Vu la requête, enregistrée le 6 mars 2012, présentée pour la société Kéolis Caen, dont le siège est 15, rue de Géole à Caen (14000), représentée par son représentant légal, par Me Le Mière, avocat au barreau de Paris ; la société Kéolis Caen demande à la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 11-2459 du 15 février 2012 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Caen l'a condamnée à verser à la société concessionnaire du transport sur voie réservée de l'agglomération caennaise (STVR) une provision d'un montant de 71 967,61 euros au titre de la créance que celle-ci détient à son encontre en application de la convention tripartite de fonctionnement de la ligne de transport sur voie réservée de l'agglomération caennaise ;
2°) de rejeter la demande de la STVR, à titre principal, comme présentée devant une juridiction incompétente pour en connaître et, à titre subsidiaire, en l'absence d'obligation non sérieusement contestable ;
3°) à titre encore plus subsidiaire, de subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie bancaire ;
4°) de mettre à la charge de la STVR la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- la convention tripartite de fonctionnement de la ligne de transport sur voie réservée de l'agglomération caennaise signée entre elle et la STVR, bien que comportant la signature du syndicat mixte des transports en commun de l'agglomération caennaise, est un contrat de droit privé ; dès lors, la juridiction administrative est incompétente pour connaître du litige ;
- l'ordonnance du 15 février 2012 du juge des référés du tribunal administratif de Caen est entachée de contradiction dans les motifs ;
- la STVR n'était pas recevable à saisir le juge des référés sans avoir au préalable mis en oeuvre la procédure de conciliation prévue par la convention tripartite ;
- sa créance sur la STVR est fondée non sur les stipulations de la concession de travaux publics mais sur celles de la convention tripartite ;
- dès lors qu'elle pouvait déduire, par compensation, les frais de maintenance qu'elle a payés des sommes dues à la STVR, la créance dont se prévaut cette société est sérieusement contestable ;
Vu l'ordonnance attaquée ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 13 avril 2012, présenté pour la société concessionnaire du transport sur voie réservée de l'agglomération caennaise (STVR), dont le siège est 214, rue Léon Foucault à Hérouville-Saint-Clair (14200), représentée par son directeur général en exercice, par Me Barraquand, avocat au barreau de Paris ; la STVR conclut au rejet de la requête, à la réformation de l'ordonnance attaquée en tant qu'elle a rejeté ses conclusions tendant au paiement des intérêts moratoires, à la condamnation de la société Kéolis Caen à lui verser ces intérêts au taux EONIA majoré de 1,5 % ainsi que leur capitalisation, à ce qu'il soit enjoint à la société Kéolis Caen de lui verser la somme de 71 967,61euros, assortie desdits intérêts et de leur capitalisation, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, et à ce que soit mise à la charge de cette société la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- la juridiction administrative est compétente ;
- l'ordonnance du 15 février 2012 du juge des référés du tribunal administratif de Caen n'est pas entachée de contradiction dans les motifs ;
- la convention tripartite de fonctionnement de la ligne de transport sur voie réservée de l'agglomération caennaise ne prévoit aucune procédure de conciliation préalable obligatoire ; sa demande de première instance était recevable ;
- les prestations facturées par la société Kéolis Caen ne relevaient pas de sa responsabilité et ne permettaient pas à cette société de réduire, par compensation, les sommes que cette dernière doit lui reverser chaque mois et qui correspondent à 10 % des recettes perçues auprès des usagers en application de la convention tripartite ;
- sa créance au titre des recettes des mois d'août et septembre 2011 n'est pas sérieusement contestable ;
- la prétendue créance de la société Kéolis Caen n'est ni certaine ni liquide ni exigible ;
- les supputations sur sa solvabilité sont dépourvues de fondement ; la demande de constitution de garantie doit être rejetée ;
- le juge des référés saisi en application de l'article R. 541-1 du code de justice administrative dispose du pouvoir d'assortir d'intérêts moratoires le paiement d'une provision ;
Vu le mémoire, enregistré le 7 mai 2012, présenté pour la société Kéolis Caen qui conclut aux mêmes fins que sa requête, par les mêmes moyens ;
Vu le mémoire, enregistré le 29 juin 2012, présenté pour la STVR qui conclut aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens ;
Vu le mémoire, enregistré le 13 août 2012, présenté pour la société Keolis Caen, tendant aux mêmes fins que ses précédentes écritures, par les mêmes moyens ;
Vu le mémoire, enregistré le 12 novembre 2012, présenté pour la STVR qui conclut aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens ;
Elle soutient en outre que la société Kéolis Caen lui a adressé en cours d'instance deux avoirs correspondant à deux des factures en cause, dont cette société avait déduit le montant à titre de compensation ;
Vu le mémoire, enregistré le 29 janvier 2013, présenté pour la société Kéolis Caen qui conclut aux mêmes fins que précédemment et à ce que soit mise à la charge de la STVR la somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, par les mêmes moyens ;
Elle soutient en outre que les avoirs émis résultent d'un compromis entre elle et la société Bombardier, constructeur des rames du tramway sur roue, et qu'elle ne reconnaît nullement être tenue au paiement des réparations effectuées ;
Vu le mémoire, enregistré le 8 mars 2013, présenté pour la société Kéolis Caen qui conclut aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens ;
Vu le mémoire, enregistré le 24 mai 2013, présenté pour la STVR qui conclut aux mêmes fins que précédemment, par les mêmes moyens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code civil ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 31 mai 2013 :
- le rapport de M. Gauthier, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Martin, rapporteur public ;
- les observations de Me Le Mière, avocat de la société Kéolis Caen ;
- et les observations de Me Terraux, avocat de la société concessionnaire du transport sur voie réservée de l'agglomération caennaise ;
1. Considérant que dans le cadre du service de transport sur voie réservée (TVR) consistant en un tramway sur pneumatiques, le syndicat mixte des transports en commun de l'agglomération caennaise (SMTCAC) a conclu, d'une part, un contrat de concession de travaux publics avec la société concessionnaire du transport sur voie réservée de l'agglomération caennaise (STVR) et, d'autre part, un contrat de concession de service public avec la société générale de transport et d'industrie, aux droits de laquelle vient la société Kéolis Caen ; qu'une convention tripartite de fonctionnement du transport sur voie réservée de l'agglomération caennaise a été conclue le 21 avril 2000 entre ces deux sociétés et le SMTCAC, afin de définir et de coordonner les missions et responsabilités respectives des deux concessionnaires sous le contrôle de l'autorité concédante ; qu'à la suite de dysfonctionnements et de pannes affectant la ligne TVR la société Kéolis Caen a adressé à la STVR cinq factures de réparation pour un montant total de 71 967,61 euros, estimant cette société responsable des surcoûts ainsi générés ; qu'en l'absence de paiement de ces factures, la société Kéolis Caen a procédé à une compensation entre cette somme et le montant de la fraction des recettes perçues auprès des usagers qu'elle était tenue de reverser à la STVR au titre des mois d'août et septembre 2011 ; que la société Kéolis Caen interjette appel de l'ordonnance du 15 février 2012 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Caen l'a condamnée à verser à la STVR une provision d'un montant de 71 967,61 euros au titre de la créance dont celle-ci dispose à son encontre ; que par la voie de l'appel incident, la STVR demande à la cour de condamner la société Kéolis Caen à lui verser les intérêts moratoires au taux EONIA majoré de 1,5 % ainsi que leur capitalisation ;
Sur la compétence de la juridiction administrative :
2. Considérant que le litige oppose deux sociétés concessionnaires des équipements et du service publics de transport urbain dont les relations sont régies par une convention tripartite qui a notamment pour finalité, selon ses termes, de " rendre opposable à chaque concessionnaire les obligations le concernant et figurant dans l'autre contrat de concession ", sous le contrôle de l'autorité concédante, le SMTCAC, personne morale de droit public ; que cette convention constitue " une annexe du contrat de concession de travaux publics et du contrat de concession de service public (...) " et " est interprétée à la lumière [de ces] contrats de concession (...) des principes du droit des concessions et des règles générales applicables aux contrats administratifs " ; qu'en outre, le contrat de concession de travaux publics emporte occupation du domaine public par le concessionnaire ; que, par suite, un tel litige ressortit à la compétence de la juridiction administrative ;
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
3. Considérant que la société Kéolis Caen soutient que la STVR n'était pas recevable à saisir le juge des référés sans avoir au préalable mis en oeuvre la procédure de conciliation prévue par les stipulations de l'article VIII.2 de la convention tripartite précitée ; que, toutefois, cet article stipule seulement que " les deux concessionnaires s'efforceront de régler leurs différends à l'amiable, par toute procédure à leur convenance (...) Elles pourront faire appel à l'instance de conciliation prévue à l'article VIII.3 du contrat de [concession de travaux publics] et du contrat de [concession de service public] (...) " ; qu'ainsi, la convention ne prévoit pas de procédure de conciliation qui constituerait un préalable obligatoire avant la saisine du juge ; que, par suite, le moyen tiré de l'irrecevabilité de la demande de première instance de la STVR doit être écarté ;
Sur le bien fondé de la demande de provision :
4. Considérant qu'aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie " ; qu'il résulte implicitement mais nécessairement de ces dispositions que le juge des référés dispose du pouvoir d'apprécier si l'éventualité d'une compensation entre créances réciproques est de nature à rendre sérieuse ou non la contestation de l'obligation invoquée par la partie qui demande la provision ;
5. Considérant qu'il résulte des stipulations de l'article V.2.2 de la convention tripartite précitée que la société Kéolis Caen est tenue de reverser chaque mois à la STVR une somme correspondant à 10 % des recettes perçues auprès des usagers des services de transport de l'agglomération caennaise ; qu'il est constant que, pour les mois d'août et septembre 2011, la STVR n'a pas reçu la totalité des sommes qui lui étaient dues à ce titre, dès lors que la société Kéolis Caen avait procédé à une compensation entre les recettes qu'elle avait perçues pour le compte de la STVR et cinq factures portant sur des prestations de maintenance du système de transport sur voie réservée pour les montants de 34 641,65 euros en août et 37 325,96 euros en septembre, soit un total de 71 967,61 euros ; que la société requérante, pour justifier la créance dont elle se prévaut à l'égard de la STVR, soutient que les travaux de réparation auxquels elle a procédé incombaient à cette dernière en raison de pannes, défaillances et usures anormales répétitives des véhicules sur une période significative et sur plus de 20 % du parc entraînant " une baisse substantielle de la qualité du service " au sens du chapitre E.3 du titre II de l'annexe 2 du contrat de concession de travaux publics liant l'autorité concédante à la STVR ; que, toutefois, la société Kéolis Caen n'est pas fondée à se prévaloir directement des stipulations de ce contrat, auquel elle n'est pas partie, alors même que la convention tripartite de fonctionnement renvoie à celui-ci ; qu'en outre, en l'état du dossier elle n'établit précisément ni que les factures litigieuses porteraient sur des opérations de maintenance relevant de la responsabilité de la STVR, ni que la baisse de la qualité de service du système de transport résulterait d'une défaillance de cette société ; que, par suite, la créance invoquée par la société Kéolis Caen à titre de compensation ne peut être regardée ni dans son principe ni dans son montant comme certaine, liquide et exigible et ne saurait par conséquent être imputée sur les sommes dont elle était contractuellement tenue de s'acquitter ; qu'il suit de là qu'en l'état de l'instruction, l'existence de l'obligation dont se prévaut la STVR n'apparaît pas sérieusement contestable ;
6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Kéolis Caen n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, qui n'est pas entachée de contradiction de motifs, le juge des référés du tribunal administratif de Caen l'a condamnée à verser à la STVR une provision d'un montant de 71 967,61 euros ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de subordonner la provision litigieuse à la constitution d'une garantie ;
Sur les conclusions incidentes de la STVR :
7. Considérant que par la voie de l'appel incident, la STVR demande à la cour de réformer l'ordonnance attaquée en tant qu'elle a rejeté le chef de sa demande tendant à ce que la somme de 71 967,61 euros, allouée à titre de provision, soit assortie des intérêts moratoires au taux EONIA majoré de 1,5 % à compter de la date de leur exigibilité et à ce que ces intérêts soient capitalisés ;
8. Considérant qu'aux termes de l'article 7 de l'avenant n° 1 à la convention tripartite de fonctionnement du transport sur voie réservée de l'agglomération caennaise : " En cas de retard de versement des sommes dues par un concessionnaire à l'autre, des intérêts moratoires, au taux EONIA majoré de 1,5 %, seront applicables de plein droit. " ; que l'article V.2.2 de cette convention stipulant que le reversement de la somme représentant 10 % des recettes perçues sur les usagers doit intervenir " au plus tard le 20 de chaque mois ", la STVR a ainsi droit au versement des intérêts au taux EONIA majoré de 1,5 %, d'une part à compter du 20 septembre 2011 sur la somme de 34 641,65 euros due par la société Keolis au titre des recettes perçues sur les usagers en août 2011, d'autre part à compter du 20 octobre 2011 sur la somme de 37 325,96 euros due de même au titre des recettes de septembre 2011 ; qu'à la date du présent arrêt, il est dû plus d'une année d'intérêts ; que, dès lors, en application de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à la demande de capitalisation de la STVR à compter, respectivement, du 20 septembre 2012 et du 20 octobre 2012 ;
Sur les conclusions à fin d'injonction présentées par la STVR :
9. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société Kéolis Caen a procédé le 24 avril 2013 au versement à la STVR de la somme de 71 967,61 euros ; que, dès lors, les conclusions à fin d'injonction présentées par la STVR sont sans objet ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mis à la charge de la STVR, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à la société Kéolis Caen de la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Kéolis Caen le versement à la STVR de la somme de 1 500 euros, en remboursement des frais de même nature que celle-ci a supportés ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Kéolis Caen est rejetée.
Article 2 : La somme de 71 967,61 euros que la société Kéolis Caen a été condamnée par le juge des référés du tribunal administratif de Caen à verser à la STVR, à titre de provision, est assortie des intérêts au taux EONIA majoré de 1,5 % à compter, d'une part, du 20 septembre 2011 sur la somme de 34 641,65 euros, d'autre part du 20 octobre 2011 sur la somme de 37 325,96 euros. Ces intérêts seront capitalisés, respectivement, à compter du 20 septembre 2012 et du 20 octobre 2012.
Article 3 : L'ordonnance n° 11-2459 du 15 février 2012 du juge des référés du tribunal administratif de Caen est réformée en ce qu'elle a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : La société Kéolis Caen versera à la STVR la somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Kéolis Caen et à la société concessionnaire du transport sur voie réservée de l'agglomération caennaise (STVR).
Délibéré après l'audience du 31 mai 2013, où siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M.B..., faisant fonction de premier conseiller,
- M. Gauthier, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 21 juin 2013.
Le rapporteur,
E. GAUTHIER
Le président,
L. LAINÉLe greffier,
M. A...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 12NT00691