La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/10/2013 | FRANCE | N°10NT02457

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 1ère chambre, 24 octobre 2013, 10NT02457


Vu la requête, enregistrée le 26 novembre 2010, présentée pour la société Fromagerie Perrault, dont le siège social est situé 6 rue de Bellitourne à Azé, Château-Gontier (53200), par Me Tournès, avocat au barreau des Hauts-de-Seine ; la société Fromagerie Perrault demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement nos 0401560 et 0700019 en date du 23 septembre 2010 par lequel le tribunal administratif de Nantes n'a fait droit que partiellement à ses demandes tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une indemnité fixée d'abord à la somme de 138 757,19 euros pu

is à la somme de 183 284 euros, en réparation des préjudices qu'elle a subis...

Vu la requête, enregistrée le 26 novembre 2010, présentée pour la société Fromagerie Perrault, dont le siège social est situé 6 rue de Bellitourne à Azé, Château-Gontier (53200), par Me Tournès, avocat au barreau des Hauts-de-Seine ; la société Fromagerie Perrault demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement nos 0401560 et 0700019 en date du 23 septembre 2010 par lequel le tribunal administratif de Nantes n'a fait droit que partiellement à ses demandes tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser une indemnité fixée d'abord à la somme de 138 757,19 euros puis à la somme de 183 284 euros, en réparation des préjudices qu'elle a subis en raison des modalités de suppression de la règle dite " du décalage d'un mois " et de l'insuffisance du taux d'intérêt qui lui a été alloué au titre des années 1993 à 2002, en lui opposant la prescription quadriennale pour ce qui concerne ses conclusions relatives aux années 1993 à 1999 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 183 284 euros assortie des intérêts moratoires capitalisés ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

elle soutient que :

- sur la prescription quadriennale opposée par l'administration en ce qui concerne les années 1993 à 1999 :

- elle a été accueillie à tort par les premier juges, dans la mesure où elle ne disposait d'aucun droit acquis ni à acquérir, au sens des dispositions de la loi du 31 décembre 1968, sur le terrain de la responsabilité tant au regard du droit national qu'au regard du droit communautaire ; elle ne pouvait pas avoir connaissance de sa créance ;

- la notion de droit acquis au sens de la loi du 31 décembre 1968 telle qu'interprétée par les premiers juges est contraire aux stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales combinées à l'article 14 de cette convention ; en juger autrement reviendrait à méconnaître le droit au recours effectif reconnu par les stipulations de l'article 13 de la même convention ;

- le délai de prescription n'a pas pu commencer à courir en l'espèce avant les décisions du Conseil d'Etat du 31 juillet 2009 ; elle ne pouvait pas connaître jusque là l'existence de sa créance, faute de droit acquis ;

- la prescription a été valablement interrompue par l'introduction le 22 avril 2009 d'un recours en excès de pouvoir par une autre société portant sur la rémunération d'un crédit de TVA la concernant ; en effet, tout recours formé devant une juridiction relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance interrompt le cours du délai quel qu'en soit l'auteur ;

- la prescription quadriennale est contraire au principe de l'égalité des armes entre l'administration et le contribuable et à l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, eu égard à la différence des régimes de prescription entre le contribuable et l'Etat et à la rupture qui en résulte du juste équilibre entre la protection de la propriété et les exigences de l'intérêt général ;

- sur le taux d'indemnisation de la créance, c'est à tort que le tribunal a limité le droit à indemnisation à la moitié du taux applicable aux obligations assimilables du Trésor ; la rémunération de la créance issue du mécanisme de suppression de la règle du décalage d'un mois doit être identique à celle offerte aux autres créanciers de l'Etat détenteurs d'OAT (Obligations Assimilables du Trésor) dès lors que le mécanisme a consisté en un emprunt forcé ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 4 avril 2011, présenté par le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, qui conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la société Fromagerie Perrault le versement au profit de l'Etat de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

il soutient que :

- la prescription quadriennale était bien opposable ; le départ du délai correspondant n'est pas conditionné par l'intervention d'une décision juridictionnelle condamnant l'Etat ; ni le principe du droit au recours effectif de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni le respect des biens de l'article 1er du premier protocole additionnel n'ont été méconnus ; la prescription quadriennale n'a pas été interrompue par l'introduction d'un recours par un tiers, recours qui regardait une créance distincte ; la prescription quadriennale n'est pas contraire au principe d'égalité des armes ;

- sur le quantum du préjudice, la fixation par le Conseil d'Etat d'une indemnisation

calculée d'après un taux équivalant à la moitié du taux applicable aux OAT se justifie par l'intérêt général attaché à la limitation de l'impact budgétaire de la mesure ;

Vu le mémoire en réplique, enregistré le 18 août 2011, présenté pour la société Fromagerie Perrault, qui conclut aux mêmes fins que dans sa requête par les mêmes moyens ;

elle soutient en outre que la prescription quadriennale est contraire à l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en instaurant une différence de traitement entre la personne publique et les personnes de droit privé ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 29 août 2011, présenté par le ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat qui maintient ses conclusions initiales par les mêmes moyens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;

Vu la sixième directive 77/388/CEE du Conseil des Communautés européennes du 17 mai 1977 en matière d'harmonisation des législations des Etats membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code civil ;

Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

Vu la loi n° 93-859 du 22 juin 1993 ;

Vu la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;

Vu le décret n° 2002-179 du 13 février 2002 ;

Vu l'arrêté du 15 avril 1994 fixant les modalités de paiement des intérêts des créances résultant de la suppression du décalage d'un mois en matière de taxe sur la valeur ajoutée ;

Vu les arrêtés du 17 août 1995 et du 15 mars 1996 fixant les taux d'intérêt applicables à compter du 1er janvier 1994 et du 1er janvier 1995 aux créances résultant de la suppression du décalage d'un mois en matière de taxe sur la valeur ajoutée ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 octobre 2013 :

- le rapport de M. Francfort, président-assesseur,

- et les conclusions de Mlle Wunderlich, rapporteur public ;

1. Considérant que, par les dispositions de l'article 2 de la loi du 22 juin 1993 portant loi de finances rectificative pour 1993, le législateur a mis fin à la règle dite du " décalage d'un mois " selon laquelle les assujettis ne pouvaient déduire immédiatement de la taxe sur la valeur ajoutée dont ils étaient redevables la taxe payée sur les biens ne constituant pas des immobilisations et sur les services, la déduction ne pouvant être opérée que le mois suivant ; qu'afin d'étaler sur plusieurs années l'incidence budgétaire de ce changement de règle, qui entraînait l'imputabilité sur la taxe due par les assujettis au titre du premier mois de sa prise d'effet, soit le mois de juillet 1993, de la taxe ayant grevé des biens et services acquis au cours de deux mois, soit les mois de juin et juillet 1993, les dispositions du II du même article 2 de la loi du 22 juin 1993, insérant dans le code général des impôts un article 271 A, ont prévu que, sous réserve d'exceptions et d'aménagements divers, les redevables devaient soustraire du montant de la taxe déductible ainsi déterminé celui d'une " déduction de référence (...) égale à la moyenne mensuelle des droits à déduction afférents aux biens ne constituant pas des immobilisations et aux services qui ont pris naissance au cours du mois de juillet 1993 et des onze mois qui précèdent ", que les droits à déduction de la sorte non exercés ouvriraient aux redevables " une créance (...) sur le Trésor (...) convertie en titres inscrits en compte d'un égal montant ", que des décrets en Conseil d'Etat détermineraient, notamment, les modalités de remboursement de ces titres, ce remboursement devant intervenir " à hauteur de 10 % au minimum pour l'année 1994 et pour les années suivantes de 5 % par an au minimum (...) et dans un délai maximal de vingt ans ", et, enfin, que les créances porteraient intérêt " à un taux fixé par arrêté du ministre du budget sans que ce taux puisse excéder 4,5 % " ; que le décret du 14 septembre 1993 a prévu le remboursement dès 1993 de la totalité des créances qui n'excédaient pas 150 000 F et d'une fraction au moins égale à cette somme et au plus égale à 25 % du montant des créances qui l'excédaient, le taux d'intérêt applicable en 1993 étant fixé à 4,5 % par un arrêté du 15 avril 1994 ; que le décret du 6 avril 1994 a prévu le remboursement du solde des créances à concurrence de 10 % de leur montant initial en 1994 et de 5 % chaque année suivante, le taux d'intérêt étant fixé à 1 % pour 1994, puis à 0,1 % pour les années suivantes, par les arrêtés du 17 août 1995 et du 15 mars 1996 ; qu'enfin, le décret du 13 février 2002 a prévu le remboursement anticipé immédiat des créances non encore soldées et celui des créances non encore portées en compte dès leur inscription ;

2. Considérant que par une première réclamation adressée le 12 janvier 2004 par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, la société Fromagerie Perrault a demandé le paiement d'une indemnité de 138 757,19 euros, outre les intérêts moratoires, en réparation du préjudice financier qu'elle estime avoir subi en raison des conditions de remboursement de la créance qu'elle détenait sur le Trésor du fait de la suppression, prévue à l'article 271 A du code général des impôts, de la règle dite du "décalage d'un mois" en matière de déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, plus particulièrement du fait de l'insuffisance des intérêts afférents à cette créance au titre des années 1993 à 2002 ; que l'indemnité ainsi demandée était calculée par différence entre les intérêts de retard auxquels elle estimait avoir droit sur cette créance au titre desdites années, tels que définis à l'article 1727 du code général des impôts, et les intérêts qui lui avaient été versés dans le cadre du dispositif particulier de remboursement de cette créance tel que défini par l'article 2 de la loi du 22 juin 1993 portant loi de finances rectificative pour l'année 1993 et ses décrets et arrêtés d'application ; que, par une seconde réclamation reçue le 14 août 2006, la société Fromagerie Perrault a porté sa demande, en réparation du même préjudice, à la somme de 183 284 euros, incluant notamment une indemnité devant réparer la " mauvaise foi " de l'administration ; que ces réclamations étant demeurées sans réponse, la société Fromagerie Perrault fait appel du jugement en date du 23 septembre 2010 par lequel le tribunal administratif de Nantes a, d'une part, rejeté ses demandes comme prescrites en tant qu'elles portaient sur les années 1993 à 1999, et d'autre part, limité les indemnités relatives aux années 2000 à 2002 à la différence, pour chacune desdites années, entre la rémunération de ses créances et la rémunération des mêmes créances sur la base de la moitié du taux applicable aux obligations assimilables du Trésor ;

Sur les conclusions à fin d'indemnisation :

En ce qui concerne la prescription quadriennale opposée au titre des années 1993 à 1999 :

S'agissant de la compatibilité de la loi du 31 décembre 1968 avec les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention :

3. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) " ; que selon l'article 2 de cette loi : " La prescription est interrompue par : / Tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance. (...) " ; que l'article 3 de cette loi dispose que : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, (...) ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement. " ; qu'aux termes de l'article 7 : " L'administration doit, pour pouvoir se prévaloir, à propos d'une créance litigieuse, de la prescription prévue par la présente loi, l'invoquer avant que la juridiction saisie du litige au premier degré se soit prononcée sur le fond. (...) " ; que ces dispositions ont été édictées dans un but d'intérêt général, en vue notamment de garantir la sécurité juridique des collectivités publiques en fixant un terme aux actions dirigées contre elles ;

4. Considérant que la société requérante fait valoir que la prescription quadriennale que le ministre lui oppose est discriminatoire au sens des stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et qu'elle méconnaît le principe de l'égalité des armes entre l'administration et le contribuable au sens du 1 de l'article 6 du même texte, dont les stipulations doivent être combinées avec celles de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention relatif au droit au respect des biens ;

5. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " La jouissance des droits et libertés reconnus par la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. " et qu'aux termes de l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour règlementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. " ; que si ces stipulations, combinées avec les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention, peuvent être utilement invoquées pour soutenir que la loi fiscale serait à l'origine de discriminations injustifiées entre contribuables, elles sont en revanche sans portée dans les rapports institués entre la puissance publique et un contribuable à l'occasion de l'établissement et du recouvrement de l'impôt ; qu'il suit de là que la société Fromagerie Perrault ne peut utilement soutenir que la prescription quadriennale qui a été opposée à la créance dont elle demandait le remboursement serait discriminatoire, dès lors que cette créance est née à raison de l'exercice par l'Etat de ses compétences fiscales ;

6. Considérant, en second lieu, qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux premiers juges que les indemnités demandées par la société Fromagerie Perrault ont pour origine le caractère insuffisant de la rémunération, fixée par arrêtés du ministre du budget, d'une créance sur le Trésor se substituant à un remboursement d'impôt ; que de telles indemnités ont la nature d'un bien au sens des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le seul fait que les prétentions d'une société au versement de telles indemnités puissent être soumises, en vertu des dispositions précitées de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968, à un délai de prescription de quatre ans, qui ne présente pas en tant que tel un caractère exagérément court, ne porte pas une atteinte excessive au droit du demandeur au respect de ses biens et ne rompt pas le juste équilibre à ménager entre la protection de la propriété et les exigences de l'intérêt général ; que ce délai n'est par suite pas en lui-même incompatible avec ces stipulations ;

7. Considérant il est vrai, que l'Etat disposait, pour faire valoir une créance à l'égard d'un administré, de délais plus longs que ceux qui sont ouverts par la loi du 31 décembre 1968, et qui pouvaient atteindre, pour certaines créances, dans l'état du droit en vigueur jusqu'à l'intervention de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile, une durée de trente ans ; que toutefois les dispositions précitées des articles 1er, 2 et 3 de la loi du 31 décembre 1968 ont été, comme il a été dit ci-dessus, édictées dans un but d'intérêt général, en vue notamment de garantir la sécurité juridique des collectivités publiques en fixant un terme aux actions dirigées contre elles, sans préjudice des droits qu'il est loisible aux créanciers de faire valoir dans les conditions et les délais fixés par ces dispositions ; que, par suite, celles-ci ne peuvent être regardées comme portant atteinte au droit à un procès équitable, et notamment pas au principe de l'égalité des armes, énoncé par les stipulations du 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, lequel n'est pas absolu et peut se prêter à des limitations, notamment en ce qui concerne les délais dans lesquels les actions peuvent être engagées ;

S'agissant du point de départ de la prescription :

8. Considérant, en premier lieu, que la société Fromagerie Perrault a eu connaissance des taux d'intérêt appliqués au remboursement de la créance qu'elle détenait sur le Trésor public au plus tard lors de la publication des arrêtés les fixant, en date respectivement des 15 avril 1994, 17 août 1995 et 15 mars 1996, et a ainsi été mise en mesure de les contester dès leur publication ; que la circonstance qu'elle sollicite une indemnisation en se prévalant des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et qu'elle soutienne n'avoir eu connaissance de ses droits en ce domaine qu'à compter de décisions du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, du 31 juillet 2009 est sans incidence sur le point de départ du délai de prescription quadriennale, qui a commencé à courir à compter du premier jour de chacune des années suivant celles au cours desquelles étaient nés les droits au paiement de la créance correspondant à la différence entre les intérêts versés en application de ces arrêtés et les intérêts qu'elle estimait lui être dus ; qu'en effet, les " droits acquis " au sens et pour l'application de la loi du 31 décembre 1968 ne font pas référence à une décision juridictionnelle mais à la seule existence d'une créance d'un contribuable sur l'Etat ou les collectivités publiques, quelle que soit son origine et sans qu'y fassent obstacle les exigences découlant des stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, par suite, la société Fromagerie Perrault, qui a d'ailleurs formé deux réclamations préalables respectivement le 12 janvier 2004 et le 10 août 2006, ne peut sérieusement soutenir qu'elle ignorait l'existence de sa créance avant l'intervention des décisions du Conseil d'Etat du 31 juillet 2009 ;

9. Considérant, en second lieu, que dès lors que le délai de quatre ans, à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis, institué à peine de prescription par les dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1968, ne présente pas un caractère exagérément court, et n'a pas eu pour effet de priver la société de la possibilité de saisir un tribunal du litige l'opposant à l'Etat, le moyen tiré de ce que la société aurait été privée du droit à un recours effectif au sens de l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne saurait être accueilli ;

S'agissant de l'interruption alléguée de la prescription :

10. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 que les recours formés devant une juridiction, relatifs au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, ont un effet interruptif de prescription, quel que soit l'auteur du recours ; que, toutefois, la créance indemnitaire dont peuvent se prévaloir les redevables de la taxe sur la valeur ajoutée devenus créanciers du Trésor du fait de la suppression de la règle dite du " décalage d'un mois ", qui tient à l'insuffisante rémunération de leur créance, est propre à chacun d'eux ; que, par suite, la société requérante n'est pas fondée à se prévaloir de l'effet interruptif de prescription d'un recours, au demeurant infructueux, formé le 22 avril 2002 par une autre société, qui concernait une créance distincte ;

En ce qui concerne le préjudice relatif aux années 2000 à 2002 :

11. Considérant, d'une part, que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Nantes, après avoir apprécié que l'Etat avait commis une faute en fixant des taux de rémunération de la créance incompatible avec le droit au respect des biens protégé par les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, a limité l'indemnité due en conséquence à la société requérante au titre de chacune des années 2000 à 2002 à la différence entre la rémunération de sa créance et celle qui aurait résulté de l'application à ladite créance de la moitié du taux applicable aux O.A.T (obligations assimilables du Trésor) ; que la société Fromagerie Perrault n'est pas fondée à soutenir que cette indemnité aurait dû être calculée au regard de la totalité de la rémunération servie aux détenteurs d'O.A.T dès lors que le quantum de l'indemnisation retenue en première instance se justifie, compte-tenu de l'origine de la créance, laquelle n'a pas le caractère d'un emprunt forcé, par la nécessité de concilier une rémunération effective de la créance avec les contraintes d'intérêt général de limitation de l'impact budgétaire de la mesure ;

12. Considérant, d'autre part, que la société Fromagerie Perrault n'établit ni que l'Etat aurait fait preuve de mauvaise foi dans l'élaboration des modalités accompagnant la suppression de la règle du "décalage d'un mois", ni qu'en agissant ainsi, il aurait commis une faute de nature à entraîner la réparation d'un préjudice distinct de celui dont la requérante demande la réparation au principal ; que les conclusions de la requête tendant au versement d'une somme de 27 751,44 euros à titre de dommages intérêts compensatoires fondées sur les principes dont s'inspire l'article 1153 du code civil doivent par suite être rejetées ;

13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Fromagerie Perrault n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a, d'une part, rejeté ses demandes comme prescrites en tant qu'elles portaient sur les années 1993 à 1999, et d'autre part, limité l'indemnité qu'il a accordée relativement aux années 2000 à 2002 à la différence, pour chacune desdites années, entre la rémunération de ses créances et la rémunération des mêmes créances sur la base de la moitié du taux applicable aux obligations assimilables du Trésor ;

Sur les intérêts des intérêts :

14. Considérant que, par le jugement attaqué du 23 septembre 2010, confirmé par le présent arrêt, le tribunal administratif de Nantes a accordé dans l'article 2 de son jugement à la société Fromagerie Perrault les intérêts au taux légal à compter du 12 janvier 2004 sur l'indemnité calculée selon les modalités définies à l'article 1er de ce jugement ; que la société Fromagerie Perrault a demandé la capitalisation des intérêts sur cette indemnité dans sa requête enregistrée le 26 novembre 2010 ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que dès lors, il y a lieu, en application des dispositions de l'article 1154 du code civil, de faire droit à la demande de capitalisation à compter du 26 novembre 2010, date d'enregistrement de cette requête dans laquelle cette capitalisation est demandée pour la première fois, puis à chaque échéance annuelle ultérieure ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Fromagerie Perrault demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Fromagerie Perrault le versement d'une somme demandée par l'Etat sur ce même fondement ;

DÉCIDE :

Article 1er : Les intérêts au taux légal que l'Etat a été condamné à verser à la société Fromagerie Perrault par l'article 2 du jugement susvisé du tribunal administratif de Nantes du 23 septembre 2010 seront eux-mêmes capitalisés à la date du 26 novembre 2010, ainsi qu'à chaque échéance annuelle ultérieure.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Fromagerie Perrault est rejeté.

Article 3 : Les conclusions présentées par l'Etat tendant à l'application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Fromagerie Perrault et au ministre de l'économie et des finances.

Délibéré après l'audience du 3 octobre 2013, à laquelle siégeaient :

- M. Piot, président de chambre,

- M. Francfort, président-assesseur,

- M. Etienvre, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 24 octobre 2013.

Le rapporteur,

J. FRANCFORT Le président,

J-M. PIOT

Le greffier,

E. HAUBOIS

La République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

''

''

''

''

N° 10NT02457 2

1


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 10NT02457
Date de la décision : 24/10/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. PIOT
Rapporteur ?: M. Jérôme FRANCFORT
Rapporteur public ?: Mme WUNDERLICH
Avocat(s) : TOURNES

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2013-10-24;10nt02457 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award