Vu la requête, enregistrée le 8 février 2013, présentée pour M. A... C..., demeurant..., par la SELARL Eden avocats, prise en la personne de Me Madeline, avocat au barreau de Rouen ; M. C... demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1104067 en date du 6 décembre 2012 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 23 novembre 2010 par laquelle le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande de naturalisation, ainsi que de la décision du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration du 24 février 2011 rejetant son recours hiérarchique ;
2°) d'annuler lesdites décisions pour excès de pouvoir ;
3°) d'enjoindre au ministre, à titre principal, de lui accorder la nationalité française, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande de naturalisation et ce, dans les deux cas, dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé ce délai ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
Il soutient que :
- les motifs de la décision sont entachés d'erreur de fait ; le refus de lui accorder le
bénéfice de la nationalité française repose sur le fait qu'il aurait, selon une note du ministère de l'intérieur, des liens avec un cadre de l'organisation indépendantiste kurde du parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) ; il réfute cette accusation avec la plus grande énergie dès lors qu'il est arménien d'origine yézide ; ses origines et sa religion sont incompatibles avec l'idéologie défendue par le PKK ; la seule relation qu'il a pu avoir avec un membre présumé de cette organisation était une relation strictement professionnelle et de courte durée ; la note du ministère de l'intérieur ne fait état d'aucun élément précis et circonstancié ; aucun procès-verbal d'audition n'a été produit par le ministre ; si une enquête pour travail dissimulé est visée dans cette note, il n'a jamais été condamné ou poursuivi pour des faits de cette nature ;
- les décisions du préfet et du ministre sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation ; sa situation administrative, familiale et sociale aurait du conduire à ce que le bénéfice de la nationalité lui soit reconnu ; il a été reconnu réfugié par les autorités françaises le 9 décembre 2003, ce qui signifie qu'il n'a pas commis " d'actes contraires aux buts et aux principes des nations unies " ; l'administration doit user d'une certaine bienveillance dans l'instruction des demandes de naturalisation des personnes réfugiées ; il réside en France depuis plus de 10 ans ; sa femme et sa fille Narine ont toutes deux été reconnues handicapées et perçoivent l'allocation pour adulte handicapé ; il doit prendre en charge sa fille malade et son épouse pour tous les actes de la vie quotidienne, de sorte que sa situation familiale a constitué un frein à son insertion professionnelle ; avant que l'état de santé de sa fille et de son épouse ne s'aggrave, il était employé comme maçon dans le bâtiment et percevait plus de 2 000 euros par mois ; depuis plusieurs mois, il est à la recherche d'un emploi adapté à sa situation familiale ; les premiers juges ont considéré à tort qu'il n'apportait pas la preuve de son impossibilité de travailler en raison de sa situation personnelle ; en tout état de cause, si sa situation professionnelle présentait une difficulté, cet élément pouvait justifier une décision d'ajournement, mais non une décision de rejet ;
- il remplit les conditions de recevabilité pour demander la naturalisation ; il est parfaitement intégré à la société française, de même que sa famille ; sa fille Narine s'est vu accorder la nationalité française par décret à sa première demande ; la circulaire DPM n° 2000-254 du 12 mai 2000 précise que la politique de naturalisation doit tendre à préserver l'unité des familles en évitant autant que possible que les membres d'une même famille possèdent des nationalités différentes ; son comportement a toujours été irréprochable en France, pays dont il partage la culture et les valeurs ; le centre de ses intérêts familiaux, privés et sociaux se situe de toute évidence en France ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 5 avril 2013, présenté par le ministre de l'intérieur, qui conclut au rejet de la requête ;
Il soutient que :
- les conclusions présentées contre la décision du préfet sont irrecevables, puisque sa décision intervenue en conséquence d'un recours administratif préalable obligatoire s'est substituée à la décision initiale ;
- s'agissant du premier motif de l'acte contesté, les moyens du requérant devront être écartés ; la décision n'est pas entachée d'erreur de fait ; les premiers juges ont admis, sur le fondement de la note précise et circonstanciée du 26 octobre 2010 que les liens entre l'intéressé et son ancien employeur, devenu cadre national du PKK, étaient établis ; M. C... ne s'explique pas sur les versements bancaires qu'il a reçus de cet ancien employeur, ni ne démontre que ces versements correspondraient à des salaires ; il a pu dans ces conditions se fonder sur les faits rapportés dans la note du 26 octobre 2010, qui a été débattue dans le cadre d'une instruction contradictoire, et dont la valeur probante est suffisante, alors même que le compte-rendu de l'entretien entre l'intéressé et les services du ministère de l'intérieur ne serait pas versé aux débats ; les faits reprochés au requérant ne permettent pas de s'assurer de son loyalisme entier à l'égard de l'Etat dont il a demandé l'allégeance ;
- s'agissant du second motif, l'appelant convient qu'il n'est pas dans l'impossibilité totale de travailler et qu'à la date de la décision contestée, il était sans emploi et sans revenus propres ; soutenir que cette situation aurait dû justifier une mesure d'ajournement, plutôt qu'une décision de rejet revient à demander au juge administratif de contrôler la proportionnalité de la décision en cause, alors que cette décision, prise en opportunité, est soumise au contrôle restreint de l'erreur manifeste d'appréciation ;
Vu la décision du 21 février 2013 par laquelle le bureau d'aide juridictionnel près le tribunal de grande instance de Nantes a accordé à M. C... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 relatif aux déclarations de nationalité, aux décisions de naturalisation, de réintégration, de perte, de déchéance et de retrait de la nationalité française ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 juillet 2013 :
- le rapport de M. Millet, président-assesseur ;
- les conclusions de Mme Grenier, rapporteur public ;
- et les observations de MeB..., substituant Me Madeline, avocat de M. C... ;
1. Considérant que M. A... C..., ressortissant arménien, interjette appel du jugement en date du 6 décembre 2012 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 23 novembre 2010 par laquelle le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande de naturalisation, ainsi que de la décision du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration du 24 février 2011 rejetant son recours hiérarchique ;
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du préfet de Seine-Maritime du 23 novembre 2010 :
2. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 45 du décret du 30 décembre 1993 susvisé que les décisions par lesquelles le ministre statue sur les recours préalables obligatoires se substituent à celles des autorités préfectorales qui lui sont déférées ; que, par suite, la décision du 24 février 2011, par laquelle le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration a rejeté la demande du requérant s'est substituée à la décision préfectorale ; que, dès lors, les conclusions de M. C... tendant à l'annulation de cette dernière décision doivent être rejetées comme irrecevables ;
Sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration du 24 février 2011 :
3. Considérant qu'aux termes de l'article 21-15 du code civil : " L'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger " ; qu'aux termes de l'article 48 du décret susvisé du 30 décembre 1993 : " Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration sollicitée, il prononce le rejet de la demande ; il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions ; ce délai une fois expiré ou ces conditions réalisées, il appartient au postulant, s'il le juge opportun, de formuler une nouvelle demande " ; qu'il appartient ainsi au ministre de porter une appréciation sur l'intérêt d'accorder la naturalisation à l'étranger qui la sollicite ; que, dans le cadre de cet examen d'opportunité, il peut légalement prendre en compte les renseignements défavorables recueillis sur le comportement du postulant, ainsi que son degré d'insertion professionnelle et d'autonomie matérielle ;
4. Considérant que, pour rejeter la demande d'acquisition de la nationalité française présentée par M. C..., le ministre chargé des naturalisations s'est fondé sur les motifs tirés, d'une part, de ce que ce dernier a entretenu des relations avec un cadre de l'organisation indépendantiste kurde du parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), organisation reconnue comme terroriste par la position commune du Conseil de l'Union Européenne 2001/931/PESC dont la dernière mise à jour date du 26 janvier 2009 et, d'autre part, de ce qu'il ne dispose pas, compte tenu de la précarité de sa situation de demandeur d'emploi, de ressources stables et suffisantes afin de subvenir durablement à ses besoins ;
5. Considérant, en premier lieu, que si M. C..., soutient qu'il ne saurait appartenir à l'organisation indépendantiste kurde du parti des travailleurs du Kurdistan à raison de ses croyances yézides, il ressort, toutefois, des pièces du dossier, notamment de la note du 26 octobre 2010 de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur, laquelle est suffisamment précise et circonstanciée, que ce dernier a reconnu avoir été employé du 28 avril 2005 au 1er juillet 2005 par une entreprise du bâtiment dont le gérant, ancien combattant de ce parti reconnu comme appartenant aux mouvances terroristes, en est devenu un des cadres nationaux ; que si l'intéressé a minimisé ses relations avec cette personne au cours de l'entretien qu'il a eu avec les services du ministère de l'intérieur, une enquête du groupement d'intervention régional (GIR) de Haute-Normandie, menée en novembre 2008, dans le cadre d'une procédure judiciaire visant du travail dissimulé, a mis en évidence que le compte bancaire de M. C... faisait apparaître des versements émanant de plusieurs entreprises du bâtiment ayant eu également pour gérant son ancien employeur ; que la nature et la provenance de ces mouvements de fonds n'ont pas été explicitées par M. C... ; qu'il existe ainsi un doute sur le loyalisme de l'intéressé envers l'Etat, qui lui a accordé le statut de réfugié et dont il a demandé l'allégeance ;
6. Considérant, en deuxième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier, et n'est pas contesté par M. C..., qu'à la date de la décision litigieuse, il était sans emploi et que ses revenus étaient principalement composés de prestations sociales ; que, si le requérant soutient qu'il a cessé de travailler dans le secteur du bâtiment à partir de 2009 pour chercher un emploi lui permettant de concilier sa vie professionnelle et familiale, compte tenu notamment, de l'aggravation de l'état de santé de son épouse et de sa fille Narine, il ne justifie pas, néanmoins, avoir été, à la date de la décision du ministre, dans l'impossibilité de travailler en raison de ces circonstances ;
7. Considérant que, dans ces conditions, le ministre a pu, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, rejeter la demande de M. C... pour les deux motifs susmentionnés, en dépit des circonstances que ce dernier vit en France depuis 2002, est parfaitement intégré et que sa fille Narine a obtenu la nationalité française à sa première demande ; qu'enfin, M. C... ne saurait se prévaloir de la circulaire DPM n° 2000-254 du 12 mai 2000, laquelle est dépourvue de caractère réglementaire ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. Considérant que le présent arrêt, qui rejette les conclusions de la requête à fin d'annulation, n'implique aucune mesure d'exécution ; que, dès lors, les conclusions à fin d'injonction, sous astreinte, présentées par M. C... ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
10. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement au conseil de M. C... de la somme demandée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C...et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 5 juillet 2013, à laquelle siégeaient :
- M. Iselin, président de chambre,
- M. Millet, président-assesseur,
- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller.
Lu en audience publique le 26 juillet 2013.
Le rapporteur,
J-F. MILLET
Le président,
B. ISELIN
Le greffier,
F. PERSEHAYE
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N° 13NT00434