Vu la requête, enregistrée le 26 septembre 2011, présentée par le préfet du Calvados qui demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 10-96 du 17 mai 2011 par lequel le tribunal administratif de Caen a condamné l'Etat à verser à la société LNUF Bayeux la somme de 62 925,02 euros HT, assortie des intérêts et de leur capitalisation, en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait de manifestations de producteurs de lait ;
2°) à titre principal, de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif de Caen par la société LNUF Bayeux ;
3°) à titre subsidiaire, de ramener l'indemnité accordée à la société LNUF Bayeux à la moitié du montant mis à la charge de l'Etat ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 8 avril 2013 :
- le rapport de M. Gauthier, premier conseiller ;
- les conclusions de M. Martin, rapporteur public ;
- et les observations de Me Guillard, substituant Me Buisson-Fizellier, avocat de la société LNUF Bayeux ;
1. Considérant que le préfet du Calvados interjette appel du jugement du 17 mai 2011 par lequel le tribunal administratif de Caen a condamné l'Etat à verser à la société LNUF Bayeux la somme de 62 925,02 euros HT, assortie des intérêts et de leur capitalisation, en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait de manifestations de producteurs de lait ; que, par la voie de l'appel incident, la société LNUF Bayeux conclut à la réformation du jugement attaqué en ce qu'il a limité l'indemnité mise à la charge de l'Etat et à la condamnation de celui-ci à lui verser la somme complémentaire de 59 758,91 euros HT ;
Sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité de la requête :
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
2. Considérant que le 13 octobre 2009 M. Michel Peslier, directeur général audit et affaires juridiques du groupe Lactalis, a sollicité du préfet du Calvados, pour le compte notamment de la société LNUF Bayeux, une indemnisation des préjudices que cette dernière estimait avoir subis suite aux manifestations de producteurs laitiers des mois de mai et juin 2009 ; que par un courrier du 26 octobre 2009, le préfet a rejeté cette demande ; que la société LNUF Bayeux, qui était régulièrement représentée par M. Peslier en raison du mandat dont celui-ci disposait, a lié le contentieux par la demande du 13 octobre 2009 ;
3. Considérant que si le préfet du Calvados soutient que la demande de première instance de la société LNUF Bayeux était tardive dès lors qu'elle a été enregistrée au greffe du tribunal administratif de Caen le 20 janvier 2010 seulement alors que le rejet de sa demande préalable lui est parvenu le 27 octobre 2009, il résulte de l'instruction qu'une première requête a été déposée le 28 décembre 2009 par des sociétés du groupe Lactalis, parmi lesquelles figurait la société LNUF Bayeux, et que c'est à la suite d'une demande de régularisation du tribunal que la société a déposé, le 20 janvier 2010, une requête en son nom propre ; qu'ainsi, le moyen tiré de la tardiveté de la demande de première instance doit être écarté ;
Sur les conclusions à fin d'indemnisation :
4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens (...) " ; que l'application de ces dispositions est subordonnée à la condition que les dommages dont l'indemnisation est demandée résultent de manière directe et certaine de crimes ou de délits déterminés commis par des rassemblements ou des attroupements précisément identifiés ;
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction, en particulier des procès-verbaux de constats d'huissier de justice et des procès-verbaux de la gendarmerie nationale produits, qu'entre les 19 mai et 19 juin 2009, des producteurs laitiers ont bloqué à plusieurs reprises les accès à l'usine de la société LNUF Bayeux à Saint-Martin-des-Entrées (Calvados) et se sont livrés à diverses dégradations de la clôture, du portail, de l'enceinte et des marchandises de l'usine susmentionnée ; que ces faits, dont il n'est pas établi qu'ils seraient le fruit d'actions préméditées, se sont produits dans le cadre de manifestations de producteurs laitiers bloquant le site de production dont s'agit ; que dans les circonstances de l'espèce, ces agissements, qui constituent des délits commis à force ouverte, résultent d'un attroupement ou d'un rassemblement précisément identifiés au sens des dispositions précitées de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales ; qu'ainsi, le préfet du Calvados n'est pas fondé à soutenir que ces agissements ne sont pas de nature à engager la responsabilité de l'Etat sur le fondement de ces dispositions ;
6. Considérant que le préfet, qui ne conteste pas les postes de préjudice retenus par les premiers juges, soutient que l'attitude du groupe Lactalis, dont fait partie la société LNUF Bayeux, a mécontenté les producteurs de lait par les prix accordés et la continuation des transports de produits laitiers pendant cette période troublée, et constitue une faute de nature à atténuer la responsabilité de l'Etat ; que, toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que ces circonstances, à les supposer établies, aient exercé une influence sur le déroulement des événements et seraient de nature à constituer une faute de la victime exonérant, même partiellement, l'Etat de la responsabilité qui lui incombe en vertu des dispositions de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales ;
7. Considérant que la société LNUF Bayeux soutient qu'elle a droit à être indemnisée des frais de personnel engagés les 25 et 26 mai 2009 et pour le nettoyage de l'usine ; que, cependant, il n'est pas établi qu'il s'agirait de coûts supplémentaires excédant le paiement des salaires dus en tout état de cause pour l'exploitation habituelle de l'usine ; que l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre ces charges d'exploitation, déjà supportées en temps normal par la société requérante, et les faits litigieux n'est ainsi pas établie ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que le préfet du Calvados n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a condamné l'Etat à verser à la société LNUF Bayeux la somme de 62 925,02 euros HT, assortie des intérêts et de leur capitalisation et, d'autre part, que la société LNUF Bayeux n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a limité à cette somme la condamnation de l'Etat à réparer le préjudice qu'elle a subi ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme que la société LNUF Bayeux demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet du Calvados est rejetée.
Article 2 : Les conclusions incidentes de la société LNUF Bayeux sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société LNUF Bayeux et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera transmise au préfet du Calvados.
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N° 11NT02658