Vu la requête, enregistrée le 8 août 2013, présentée pour M. A... B..., demeurant..., par Me Guénin, avocat au barreau de Rennes ; M. B... demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1203437 du 12 juin 2013 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation d'une part, des décisions de retrait de points de son permis de conduire afférentes à des infractions commises les 10 juin 2010, 30 septembre 2010, 16 novembre 2010 et 27 mars 2011, d'autre part, de la décision référencée 48SI par laquelle le ministre de l'intérieur l'a informé de la perte de validité de son permis de conduire ;
2°) d'annuler ces décisions ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de reconstituer son capital de points et de lui restituer son permis de conduire, dans un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
il soutient que :
- sa demande de première instance était recevable ; l'adresse reportée sur le pli envoyé en recommandé était erronée ; il justifie avoir été détenu à ...incarcération équivaut à un changement de domicile ; rien ne l'obligeait à signaler ce changement d'adresse ;
- les retraits de points litigieux ne lui ont jamais été notifiés ; le ministre ne pouvait légalement notifier de manière globale l'ensemble des retraits de points opérés sur son permis de conduire ;
- il n'a pas bénéficié de l'information préalable exigée par les articles L. 223-1 et L. 223-3 du code de la route à l'occasion des infractions litigieuses ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 30 septembre 2013, présenté par le ministre de l'intérieur ; le ministre conclut au rejet de la requête et à la confirmation du jugement attaqué par adoption des motifs retenus par le premier juge ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la route ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le code de justice administrative ;
Vu la décision du président de la formation de jugement de dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 20 mai 2014 :
- le rapport de M. Pérez, président-rapporteur ;
1. Considérant que M. B... relève appel du jugement du 12 juin 2013 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation d'une part, des décisions de retrait de points de son permis de conduire afférentes à des infractions commises les 10 juin 2010, 30 septembre 2010, 16 novembre 2010 et 27 mars 2011, d'autre part, de la décision référencée 48SI par laquelle le ministre de l'intérieur l'a informé de la perte de validité de son permis de conduire ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " Sauf en matière de travaux publics, la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 421-5 du même code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision " ;
3. Considérant qu'il incombe à l'administration, lorsqu'elle oppose une fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de l'action introduite devant un tribunal administratif, d'établir que l'intéressé a régulièrement reçu notification de la décision ; qu'en cas de retour à l'administration du pli contenant la décision, cette preuve peut résulter soit des mentions précises, claires et concordantes portées sur l'enveloppe, soit, à défaut, d'une attestation de l'administration postale ou d'autres éléments de preuve établissant la délivrance par le préposé du service postal, conformément à la réglementation en vigueur, d'un avis d'instance prévenant le destinataire de ce que le pli était à sa disposition au bureau de poste ; que, cependant, aucun principe général, ni aucune disposition législative ou réglementaire, ne fait obligation au titulaire d'un permis de conduire de déclarer à l'autorité administrative sa nouvelle adresse en cas de changement de domicile ; qu'il en résulte qu'alors même qu'il n'aurait pas signalé ce changement aux services compétents, la présentation à une adresse où il ne réside plus du pli notifiant une décision relative à son permis de conduire et prise à l'initiative de l'administration n'est pas de nature à faire courir à son encontre le délai de recours contentieux ;
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que le relevé intégral d'information de la situation du permis de conduire de M. B... mentionne qu'une décision 48SI, expédiée par envoi avec accusé de réception postal n° 2C04046892261, a été présentée le 29 juillet 2011 au domicile du requérant ; que le ministre de l'intérieur a produit la copie, d'une part, du recto de l'enveloppe d'expédition d'une lettre émanant du fichier national du permis de conduire, adressée à M. B... et, d'autre part, de l'avis de réception postal d'un pli recommandé, portant le même numéro que celui figurant sur le relevé intégral ; que cet avis indique " Présenté / Avisé le 29/07/11 " et porte le tampon " pli non distribuable ", dont la case " Non réclamé " est cochée ; que, toutefois, il est constant qu'à la date de présentation du pli, M. B... était incarcéré à... ; que, dans ces conditions, M. B... ne peut être regardé comme ayant pu avoir connaissance de la décision contestée à la date de présentation du pli à son domicile, laquelle, faute de notification régulière, n'a donc pu faire courir à son encontre le délai de recours contentieux ; que, dès lors, le jugement attaqué a été pris en méconnaissance des dispositions précitées et doit être annulé ; qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de M. B... présentée devant le tribunal administratif de Nantes ;
Sur les conclusions à fin d'annulation des décisions portant retrait de points :
En ce qui concerne le moyen tiré du défaut de notification des retraits de points :
5. Considérant que les conditions de la notification au conducteur des retraits de points de son permis de conduire, prévues par les dispositions de l'article L. 223-3 du code de la route, ne conditionnent pas la régularité de la procédure suivie et partant la légalité de ces retraits ; que cette notification a pour seul objet de rendre ceux-ci opposables à l'intéressé et de faire courir le délai dont il dispose pour en contester la légalité devant la juridiction administrative ; que la circonstance que l'administration ne soit pas en mesure d'apporter la preuve que la notification des retraits successifs, effectuée par lettre simple, a bien été reçue par son destinataire, ne saurait lui interdire de constater que le permis a perdu sa validité, dès lors que la décision procédant au retrait des derniers points récapitule les retraits antérieurs et les rend ainsi opposables au conducteur ; que M. B... ne saurait dès lors utilement se prévaloir de ce que divers retraits de points ne lui auraient pas été notifiés avant l'intervention de la décision constatant la perte de validité de son permis de conduire ;
En ce qui concerne la réalité des infractions :
6. Considérant qu'aux termes de l'article L. 223-1 du code de la route : " Le permis de conduire est affecté d'un nombre de points. Celui-ci est réduit de plein droit si le titulaire du permis a commis une infraction pour laquelle cette réduction est prévue (...) La réalité d'une infraction entraînant retrait de points est établie par le paiement d'une amende forfaitaire ou l'émission du titre exécutoire de l'amende forfaitaire majorée, l'exécution d'une composition pénale ou par une condamnation définitive " ;
7. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées du code de la route, que le mode d'enregistrement et de contrôle des informations relatives aux infractions au code de la route conduit à considérer que la réalité de l'infraction est établie dans les conditions prévues à l'article L. 223-1 du code de la route dès lors qu'est inscrite, dans le système national des permis de conduire, la mention du paiement de l'amende forfaitaire ou de l'émission du titre exécutoire de l'amende forfaitaire majorée, sauf si l'intéressé justifie avoir présenté une requête en exonération dans les quarante-cinq jours de la constatation de l'infraction ou de l'envoi de l'avis de contravention ou formé, dans le délai prévu à l'article 530 du code de procédure pénale, une réclamation ayant entraîné l'annulation du titre exécutoire de l'amende forfaitaire majorée ;
8. Considérant qu'il ressort des mentions portées sur le relevé d'information intégral, extrait du système national du permis de conduire, que les infractions relevées à l'encontre de M. B... les 10 juin, 30 septembre et 16 novembre 2010 ont donné lieu à l'émission d'un titre exécutoire en vue du recouvrement de l'amende forfaitaire majorée ; que l'infraction constatée le 27 mars 2011 a donné lieu au paiement de l'amende forfaitaire ; que la réalité de ces infractions doit par suite être regardée comme établie dès lors que M. B... ne soutient pas avoir présenté une requête en exonération ou une réclamation ;
En ce qui concerne le moyen tiré du défaut d'information préalable :
9. Considérant qu'il résulte des articles L. 223-3 et R. 223-3 du code de la route que l'administration ne peut légalement prendre une décision retirant des points affectés à un permis de conduire à la suite d'une infraction dont la réalité a été établie, que si l'auteur de l'infraction s'est vu préalablement délivrer par elle un document contenant les informations qui y sont définies et qui constituent une garantie essentielle lui permettant de contester la réalité de l'infraction et d'en mesurer les conséquences sur la validité de son permis ; qu'il appartient à l'administration d'apporter la preuve, par tout moyen, qu'elle a satisfait à cette obligation d'information ;
10. Considérant qu'aux termes de l'article 537 du code de procédure pénale : " Les contraventions sont prouvées soit par procès-verbaux ou rapports, soit par témoins (...) / Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les procès-verbaux ou rapports établis par les officiers et agents de police judiciaire (...) font foi jusqu'à preuve contraire " ; que, si les procès-verbaux établis par les officiers ou agents de police judiciaire pour constater des infractions au code de la route font foi jusqu'à preuve contraire en ce qui concerne la constatation des faits constitutifs des infractions, il appartient au juge d'apprécier, au vu des divers éléments du dossier et notamment des mentions du procès-verbal, si le contrevenant a reçu l'information prévue par l'article L. 223-3 du code de la route ;
11. Considérant que, s'agissant des infractions des 10 juin et 30 septembre 2010, il résulte de l'instruction qu'elles ont été relevées avec interception du véhicule et que des titres exécutoires ont été émis en vue du paiement des amendes forfaitaires majorées ; que, pour justifier de l'accomplissement de l'obligation d'information préalable prévue par les dispositions précitées du code de la route à l'occasion de ces infractions, le ministre produit les procès-verbaux de contravention établis le jour même, qui indiquent que l'infraction entraîne un retrait de points ; que, s'agissant de l'infraction du 30 septembre 2010, le procès-verbal de contravention correspondant est signé par M. B... sous la rubrique " Le conducteur reconnaît avoir reçu la carte de paiement et l'avis de contravention " ; que, sur le procès-verbal de l'infraction commise le 10 juin 2010, conforme aux dispositions des articles A. 37 à A. 37-4 du code de procédure pénale, il est expressément indiqué que M. B... a refusé de contresigner la mention : " Le contrevenant reconnaît avoir reçu la carte de paiement et l'avis de contravention ", sans qu'il y ait fait figurer de réserve sur les modalités de délivrance de l'information ; que, dans ces conditions, il doit être regardé comme établi que M. B... a pris connaissance, sans élever d'objection, du contenu de l'avis de contravention et que cet avis comportant les informations requises lui a été remis ;
12. Considérant en revanche que s'il ressort du relevé d'information intégral extrait du système national du permis de conduire que l'infraction commise par M. B... le 16 novembre 2010 a donné lieu, en application des dispositions de l'article 529-2 du code de procédure pénale, à défaut du paiement de l'amende forfaitaire ou du dépôt régulier d'une requête tendant à son exonération, à l'émission d'un titre exécutoire d'amende forfaitaire majorée devenu définitif le 14 février 2011, cette circonstance, qui établit la réalité de l'infraction en application des dispositions du quatrième alinéa de l'article L. 223-1 du code de la route, n'est toutefois pas de nature à établir que M. B... aurait reçu l'information prévue à l'article L. 223-3 du même code ; qu'en se bornant à produire la copie d'un avis de contravention, qui n'a pas été établi au nom de M. B..., que l'intéressé soutient ne pas avoir reçu, le ministre de l'intérieur ne peut dès lors pas être regardé comme ayant satisfait à son obligation d'information préalable par le seul paiement de l'amende forfaitaire majorée ; que, par suite, M. B... est fondé à soutenir que la décision de retrait de deux points consécutive à l'infraction susmentionnée est intervenue à l'issue d'une procédure irrégulière et doit être annulée ;
13. Considérant enfin que lorsqu'une contravention soumise à la procédure de l'amende forfaitaire est relevée avec interception du véhicule et donne lieu au paiement immédiat de l'amende entre les mains de l'agent verbalisateur, il incombe à l'administration d'apporter la preuve, par la production de la souche de la quittance prévue à l'article R. 49-2 du code de procédure pénale dépourvue de réserve sur la délivrance de l'information requise, que celle-ci est bien intervenue préalablement au paiement ;
14. Considérant que, s'agissant de l'infraction du 27 mars 2011, relevée avec interception du véhicule, et qui a donné lieu au paiement immédiat de l'amende forfaitaire, l'administration a produit la quittance de paiement correspondante dépourvue de toutes réserves sur la délivrance de l'information requise ; qu'elle justifie dès lors que cette information est intervenue préalablement au paiement de l'amende ;
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision portant invalidation du permis de conduire de M. B... :
15. Considérant que, compte tenu des deux points devant être restitués à l'intéressé consécutivement à l'illégalité de la décision de retrait prise à la suite de l'infraction commise le 16 novembre 2010, le capital de points attaché au permis de conduire de M. B... ne se trouve pas réduit à zéro ; que, par suite, la décision par laquelle le ministre a constaté la perte de validité du permis de conduire de l'intéressé est entachée d'illégalité ;
16. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. B... est seulement fondé à demander l'annulation de la décision de retrait de deux points consécutive à l'infraction commise le 16 novembre 2010, ainsi que de celle constatant l'invalidité de son permis de conduire ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
17. Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution " ;
18. Considérant que le présent arrêt implique nécessairement que le ministre de l'intérieur reconnaisse à M. B... le bénéfice des deux points illégalement retirés à la suite de l'infraction du 16 novembre 2010, et lui fasse restituer son titre de conduite par les services préfectoraux, sous réserve des infractions qui auraient pu être enregistrées depuis la décision référencée 48SI ; qu'il y a lieu d'enjoindre à ces autorités de procéder à ces mesures dans un délai d'un mois à compter de la date de notification du présent arrêt ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
19. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. B... de la somme qu'il demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement susvisé du magistrat désigné par le président du tribunal administratif d'Orléans est annulé.
Article 2 : La décision portant retrait de deux points consécutive à l'infraction du 16 novembre 2010 et la décision du ministre de l'intérieur constatant l'invalidité du permis de conduire de M. B... sont annulées.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer le capital de points de M. B... conformément aux motifs du présent arrêt, en tenant compte le cas échéant des nouvelles infractions susceptibles de retrait de points enregistrées depuis la décision 48SI, et au préfet du Maine-et-Loire de restituer à M. B... son permis de conduire, sous les mêmes réserves, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B...et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 20 mai 2014, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- M. Sudron, président-assesseur,
- M. François, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 13 juin 2014.
L'assesseur le plus ancien
dans l'ordre du tableau,
A. SUDRON
Le président-rapporteur,
A. PÉREZ
Le greffier,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 13NT023442
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N° 1
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