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05/06/2014 | FRANCE | N°12NT02390

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 3ème chambre, 05 juin 2014, 12NT02390


Vu la requête, enregistrée le 20 août 2012, présentée pour M. H... F..., demeurant..., Mme I... E...et Mme D... F..., demeurant..., Mme C... G..., demeurant..., agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité d'ayants droits de B...F..., leur fils et frère, par Me Coubris avocat au barreau de Bordeaux ; M. F... et autres demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 09-3721 du 28 juin 2012 du tribunal administratif de Rennes en ce qu'il a limité à 80 000 euros la condamnation du centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Rennes à réparer les préju

dices résultant des souffrances et du décès de B...F... survenu le 17 ...

Vu la requête, enregistrée le 20 août 2012, présentée pour M. H... F..., demeurant..., Mme I... E...et Mme D... F..., demeurant..., Mme C... G..., demeurant..., agissant tant en leur nom personnel qu'en leur qualité d'ayants droits de B...F..., leur fils et frère, par Me Coubris avocat au barreau de Bordeaux ; M. F... et autres demandent à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 09-3721 du 28 juin 2012 du tribunal administratif de Rennes en ce qu'il a limité à 80 000 euros la condamnation du centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Rennes à réparer les préjudices résultant des souffrances et du décès de B...F... survenu le 17 septembre 2002 ;

2°) de condamner le CHRU de Rennes à verser :

- à la succession de B...F...la somme globale de 165 000 euros en réparation des préjudices qu'il a subis ;

- à M. H... F... et Mme I... E..., ses parents, la somme globale de 40 000 euros chacun en réparation de leurs préjudices ;

- à Mme C... G..., sa demi-soeur, la somme globale de 30 000 euros en réparation de ses préjudices ;

- à Mme D...F..., sa soeur, la somme globale de 30 000 euros en réparation de ses préjudices ;

3°) d'assortir ces sommes des intérêts au taux légal à compter de leur recours préalable ;

4°) de mettre à la charge du CHRU de Rennes la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

ils soutiennent :

- que le lien de causalité entre l'injection de vincristine en intrarachidien et le décès de B...est évident ; que si le traitement par chimiothérapie avait été correctement administré l'enfant avait au minimum 95 % de chance de guérison ; que ce traitement présentait des résultats satisfaisants ; qu'il conviendra dès lors d'indemniser leurs préjudices dans leur intégralité ;

- que les experts ont évalué le préjudice de B...à 4 sur une échelle de 7 ; que dans les 48 heures qui ont suivi l'injection le jeune enfant a présenté des troubles neurologiques majeurs, une paralysie et des difficultés respiratoires nécessitant une intubation et une ventilation assistée ; qu'il a passé plus d'un mois et demi en réanimation avant de décéder et a subi de nombreux soins douloureux ;

- qu'une rémission totale avec un traitement était envisageable à 95 % sur trois ans ; que jusqu'au 23 juillet 2002 B...réagissait bien au traitement ; que la faute commise par le docteur Vinh Truong Thi lui a fait perdre une chance de survie majeure ;

- que cette faute a généré un préjudice moral important chez ce jeune enfant conscient de l'agitation extrême autour de lui à compter du 23 juillet et de la dégradation de son état de santé ; que la circonstance qu'il a été endormi à compter du 27 juillet n'est pas de nature à minimiser son préjudice ; que les souffrances morales endurées par l'enfant doivent être indemnisées indépendamment de ses souffrances physiques ; que les premiers juges ont minimisé les souffrances subies par B...pendant un mois et demi en limitant à 6 000 euros la somme allouée en réparation de ses souffrances physiques et psychiques ; que la somme de 15 000 euros et celle de 150 000 euros seront respectivement allouées au titre des souffrances physiques et morales liées à la perte de chance de survie de l'enfant ;

- qu'ils ont assisté impuissants à la lente et inexorable dégradation de l'état de santé de leur fils et frère ; que les premiers juges ont nié le soutien sans faille de ses soeurs en estimant que leur préjudice d'accompagnement n'était pas démontré ; que ce préjudice sera évalué à 10 000 euros pour chacune des deux soeurs de l'enfant, comme pour ses deux parents ;

- qu'ils justifient en outre d'un préjudice d'affection du fait de la disparition prématurée deB... ; que ce préjudice sera évalué à 30 000 euros pour chacun des parents et à 20 000 euros pour chacune des soeurs deB... ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu la lettre, enregistrée le 6 décembre 2012, présentée par la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine qui indique qu'elle n'entend pas intervenir dans la présente instance ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 28 août 2013, présenté pour le centre hospitalier régional et universitaire de Rennes, par Me Le Prado, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, qui conclut au rejet de la requête ;

il soutient :

- que les souffrances endurées par le jeune B...ont été évaluées à 4 sur une échelle de

7 par les experts ; que le temps passé en réanimation a été d'un mois et demi ; qu'en l'évaluant à 6 000 euros les premiers juges n'ont pas sous-évalué ce chef de préjudice ;

- que les " souffrances morales liées à la perte de chance de survie " ne créent pas un préjudice distinct de celui résultant du décès ; qu'il n'est pas démontré queB..., âgé de moins de deux ans au moment des faits, et qui a très rapidement perdu conscience, aurait eu le temps d'éprouver une douleur morale ; que les préjudices qui n'apparaissent qu'au jour du décès de la victime n'ont pu donner naissance à aucun droit entré dans son patrimoine avant ce jour et ne peuvent donc être transmis aux héritiers ; que, par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que ce poste de préjudice ne pouvait ouvrir droit à indemnisation ;

- que, dans des cas similaires, la jurisprudence n'a pas reconnu le préjudice d'accompagnement des frères et soeurs ; que ce préjudice n'est pas démontré en l'espèce pour les deux soeurs deB... qui ne sont pas restées au chevet de leur frère tout au long de son hospitalisation ; que les sommes accordées par le tribunal administratif ne sont pas sous- évaluées ;

Vu le mémoire enregistré le 14 avril 2014 présenté pour les consortsF..., qui concluent aux mêmes fins que la requête, au vu des mêmes moyens ;

ils soutiennent en outre que les souffrances physiques voire morales liées aux soins ne peuvent en aucun cas être rattachées aux souffrances morales liées au fait de se savoir mourant ; que l'indemnisation de ces deux chefs de préjudices doit être distincte ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 15 mai 2014 :

- le rapport de Mme Gélard, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Degommier, rapporteur public ;

1. Considérant que le jeune B...F..., né le 11 août 2000, a été hospitalisé le 4 juillet 2002 au centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Rennes pour y être soigné de la leucémie dont il était atteint ; qu'après une corticothérapie, il a débuté, le 16 juillet suivant, une chimiothérapie à base de vincristine en intraveineuse et d'asparaginase en intrarachidien ; que le médecin chargé d'administrer ce traitement le 23 juillet 2002 a commis une erreur et inversé les deux injections ; que, l'injection de la vincristine en intrarachidien présentant une toxicité majeure, le chef de service alerté a aussitôt pratiqué une ponction lombaire afin de retirer le plus de produit possible ; que cependant l'enfant, après une lente dégradation de son état de santé, est décédé des suites de cette erreur le 17 septembre 2002 ; qu'après avoir engagé une procédure pénale à l'encontre de l'interne responsable, les parents et les deux soeurs de l'enfant ont sollicité auprès du tribunal administratif de Rennes une expertise médicale en présence du CHRU, dont le rapport a été déposé le 11 décembre 2006 ; que le 8 août 2009, après le rejet de leur réclamation préalable, M. H... F... et Mme I...E..., les parents deB..., Mme C... G... sa demi-soeur et Mme D... F... sa soeur ont saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à la condamnation du CHRU de Rennes à réparer les préjudices résultant des souffrances et du décès de leur fils et frère ; que, par un jugement du 28 juin 2012, les premiers juges ont partiellement accueilli leurs prétentions en condamnant le CHRU à verser 6 000 euros à la succession deB... F..., 23 000 euros à M. H... F... et à Mme I... E... et 14 000 euros à Mme C... G...et à Mme D...F... ; que les consorts F...font appel de ce jugement en tant qu'il a, selon eux, sous-évalué leurs préjudices ainsi que ceux subis par B...avant son décès ; que le CHRU de Rennes, qui ne conteste pas le principe de sa responsabilité, conclut au rejet de la requête ;

Sur les préjudices :

En ce qui concerne les préjudices de B...F... :

2. Considérant que le droit à la réparation d'un dommage, quelle que soit sa nature, s'ouvre à la date à laquelle se produit le fait qui en est directement la cause ; que si la victime du dommage décède avant d'avoir elle-même introduit une action en réparation, son droit, entré dans son patrimoine avant son décès, est transmis à ses héritiers ; que le droit à réparation du préjudice résultant pour elle de la douleur morale qu'elle a éprouvée du fait de la conscience d'une espérance de vie réduite en raison d'une faute du service public hospitalier dans la mise en oeuvre ou l'administration des soins qui lui ont été donnés, constitue un droit entré dans son patrimoine avant son décès qui peut être transmis à ses héritiers ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise que le jeuneB..., qui souffrait d'une leucémie, avait 95 % de chance de guérir au terme d'une durée de traitement de trois ans, qu'il répondait de façon satisfaisante aux premiers soins qui lui avaient été prodigués à l'hôpital et que son pretium doloris pouvait être évalué à 4 sur une échelle de 7 ; que les premiers juges ont estimé que la faute commise par le centre hospitalier était à l'origine exclusive de son décès et que les préjudices qu'il avait subis devaient être intégralement indemnisés ; que le centre hospitalier ne conteste pas le principe de cette indemnisation ; que toutefois en allouant la somme totale de 6 000 euros à la succession du jeune B...au titre des souffrances tant physiques que psychiques endurées par l'enfant du jour de l'accident jusqu'à son décès, les premiers juges ont, compte tenu des circonstances particulièrement dramatiques de l'espèce, fait une insuffisante appréciation de ces chefs de préjudice ; que le montant de cette réparation doit être porté à 10 000 euros ;

4. Considérant que si les consorts F...soutiennent que l'enfant, qui a constaté l'agitation extrême qui s'est produite autour de lui à compter du 23 juillet 2002, était conscient de la dégradation progressive de son état de santé et de la diminution de ses chances de survie, la réalité de ce préjudice ne peut être regardée comme établie, eu égard au très jeune âge de l'enfant et au fait qu'il a été placé sous intubation et ventilation à compter du 27 juillet 2002 et qu'à cette date il n'était plus conscient ; que, par suite, les conclusions des consorts F...tendant à ce que le CHRU de Rennes soit condamné à leur verser la somme de 150 000 euros au titre de ce seul chef de préjudice ne peuvent qu'être rejetées ;

En ce qui concerne les préjudices propres des parents :

5. Considérant qu'il n'est pas contesté que les parents du jeune B...sont restés à son

chevet tous les jours alors qu'ils habitaient à Saint-Méen-le-Grand ; que, déjà affectés par la maladie de leur jeune enfant, ils ont dû assister impuissants à la dégradation progressive de son état de santé jusqu'à son décès ; que, dans ces conditions, et eu égard au très jeune âge de cet enfant et aux souffrances tant physiques que psychiques dont ses parents ont été les témoins, il y a lieu de porter à 28 000 euros chacun la somme de 23 000 euros allouée par les premiers juges à M. H... F... et à Mme I... E... au titre de leurs préjudices d'accompagnement et d'affection ;

En ce qui concerne les préjudices des soeurs de l'enfant :

6. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment du procès-verbal d'audition par la gendarmerie de Mme A..., psychologue au service d'oncologie pédiatrique de l'hôpital sud de Rennes, que les deux soeurs du jeuneB..., qui étaient alors âgées de 15 et 11 ans, ont été très présentes aux côtés de leurs parents et de leur frère jusqu'au décès de celui-ci le 17 septembre 2002 ; que, dans ces conditions, Mmes D...F...etC... G... sont fondées à se prévaloir outre d'un préjudice d'affection, d'un préjudice d'accompagnement de leur jeune frère ; qu'il sera fait une juste appréciation de ces deux chefs de préjudice en portant à 16 000 euros la somme de 14 000 euros que les premiers juges leur ont accordée à ce titre ;

Sur les intérêts :

7. Considérant, que les sommes de 10 000 euros, de 28 000 euros et de 16 000 euros, mentionnées aux points 3, 5 et 6, allouées aux consorts F...doivent être augmentées, ainsi qu'ils le demandent en appel, des intérêts au taux légal à compter du 20 avril 2009, date de réception de leur réclamation préalable par le centre hospitalier et non au 8 août 2009 ainsi qu'ils le demandaient devant le tribunal administratif ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les consorts F... sont fondés dans la mesure évoquée ci-dessus à demander la réformation du jugement attaqué ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

9. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CHRU de Rennes le versement aux consorts F...de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Les sommes de 6 000 euros, 23 000 euros, 23 000 euros, 14 000 euros et 14 000 euros allouées à la succession deB... F..., à M. H... F..., à Mme I... E..., à Mme C... G... et à Mme D... F...par le tribunal administratif de Rennes sont portées respectivement à 10 000 euros, 28 000 euros, 28 000 euros, 16 000 euros et 16 000 euros. Ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du 20 avril 2009.

Article 2 : Le jugement n° 09-3721 du tribunal administratif de Rennes en date du 28 juin 2012 est réformé en tant qu'il est contraire à l'article 1er du présent arrêt.

Article 3 : Le CHRU de Rennes versera aux consorts F...la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. H... F..., à Mme I... E..., à Mme D... F..., à Mme C... G..., au centre hospitalier régional universitaire de Rennes et à la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 15 mai 2014, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, président de chambre,

- Mme Gélard, premier conseiller,

- M. Lemoine, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 5 juin 2014.

Le rapporteur,

V. GÉLARDLe président,

I. PERROT

Le greffier,

C. GUÉZO

La République mande et ordonne au ministre des affaire sociales et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 12NT02390


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 12NT02390
Date de la décision : 05/06/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme PERROT
Rapporteur ?: Mme Valérie GELARD
Rapporteur public ?: M. DEGOMMIER
Avocat(s) : SELARL COUBRIS, COURTOIS etASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2014-06-05;12nt02390 ?
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