Vu la requête, enregistrée le 2 août 2012, présentée pour Mme C... A..., née B..., demeurant..., par Me Nkouka Majella, avocat au barreau de Paris ; Mme A... demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1007538 en date du 24 mai 2012 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a confirmé le refus opposé, par les autorités consulaires à Brazzaville (Congo), à sa demande de visa de long séjour pour sa fille, Mlle E... A..., dans le cadre d'un rapprochement familial en qualité de membre de la famille d'un étranger ayant obtenu le statut de réfugié ;
2°) d'annuler ladite décision pour excès de pouvoir ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'ordonner la délivrance du visa sollicité ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- la décision est entachée d'un défaut de notification, dès lors qu'elle a été notifiée à une tierce personne, l'oncle de sa fille Jimmy Claude Danielle, alors qu'il ne dispose d'aucun mandat pour représenter cette enfant mineure ;
- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ; l'acte de naissance reconstitué de sa fille, clairement authentifié par les autorités administratives et judiciaires congolaises, ne pouvait, après réquisition du parquet général de la cour d'appel de Brazzaville, être regardé comme apocryphe ; l'administration ne pouvait, s'agissant des réquisitions aux fins de reconstitution d'acte de naissance, se fonder sur des circulaires à caractère infra-décrétal datant de 2008 pour prétendre évincer le principe de fonctionnement général du parquet qui place le parquet du tribunal d'instance et celui du tribunal de grande instance sous l'autorité du parquet général de la cour d'appel ; de façon transitoire, après cette date, les parquets généraux des cours d'appel du Congo ont d'ailleurs continué de prendre des réquisitions aux fins de reconstitution des actes d'état civil détruits pour faits de guerre ;
- la décision contestée est entachée d'erreur de fait quant à la négation du lien de filiation entre la mère et l'enfant ; elle avait déclaré sa descendance alors qu'elle n'était que demanderesse de l'asile politique et qu'elle ignorait le sort qui serait réservé à sa demande ;
- la décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que l'atteinte à sa vie privée et familiale est disproportionnée ; elle avait déclaré ses enfants lors de sa demande d'asile politique, dès son arrivée en France en 2004, et n'a jamais varié sur la composition de sa famille ; elle-même et son mari sont privés de l'affection de leurs deux enfants mineurs ; il y a lieu d'ordonner un supplément d'instruction ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire, enregistré le 7 décembre 2012, présenté par le ministre de l'intérieur, qui conclut au rejet de la requête ;
Il soutient que :
- la décision n'est pas entachée d'un défaut de notification, dès lors que la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est substituée à celle des autorités consulaires ;
- la décision contestée n'est entachée ni d'erreur de fait, ni d'erreur d'appréciation, car l'acte de naissance n° 9766/2004, reconstitué à la suite des réquisitions de la Cour d'Appel de Brazzaville aux fins de reconstitution, a été établi par une autorité incompétente, comme l'atteste la lettre du 17 novembre 2009 des autorités congolaises ; seul était compétent le procureur de la République du ressort du tribunal d'instance du centre d'état civil ayant transcrit l'acte détruit ; par suite, le lien de filiation de Jimmy Claude Danielle ne peut être vérifié sur la base d'un acte de naissance établi dans des conditions non reconnues par la loi congolaise ; par ailleurs, M. D... A..., son père, n'a pu présenter cette requête puisqu'il se trouvait en France en 2004 et ne semble pas avoir quitté le territoire français ;
- la décision ne méconnait pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que la filiation n'est pas établie et que Mme A... n'apporte aucun élément probant permettant de vérifier qu'elle entretiendrait des relations étroites et régulières avec sa fille, depuis son départ du Congo en 2004, tels que des transferts d'argent ou des preuves de relations téléphoniques ou épistolaires ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code civil ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 21 juin 2013 :
- le rapport de M. Millet, président-assesseur ;
- et les conclusions de Mme Grenier, rapporteur public ;
1. Considérant que Mme C... A..., ressortissante congolaise née à Brazzaville le 25 mars 1960, est entrée en France en septembre 2004 et a obtenu le statut de réfugiée le 20 décembre 2005 ; que le consul général de France à Brazzaville, par décision du 29 mars 2010, a refusé de délivrer à l'enfant qu'elle présente comme sa fille, Mlle E... A..., née le 21 mars 1994, un visa de long séjour en qualité de membre de la famille d'un étranger ayant obtenu le statut de réfugié ; que Mme A... interjette appel du jugement en date du 24 mai 2012 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours qu'elle avait formé à l'encontre de la décision consulaire ;
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) " ; qu'aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. " ; que cet article pose une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère ; qu'il incombe à l'administration de renverser cette présomption en apportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question ;
3. Considérant que, pour rejeter la demande de Mme C... A... tendant à l'obtention d'un visa de long séjour pour Mlle E... A..., en qualité de membre de la famille d'un étranger ayant obtenu le statut de réfugié, le consul général de France à Brazzaville s'est fondé sur la circonstance que l'acte de naissance présenté n'était pas recevable car, ayant été dressé le 21 décembre 2004 suivant réquisitions prononcées le 1er décembre 2004 par le parquet général près de la cour d'appel de Brazzaville, incompétent en matière de reconstitution d'un acte, 10 ans après sa naissance et quelques mois après l'obtention par Mme C... A..., du statut de réfugiée, il ne permettait pas d'établir formellement la filiation maternelle à l'égard de cette dernière ;
4. Considérant qu'il ressort, toutefois, des pièces des dossiers que Mme A... produit, au soutien de ses requête et demande, plusieurs documents, émanant notamment du procureur général près la cour d'appel de Brazzaville, qui sont de nature à établir le lien de filiation avec l'enfant Jimmy Claude Danielle A..., née le 21 mars 1994 à Brazzaville ; que si le ministre, en défense, soutient que les actes d'état civil produits par Mme A... ne sont pas authentiques au motif qu'ils ont été établis sur réquisitions aux fins de reconstitution émanant du procureur général près la cour d'appel de Brazzaville, alors qu'une circulaire de ce dernier, prise après celle du procureur général de la cour suprême du Congo, indique que seules sont valides les réquisitions émanant des présidents de tribunaux d'instance et des procureurs de la République, d'une part, les réquisitions produites initialement par Mme A... à l'appui de sa demande de visas sont antérieures à cette circulaire datée du 17 novembre 2009, d'autre part, et en tout état de cause, la circonstance que l'acte de naissance de l'enfant a été transcrit par les autorités congolaises sur réquisition du procureur général près la cour d'appel de Brazzaville ne suffit pas, à elle seule, à écarter cet acte comme dénué de valeur probante ; que si le ministre relève que la réquisition aux fins de reconstitution de l'acte de naissance de Mlle E... A...a été demandée par son père, M. D... A..., dont il est précisé qu'il résidait à Brazzaville, le 21 décembre 2004, alors qu'il résidait en France à cette date, en demande du statut de réfugié, il ressort des pièces du dossier que c'est l'oncle paternel de la fillette qui a fait la demande de réquisition pour le compte de M. et Mme A..., sans qu'il puisse pour autant être argué de fraude ; qu'en outre, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, les autres documents produits à l'appui de la requête, à savoir une attestation de naissance de l'hôpital de Makélékélé, un extrait de baptême, une attestation de confirmation du 27 avril 2010 de l'état civil de l'arrondissement de Bacongo de transcription d'acte de naissance, ainsi que la notice de demande d'asile remplie par Mme C... A... en 2004, où sont mentionnés les nom, prénoms et date de naissance de l'enfant, sont suffisamment concordants pour permettre de regarder comme authentique l'acte de naissance de l'enfant Jimmy Claude Danielle A... et de lever ainsi les doutes sur la réalité du lien de filiation allégué ; que, par suite, en estimant que la filiation de Mlle E... A... avec Mme C... A...ne pouvait être regardée comme établie, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation ;
5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
6. Considérant qu'eu égard aux motifs du présent arrêt, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer, dans le délai de deux mois à compter de la notification dudit arrêt, le visa d'entrée et de long séjour sollicité par Mme A... au profit de sa fille mineure E...A... ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de
ces dispositions et de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme A... de la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 24 mai 2012, et la décision implicite de rejet de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France saisie par Mme A..., sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mlle E...A...un visa d'entrée et de long séjour en France, dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme A... une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A...et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 21 juin 2013, à laquelle siégeaient :
- M. Iselin, président de chambre,
- M. Millet, président assesseur,
- M. Durup de Baleine, premier conseiller.
Lu en audience publique le 12 juillet 2013.
Le rapporteur,
J-F. MILLET
Le président,
B. ISELIN
Le greffier,
F. PERSEHAYE
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N° 12NT02239