Vu la requête, enregistrée le 14 février 2011, présentée pour la commune de Chèvreville, représentée par son maire en exercice, par Me Marie-Doutressoulle, avocat au barreau de Caen ; la commune de Chèvreville demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement nos 10-1623 et 10-2057 en date du 22 décembre 2010 par lequel le tribunal administratif de Caen, sur déféré du préfet de la Manche et à la demande de la société RTE EDF TRANSPORT, a annulé l'arrêté du 14 juin 2010 par lequel son maire a interdit tous travaux d'implantation liés à la ligne électrique à très haute tension " Cotentin-Maine " sur le territoire de ladite commune, ensemble la décision implicite du maire refusant de procéder au retrait de cet arrêté du 14 juin 2010 ;
2°) de rejeter le déféré du préfet de la Manche et la demande de la société RTE EDF transport présentée devant le tribunal administratif de Caen ;
3°) de constater que le préfet coordonnateur a commis des fautes caractérisées par l'absence de mise en oeuvre du principe de précaution tel qu'il est posé par la Charte de l'environnement ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat et de la société RTE EDF Transport le versement à la commune respectivement des sommes de 500 euros et 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la charte de l'environnement ;
Vu le code général des collectivités territoriales ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie ;
Vu le décret n° 70-492 du 11 juin 1970 ;
Vu l'arrêté du 17 mai 2001 fixant les conditions techniques auxquelles doivent satisfaire les distributions d'énergie électrique ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 2 octobre 2012 :
- le rapport de M. Joecklé, président-assesseur ;
- les conclusions de M. Martin, rapporteur public ;
- les observations de Me Marie-Doutressoulle, avocat de la commune de Chèvreville ;
- et les observations de Me Leroux, substituant Me Scanvic, avocat de la société RTE EDF Transport ;
1. Considérant que par un arrêté en date du 14 juin 2010, le maire de la commune de Chèvreville a interdit, jusqu'à la levée des réserves émises par la commission d'enquête dans son avis du 12 novembre 2009, sur l'ensemble du territoire de la commune, les travaux liés à l'implantation de la ligne électrique à très haute tension " Cotentin-Maine " ; que la commune de Chèvreville relève appel du jugement en date du 22 décembre 2010 par lequel le tribunal administratif de Caen a, à la demande du préfet de la Manche et de la société RTE EDF Transport, annulé l'arrêté du 14 juin 2010 susmentionné, ensemble la décision implicite du maire refusant de procéder au retrait dudit arrêté ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant qu'aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision mentionne que l'audience a été publique (...). / Elle contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont il est fait application / Mention y est faite que le rapporteur et le commissaire du gouvernement et, s 'il y a lieu, les parties, leurs mandataires ou défenseurs ainsi que toute personne entendue sur décision du président en vertu du deuxième alinéa de l'article R. 731-3 ont été entendus ./ Mention est également faite de la production d'une note en délibéré. / La décision fait apparaître la date de l'audience et la date à laquelle elle a été prononcée. " ;
3. Considérant que le tribunal administratif peut être valablement saisi d'une note en délibéré dès lors qu'elle est enregistrée avant la date de lecture de sa décision ;
4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que si la commune de Chèvreville a adressé une note en délibéré au tribunal administratif de Caen, celle-ci n'a été enregistrée au greffe du tribunal que le 22 décembre 2010, soit le jour de lecture du jugement ; que, par suite, la circonstance que la note en délibéré de la commune de Chèvreville n'a pas été visée n'est pas de nature à entacher d'irrégularité ledit jugement ;
Sur la légalité de l'arrêté contesté :
5. Considérant qu'en application de l'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales, le maire est chargé de la police municipale laquelle a, en application de l'article L. 2212-2 du même code : " pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (...) 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que les incendies, les inondations, les ruptures de digues, les éboulements de terre ou de rochers, les avalanches ou autres accidents naturels, les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours et, s'il y a lieu, de provoquer l'intervention de l'administration supérieure " ; qu'aux termes de l'article 18 de la loi du 15 juin 1906 susvisée : " Des règlements d'administration publique, rendus sur le rapport du ministre de l'intérieur, du ministre chargé des travaux publics, du ministre chargé du commerce, de l'industrie, des postes et télécommunications, du ministre de l'agriculture et du ministre des armées et, en outre, sur le rapport du ministre de l'économie et des finances pour les règlements de l'alinéa 7 et de l'article 3 bis, déterminent : (...) 6° les mesures relatives à la police et à la sécurité de l'exploitation des distributions d'énergie " ; que l'article 19 de la même loi dispose que : " Des arrêtés pris par le ministre chargé des travaux publics et le ministre chargé du commerce, de l'industrie, des postes et télécommunications et par le ministre de l'air, après avis du comité d'électricité, déterminent les conditions techniques auxquelles devront satisfaire les distributions d'énergie au point de vue de la sécurité des personnes et des services publics intéressés, ainsi qu'au point de vue de la protection des paysages. Ces conditions seront soumises à une révision annuelle " ;
6. Considérant, que, s'il appartient au maire, responsable de l'ordre public sur le territoire de sa commune, de prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, la police spéciale des distributions d'énergie a été attribuée aux ministres intéressés par la loi du 15 juin 1906 ; qu'en l'absence de péril imminent, le maire de la commune de Chèvreville ne saurait s'immiscer dans l'exercice de cette police spéciale, laquelle peut s'exercer sur la ligne à très haute tension " Cotentin-Maine " qui sera intégrée au réseau public de transport d'électricité dont le développement, l'exploitation et l'entretien a été concédée par l'Etat par convention du 27 novembre 1958 ;
7. Considérant qu'il est constant que les travaux d'établissement d'une ligne électrique aérienne à deux circuits à 400 000 volts, dite " Cotentin-Maine ", ont été déclarés d'utilité publique par un arrêté du 25 juin 2010 du ministre d'Etat, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat ; que la circonstance invoquée par le maire de la commune de Chèvreville et fondée sur l'existence éventuelle à la date de l'arrêté contesté de conséquences néfastes sur la santé humaine et celle des animaux du rayonnement électromagnétique de la ligne électrique aérienne et des " courants électriques vagabonds " ne saurait constituer une circonstance particulière de péril imminent justifiant l'interdiction, à titre conservatoire, de réalisation des travaux déclarés d'utilité publique par l'autorité détentrice du pouvoir de police spéciale ; que, par suite, le maire de la commune de Chèvreville n'était pas compétent pour édicter, par l'arrêté contesté du 14 juin 2010, l'interdiction susmentionnée relative à l'implantation de la ligne à très haute tension " Cotentin-Maine " sur son territoire ;
8. Considérant qu'aux termes de l'article 5 de la Charte de l'environnement : " Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en oeuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. " ; que ces dispositions de valeur constitutionnelle s'imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de compétence respectifs ; que le principe de précaution qu'elles instituent, qui ne constitue qu'une simple modalité d'application du pouvoir de police générale, ne saurait justifier les mesures prises par le maire de la commune de Chèvreville dans son arrêté du 14 juin 2010 dès lors que, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, ce dernier n'était pas compétent pour agir sur le fondement de son pouvoir de police générale ;
9. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1311-1 du code de la santé publique : " Sans préjudice de l'application de législations spéciales et des pouvoirs reconnus aux autorités locales, des décrets en Conseil d'Etat, pris après consultation du Haut Conseil de la santé publique et, le cas échéant, du Conseil supérieur de la prévention des risques professionnels, fixent les règles générales d'hygiène et toutes autres mesures propres à préserver la santé de l'homme, notamment en matière : / - de salubrité des habitations, des agglomérations et de tous les milieux de vie de l'homme (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 1311-2 du même code : " Les décrets mentionnés à l'article L. 1311-1 peuvent être complétés par des arrêtés du représentant de l'Etat dans le département ou par des arrêtés du maire ayant pour objet d'édicter des dispositions particulières en vue d'assurer la protection de la santé publique dans le département ou la commune. " ; que si la commune de Chèvreville soutient que son maire a entendu, par l'arrêté contesté, assurer la protection de la santé publique sur son territoire, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette intervention ait eu pour effet de compléter un décret pris en matière de santé publique sur le fondement de l'article L. 1311-1 du code de la santé publique ; qu'ainsi, ladite commune n'est en tout état de cause pas fondée à soutenir que l'arrêté du 14 juin 2010, pris en application de l'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales, trouverait également un fondement légal dans les dispositions de l'article L. 1311-1 du code de la santé publique ;
10. Considérant que la commune de Chèvreville ne saurait utilement soulever l'illégalité, à la supposer même établie, d'une décision ministérielle du 7 avril 2008 ayant retenu le fuseau de moindre impact, de l'organisation de réunions administratives du plan d'accompagnement du projet (PAP) engagé par l'Etat ainsi que de réunions de travail visant à mettre les plans locaux d'urbanisme en conformité avec le passage de cette ligne électrique à très haute tension dès lors que la régularité de ces décisions et agissements administratifs est sans rapport avec la légalité des décisions du maire contestées ; que la commune requérante ne peut davantage utilement se prévaloir des dispositions du décret n° 70-492 du 11 juin 1970 relatif à la procédure de déclaration d'utilité publique des travaux d'électricité qui sont sans lien avec le présent litige qui est relatif à la légalité d'une mesure de police administrative décidée par le maire de ladite commune ;
11. Considérant que les conclusions de la commune requérante tendant à ce que la cour
constate que le préfet coordonnateur a commis des fautes caractérisées par l'absence de mise en oeuvre du principe de précaution tel qu'il est posé par la Charte de l'environnement s'analysent comme une demande en déclaration de droit, dont il n'appartient pas au juge administratif de connaître ; que, par suite, ces conclusions ne peuvent qu'être rejetées ;
12. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'arrêté susvisé du 14 juin 2010 du maire de la commune de Chèvreville est entaché d'illégalité ; que, par voie de conséquence, la décision du maire de ladite commune par laquelle il a implicitement refusé de procéder au retrait de l'arrêté contesté est également entachée d'illégalité ; que, par suite, la commune de Chèvreville n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a annulé ces décisions ;
Sur l'application des dispositions de l'article R. 741-12 du code de jsutice administrative :
13. Considérant qu'aux termes de l'article R. 741-12 du code de justice administrative : " Le juge peut infliger à l'auteur d'une requête qu'il estime abusive une amende qui ne peut excéder 3 000 euros. " ; que la faculté prévue par ces dispositions constituant un pouvoir propre du juge les conclusions de la société RTE EDF Transport tendant à ce que la commune requérante soit condamnée à une telle amende ne sont pas recevables ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat et de la société RTE EDF Transport, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, les sommes que la commune de Chèvreville demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application de ces mêmes dispositions, de mettre à la charge de la commune de Chèvreville le versement à la société RTE EDF Transport d'une somme de 1.000 € au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la commune de Chèvreville est rejetée.
Article 2 : La commune de Chèvreville versera à la société RTE EDF Transport une somme de 1 000 euros (mille euros) en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de la société RTE EDF Transport tendant à l'application des dispositions de l'article R. 741-12 du code de justice administrative à l'encontre de la commune de Chèvreville sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Chèvreville, au ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie ainsi qu'à la société RTE EDF Transport.
Copie en sera adressée au préfet de la Manche.
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N° 11NT00463