffet, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 26 septembre 2014.
Le rapporteur,
C. BUFFETLe président,
A. PÉREZ
Le greffier,
S. BOYÈRE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 13NT01980 2
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