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25/04/2014 | FRANCE | N°12NT00387

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 25 avril 2014, 12NT00387


Vu la requête, enregistrée le 10 février 2012, présentée pour M. et Mme A... D..., domiciliés 22 rue des Tilleuls à Cormelles-le-Royal (14123) par Me E... ; M. et Mme D... demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 15 décembre 2011 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande tendant à la condamnation de la commune de Cormelles-le-Royal à leur verser une indemnité de 330 000 euros en réparation du préjudice causé par les nuisances sonores résultant de l'utilisation de la salle des fêtes municipale ;

2°) de condamner la commune d

e Cormelles-le-Royal à leur verser une indemnité de 312 000 euros augmentée des...

Vu la requête, enregistrée le 10 février 2012, présentée pour M. et Mme A... D..., domiciliés 22 rue des Tilleuls à Cormelles-le-Royal (14123) par Me E... ; M. et Mme D... demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 15 décembre 2011 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande tendant à la condamnation de la commune de Cormelles-le-Royal à leur verser une indemnité de 330 000 euros en réparation du préjudice causé par les nuisances sonores résultant de l'utilisation de la salle des fêtes municipale ;

2°) de condamner la commune de Cormelles-le-Royal à leur verser une indemnité de 312 000 euros augmentée des intérêts à compter de la date de réception de la réclamation ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Cormelles-le-Royal le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

ils soutiennent que :

- le tribunal ne s'est pas prononcé sur la responsabilité de la commune au cours de la période allant de 1983 à 1998, pendant laquelle aucune mesure n'a été prise pour remédier aux nuisances sonores ;

- les mesures ultérieurement prises se sont avérées insuffisantes ; la présence d'un agent de sécurité préconisée par l'expert désigné par le tribunal n'est pas maintenue jusqu'à la fin des soirées organisées dans la salle des fêtes ; le bâtiment ne respecte pas les normes applicables en matière de lutte contre le bruit ; les amendes prévues par l'arrêté municipal du 22 juillet 2010 ne sont pas appliquées ; les limiteurs de son sont contournés par les usagers et les portes ne sont pas munies de contacteurs ;

- les nuisances sonores résultent également de la présence de boulistes, de camions frigorifiques dont le moteur tourne en permanence, de la circulation de camions de livraison et des allers et venues des usagers de la salle ;

- elles sont de nature à engager la responsabilité de la commune sur le terrain de la faute ou sur celui du préjudice anormal et spécial ;

- la salle des fêtes a été édifiée après la construction de leur propre maison ; leur habitation est la plus proche de l'ouvrage ;

- des pétitions signées en 2000 et en 2004 attestent de l'importance des nuisances sonores subies par les riverains ;

- compte tenu des nombreuses démarches qu'ils effectuent depuis 1986 auprès de la commune et des deux plaintes qu'ils ont déposées en 2009, la prescription quadriennale ne peut pas leur être opposée ; la commune a exprimé sa position par voie de communication écrite, au sens du troisième alinéa de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968, en 1986 et en 1998 et en prenant des mesures à plusieurs reprises ; le préfet du Calvados a également pris position, au sens de ces dispositions, par un courrier du 29 novembre 1991, adressé à la commune ;

- les troubles dans les conditions d'existence subis depuis 1983 justifient le versement de la somme de 174 000 euros ; le coût des travaux réalisés sur leur propriété pour limiter les nuisances sonores s'élève à 28 000 euros TTC ; la perte de valeur vénale de l'immeuble a été évaluée à 110 000 euros ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu la mise en demeure adressée à Me B... le 22 juin 2012, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 2 juillet 2012, présenté pour la commune de Cormelles-le-Royal par MeB... ; la commune de Cormelles-le-Royal demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) de mettre à la charge de M. et Mme D... le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient que :

- seule une demande de paiement écrite et chiffrée ou une communication écrite de l'administration ayant trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance est susceptible d'interrompre la prescription ;

- compte tenu des mesures prises pour y remédier, les nuisances sonores subies par les requérants ne sont pas de nature à engager sa responsabilité ;

- elles n'excèdent pas les inconvénients que doivent normalement supporter les riverains

d'une salle polyvalente ; les autres riverains de la salle des fêtes ne s'en sont pas plaints ;

- contrairement à ce que soutiennent les requérants, les manifestations bruyantes n'ont pas lieu toutes les deux semaines depuis trente ans ;

- le lien de causalité entre les nuisances sonores et les travaux qu'ils ont fait réaliser sur leur propriété n'est pas établi ;

- en l'absence de projet de vente, la perte de valeur vénale de l'immeuble n'est pas utilement invoquée ; elle est manifestement surévaluée ;

Vu le mémoire, enregistré le 31 janvier 2013, présenté pour M. et Mme D... qui concluent aux mêmes fins que leur requête par les mêmes moyens ;

ils ajoutent que :

- l'exception de prescription n'a pas été correctement invoquée par la commune ;

- l'utilité des travaux qu'ils ont fait réaliser sur leur propriété a été admise par l'expert ;

Vu le mémoire, enregistré le 26 juin 2013, présenté pour la commune de Cormelles-le-Royal qui maintient ses conclusions en défense ;

elle ajoute que :

- un constat d'huissier établi le 11 juin 2013 établit l'absence de nuisances sonores ;

Vu le mémoire, enregistré le 1er juillet 2013, présenté pour M. et Mme D... qui concluent aux mêmes fins que précédemment ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 modifiée ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 4 avril 2014 :

- le rapport de Mme Aubert, président-assesseur ;

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public ;

- et les observations de Mme D... ;

1. Considérant que M. et Mme D..., propriétaires depuis 1977 de leur maison d'habitation, située sur le territoire de la commune de Cormelles-le-Royal, ont saisi le tribunal administratif de Caen de conclusions tendant à l'indemnisation des préjudices résultant des nuisances sonores causées par l'organisation de certaines manifestations dans la salle des fêtes municipale, édifiée en 1983 sur une parcelle jouxtant leur propriété ; que par un jugement du 15 décembre 2011 dont ils relèvent appel, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant que le tribunal administratif a rejeté les conclusions de M. et Mme D... tendant à la condamnation de la commune de Cormelles-le-Royal à réparer les préjudices résultant de la carence du maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police sans examiner le moyen tiré de l'absence de mesures de nature à empêcher ou à limiter les nuisances sonores subies au cours de la période allant de 1983 à 1998, alors que le jugement n'oppose pas aux demandeurs l'exception de prescription quadriennale invoquée en défense et que ce moyen n'était pas inopérant ; que l'insuffisance de motivation dont le jugement se trouve ainsi entaché le rend irrégulier ; qu'il doit, dès lors, être annulé ;

3. Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de statuer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur la demande présentée par M. et Mme D... devant le tribunal administratif de Caen ;

Sur la responsabilité :

En ce qui concerne la prescription quadriennale :

4. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 modifié : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. Sont prescrites, dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d'un comptable public " ; qu'aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : / Toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence ou au paiement de la créance alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement. / Toute communication écrite d'une administration intéressée, même si cette communication n'a pas été faite directement au créancier qui s'en prévaut, dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance ; (...) " ; que ces dispositions n'imposent pas au créancier, pour bénéficier de l'interruption du délai quadriennal, que sa réclamation porte sur l'ensemble des éléments se rapportant à sa créance ;

5. Considérant que le fait générateur de la créance dont se prévalent M. et Mme D... est constitué par l'exploitation de la salle des fêtes municipale de Cormelles-le-Royal construite en 1983 sur le terrain jouxtant leur maison d'habitation ; qu'il résulte de l'instruction que divers courriers ayant trait aux nuisances sonores et aux troubles de voisinage résultant de l'utilisation de cette salle, de nature à interrompre le cours de la prescription, ont été échangés entre le maire de la commune et les requérants au cours de la période du 20 octobre 1985 au 7 juin 2009 ainsi qu'entre ces derniers et le préfet du Calvados les 1er mars et 28 octobre 1992 ; qu'en outre, le maire de Cormelles-le-Royal a adressé au président du comité national contre le bruit un courrier daté du 7 avril 1987 ayant le caractère d'une communication écrite au sens des dispositions précitées de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 modifiée ; qu'ainsi, la créance de M. et Mme D... n'était pas prescrite lors de la présentation de leur réclamation préalable le 9 juillet 2010 suivie, le 5 octobre 2010, de la saisine du tribunal administratif de Caen ; que l'exception de prescription soulevée en défense doit, dès lors, être écartée ;

En ce qui concerne la responsabilité pour faute :

6. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'en dépit des nombreuses demandes présentées par M. et Mme D... depuis le début de l'utilisation de la salle des fêtes, en 1983, pour l'organisation de soirées musicales, les premières mesures visant à limiter les nuisances sonores qu'elle a engendrées, résultant du volume de la musique, de la circulation de personnes et de véhicules jusqu'à des heures très tardives et du stationnement pendant plusieurs heures d'un véhicule frigorifique dont le moteur n'est pas coupé, n'ont été prises qu'à partir de 1998 ; que la mise en place d'un limiteur de sons et d'un dispositif faisant obstacle à l'ouverture de manière habituelle des sorties de secours puis l'affichage de panneaux incitant au respect de la tranquillité du voisinage et l'insertion dans les contrats de location de la salle de clauses relatives à la tranquillité publique, la présence jusqu'à 23 heures d'un agent de sécurité ou son intervention à l'improviste et, enfin, les arrêtés municipaux du 26 juin 2009 et du 22 juillet 2010 sanctionnant par des amendes les manquements constatés, n'ont pas permis de réduire de manière satisfaisante les nuisances sonores subies en raison, notamment, des manquements répétés des usagers de la salle qui ne sont pas sanctionnés par la condamnation au paiement des amendes prévues par les arrêtés ; qu'une telle situation résulte de la carence du maire dans l'exercice de ses pouvoirs de police ; que cette carence constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune de Cormelles-le-Royal ;

En ce qui concerne le préjudice :

7. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. et Mme D... ont fait édifier un mur anti-bruit en 1989 et ont équipé les fenêtres de leur habitation de doubles vitrages en 2008 ; que le coût de ces travaux d'isolation, dont l'utilité n'est pas contestée en défense, a été évaluée par l'expert à la somme totale de 28 000 euros TTC correspondant à leur valeur actualisée en 2009 ; qu'il y a lieu de mettre cette somme à la charge de la commune ;

8. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit au point 6, les nuisances sonores résultent du volume de la musique, de la circulation de personnes et de véhicules jusqu'à des heures très tardives et du bruit continu de moteur d'un véhicule frigorifique stationnant devant la salle des fêtes lors de l'organisation de certaines soirées ; qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expert, que vingt-cinq soirées par an environ ont été organisées au cours de la période allant de 2006 à 2009 ; que, compte tenu de l'origine des nuisances sonores, de leur importance, de leur durée et de leur fréquence, il sera fait une juste appréciation des troubles dans les conditions d'existence subis par les requérants de 1983 à 2009 en condamnant la commune à leur verser une indemnité de 25 000 euros ;

9. Considérant, en revanche, que M. et Mme D... n'ont pas manifesté l'intention de vendre leur propriété ; qu'ainsi, le préjudice résultant de la perte de valeur vénale de leur bien, évalué à 110 000 euros, ne présente pas un caractère actuel et certain ; qu'il ne peut, dès lors, leur ouvrir droit à indemnisation ;

10. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner avant-dire droit une mesure d'expertise portant sur la perte de valeur vénale de la maison, qu'il y a lieu de condamner la commune de Cormelles-le-Royal à verser aux requérants une indemnité d'un montant total de 53 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 10 juillet 2010, date de réception de leur réclamation préalable ;

Sur les frais d'expertise :

11. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre les frais d'expertise, d'un montant de 7 034,71 euros, à la charge définitive de la commune de Cormelles-le-Royal ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. et Mme D..., qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, le versement à la commune de Cormelles-le-Royal de la somme qu'elle demande sur le fondement de ces dispositions ; que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Cormelles-le-Royal le versement aux requérants de la somme de 1 500 euros qu'ils demandent sur le fondement des mêmes dispositions ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 15 décembre 2011 est annulé.

Article 2 : La commune de Cormelles-le-Royal est condamnée à verser à M. et Mme D... une indemnité de 53 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 10 juillet 2010.

Article 3 : Les frais d'expertise, d'un montant de 7 034,71 euros, sont mis à la charge définitive de la commune de Cormelles-le-Royal.

Article 4 : La commune de Cormelles-le-Royal versera à M. et Mme D... la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus de la requête de M. et Mme D... et les conclusions de la commune de Cormelles-le-Royal tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme D... et à la commune de Cormelles-le-Royal.

Délibéré après l'audience du 4 avril 2014, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- Mme Aubert, président-assesseur,

- Mme Tiger-Winterhalter, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 25 avril 2014.

Le rapporteur,

S. AUBERTLe président,

L. LAINÉ

Le greffier,

M. C...

La République mande et ordonne au préfet du Calvados en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 12NT00387


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 12NT00387
Date de la décision : 25/04/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Sylvie AUBERT
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : GORAND

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2014-04-25;12nt00387 ?
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