Vu la requête, enregistrée le 16 février 2012, présentée pour M. et Mme B... D... A..., demeurant..., par Me Meillon, avocat au barreau de Bordeaux, qui demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0901136 du 16 décembre 2011 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à la condamnation de la commune de Saint-Pierre-Quiberon à leur verser en réparation de l'institution d'une servitude d'urbanisme sur leur terrain la somme de 583 000 euros ;
2°) d'annuler la décision du 9 janvier 2009 par laquelle le maire de Saint-Pierre-Quiberon a rejeté leur demande indemnitaire ;
3°) de condamner la commune de Saint-Pierre-Quiberon à leur verser en réparation la somme de 583 000 euros ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Pierre-Quiberon les entiers dépens ainsi que la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Ils soutiennent que :
- l'exception de prescription quadriennale opposée par la commune est sans fondement, dès lors que c'est seulement en 2004, et non en 2001, que la servitude de plantations à réaliser affectant leur parcelle a été inscrite dans le plan local d'urbanisme de la commune sous forme d'une mention dans une carte graphique annexée ;
- la responsabilité sans faute de la commune est engagée en raison d'une rupture d'égalité devant les charges publiques, dès lors que cette servitude, qui ne frappe qu'un très faible nombre de parcelles, leur impose une charge présentant un caractère spécial et qu'ils se trouvent dans une situation qui n'est pas comparable avec celles d'autres propriétaires, dont les parcelles, pour être affectées d'une servitude d'urbanisme, ne sont, pour autant, pas empêchés de construire dans le respect de cette servitude ;
- la charge qui leur est imposée présente un caractère exorbitant et hors de proportion avec les justifications d'intérêt général dont se prévaut la commune ;
- en effet, ces justifications résident dans le souci de créer une zone verte entre la RD n° 768 et un lotissement à créer, à l'état de projet depuis 1991 mais abandonné depuis 2005 ;
- leur parcelle n'est pas enclavée et elle est desservie par les divers réseaux ; sa perte de valeur ne s'explique que par la servitude en l'espèce en cause et peut être chiffrée au moins à la somme de 583 770 euros ;
- l'objectif d'intérêt général poursuivi par la commune est inexistant ou, du moins, très réduit ; réduit à une pure abstraction, il ne saurait justifier la charge qui leur est imposée ;
- cette servitude est, en outre, superfétatoire pour atteindre l'objectif d'intérêt général dont se prévaut la commune, dès lors que la solution initialement prévue, consistant en un échange de terrains entre les consorts A...et un promoteur permettant aux premiers de retrouver un droit à construire et au second de satisfaire à l'obligation de créer suffisamment d'espaces verts, était suffisante à cet effet ;
- cette servitude n'a en réalité été instituée que pour décharger un éventuel candidat promoteur de l'obligation de réaliser lui-même l'isolation phonique et visuelle d'un futur lotissement, et ainsi le libérer d'avoir à réaliser un échange de parcelles avec les consortsA... ; elle constitue une mesure confiscatoire ;
- la commune continue d'ailleurs de délivrer des permis de construire le long de la RD n° 768, présentée sans justification comme étant très encombrée ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 29 mai 2012, présenté pour la commune de Saint-Pierre-Quiberon, par Me Lahalle, avocat au barreau de Rennes, qui conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. et Mme D... A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle fait valoir que :
- le droit à réparation dont se prévalent les requérants est prescrit en application de la loi du 31 décembre 1968, dès lors que la servitude de plantation à réaliser a été portée à leur connaissance au plus tard le 13 février 2001 ; la circonstance que le certificat d'urbanisme mentionnant cette servitude a été signé par l'adjoint au maire est sans incidence ; cette servitude était applicable au jour de la délivrance du certificat d'urbanisme ;
- en tout état de cause, la requête doit être rejetée comme non fondée ;
- la servitude en cause ne porte pas atteinte à des droits acquis et ne modifie pas l'état antérieur des lieux ;
- il n'est pas soutenu que cette servitude aurait été instituée illégalement ;
- cette servitude est justifiée par des motifs d'intérêt général et n'a jamais fait l'objet d'une contestation ou d'une demande de modification de la part des époux D...A... ;
- elle ne fait pas peser une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi ;
- cette charge n'est pas spéciale, alors même qu'elle ne pèse que sur un nombre restreint de propriétaires ; elle touche toutes les parcelles non bâties situées le long de la RD n° 768, sans qu'ait une incidence la circonstance que la commune elle-même soit propriétaire de certaines de ces parcelles ;
- la servitude en cause ne porte aucune atteinte illégale au principe d'égalité des citoyens devant les charges publiques ;
- la charge en résultant n'est pas exorbitante, dès lors que cette servitude fait partie d'un projet global d'aménagement d'une zone pour le moment vierge de toute implantation ; en effet, empêchant que les parcelles destinées à être construites ne jouxtent la RD n° 768, elle préserve le futur aménagement du bruit engendré par la circulation et de l'inesthétisme de la proximité d'une voie supportant un trafic important ; elle tend également au respect de la loi " littoral " du 3 janvier 1986 ; elle permet un projet essentiel au développement de la commune ;
- l'opération d'aménagement de la zone NAa de Kerbougnec n'a pas été abandonnée et reste toujours d'actualité ;
- le préjudice dont font état les requérants ne présente pas, en tout état de cause, un caractère exorbitant ; la marge de recul dont est affecté le terrain est antérieure à son acquisition par les requérants et les évaluations du service des domaines valorisant le terrain des parcelles avoisinantes entre 10 et 15 euros au m² ne sont pas inexactes ; en outre, la parcelle ne peut être regardée comme équipée ;
- à titre infiniment subsidiaire, le préjudice dont il est demandé réparation n'est pas justifié ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l'urbanisme ;
Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 7 juin 2013 :
- le rapport de M. Durup de Baleine, premier conseiller ;
- les conclusions de Mme Grenier, rapporteur public ;
- et les observations de MeC..., substituant Me Lahalle, avocat de la commune de Saint-Pierre-Quiberon ;
Après avoir pris connaissance de la note en délibéré, enregistrée le 7 juin 2013, présentée par M. et Mme B... D...A... ;
Sur les conclusions indemnitaires :
1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 160-5 du code de l'urbanisme : " N'ouvrent droit à aucune indemnité les servitudes instituées par application du présent code en matière de voirie, d'hygiène et d'esthétique ou pour d'autres objets et concernant, notamment, l'utilisation du sol, la hauteur des constructions, la proportion des surfaces bâties et non bâties dans chaque propriété, l'interdiction de construire dans certaines zones et en bordure de certaines voies, la répartition des immeubles entre diverses zones. / Toutefois, une indemnité est due s'il résulte de ces servitudes une atteinte à des droits acquis ou une modification à l'état antérieur des lieux déterminant un dommage direct, matériel et certain ; cette indemnité, à défaut d'accord amiable, est fixée par le tribunal administratif, qui doit tenir compte de la plus-value donnée aux immeubles par la réalisation du plan d'occupation des sols rendu public ou du plan local d'urbanisme approuvé ou du document qui en tient lieu " ; que cet article, qui fixe un principe de non indemnisation des servitudes d'urbanisme, sauf en cas d'atteinte à des droits acquis ou de modification à l'état antérieur des lieux déterminant un dommage direct, matériel et certain, ne fait pas obstacle à ce que le propriétaire dont le bien est frappé d'une servitude prétende à une indemnisation dans le cas exceptionnel où il résulte de l'ensemble des conditions et circonstances dans lesquelles la servitude a été instituée et mise en oeuvre, ainsi que de son contenu, que ce propriétaire supporte une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi ;
2. Considérant qu'en 1985, M. et Mme D... A...ont acheté à Saint-Pierre-Quiberon (Morbihan) un terrain non bâti cadastré section AO n° 227 d'une superficie de 1 342 m² ; que, dans le plan d'occupation des sols de cette commune, telle que la révision en a été approuvée le 22 mai 1995, ce terrain est classé en zone NAa de Kerbourgnec, destinée à l'habitat et aux activités compatibles avec l'habitat ; que, longé par la route départementale n° 768, il est grevé d'une marge de recul de 10 mètres par rapport à cette voie publique ainsi que classé par ce règlement d'urbanisme, depuis cette révision approuvée en 1995 et non une modification intervenue en 2004, en espace de " plantations à réaliser ou à conserver " ; que les requérants et la commune exposent que, du fait de ce dernier classement, la parcelle est inconstructible ; que, depuis la même année, ce caractère leur a été opposé par plusieurs certificats d'urbanisme ; que M. et Mme D...A..., qui ne remettent pas en cause la légalité de ce classement, demandent, sur le fondement de la responsabilité sans faute de la commune de Saint-Pierre-de-Quiberon, l'indemnisation du préjudice qu'ils soutiennent subir en raison de l'inconstructibilité de leur terrain ;
3. Considérant, toutefois, qu'il résulte de l'instruction que le classement comme " plantations à réaliser ou à conserver " de la parcelle des requérants qui, non bâtie, est en nature de friche, de prairie ou de boisement, ni n'a porté atteinte à des droits acquis ni n'a modifié l'état antérieur des lieux ; que ce classement, qui concerne notamment l'ensemble des terrains inclus dans la zone NAa de Kerbourgnec et limitrophes de la route départementale n° 768, vise à créer, entre cette voie publique qui supporte un trafic très important et les constructions d'habitation à édifier à Kerbourgnec, une zone boisée permettant d'isoler phoniquement et visuellement ces constructions de cette route ; que, contrairement à ce que soutiennent M. et Mme D... A..., le projet d'aménagement de cette zone NAa, à urbaniser selon un schéma d'organisation portant sur la totalité de la zone et devant donner lieu à une modification du règlement local d'urbanisme, n'a pas été abandonné par la commune de Saint-Pierre-Quiberon ; que ce projet est prévu au moins depuis la révision du plan d'occupation des sols approuvée le 22 mai 1995 et demeure l'un des objectifs du plan local d'urbanisme actuellement en cours d'élaboration, l'aménagement d'une partie de cette zone ayant, au demeurant, été effectivement réalisé avec un premier lotissement communal comprenant 21 maisons d'habitation ; qu'eu égard tant à l'objectif d'intérêt général ainsi poursuivi par le classement notamment de cette parcelle comme " plantations à réaliser ou à conserver " qu'aux conditions et circonstances dans lesquelles ce classement a été institué et maintenu, la perte de valeur vénale de ce terrain, antérieurement classé en zone UBa1 du plan d'occupation des sols mais néanmoins déjà grevé d'une marge de recul de 10 mètres par rapport à la route départementale n° 768, ne peut être regardée comme faisant peser sur les requérants une charge spéciale et exorbitante hors de proportion avec les justifications d'intérêt général sur lesquelles repose ce document d'urbanisme ; que M. et Mme D... A...ne sont, dès lors, pas fondés à soutenir que ce classement engagerait à leur égard la responsabilité de la commune de Saint-Pierre-Quiberon sur le fondement des dispositions de l'article L. 160-5 du code de l'urbanisme ou du principe d'égalité devant les charges publiques ;
4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'exception de prescription quadriennale opposée par la commune de Saint-Pierre-Quiberon, M. et Mme D... A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande ;
Sur les dépens :
5. Considérant que, pour l'application des dispositions de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, les circonstances particulières de l'affaire ne justifient pas que les dépens de l'instance, d'un montant de 35 euros, soient mis à la charge d'une autre partie que M. et Mme D... A...ou partagés entre ces derniers et la commune de Saint-Pierre-Quiberon ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Saint-Pierre-Quiberon, qui n'est pas dans la présente instance, la somme que demandent M. et Mme D... A...à ce titre ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à leur charge la somme que cette commune demande au même titre ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme D... A...est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Saint-Pierre-Quiberon au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B... D... A... et à la commune de Saint-Pierre-Quiberon.
Délibéré après l'audience du 7 juin 2013, à laquelle siégeaient :
- M. Iselin, président de chambre,
- M. Millet, président-assesseur,
- M. Durup de Baleine, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 28 juin 2013.
Le rapporteur,
A. DURUP de BALEINELe président,
B. ISELIN
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'égalité des territoires et du logement en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 12NT00443 2
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