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05/11/2013 | FRANCE | N°11NT01904

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 05 novembre 2013, 11NT01904


Vu le recours, enregistré le 12 juillet 2011, présenté par le ministre de la défense et des anciens combattants ; le ministre de la défense et des anciens combattants demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement nos 0801544, 0805631 du 10 mai 2011 du tribunal administratif de Rennes en tant qu'il a condamné l'Etat à verser la somme de 90 000 euros à M. A... en réparation des préjudices résultant de l'illégalité de l'instruction provisoire du ministre de la défense du 19 juin 2006 relative à l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité

à certains fonctionnaires et agents non titulaires relevant du ministère ...

Vu le recours, enregistré le 12 juillet 2011, présenté par le ministre de la défense et des anciens combattants ; le ministre de la défense et des anciens combattants demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement nos 0801544, 0805631 du 10 mai 2011 du tribunal administratif de Rennes en tant qu'il a condamné l'Etat à verser la somme de 90 000 euros à M. A... en réparation des préjudices résultant de l'illégalité de l'instruction provisoire du ministre de la défense du 19 juin 2006 relative à l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains fonctionnaires et agents non titulaires relevant du ministère de la défense ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif ;

il soutient que :

- le jugement attaqué, qui ne précise pas le mode de calcul du préjudice, n'est pas suffisamment motivé ;

- l'intéressé ne démontrant pas que le bénéfice de l'instruction du 19 juin 2006 a constitué le motif déterminant de son départ anticipé puis de son admission à la retraite pour carrières longues, le lien de causalité entre la faute que l'administration a commise en prenant une circulaire illégale et le préjudice dont la réparation est demandée n'est pas établi ;

- en ne vérifiant pas l'exactitude des informations qui lui ont été fournies et en ne demandant pas une nouvelle estimation de ses droits à la retraite tenant compte des règles édictées par l'instruction du 19 juin 2006 avant de demander son admission à la retraite, M. A... a commis une faute de nature à exonérer l'Etat d'une partie de sa responsabilité ;

- le préjudice subi n'a pas été correctement évalué ; il doit être calculé en prenant en compte la différence entre la pension que l'intéressé aurait perçue en qualité d'IDEF au 8ème échelon en 2012 pour l'indice net 783 d'un montant mensuel brut de 2 719 euros et celle effectivement accordée par l'arrêté du 3 décembre 2007 d'un montant mensuel brut de 2 400,89 euros ;

- l'attribution de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA) n'a pas d'incidence sur l'avancement de son bénéficiaire et sur ses droits à pension ; l'intéressé n'ayant pas déclaré l'existence d'une pathologie liée à l'amiante, le préjudice ne peut pas être évalué sur la base d'une espérance de vie de quinze années, qui est celle appliquée aux travailleurs exposés à l'amiante ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu les mémoires en défense, enregistrés les 22 août et 23 novembre 2011, présentés pour M. A..., par Me D...'hadour, avocat au barreau de Lorient, qui conclut :

1°) à titre principal, au non-lieu à statuer ;

2°) à titre subsidiaire, au rejet de la requête ;

3°) à la condamnation de l'Etat au paiement d'une amende pour recours abusif :

4°) à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

il soutient que :

- l'administration lui ayant versé la somme de 91 765,58 euros en exécution du jugement dont elle fait appel, la requête est dépourvue d'objet ;

- le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, n'est pas irrégulier ;

- il a été induit en erreur par l'instruction du 19 juin 2006 ; l'administration a commis une faute en édictant une instruction illégale, qui est en lien direct avec le préjudice invoqué ; c'est au moment où il a eu connaissance de l'instruction, qui lui permettait de bénéficier d'une pension de retraite d'un montant sensiblement équivalent à celle qu'il aurait perçue en partant à la retraite comme il l'avait initialement prévu à 62 ans et demi, qu'il a décidé de faire valoir ses droits à la retraite de manière anticipée ; sa demande, présentée le 29 mai 2007, précisait expressément qu'elle était fondée sur l'instruction du 19 juin 2006, laquelle ne sera abrogée que le 6 août 2008 ; le service des pensions des armées l'a encouragé dans sa démarche ;

- il n'a commis aucune faute de nature à exonérer l'Etat de sa responsabilité ; le ministre de la défense a publié, le 12 octobre 2006, une note relative à l'application de l'instruction ; le service des pensions des armées a évalué les droits à pension de plusieurs agents sur son fondement et a délivré des informations relatives à son application ; en sa qualité d'ingénieur affecté à la fabrication navale, il n'était pas en mesure d'en apprécier la légalité ; sa demande de départ à la retraite a été admise après avis de la direction des ressources humaines de la délégation générale de l'armement ; le service des pensions des armées a un devoir d'information comparable à celui des organismes sociaux à l'égard de leurs assurés ;

- les premiers juges ont procédé à une juste évaluation de son préjudice ; le calcul de l'administration ne tient pas compte du coefficient de majoration de pension prévu par l'article L. 14 du code des pensions civiles et militaires de retraite qui aurait été comptabilisé à partir de 2009 s'il était resté en activité jusqu'en 2012 ; la différence s'établit ainsi à 7 487,88 euros par an ; le montant de son préjudice global pourrait également être majoré en prenant en compte le manque à gagner en terme de pension de réversion, équivalente à 50 % du montant de sa pension de retraite ; le barème mis en oeuvre par les premiers juges ne tient pas compte de l'éventualité d'une exposition à l'amiante ; le bénéfice de la cessation anticipée d'activité prévue par le décret du 7 avril 2006 n'est pas subordonné à la déclaration d'une pathologie résultant d'une telle exposition ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 7 mai 2012, présenté par le ministre de la défense et des anciens combattants, qui conclut aux mêmes fins que sa requête ;

il ajoute que :

- son recours n'est pas privé d'objet ;

- l'appel n'ayant pas d'effet suspensif, l'Etat s'est borné à exécuter le jugement attaqué ;

- le paiement de la somme accordée en première instance ne vaut pas reconnaissance de responsabilité ;

Vu le mémoire, enregistré le 11 juillet 2012, présenté pour M. A..., qui maintient ses conclusions en défense ;

il ajoute que l'Etat a implicitement reconnu le bien-fondé du jugement attaqué en ne demandant pas à la cour de prononcer un sursis à exécution sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

Vu le décret n° 2006-418 du 7 avril 2006 ;

Vu l'instruction provisoire du ministère de la défense n° 301826 DEF/SGA/DFP/PER du 19 juin 2006 relative à l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains fonctionnaires et agents non titulaires relevant du ministère de la défense ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 11 octobre 2013 :

- le rapport de Mme Aubert, président-assesseur ;

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public ;

- et les observations de Me C...pour M.A... ;

1. Considérant que M. A..., ingénieur divisionnaire d'études et de fabrications du ministère de la défense, a bénéficié, par décision du 27 avril 2007 prise en application du décret n° 2006-418 du 7 avril 2006, d'une mesure de cessation anticipée d'activité à compter du 1er novembre 2006 au titre de fonctions exercées au contact de l'amiante, puis a été admis, à sa demande, à faire valoir ses droits à la retraite à compter du 1er décembre 2007 par un arrêté du ministre de la défense du 29 octobre 2007 ; que par une décision du 23 janvier 2008, le ministre de la défense a rejeté sa demande de révision de sa pension, fondée sur les dispositions de l'instruction provisoire du 19 juin 2006 prise pour l'application du décret du 7 avril 2006 ; que le 31 juillet 2008, M. A... a présenté une demande tendant à l'indemnisation du préjudice résultant du défaut d'application de cette instruction ; que le ministre de la défense et des anciens combattants relève appel du jugement du tribunal administratif de Rennes du 10 mai 2011 en tant qu'il a condamné l'Etat à verser à M. A... la somme de 90 000 euros en réparation de ce préjudice ;

Sur l'exception de non-lieu :

2. Considérant que le versement par l'administration de la somme de 91 796,58 euros, en exécution du jugement attaqué du 10 mai 2011, ne vaut pas reconnaissance de responsabilité ; qu'ainsi, l'appel formé à l'encontre de ce jugement par le ministre de la défense et des anciens combattants n'est pas dépourvu d'objet, alors même qu'il n'est pas assorti d'une demande de sursis à exécution ; que l'exception de non-lieu à statuer opposée par M. A... doit, dès lors et en tout état de cause, être rejetée ;

Sur la responsabilité de l'Etat :

3. Considérant que le montant de la pension de retraite attribuée à M. A... par l'arrêté du 29 octobre 2007 résulte de la stricte application des dispositions des articles L. 13 et L. 15 du code des pensions civiles et militaires de retraite, excluant la prise en compte des indemnités de toute nature, contrairement à ce que prévoyaient les points 7.2.2 et 2.2.2 de l'instruction provisoire du 19 juin 2006 du ministère de la défense ; que l'illégalité dont est entachée cette instruction ministérielle, laquelle ne pouvait déroger aux dispositions législatives du code des pensions civiles et militaires de retraite, est de nature à engager la responsabilité de l'Etat en raison des préjudices directs et certains qui en résulteraient pour l'intéressé ;

4. Considérant que M. A... fait valoir que son choix de bénéficier d'une mesure de cessation anticipée d'activité puis de son admission anticipée à la retraite résulte des modalités de calcul des droits à pension prévus par la circulaire précitée du 19 juin 2006 ; que, toutefois, il résulte de l'instruction que, le 26 juin 2006, il a demandé au service des pensions des armées l'estimation du montant de sa pension de retraite sur la base d'un départ à l'âge de 58 ans et non pas à l'âge de 62 ans et demi ainsi qu'il le soutient ; qu'ayant ensuite sollicité, le 29 juin 2006, le bénéfice de l'allocation spécifique de cessation anticipée d'activité, il a confirmé, le 26 septembre 2006, sa volonté de bénéficier de cette mesure sans faire procéder à une nouvelle estimation du montant de sa pension de retraite en dépit du courrier du service des pensions des armées du 18 septembre 2006 procédant à une telle estimation sans mettre en oeuvre les modalités de calcul prévues par l'instruction du 19 juin 2006 ; qu'en se bornant à produire la copie de messages électroniques dans lesquels les services du ministère de la défense ont indiqué à certains de ses collègues que leur pension serait calculée selon les modalités prévues par cette instruction, et dont il n'a eu connaissance qu'en août 2006, postérieurement à sa propre demande, le requérant n'établit pas que ce mode de calcul a constitué le motif déterminant de sa décision de solliciter le bénéfice d'une mesure de cessation anticipée d'activité puis de son admission anticipée à la retraite ; que, dans ces conditions, les dispositions illégales de l'instruction du 19 juin 2006, alors même qu'elles contiennent une interprétation erronée du décret du 7 avril 2006, ne constituent pas la cause directe du préjudice dont il demande l'indemnisation ; que le ministre de la défense et des anciens combattants est dès lors fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur la circonstance que l'illégalité fautive de l'instruction provisoire du 19 juin 2006 était la cause déterminante de la demande d'admission à la retraite présentée par M. A... pour condamner l'Etat à verser à celui-ci la somme de 90 000 euros ;

5. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A... devant le tribunal administratif de Rennes ;

6. Considérant que la décision du requérant de demander le bénéfice d'une mesure de cessation anticipée d'activité puis de son admission anticipée à la retraite ne trouvant pas sa cause directe dans les dispositions illégales de l'instruction du 19 juin 2006, la circonstance que cette décision a également eu pour effet de le priver d'une retraite d'un montant plus élevé que celle qu'il aurait perçue s'il avait fait valoir ses droits à la retraite à compter du 1er avril 2012 seulement n'est pas de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

7. Considérant qu'en refusant, comme il y était tenu, d'appliquer les dispositions illégales de l'instruction du 19 juin 2006, le ministre de la défense n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence et ne saurait être regardé comme ayant commis une faute ;

8. Considérant que la perte d'espérance de vie résultant de l'exposition du requérant aux poussières d'amiante, qui résulte de la réalisation d'un risque professionnel invocable en tant que tel sur le terrain de la responsabilité sans faute, ne lui confère aucun droit à un mode de calcul de sa pension de retraite plus favorable que celui prévu par la loi ; que, dans le cadre du présent recours, relatif à la détermination du montant d'une pension de retraite, l'existence d'une rupture d'égalité devant les charges publiques ne peut davantage être utilement invoquée ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué et sur la recevabilité de la demande de première instance, que le ministre de la défense et des anciens combattants est fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Rennes a condamné l'Etat à verser la somme de 90 000 euros à M. A... en réparation du préjudice résultant de l'illégalité de l'instruction du 19 juin 2006 ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article R. 741-12 du code de justice administrative :

10. Considérant qu'aux termes de l'article R. 741-12 du code de justice administrative : " Le juge peut infliger à l'auteur d'une requête qu'il estime abusive une amende dont le montant ne peut excéder 3 000 euros " ; qu'il résulte de tout ce qui précède que le recours du ministre de la défense et des anciens combattants ne présente pas le caractère abusif allégué ; qu'au surplus, la faculté prévue par cette disposition constituant un pouvoir propre du juge, les conclusions de M. A... tendant à ce que la cour en fasse application à l'encontre de l'Etat sont irrecevables et ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à M. A... de la somme qu'il demande sur ce fondement ;

DÉCIDE :

Article 1er : Les articles 1er et 3 du jugement du tribunal administratif de Rennes du 10 mai 2011 sont annulés.

Article 2 : La demande n° 0805631 présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Rennes est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de M. A... tendant à l'application de l'article R. 741-12 du code de justice administrative et de l'article L. 761-1 du même code sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la défense et des anciens combattants et à M. B... A....

Délibéré après l'audience du 11 octobre 2013 où siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- Mme Aubert, président-assesseur,

- M.E..., faisant fonction de premier conseiller.

Lu en audience publique, le 5 novembre 2013.

Le rapporteur,

S. AUBERT Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

N. CORRAZE

La République mande et ordonne au ministre de la défense et des anciens combattants en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 11NT01904


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 11NT01904
Date de la décision : 05/11/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Sylvie AUBERT
Rapporteur public ?: M. GAUTHIER
Avocat(s) : LE MARC'HADOUR

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2013-11-05;11nt01904 ?
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