Vu la requête, enregistrée le 17 septembre 2013, présentée pour Mme A...B..., demeurant..., par Me Bensalah, avocat au barreau de Paris ; Mme B... demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 11-10807 du 19 juillet 2013 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 7 juin 2010 par laquelle le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire a rejeté sa demande de naturalisation, et de la décision du 27 septembre 2011 rejetant son recours gracieux ;
2°) d'annuler ces décisions ;
3°) d'enjoindre au ministre chargé des naturalisations d'instruire à nouveau son dossier dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 300 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
elle soutient que :
- le jugement attaqué a omis de répondre au moyen de légalité externe tiré de l'insuffisance de motivation des décisions contestées ;
- les décisions contestées sont insuffisamment motivées en fait et en droit ;
- seule une omission intentionnelle pourrait justifier un rejet de sa demande de
naturalisation, or elle n'a pas fait de fausses déclarations à l'administration fiscale, ayant effectivement eu quatre enfants à charge entre 2006 et 2008, mais n'a pas compris qu'elle devait les mentionner dans sa demande de naturalisation car ils n'habitaient plus chez elle ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 28 octobre 2013, présenté par le ministre de l'intérieur, qui conclut au rejet de la requête ;
il soutient que :
- le seul moyen de légalité externe tiré du défaut de motivation des décisions contestées, soulevé tardivement, est irrecevable ; en tout état de cause, ces décisions sont suffisamment motivées ;
- la requérante ne rapporte pas la preuve de l'existence de ses quatre enfants ; de plus, elle a sciemment dissimulé leur existence dans sa demande de naturalisation ; aussi, le motif de rejet fondé sur les fausses déclarations de l'intéressée sera au besoin substitué par la Cour au motif initial tiré du comportement fiscal critiquable de l'intéressée ;
- subsidiairement, sa demande peut encore être rejetée au motif que deux de ses enfants mineurs résident à l'étranger ;
Vu le mémoire, enregistré le 30 janvier 2014, présenté pour Mme B..., qui conclut aux mêmes fins que sa requête, par les mêmes moyens qu'elle développe ;
Vu le mémoire, enregistré le 25 février 2014, présenté par le ministre de l'intérieur, qui persiste dans ses conclusions ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le décret n° 2009-1671 du 28 décembre 2009 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 11 mars 2014 :
- le rapport de M. François, premier conseiller ;
- et les conclusions de M. Pouget, rapporteur public ;
1. Considérant que Mme B..., ressortissante haïtienne, interjette appel du jugement du 19 juillet 2013 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 7 juin 2010 par laquelle le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire a rejeté sa demande de naturalisation, ainsi que de la décision du 27 septembre 2011 rejetant son recours gracieux ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le tribunal a omis de répondre au moyen qui n'était pas inopérant, invoqué par la requérante dans son mémoire enregistré le 16 mai 2013 au greffe du tribunal administratif, tiré de l'insuffisante motivation des décisions contestées ; que, par suite, ce jugement doit être annulé ;
3. Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions tendant à l'annulation des décisions des 7 juin 2010 et 27 septembre 2011 présentées par Mme B... devant le tribunal administratif de Nantes ;
Sur les conclusions à fin d'annulation des décisions contestées :
4. Considérant qu'aux termes de l'article 21-15 du code civil : " (...)l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger " ; qu'en vertu de l'article 2 du décret n° 2009-1671 du 28 décembre 2009, si le préfet, ou le ministre saisi d'un recours hiérarchique " estime, même si la demande est recevable, qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration sollicitée, il prononce le rejet de la demande. Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions. Ce délai une fois expiré ou ces conditions réalisées, il appartient à l'intéressé, s'il le souhaite, de déposer une nouvelle demande " ; qu'en vertu de ces dispositions, il appartient au ministre chargé des naturalisations de porter une appréciation sur l'intérêt d'accorder la naturalisation ou la réintégration dans la nationalité française à l'étranger qui la sollicite ; que, dans le cadre de cet examen d'opportunité, il peut légalement prendre en compte les renseignements défavorables recueillis sur le comportement du postulant ;
5. Considérant, en premier lieu, que Mme B... n'avait présenté que des moyens de légalité interne contre la décision contestée dans son mémoire introductif enregistré le 14 novembre 2011 au greffe du tribunal administratif ; que le moyen tiré de l'insuffisante motivation des décisions contestées, fondé sur une cause juridique distincte, n'a été soulevé que dans un mémoire enregistré le 16 mai 2013, après l'expiration du délai de recours contre les décisions contestées ; que dès lors ce moyen a été présenté tardivement et n'était par suite, pas recevable ;
6. Considérant, en second lieu, qu'il ressort des pièces du dossier que la demande de naturalisation de Mme B... a été rejetée au motif que son comportement au regard de ses obligations fiscales était sujet à critiques, " l'intéressée ayant déclaré au fisc quatre enfants à charge en 2006, 2007 et 2008 alors qu'elle n'avait pas d'enfants " ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier que la postulante avait effectivement quatre enfants à sa charge ; que la décision contestée est ainsi entachée d'une erreur de fait ; que, toutefois, le ministre invoque dans son mémoire en défense devant la cour un autre motif tiré de ce que la requérante avait sciemment dissimulé l'existence de ses enfants dans sa demande de naturalisation ;
7. Considérant que l'administration peut faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision ; qu'il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif ; que, dans l'affirmative, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué, le juge peut procéder à la substitution demandée ;
8. Considérant que la substitution de motif sollicitée par le ministre a été communiquée à la requérante ; que dans le formulaire de demande de naturalisation rempli par ses soins, Mme B..., qui a déclaré sur l'honneur avoir fourni des renseignements véritables et complets, s'est abstenue de mentionner l'existence de ses quatre enfants ; que, par suite, en décidant de rejeter la demande de l'intéressée au motif qu'elle avait fait une fausse déclaration, le ministre, qui a fait usage de son large pouvoir de l'opportunité d'accorder ou non la naturalisation sollicitée, n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation ; qu'il résulte de l'instruction qu'il aurait pris la même décision s'il s'était fondé initialement sur ce dernier motif ;
9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que les décisions litigieuses sont entachées d'illégalité et doivent être annulées ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Considérant que le présent arrêt, qui rejette la requête de Mme B..., n'appelle aucune mesure d'exécution ; que, par suite, les conclusions à fin d'injonction de l'intéressée ne peuvent être accueillies ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme demandée à ce titre par Mme B... ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 19 juillet 2013 est annulé
Article 2 : La demande de Mme B... devant le tribunal administratif de Nantes et le surplus des conclusions de sa requête devant la cour sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B...et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 11 mars 2014, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- M. Sudron, président-assesseur,
- M. François, premier conseiller.
Lu en audience publique le 4 avril 2014.
Le rapporteur,
E. FRANÇOISLe président,
A. PÉREZ
Le greffier,
S. BOYÈRE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 13NT02684