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26/07/2013 | FRANCE | N°11NT00628

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 26 juillet 2013, 11NT00628


Vu l'arrêt du 3 février 2012 par lequel la cour a, avant dire droit sur la requête de la société Fromagère de Charchigné, enregistrée le 23 février 2011, tendant à obtenir la réformation du jugement du 24 décembre 2010 par lequel le tribunal administratif de Nantes a limité à la somme de 12 766 euros assortie des intérêts au taux légal l'indemnité au versement de laquelle il a condamné l'Etat en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait du blocage de véhicules de collecte de lait par des producteurs laitiers en mai 2009, et ordonné une expertise en vue de détermine

r le préjudice commercial réellement subi par la société requérante ;

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Vu l'arrêt du 3 février 2012 par lequel la cour a, avant dire droit sur la requête de la société Fromagère de Charchigné, enregistrée le 23 février 2011, tendant à obtenir la réformation du jugement du 24 décembre 2010 par lequel le tribunal administratif de Nantes a limité à la somme de 12 766 euros assortie des intérêts au taux légal l'indemnité au versement de laquelle il a condamné l'Etat en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait du blocage de véhicules de collecte de lait par des producteurs laitiers en mai 2009, et ordonné une expertise en vue de déterminer le préjudice commercial réellement subi par la société requérante ;

Vu le rapport déposé par l'expert, enregistré le 18 février 2013 ;

Vu l'ordonnance, en date du 13 mars 2013 par laquelle le président de la cour a liquidé et taxé les frais et honoraires de l'expert à la somme de 3 223,02 euros ;

Vu le mémoire, enregistré le 20 mars 2013, présenté pour la société Fromagère de Charchigné, par Me Buisson-Fizellier, avocat au barreau de Paris ;

Elle conclut :

- à titre principal, à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme complémentaire qu'elle porte à 471 627,14 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 octobre 2009 et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait du blocage de véhicules de collecte de lait par des producteurs laitiers en mai 2009 ;

- à titre subsidiaire, à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme complémentaire de 390 755,14 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 octobre 2009 et de la capitalisation de ces intérêts, dans l'hypothèse où la cour s'en remettrait intégralement aux conclusions de l'expert ;

- à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code pénal ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 juillet 2013 :

- le rapport de Mme Allio-Rousseau, premier conseiller ;

- les conclusions de Mme Grenier, rapporteur public ;

- et les observations de Me C... substituant Me Buisson-Fizellier, avocat de la société Fromagère de Charchigné ;

1. Considérant que la société Fromagère de Charchigné, qui exerce une activité de fabrication de fromages à pâtes pressées, a demandé la condamnation de l'Etat à indemniser le préjudice qu'elle a subi du fait de l'interruption de son activité de fabrication de fromages à la suite du blocage de quatorze véhicules de collecte de lait du groupe Lactalis à Saint-Aignan-de-Couptrain des 21 au 25 mai 2009 ; qu'elle a évalué ce préjudice à la somme de 389 954,58 euros ; qu'elle a relevé appel du jugement du 24 décembre 2010 par lequel le tribunal administratif de Nantes a limité le montant de son indemnisation à la somme de 12 766 euros ; qu'après avoir retenu le principe de la responsabilité de l'État du fait d'un attroupement ou d'un rassemblement précisément identifié au sens des dispositions de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales, la cour a ordonné avant dire droit une expertise en vue de déterminer le préjudice d'exploitation réellement subi des 21 au 25 mai 2009 par la société requérante ;

Sur la nature et le montant des préjudices indemnisables :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens... " ; qu'il en résulte que l'Etat est responsable des dégâts et dommages de toute nature qui sont la conséquence directe et certaine des crimes et délits visés par ces dispositions ; que la responsabilité de l'Etat peut ainsi être engagée, sur le fondement de ces dispositions, non seulement à raison de dommages corporels ou matériels, mais aussi, le cas échéant, lorsque les dommages invoqués ont le caractère d'un préjudice commercial consistant notamment en un accroissement de dépenses d'exploitation ou en une perte de recettes d'exploitation ;

3. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que la société Fromagère de Charchigné n'a pas payé les matières premières contenues dans les camions bloqués du 21 au 25 mai 2009, puisque celles-ci n'ont pas été livrées ; que, dans ces conditions, elle ne peut prétendre à l'indemnisation de sa perte nette de recettes d'exploitation pour la même période, alors même que la société n'a fourni aucune pièce de nature à démontrer que ses clients lui ont adressé des réclamations ou des plaintes en raison du retard de fabrication ; que si la société Fromagère de Charchigné fait valoir qu'elle n'a pas été en mesure de couvrir ses coûts de production en raison de la période de blocage qu'elle a connue, ces frais ne sauraient constituer un accroissement des dépenses d'exploitation pouvant être indemnisé sur le fondement des dispositions de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales ;

4. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction que la quantité brute d'emmental non produite par la société Fromagère de Charchigné en raison du blocage des véhicules de collecte de lait s'élève à 804,5 tonnes pour la période indemnisable ; que, compte tenu des conditions strictement encadrées de la production et des contraintes liées aux commandes clients, qui sur la même période, s'élevaient à 807 tonnes, il n'y a pas lieu de déduire de cette quantité les 140 tonnes correspondant au déficit de production des quatre premiers mois de l'année 2009, mais d'appliquer le taux de 99,3 % correspondant à l'aléa de production moyen de l'année 2009 ; qu'ainsi, la quantité réelle d'emmental non produite s'établit à 798,86 tonnes ; qu'il est constant que la production de la société est répartie entre deux grandes catégories de recettes d'emmental E1 et E2, respectivement à hauteur de 65 % et 35 % du tonnage total et dont le taux de marge est de 0,1358 €/kg et de 0,1201 €/kg ; que, dans ces conditions, il sera fait une juste appréciation du préjudice relatif à la perte de taux de marge à hauteur de la seule somme demandée par la société Fromagère de Charchigné, soit 89 307 euros ;

5. Considérant, en troisième lieu, que l'emmenthal E1 est l'une des marques phares de la société et représente sa plus grande quantité vendue ; que si les prévisions commerciales de vente d'emmenthal sont définies entre huit et dix semaines avant l'expédition des produits, le conditionnement est arrêté une semaine avant, l'ajustement se réalisant au moyen d'un stock permettant de gérer cette variation ; que la société Fromagère de Charchigné a l'obligation de respecter un taux de service contractuel vis à vis de ses clients, sauf à s'exposer à de lourdes pénalités voire, auprès des distributeurs, à un déférencement ; que, dans ces conditions, pour garantir ses obligations contractuelles au cours du mois de juin 2009, après utilisation des stocks existants, la mise en production supplémentaire de meules de première qualité E1 était nécessaire pour éviter des ruptures d'approvisionnement auprès de ses clients à la place de meules de qualité supérieure, qui n'ont pu être produites du 21 au 25 mai 2009 ; qu'il est fait une juste appréciation du différentiel de prix de revient correspondant à la production supplémentaire de 667,22 tonnes de produits E1 au cours du mois de juin 2009 à hauteur de 66 855 euros ;

6. Considérant, en quatrième lieu, qu'il résulte des pièces du dossier que, comme l'ont constaté les premiers juges, faute d'avoir pu exercer son activité normalement pendant six jours, la société Fromagère de Charchigné a dû revendre à bas prix des matières premières déclassées ; qu'elle produit l'intégralité des pièces justificatives mentionnant le volume de matières premières stockées dans l'usine ainsi que des factures indiquant qu'elle a vendu une partie de ces volumes pour un prix inférieur à leur prix d'achat postérieurement au 25 mai 2009 ; que, par suite, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, à ce titre, la somme de 13 224 euros ;

7. Considérant, enfin, que la société Fromagère de Charchigné justifie des frais

d'avocat engagés entre le 22 mai et le 9 juin 2009, pour un montant HT de 769,14 euros ; qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le montant de cette indemnisation ;

Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :

8. Considérant, d'une part, que la société Fromagère de Charchigné a droit, à compter du 28 octobre 2009, date de réception de sa réclamation préalable par le préfet de la Mayenne, aux intérêts au taux légal de la somme que l'Etat est condamné à lui verser ;

9. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 1154 du code civil : " Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts, ou par une demande judiciaire, ou par une convention spéciale, pourvu que, soit dans la demande, soit dans la convention, il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière " ; que pour l'application des dispositions précitées, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond ; que cette demande prend toutefois effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée et pourvu qu'à cette date il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ; que, le cas échéant, la capitalisation s'accomplit à nouveau à l'expiration de chaque échéance annuelle ultérieure sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ; que la requérante a demandé la capitalisation des intérêts dans sa requête enregistrée le 26 février 2010 ; qu'à cette date, les intérêts n'étaient pas dus pour une année entière ; qu'il y a lieu, dès lors, de faire droit à cette demande à compter du 28 octobre 2010, ainsi qu'à chaque échéance annuelle ultérieure ;

Sur les frais d'expertise :

10. Considérant que les frais de l'expertise, qui ont été liquidés et taxés à la somme de 3 223,02 euros TTC, doivent être mis à la charge de l'Etat ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société Fromagère de Charchigné et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La somme que l'Etat a été condamné le 24 décembre 2010 par le tribunal administratif de Nantes à verser à la société Fromagère de Charchigné est portée à la somme de 170 155,14 euros. Cette somme portera intérêts à compter du 28 octobre 2009, les intérêts échus à la date du 28 octobre 2010 étant eux-mêmes capitalisés.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 24 décembre 2010 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Fromagère de Charchigné est rejeté.

Article 4 : Les frais d'expertise sont mis à la charge de l'Etat.

Article 5 : L'Etat versera à la société Fromagère de Charchigné une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Fromagère de Charchigné, au ministre de l'intérieur, au préfet de la Mayenne et à M. B...A..., expert.

Délibéré après l'audience du 5 juillet 2013, à laquelle siégeaient :

- M. Iselin, président de chambre,

- M. Millet, président-assesseur,

- Mme Allio-Rousseau, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 26 juillet 2013.

Le rapporteur,

M-P. ALLIO-ROUSSEAU Le président,

B. ISELIN

Le greffier,

F. PERSEHAYE

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N° 11NT00628


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 11NT00628
Date de la décision : 26/07/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

26-01-01-01-03 Droits civils et individuels. État des personnes. Nationalité. Acquisition de la nationalité. Naturalisation.


Composition du Tribunal
Président : M. le Prés MINDU
Rapporteur ?: Mme Christine GRENIER
Rapporteur public ?: Mme GRENIER
Avocat(s) : BUISSON-FIZELLIER

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2013-07-26;11nt00628 ?
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