Vu le recours, enregistré le 9 janvier 2012, du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration ; le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1004773 du 2 novembre 2011 par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de Mme B... A..., sa décision du 12 mai 2010 ajournant à deux ans la demande de naturalisation présentée par l'intéressée ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Nantes ;
Il soutient :
- qu'il est établi que la postulante a séjourné irrégulièrement en France du 10 octobre 1999 au 9 janvier 2000 et que la gravité de ces faits justifie l'opposition à la demande de naturalisation ; que dès lors, le nouveau motif présenté devant le tribunal fondait légalement la décision d'ajournement ;
- que l'intégration réussie de Mme A... est sans effet compte-tenu du motif de la décision d'ajournement ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu la mise en demeure adressée le 11 juin 2012 à Mme A..., en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative, et l'avis de réception de cette mise en demeure ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 26 juin 2012, présenté pour Mme A..., qui conclut au rejet du recours, à ce qu'il soit enjoint à l'administration de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois sous astreinte de 200 euros par jour de retard et à ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient :
- que sa situation de séjour irrégulier ne saurait lui être opposée eu égard à sa très courte durée et à l'ancienneté des faits et que cette période d'irrégularité est imputable à l'administration en raison des délais d'enregistrement de sa période d'asile ;
- qu'aucun obstacle à la naturalisation ne saurait lui être opposé dès lors, d'une part, qu'elle résidait en France depuis près de onze ans à la date de la décision attaquée, qu'elle y a établi le centre de ses intérêts matériels et familiaux et qu'elle y est bien intégrée et, d'autre part, qu'elle est insérée professionnellement et détient un diplôme d'ingénieur en Ukraine ; qu'ainsi, aucun obstacle à la naturalisation ne saurait lui être opposé ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 27 août 2012, présenté par le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, qui conclut aux mêmes fins que son recours par les mêmes moyens ;
Vu le mémoire, enregistré le 6 septembre 2012 par lequel Mme A... indique qu'elle n'entend pas répliquer au dernier mémoire du ministre ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 18 décembre 2012 :
- le rapport de M. Pérez, président-rapporteur ;
- et les conclusions de M. Pouget, rapporteur public ;
1. Considérant que par jugement du 2 novembre 2011, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 12 mai 2010 du ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire ajournant à deux ans la demande de naturalisation de Mme A... ; que le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration interjette appel de ce jugement ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 21-15 du code civil : " (...) l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger. " ; qu'aux termes de l'article 49 du décret du 30 décembre 1993, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration sollicitée, il prononce le rejet de la demande. / Il peut également en prononcer l'ajournement en imposant un délai ou des conditions (...) " ; qu'en vertu de ces dispositions, il appartient au ministre chargé des naturalisations de porter une appréciation sur l'intérêt d'accorder la nationalité française à l'étranger qui la sollicite ; que, dans le cadre de cet examen d'opportunité, il peut légalement prendre en compte les renseignements défavorables recueillis sur le comportement du postulant ;
3. Considérant que si le ministre chargé des naturalisations a ajourné à deux ans la demande de naturalisation de Mme A... au motif que la postulante avait séjourné irrégulièrement sur le territoire français de 2000 à 2001 et avait ainsi méconnu la législation relative à l'entrée et au séjour des étrangers, il a admis dans son mémoire en défense présenté devant le tribunal administratif avoir commis une erreur de fait ; que le ministre ne pouvait, dès lors, légalement se fonder sur ce motif pour ajourner à deux ans la demande de naturalisation de Mme A... ; que le ministre a toutefois demandé devant le tribunal que soit substitué à ce motif un nouveau motif tiré de ce que Mme A... avait séjourné irrégulièrement sur le territoire français du 10 octobre 1999 au 9 janvier 2000 ;
4. Considérant que l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée ou a été obtenue par le demandeur devant le premier juge est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision ; qu'il appartient alors au juge, après avoir mis à même les parties de présenter leurs observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif ; que dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas l'auteur de la demande à fin d'annulation de ladite décision d'une garantie procédurale liée au motif substitué ;
5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme A... est entrée en France le 3 octobre 1999 munie d'un visa de court séjour et que dès le 14 octobre 1999, soit quatre jours après la date d'expiration de son visa, elle a déposé une demande d'asile politique par l'intermédiaire d'une association ; qu'elle n'a obtenu une première autorisation provisoire de séjour à cet effet que le 10 janvier 2000 ; qu'il n'est pas contesté que l'irrégularité de son séjour en France pendant cette période est imputable au retard avec lequel l'administration a enregistré sa demande ; que le ministre n'a dès lors pu demander que soit substitué ce nouveau motif au motif initialement invoqué pour ajourner la demande de naturalisation de la postulante sans entacher sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation ;
6. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé sa décision du 12 mai 2010 ajournant à deux ans la demande de naturalisation de Mme A... ;
Sur les conclusions à fin d'injonction, sous astreinte :
7. Considérant que le présent arrêt n'implique aucune mesure d'exécution ; que, par suite, les conclusions à fin d'injonction susvisées ne peuvent être accueillies ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme A... et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le recours du ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire et les conclusions à fin d'injonction présentées par Mme A... sont rejetés.
Article 2 : L'Etat versera à Mme A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme A....
Délibéré après l'audience du 18 décembre 2012, où siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- M. Sudron, président-assesseur,
- M. François, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 18 janvier 2013.
L'assesseur le plus ancien
dans l'ordre du tableau,
A. SUDRON Le président-rapporteur,
A. PÉREZ
Le greffier,
Y. LEWANDOWSKI
''
''
''
''
2
N° 12NT00055