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26/04/2013 | FRANCE | N°11NT02682

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 26 avril 2013, 11NT02682


Vu la requête, enregistrée le 30 septembre 2011, présentée par le préfet du Calvados qui demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 10-98 du 17 mai 2011 par lequel le tribunal administratif de Caen a condamné l'Etat à verser à la société Groupe LACTALIS la somme de 20 660,11 euros HT, assortie des intérêts et de leur capitalisation, en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait de manifestations de producteurs de lait ;

2°) à titre principal, de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif de Caen par la société Groupe LACTALI

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3°) à titre subsidiaire, de ramener l'indemnité accordée à la société Groupe ...

Vu la requête, enregistrée le 30 septembre 2011, présentée par le préfet du Calvados qui demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 10-98 du 17 mai 2011 par lequel le tribunal administratif de Caen a condamné l'Etat à verser à la société Groupe LACTALIS la somme de 20 660,11 euros HT, assortie des intérêts et de leur capitalisation, en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait de manifestations de producteurs de lait ;

2°) à titre principal, de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif de Caen par la société Groupe LACTALIS ;

3°) à titre subsidiaire, de ramener l'indemnité accordée à la société Groupe LACTALIS à la moitié du montant mis à la charge de l'Etat ;

....................................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 8 avril 2013 :

- le rapport de M. Gauthier, premier conseiller ;

- les conclusions de M. Martin, rapporteur public ;

- et les observations de Me Guillard, substituant Me Buisson-Fizellier, avocat de la société Groupe LACTALIS ;

1. Considérant que le préfet du Calvados interjette appel du jugement du 17 mai 2011 par lequel le tribunal administratif de Caen a condamné l'Etat à verser à la société Groupe LACTALIS la somme de 20 660,11 euros HT, assortie des intérêts et de leur capitalisation, en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait de manifestations de producteurs de lait ; que par la voie de l'appel incident la société Groupe LACTALIS conclut à la réformation du jugement attaqué en ce qu'il a limité l'indemnité mise à la charge de l'Etat et à la condamnation de celui-ci à lui verser la somme complémentaire de 2 131,53 euros HT ;

Sur la recevabilité de la requête :

2. Considérant que le jugement du 17 mai 2011 du tribunal administratif de Caen a été notifié au préfet du Calvados le 5 septembre 2011 ; que les circonstances que le préfet ait eu connaissance du jugement auparavant, qu'il ait fait le 24 mai 2011 une proposition d'indemnisation et arrêté le 16 juin 2011 le montant accordé à la société Groupe LACTALIS sont sans incidence sur le délai de recours qui n'a pu commencer à courir qu'à compter de la notification du jugement, conformément aux dispositions de l'article R. 811-2 du code de justice administrative ; que la requête, enregistrée au greffe de la cour le 30 septembre 2011, a donc été déposée dans le délai d'appel, contrairement à ce que soutient la société Groupe LACTALIS ;

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Considérant qu'il résulte de ses termes mêmes que la demande présentée devant le tribunal administratif de Caen par la société Groupe LACTALIS comportait des conclusions tendant à ce que l'Etat fût condamné à l'indemniser des frais d'avocat et d'huissier exposés ; que le jugement attaqué n'a pas statué sur ce chef de demande ; qu'ainsi cette société est fondée à soutenir qu'il est entaché d'omission à statuer et à en demander, dans cette seule mesure, l'annulation ;

4. Considérant qu'il y a lieu de statuer dans le cadre de l'évocation sur les conclusions à fin d'indemnisation des frais d'avocat et d'huissier et dans le cadre de l'effet dévolutif sur les autres conclusions de la requête ;

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

5. Considérant que le 13 octobre 2009 M. Michel Peslier, directeur général audit et affaires juridiques du groupe Lactalis, a sollicité du préfet du Calvados, pour le compte notamment de la société Groupe LACTALIS, une indemnisation des préjudices que cette dernière estimait avoir subis suite aux manifestations de producteurs laitiers des mois de mai et juin 2009 ; que par un courrier du 26 octobre 2009, le préfet a rejeté cette demande ; que la société Groupe LACTALIS, qui était régulièrement représentée par M. Peslier, a lié le contentieux par la demande du 13 octobre 2009 ;

6. Considérant que si le préfet du Calvados soutient que la demande de première instance de la société Groupe LACTALIS était tardive dès lors qu'elle a été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Caen le 20 janvier 2010 seulement alors que le rejet de sa demande préalable lui est parvenu le 27 octobre 2009, il résulte de l'instruction qu'une première requête a été déposée le 28 décembre 2009 par des sociétés du groupe Lactalis, parmi lesquelles figurait la société Groupe LACTALIS ; que c'est à la suite d'une demande de régularisation du tribunal que cette dernière a déposé le 20 janvier 2010 une requête en son nom propre ; qu'ainsi, le moyen tiré de la tardiveté de la demande de première instance doit être écarté ;

Sur les conclusions à fin d'indemnisation :

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales :

7. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens (...) " ; que l'application de ces dispositions est subordonnée à la condition que les dommages dont l'indemnisation est demandée résultent de manière directe et certaine de crimes ou de délits déterminés commis par des rassemblements ou des attroupements précisément identifiés ;

8. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction, en particulier du procès-verbal de police et du constat d'huissier produits, que dans la nuit du 14 au 15 mai 2009 trois camions contenant des produits laitiers appartenant à la société Groupe LACTALIS ont été vidés alors qu'ils étaient en stationnement à proximité du parking d'une autre société, à plusieurs kilomètres de l'usine de Lisieux, par des individus non identifiés ; qu'ainsi les conditions d'engagement de la responsabilité de l'Etat pour l'indemnisation des dommages résultant de cet incident, sur le fondement des dispositions de l'article L. 2216-3 précité, ne sont pas remplies ;

9. Considérant en revanche, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction que les 18 et 19 juin 2009, des producteurs de lait qui empêchaient l'accès à l'usine de Saint-Martin-des-Entrées ont intercepté un camion transportant des produits laitiers appartenant à la société Groupe LACTALIS puis ont déversé son contenu sur la chaussée ; que ces faits, dont il n'est pas établi qu'ils seraient le fruit d'une action préméditée, se sont produits dans le cadre de manifestations de producteurs laitiers ; que dans les circonstances de l'espèce, ces agissements, qui constituent des délits commis à force ouverte, résultent d'un attroupement ou d'un rassemblement précisément identifiés au sens des dispositions précitées de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales ; qu'ainsi, le préfet du Calvados est seulement fondé à soutenir que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, les agissements commis les 14 et 15 mai 2009 ne sont pas de nature à engager la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L. 2216-3 précité ;

10. Considérant, en dernier lieu, que le préfet soutient que l'imprudence de la société Groupe LACTALIS, qui a laissé ses camions aller au devant de barrages, et l'attitude du groupe LACTALIS, qui a mécontenté les producteurs de lait par les prix accordés et la continuation des transports de produits laitiers pendant cette période troublée, constituent des fautes de nature à atténuer la responsabilité de l'Etat ; que, toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que ces circonstances, à les supposer établies, aient exercé une influence sur le déroulement des événements et seraient de nature à exonérer même partiellement l'Etat de la responsabilité qui lui incombe en vertu des dispositions de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales ;

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat sur le fondement de la rupture d'égalité devant les charges publiques :

11. Considérant que la société Groupe LACTALIS soutient qu'elle a droit d'être également indemnisée de ses préjudices, sur le fondement de la responsabilité sans faute de l'Etat du fait de la rupture d'égalité devant les charges publiques ; que, toutefois, en se bornant à soutenir que l'Etat n'a pas mis en oeuvre des mesures tendant à prévenir et réprimer les atteintes à l'ordre public, la société ne démontre pas que les autorités investies du pouvoir de police se seraient volontairement abstenues de prévenir ou d'empêcher les dégradations qui se sont produites ; qu'ainsi, en l'absence d'un lien de causalité direct entre les dommages résultant des incidents en cause et un fait de l'administration, elle n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité de l'Etat se trouve engagée sans faute pour rupture de l'égalité devant les charges publiques ;

Sur le préjudice :

En ce qui concerne les frais d'avocat et d'huissier :

12. Considérant, d'une part, que les frais d'avocat dont la société Groupe LACTALIS demande l'indemnisation se rapportent à des litiges distincts ; que, d'autre part, les frais d'huissier se rapportent soit à des litiges distincts, soit aux événements de la nuit du 14 au 15 mai 2009 dont l'indemnisation est expressément rejetée par le présent arrêt ; que, par suite, la société Groupe LACTALIS n'est pas fondée à solliciter le remboursement de ces divers frais ;

13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet du Calvados est seulement fondé à soutenir que le jugement attaqué doit être réformé en ce qu'il a condamné l'Etat à verser à la société Groupe LACTALIS une somme supérieure à 4 272,63 euros HT, assortie des intérêts et de leur capitalisation, due au titre de la valeur des marchandises perdues lors des événements des 18 et 19 juin 2009 ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme que la société Groupe LACTALIS demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du n° 10-98 du 17 mai 2011 du tribunal administratif de Caen est annulé en tant qu'il a omis de statuer sur les conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à verser à la société Groupe LACTALIS une indemnité correspondant aux frais d'avocat et d'huissier.

Article 2 : La demande présentée devant le tribunal administratif tendant à la condamnation de l'Etat à verser à la société Groupe LACTALIS une indemnité correspondant aux frais d'avocat et d'huissier est rejetée.

Article 3 : La somme de 20 660,11 euros HT que l'Etat a été condamné à verser à la société Groupe LACTALIS par le jugement du 17 mai 2011 du tribunal administratif de Caen est ramenée à 4 272,63 euros HT.

Article 4 : Le surplus du jugement du 17 mai 2011 du tribunal administratif de Caen est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 5 : Les conclusions de la société Groupe LACTALIS tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Groupe LACTALIS et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera transmise au préfet du Calvados.

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N° 11NT02682


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 11NT02682
Date de la décision : 26/04/2013
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Eric GAUTHIER
Rapporteur public ?: M. MARTIN
Avocat(s) : BUISSON-FIZELLIER

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2013-04-26;11nt02682 ?
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